Décisions de justice à l’heure du RGPD : délicat équilibre entre liberté de la presse et vie privée

Jusqu’à maintenant, la jurisprudence favorise habituellement – mais pas toujours –
le droit à l’information en cas de différends sur la publication de données issues de comptes-rendus de procès ou de décisions de justice. Depuis l’entrée en vigueur du RGPD, la recherche d’un juste équilibre s’impose.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Entré en vigueur en mai 2018, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) s’applique aussi aux comptesrendus de procès ou de décisions de justice citant des personnes physiques parties ou témoins aux procès. Le RGPD confie aux Etats membres de l’Union européenne le soin de concilier « […] par la loi, le droit à la protection des données à caractère personnel au titre du présent règlement et le droit à la liberté d’expression et d’information, y compris le traitement à des fins journalistiques et à des fins d’expression universitaire, artistique ou littéraire » (1).

Jurisprudence et droit à l’information
De même, le RGPD prévoit des règles similaires pour le « traitement et l’accès du public aux documents officiels » (2) afin de concilier les intérêts liés à la communication au public des documents administratifs et la protection des données à caractère personnel. Cela changera-t-il la jurisprudence qui jusqu’alors favorise habituellement – mais pas toujours – le droit à l’information ? Six mois après l’entrée en vigueur du RGPD, un arrêt de la cour d’appel de Paris daté du 28 novembre 2018 a confirmé une décision du président du tribunal de grande instance de Paris disant qu’il n’y avait pas lieu à référé concernant une demande de déréférencement à l’encontre de Google France de liens pointant vers un article publié sur le site Internet d’un journal – en l’occurrence Le Parisien (3). Les juges ont retenu que « l’information donnée au public sur la mise en cause pénale d’une personne et sa condamnation définitive participe du droit à l’information, particulièrement lorsqu’il s’agit d’infractions pénales sérieuses ». Elle a également relevé que « l’information communiquée quant à la mise en examen (…) ne constitu[ait] pas une atteinte à [la] vie privée s’agissant de la relation de faits publics et particip[ait] du droit du public à être informé ». Les juges, qui procèdent à une analyse de contexte pour apprécier l’intérêt de l’information sur un sujet d’actualité pour le public, en ont conclu que le demandeur « ne justifi[ait] pas de raisons prépondérantes et légitimes prévalant sur le droit d’expression et d’information ».
Toujours après la promulgation du RGPD, mais cette fois huit mois après, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est prononcée – dans un arrêt du 10 janvier 2019 – sur une décision par laquelle les juges allemands avaient interdit la publication dans la presse d’une photographie représentant une célébrité suisse alors incarcérée. La CEDH a précisé qu’il convenait d’apprécier « la notoriété de [l’intéressé], la contribution de la photo à un débat d’intérêt général, les circonstances dans lesquelles la photo litigieuse a été prise, le comportement antérieur de [l’intéressé] vis-à-vis des médias, la forme, le contenu et les répercussions pour [l’intéressé] de la publication de la photo litigieuse ainsi que la gravité de la sanction prononcée à l’encontre des requérantes ». Elle a notamment considéré en l’espèce que la photo litigieuse « n’avait pas de valeur informative supplémentaire par rapport à celle du texte de l’article », relatant « un fait connu du public depuis longtemps ». Il n’y avait « dès lors aucun motif d’en rendre compte de nouveau ». La CEDH a ainsi considéré qu’elle n’avait « aucune raison sérieuse de substituer son avis à celui des juridictions allemandes ».
Publier ou ne pas publier dans un contexte judiciaire : telle est la question au regard de la vie privée. La Cour de cassation, dans un arrêt du 12 mai 2016, a ainsi rejeté la demande de deux personnes ayant sollicité – sur le fondement de l’article 38 de la loi « Informatique et Libertés », la suppression d’informations identifiantes les concernant sur le moteur de recherche du site Internet d’un journal, en l’occurrence Lesechos.fr (4), qui donnait accès à un article de presse faisant état d’une condamnation prononcée à leur encontre il y a plusieurs années. La Cour a considéré que « le fait d’imposer à un organe de presse […] de supprimer du site Internet dédié à l’archivage de ses articles […] l’information elle-même contenue dans l’un de ces articles […] privant celui-ci de tout intérêt [ou] d’en restreindre l’accès en modifiant le référencement habituel, excède les restrictions qui peuvent être apportées à la liberté de la presse ».

Article en ligne et intimité de la vie privée
La notion d’« actualité » s’apprécie au cas par cas, à l’exemple de cette ordonnance de référé du 8 janvier 2016 (5) : le tribunal de grande instance de Paris a également rejeté la demande de suppression des nom et prénom d’une personne condamnée pour violence aggravée, dans un article paru en 2004 dans le quotidien 20 Minutes et toujours en ligne dix ans après les faits incriminés. Après avoir procédé à une analyse du contexte, le juge a notamment considéré « qu’il n’est donc nullement illégitime, dans ce contexte, pour la société 20 Minutes France, de mentionner l’identité du demandeur ». Donc « que dans ces conditions, il n’apparaît pas, avec l’évidence requise en matière de référé, que (le requérant) puisse se prévaloir d’une quelconque atteinte à l’intimité de sa vie privée ».

Actualité, intérêt légitime et droit à l’oubli
De même, s’agissant d’une demande de déréférencement de plusieurs liens sur Google Images pointant sur des articles faisant état de la condamnation du requérant, le juge a constaté en 2017 que le refus du moteur de recherche était fondé dès lors qu’il s’agissait d’une information exacte sur un sujet d’actualité récent (6). Ce parti pris n’est pas nouveau puisque, dans une affaire concernant la publication dans un journal d’un article relatif au placement en garde à vue d’un individu qui avait bénéficié d’un non-lieu. Ce dernier avait sollicité du directeur de la publication l’insertion d’un droit de réponse. Le journal s’était contenté de mettre à jour l’article. L’individu en cause l’a assigné aux fins de voir supprimer l’article. Les juges ont considéré en 2015 que le traitement des données litigieuses – l’âge, la profession du requérant et le fait qu’il ait été impliqué dans une procédure pénale – répondait à un intérêt légitime « tant en ce que l’information portait sur le fonctionnement de la justice et le traitement des affaires d’atteintes graves aux personnes qu’en ce qu’elle visait une personne exerçant une profession faisant appel au public et encadrant une activité proposée notamment à des enfants », et qu’aucun abus de la liberté de la presse n’était établi (7). C’est le même raisonnement qui conduit des juridictions étrangères à refuser le retrait de résultats affichés sur des moteurs de recherche.
Parfois, les juges considèrent que le droit au déréférencement doit obéir au principe de proportionnalité. Certaines décisions – surtout étrangères – visent à concilier les intérêts de la personne concernée par le traitement de données personnelles avec les intérêts des autres parties en présence, et donc le droit du public à avoir accès à l’information en cause. En quelque sorte, le juge recherche un équilibre entre le droit au respect de la vie privée et aux données à caractère personnel et le droit à la liberté d’expression et à l’information. Deux arrêts américains assez anciens sont également particulièrement éclairants sur ce point. Le premier arrêt rendu par la Cour suprême des Etats- Unis en 1989 concernait un journaliste qui demanda au FBI (9) l’accès aux documents concernant les arrestations, inculpations et condamnations visant quatre individus. Pour le seul survivant des quatre individus ciblés par le journaliste, le FBI refusa de transmettre l’information qu’il détenait sous forme compilée, estimant que la communication porterait atteinte à la vie privée des individus en question. La Cour suprême soutint à l’unanimité cette argumentation (10). Elle rejeta l’argument retenu par la cour d’appel, selon lequel il n’y a plus de Privacy Interest en présence d’informations déjà rendues publiques. Pour la Cour, il y a une importante différence entre une communication « éparpillée » de fragments d’information et la divulgation de l’information dans son ensemble (11). Le second arrêt est issu de la cour d’appel de l’Etat de Californie (12) qui a considéré en 1994 que « c’est la nature agrégée de l’information qui lui donne de la valeur aux yeux du défendeur ; c’est la même qualité qui rend sa diffusion constitutionnellement dangereuse ».
De même, un arrêt de la Cour de cassation belge du 29 avril 2016 retient l’attention. Dans cette affaire, le demandeur, médecin de profession, avait provoqué un grave accident de la circulation ayant entraîné la mort de deux personnes, alors qu’il se trouvait sous l’emprise d’alcool. Ce fait avait été relaté dans l’édition papier du quotidien Le Soir, en 1994. L’article avait été ensuite rendu accessible en ligne non anonymisé. La Cour de cassation a confirmé tout d’abord que la mise en ligne de cet article doit être assimilée à « une nouvelle divulgation du passé judiciaire du défendeur portant atteinte à son droit à l’oubli ». Par ailleurs, elle a relevé que si l’article 10 de la CEDH confère aux organes de presse écrite le droit de mettre en ligne des archives et au public celui d’accéder à ces archives, ces droits ne sont pas absolus et qu’ils doivent, le cas échéant et dans certaines circonstances, céder le pas à d’autres droits également respectables. Aussi, la Haute juridiction a-t-elle considéré que l’arrêt attaqué a justifié léga-lement sa décision en considérant que « le maintien en ligne de l’article litigieux non anonymisé, de très nombreuses années après les faits qu’il relate, est de nature à […] causer un préjudice disproportionné [au médecin] par rapport aux avantages liés au respect strict de la liberté d’expression [de l’éditeur] » (13).

Cas particulier de déréférencement du lien
En France, on relève une ordonnance du tribunal de grande instance de Paris en date du 19 décembre 2014 qui a admis les « raisons prépondérantes et légitimes prévalant sur le droit à l’information » invoquées par la demanderesse (14). Le juge a considéré que la nature des données personnelles, le temps écoulé depuis la condamnation – prononcée huit années auparavant – et l’absence de mention de la condamnation au casier judiciaire de l’intéressée justifiaient le déréférencement du lien renvoyant à un article de 2006. @

* Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des
barreaux (CNB), est ancien bâtonnier du Barreau de Paris, et
auteure de « Cyberdroit », paru aux éditions Dalloz.

Liens hypertextes « pirates » : la jurisprudence « GS Media » menace-t-elle la liberté d’informer ?

Le 13 octobre 2016, le tribunal d’Attunda (Suède) a fait application pour la première fois en droit national des critères énoncés par la CJUE dans l’arrêt
« GS Media », et vient ainsi préciser les contours du régime s’appliquant au
droit de communication au public pour les liens hypertextes.

Par Etienne Drouard (photo), avocat associé, et Antoine Boullet, juriste, cabinet K&L Gates

L’intérêt de cette décision réside dès lors dans l’application concrète des critères abstraitement énoncés par la CJUE. Pour rappel, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé – dans l’ arrêt « GS Media » rendu le 8 septembre dernier (1) – que pour juger du caractère licite ou illicite d’un acte de communication au public au sens de la directive européenne de 2001 sur le droit d’auteur (dite « DADVSI »), il fallait non seulement démontrer l’existence d’un acte de communication et l’existence d’un public, mais également « tenir compte de plusieurs critères complémentaires, de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres » (2).

Le cas d’une vidéo d’accident
La CJUE a ainsi précisé le régime des liens hypertextes qui renvoient vers des œuvres protégées, librement disponibles sur un autre site Internet et sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur. Pour déterminer si de tels liens constituent des actes de communication illicites au public, il convient, selon l’arrêt européen, de « déterminer si ces liens sont fournis sans but lucratif par une personne qui ne connaissait pas ou ne pouvait raisonnablement pas connaître le caractère illégal de la publication de ces œuvres sur cet autre site Internet ou si, au contraire, lesdits liens sont fournis dans un tel but, hypothèse dans laquelle cette connaissance doit être présumée ». L’application concrète de ces critères par les juridictions nationales était attendue pour envisager leur pleine portée. Dans l’arrêt « Rebecka Jonsson c/ Les Editions de L’Avenir », le juge suédois est le premier à se prononcer dans le sillage de la CJUE.
Deux critères essentiels de la décision européenne méritent en effet d’être clarifiés. Tout d’abord, comment définir le but lucratif ? Ensuite, comment prouver la connaissance, ou au contraire l’absence de connaissance, du caractère illégal d’une publication qui rendrait un lien vers celle-ci lui-même licite ou illicite ? En l’espèce,
la plaignante Rebecka Jonsson a filmé en 2012 un accident de saut à l’élastique en Afrique. La vidéo a ensuite été mise en ligne sans son autorisation sur YouTube.
Le 9 juin 2012, le journal belge L’Avenir a publié cette vidéo sur son site Internet pour illustrer un article. La spécificité du litige résidait dans le fait que la plaignante n’avait ni autorisé la mise en ligne de la vidéo sur YouTube, ni sa publication par Les Éditions de l’Avenir. La plaignante reprochait au journal d’avoir porté atteinte à ses droits d’auteur en publiant la vidéo sur son site Internet, ainsi qu’une capture d’écran de la vidéo de celle-ci, et en ne reconnaissant pas à Rebecka Jonsson la qualité d’auteure de la vidéo. Les faits en cause se rapprochaient ainsi de ceux l’arrêt européen « GS Media » puisqu’ils portaient sur la publication d’un lien hypertexte vers une oeuvre publiée sans le consentement de son auteur. La juridiction suédoise a donc opportunément appliqué les critères développés par les juges européens.
Dans son jugement, le tribunal d’Attunda répond aux demandes de la plaignante en trois points, dont seul le premier retiendra particulièrement notre attention, les deux autres portant respectivement sur la publication d’une capture d’écran de la vidéo et
sur la qualité d’auteure de la plaignante. La juridiction suédoise commence par énoncer que la notion de « communication au public » doit être interprétée au regard de la directive « DADVSI » et de son analyse par le juge communautaire.
Le journal L’Avenir a, en l’espèce, publié le lien hypertexte litigieux sur son site Internet ; cette forme de mise à disposition du public constitue donc une « communication au public ». Cette communication s’adresse bien à un public distinct (les visiteurs du site web de L’Avenir ) du public visé par l’acte de communication originaire de l’oeuvre, c’est-à-dire un public nouveau. Les deux premiers critères permettant de caractériser un acte de communication au public sont donc satisfaits.

La jurisprudence « GS Media »
La juridiction suédoise s’appuie ensuite sur l’arrêt « GS Media » qui a confirmé que la publication d’un lien hypertexte vers une oeuvre protégée sans le consentement de son auteur constituait bien une communication au public. Dans la même affaire, la CJUE
a décidé que lorsque le fournisseur de lien hypertexte poursuit un but lucratif, sa connaissance de l’illicéité de la source doit être présumée. En l’espèce, Rebecka Jonsson nie avoir consenti à la publication de son film sur YouTube.
Par ailleurs, le journal L’Avenir ayant publié le lien litigieux sur une page d’actualité de son propre site, il poursuit ainsi un but lucratif. Selon le juge suédois, la connaissance du caractère illicite de la publication par le journal L’Avenir doit dès lors être présumée.

La notion de but lucratif
La décision suédoise fait pour la première fois application du critère du but lucratif mis en avant par la CJUE dans l’arrêt « GS Media ». La connaissance de l’illicéité de la publication vers laquelle renvoie le lien hypertexte est ainsi présumée et peut conduire à engager la responsabilité de la personne publiant le lien dans un contexte à but lucratif.
Le critère du but lucratif avait soulevé de nombreuses interrogations, en raison de son imprécision. En effet, comment déterminer si un site Internet – et encore moins un lien – poursuit un but lucratif ? La réponse à cette question doit être apportée par les juges nationaux, la CJUE ayant explicitement décidé que cette appréciation devait être
« individualisée ». Nous pouvons toutefois émettre l’hypothèse que le caractère lucratif d’une publication doit être déterminé selon qu’elle est le fait d’un professionnel ou d’un non-professionnel (3). La juridiction suédoise dessine une première interprétation de l’intention lucrative.
On regrettera toutefois l’absence de justification claire en l’espèce. En effet, le tribunal d’Attunda se contente d’affirmer qu’il apparaissait « évident » que le journal L’Avenir avait publié le lien hypertexte litigieux dans l’intention de réaliser un profit. La juridiction n’explique toutefois pas quels éléments lui ont permis de conclure que le défendeur poursuivait un but lucratif. En application du critère imprécis énoncé par la CJUE, la juridiction suédoise conclut donc à l’existence d’une intention lucrative de manière tout aussi obscure. Il sera donc aisé pour les demandeurs de démontrer l’intention lucrative du fournisseur de lien, et ainsi présumer sa connaissance du caractère illicite de la source vers laquelle pointe le lien hypertexte. Si la CJUE a formulé une présomption
de connaissance du caractère illicite de la source, une présomption simple implicite d’intention lucrative semble également peser sur le fournisseur de lien professionnel.
La présomption de responsabilité serait donc acquise s’agissant de la publication à but lucratif de lien hypertextes renvoyant vers une source illicite.

Les conséquences de la jurisprudence « GS Media » pourraient donc s’avérer plus redoutables qu’imaginées de prime abord, et éventuellement avoir « des conséquences fortement restrictives pour la liberté d’expression et d’information », comme le craignait la Commission européenne.
La présomption d’intention lucrative doublée d’une présomption de connaissance du caractère illicite de la source fait donc peser une présomption de responsabilité extrêmement lourd e s u r les professionnels fournissant des liens hypertextes. Selon les critères énoncés par la CJUE dans l’arrêt « GS Media », après avoir démontré l’existence d’un but lucratif, les personnes publiant des liens hypertextes peuvent encore s’exonérer de leur responsabilité en démontrant avoir accompli « les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’oeuvre concernée n’est pas illégalement publiée sur le site auquel mènent lesdits liens hypertexte ».
Une nouvelle fois, la juridiction européenne se garde bien d’expliquer quelles diligences doivent être effectuées par les fournisseurs de liens pour s’assurer de la licéité de la source. Nous pouvons présumer qu’il s’agira de contacter l’éditeur du site web vers lequel le lien renvoi, voire de contacter directement l’auteur ou les ayants droit. La fiabilité du site-source pourrait également être un indice.
La juridiction suédoise réserve un traitement doublement exigeant à l’égard des fournisseurs de liens. Non seulement leur intention lucrative devient très facile à caractériser, mais en plus les titulaires de droits d’auteur bénéficient d’un traitement favorable. En effet, dans cette affaire « Rebecka Jonsson c/ Les Editions de L’Avenir », aucun devoir de vigilance n’était imposé à l’auteure de la vidéo.
Cette dernière a été admise à rechercher la responsabilité du journal, sans avoir à l’informer du caractère illicite de sa publication initiale sur la plateforme YouTube, ni même avoir à démontrer avoir accompli des diligences pour faire retirer le contenu illicite originairement publié sur YouTube.

Obligation lourde de vérification
Cette décision suédoise démontre que, contrairement au droit des marques, aucun devoir de surveillance ne pèse les titulaires de droits d’auteur dans l’utilisation de leurs œuvres. S’agissant des éditeurs de liens, ces derniers sont soumis à une obligation de vérification extrêmement lourde. Dès lors qu’ils fournissent un lien vers une vidéo YouTube ou vers un autre site en ligne, ils devront ainsi s’assurer au préalable que le titulaire initial de droits a autorisé ce site-là à publier l’oeuvre protégée. @

Décision « Allostreaming » : une première mondiale mais à portée limitée

En France, six fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et sept moteurs de recherche vont devoir respectivement bloquer et déréférencer seize sites de streaming de
la galaxie « Allostreaming ». Mais la CJUE, la neutralité du Net et la loi française
« LCEN » empêchent toute mesure généralisée.

Par Rémy Fekete, avocat associé, Gide Loyrette Nouel

Dans un jugement rendu en la forme des référés le 28 novembre 2013 (1), le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris a tranché
en faveur des professionnels français du film dans un litige qui les opposaient à six fournisseurs d’accès à Internet (Orange, Bouygues Telecom, Numericable, Free, SFR et Darty Télécom)
et sept moteurs de recherche (notamment Google, Microsoft, Yahoo et encore Orange).

 

1.312 visionnages effectués par l’Alpa
La décision ordonne le blocage et le déréférencement de sites de streaming (2) en ligne hébergeant des contenus illicites. L’offensive judiciaire avait été lancée en décembre
2011 par L’Association des producteurs de cinéma (APC), la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF) et le Syndicat des éditeurs de vidéo numérique (SEVN) (3). Ces trois organisations furent rejointes ensuite par l’Union des producteurs de films (UPF) et le Syndicat des producteurs indépendants (SPI). Et c’est donc au terme d’une procédure de deux ans, l’assignation datant du 15 novembre 2011, qu’ils ont obtenu gain de cause. « Ces sites ciblaient les consommateurs français et proposaient une offre massive et illégale en streaming de contrefaçon numérique d’œuvres françaises et étrangères en version française », déclarent les syndicats professionnels du cinéma et
de l’audiovisuel (4), se félicitant du jugement.
Le TGI s’est notamment fondé sur les articles L.336-2 et L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) et rappelle que si « le streaming n’est pas en soi une activité illicite »,
il n’est légal que lorsqu’il « intervient dans le cadre d’une cession légale des droits des auteurs et d’un droit d’exploitation donné par les producteurs ». Au cours de la procédure d’instruction, les vérifications des agents assermentés de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), qui ont procédé au visionnage de 1.312 épisodes de séries télévisées sur les sites incriminés, ont permis d’établir le constat que les liens fournis correspondaient à 99,04 % à la possibilité d’accéder à la représentation d’œuvres protégées. Or, l’article L. 122-4 du CPI dispose que « toute reproduction ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite ».
A la lumière de ces faits, le TGI a constaté l’atteinte aux droits d’auteur telle que prévue dans le CPI et a ordonné aux six FAI de « mettre en oeuvre et/ou faire mettre en oeuvre (…) toutes mesures propres à empêcher l’accès [aux sites visés], à partir du territoire français (…) par tout moyen efficace et notamment par le blocage des noms de
domaines ». De même a-t-il ordonné aux sept moteurs de recherches (5) « de prendre
ou de faire prendre toute mesure utile en vue d’empêcher sur leurs services l’apparition
de toute réponse et tout résultat renvoyant vers l’une des pages des sites ». Le blocage entrera en vigueur deux semaines après la notification du jugement et durera un an à compter de la mise en place des mesures.
Toutefois, le tribunal n’a pas prononcé de mesure visant à la suppression des contenus contrefaisants ou à la disparition des sites incriminés (6), seul leur accès fait l’objet de mesures contraignantes. « Il s’agit d’une première mondiale s’agissant du déréférencement de sites pirates par les moteurs de recherche et d’une étape capitale vers le respect du droit sur Internet », affirment les cinq organisations.

Vers un retour de flamme européen ?
Cette première mondiale pourrait cependant vite être sujette à un retour de flamme si l’on s’en remet à la jurisprudence européenne en la matière. En effet, le 24 novembre 2011,
la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait interdit aux Etats membres
« d’imposer le filtrage du contenu d’Internet dans le but d’empêcher le téléchargement illégal de fichiers protégés » (7). La CJUE s’était notamment fondée sur l’interdiction prévue par la directive sur le commerce électronique (8) selon laquelle les autorités nationales ne doivent pas adopter des mesures qui obligeraient un fournisseur d’accès à Internet (FAI) à procéder à une surveillance générale des informations qu’il transmet sur son réseau : « Il s’ensuit que ladite injonction (9) imposerait audit FAI une surveillance générale qui est interdite par l’article 15, paragraphe 1, de la directive n°2000/31 ». Cette disposition – corollaire du principe de neutralité du Net – fermement réaffirmé par le récent projet de règlement européen visant à réformer le « Paquet télécom » (10), est de nature
à interroger sur le devenir du jugement du TGI de Paris, dont la nature de référé en rend
la portée toute relative.

La LCEN opposée au filtrage généralisé
Par cet arrêt, la CJUE avait donc posé les limites du filtrage : il n’est légal qu’à la condition qu’il ne soit pas général. Cette position est également celle du droit français via l’article
6-I.7 de loi du 21 juin 2004 pour « la confiance dans l’économie numérique » (loi dite LCEN), qui dispose que les fournisseurs d’accès et d’hébergement ne sont pas soumis
« à une obligation générale de surveiller les informations qu’(ils) transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». Ce principe se justifie par le fait qu’en cas de filtrage général, le FAI risquerait de bloquer la diffusion de contenus licites, ce qui porterait gravement atteinte à la liberté d’accès des utilisateurs, celle d’entreprendre des sites Internet et enfin à la liberté de communication en général.
Or, ce point est directement abordé par le jugement du TGI de Paris : « les FAI évoquent encore les effets collatéraux possibles des mesures sollicitées, dès lors que, à côté des contenus contrefaits, (…), il est possible que des œuvres touchées ne soient pas des contrefaçons, (…) ».
Cependant, c’est en raison du très faible nombre de liens vers des œuvres licites que
les juges ont finalement décidé que les déréférencements étaient justifiés, n’entraînant
« pas de dommage disproportionné », étant observé que les mesures prononcées ne
« constituent pas un obstacle absolu empêchant l’accès aux œuvres, lesquelles peuvent être vues par d’autres moyens ». Le TGI de Paris pose donc une limite au principe de neutralité, pourtant ancré en droit interne (11), lorsque le blocage paraît proportionné
– sans qu’aucun seuil ne soit pourtant fixé – et que le contenu se révèle accessible par d’autres moyens. A noter que le jugement jette un flou en cas de « modification des noms de domaines ou chemin d’accès » (sites dits miroirs par exemple) : le TGI de Paris prévoit que les parties devront revenir devant le juge mais uniquement « sous réserve d’un meilleur accord entre les parties ». Ce que dénoncent des opposants à ce jugement
(lire p. 3). Reste que par cette décision, les juges parisiens semblent prendre le relais de l’Hadopi, alors que l’existence de celle-ci est remise en cause. Le rapport Lescure semble en effet vouloir entériner la volonté du président de la République, François Hollande, de supprimer l’institution. Candidat, le successeur de Nicolas Sarkozy, lequel est le « père » de l’Hadopi, affirmait déjà à propos de la loi du 12 juin 2009 (12) : « Je suis pour l’évaluation, l’amélioration, la correction et éventuellement la suppression si une loi n’a pas donné satisfaction » (13). Après une volte-face durant la primaire socialiste, le candidat à la présidentielle avait clairement affiché sa position dans la proposition n°45 de sa campagne présidentielle.
A ce jour, la loi est toujours en vigueur et si le chef de l’Etat suit le rapport Lescure, c’est l’institution Hadopi, mais non son support légal, qui devrait être supprimée. Les compétences seraient alors transférées au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et le système majoritairement conservé. On imagine toutefois que si le visage de l’institution change, le travail réalisé par l’Hadopi au cours de ses trois ans d’existence demeure.
Or, dans son dernier rapport d’activité, l’Hadopi s’est interrogée sur les moyens de lutte contre le streaming et a proposé de nouvelles pistes, notamment au regard des méthodes américaines employées pour fermer le site de téléchargement illicite Megaupload, auxquelles se réfèrent les juges du TGI de Paris. Ainsi, l’Hadopi affirme que l’obligation de retrait durable du contenu illicite « apparaîtrait proportionnée ». C’est précisément la piste envisagée au sein du jugement du TGI.

En attendant la jurisprudence européenne
Finalement, il faudra avant tout que la jurisprudence européenne s’accorde avec l’ensemble de ces principes avant que leur application ne puisse être acquise au sein
des différents pays membres. Dans cette attente, les juges du TGI de Paris, dans une période de balbutiements quant à la forme que doit revêtir la lutte contre la violation des droits d’auteur sur Internet, envoient un message fort sur leur capacité à se saisir du contentieux. @

Affaire « Louis Vuitton contre eBay » : la Cour de cassation redéfinit la notion d’hébergeur

Pour mettre fin aux hésitations de la jurisprudence sur la définition d’hébergeur,
à la responsabilité limitée, la Haute juridiction – dans son arrêt du 3 mai – en exclut les sociétés Internet ayant la connaissance ou le contrôle des contenus illicites qu’elles stockent.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, et Laurent Teyssandier avocat, cabinet Féral- Schuhl/Sainte-Marie.

A l’occasion d’un litige survenu entre la filiale Louis Vuitton (1) du groupe LVMH et le géant de l’Internet eBay (2), la Cour de cassation a apporté d’importantes précisions sur les conditions dans lesquelles les exploitants de places de marché sur Internet (sites d’enchères et de vente en ligne ouverts au public) sont susceptibles d’engager leur responsabilité lorsque sont proposés à la vente sur leurs sites des produits contrefaisants.

Les non-dits de la LCEN de 2004
L’affaire est connue : un fabriquant de produits de luxe assigne l’exploitant d’une place de marché en raison de la vente sur cette place de produits contrefaisants. C’est la société Louis Vuitton qui a fait assigner des sociétés du groupe eBay devant le tribunal de commerce de Paris, en leur reprochant de ne pas s’être assurées que leurs activités ne généraient pas d’actes illicites et d’avoir ainsi favorisé des actes de contrefaçon lui portant préjudice. Les sociétés eBay revendiquaient, quant à elles, le statut d’hébergeur, ce qui leur permettait de bénéficier d’un régime de responsabilité plus favorable que celui attaché au statut d’éditeur. Outre des questions portant sur la valeur des constatations réalisées par les agents de l’Agence pour la protection des programmes et celles sur la compétence territoriale des juridictions françaises, c’est surtout la position de la Cour de cassation sur l’applicabilité du statut d’hébergeur aux exploitants de places de marché sur Internet qui retient l’attention.
La loi du 21 juin 2004 « pour la confiance dans l’économie numérique », laquelle fixe le régime de responsabilité propre aux éditeurs de sites web et aux hébergeurs, ne s’est
pas attardée ce qu’il fallait entendre par ces notions. Ce silence a évidemment amené les juridictions et les auteurs à proposer les critères et conditions qui, selon eux, permettent de qualifier un prestataire d’éditeur ou d’hébergeur. Certaines juridictions ont par exemple reconnu comme critères permettant de déduire une qualité d’éditeur le fait que les contenus étaient publiés au sein d’une page aux couleurs et aux marques du prestataire animant le site (3), ou encore l’exploitation commerciale par la mise en place des espaces publicitaires sur les pages personnelles (4).
Au fil des années, les critères se sont affinés et la jurisprudence actuelle distingue entre, d’une part, les prestataires ayant un rôle actif dans la publication d’un contenu en ligne,
et, d’autre part, ceux ayant un rôle passif. Les premiers, qui réunissent les contenus,
les évaluent, voire les modifient, et procèdent volontairement à leur mise en ligne, sont qualifiés d’éditeurs. Les seconds, qui offrent le service ou l’infrastructure permettant la mise en ligne, sont qualifiés d’hébergeurs. C’est ainsi que le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a défini l’éditeur comme « la personne qui détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu’elle a créé ou dont elle a la charge » (5). Cette définition de l’éditeur – extrêmement restrictive – a été critiquée en ce qu’elle permet de regrouper sous la définition d’hébergeur non seulement les personnes fournissant des prestations techniques d’hébergement, c’est-à-dire la mise à disposition d’autrui d’un espace de stockage, mais également certains prestataires du Web 2.0 qui fournissent des services de partage de contenus en ligne (YouTube, Dailymotion, etc.)
et de réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Google+, etc.).

Espace de stockage et outils
Pourtant, ce courant jurisprudentiel a également trouvé écho dans le secteur des places de marché en ligne, dont les acteurs principaux mettent à la disposition des particuliers
et des professionnels un espace de stockage et des outils leur permettant de publier des offres de vente. La Cour d’appel de Paris a considéré par le passé, pour qualifier la société eBay d’hébergeur, que « le site www.ebay.fr [était] un support en ligne permettant à des professionnels ou des particuliers, à travers le monde, d’acheter ou de vendre en ligne des biens ou services et qu’à ce titre, la société eBay n’agissait pas pour le compte du vendeur » (6).

Contrôle du contenu éditorial ?
Adoptant une position similaire, le TGI de Paris a également qualifié les sociétés eBay d’hébergeurs pour certaines de leurs activités, en retenant que si ces sociétés encadrent le processus de rédaction, proposent des aides à celle-ci (utilisation d’informations standards, d’un logiciel de manipulation de photos, …), il n’en demeure par moins en définitive que : seul le vendeur décide de l’objet mis en vente, du titre de l’annonce, du
prix de l’objet, de sa description et de la photographie diffusée, ainsi que de la mise en ligne de l’annonce dont il peut d’ailleurs décider du retrait ; que tout le processus de la vente (échange de l’accord des parties, paiement du prix et livraison du produit) s’effectue en dehors de l’intervention d’eBay et que ce dernier ne joue qu’un rôle d’intermédiation dans le rapprochement des vendeurs et des acquéreurs sans intervenir sur le contenu des offres (7).
Dans la présente affaire, la Cour d’appel de Paris a adopté, dans un arrêt du 3 septembre 2010, une position en rupture avec les décisions précédemment citées. Elle a retenu que les sociétés eBay fournissent à l’ensemble des vendeurs des informations pour leur permettre d’optimiser leurs ventes et les assistent dans la définition et la description des objets mis en vente en leur proposant de créer un espace personnalisé de mise en vente ou de bénéficier d’assistants vendeurs. En outre, ces sociétés envoient des messages spontanés à l’attention des acheteurs pour les inciter à acquérir et invitent l’enchérisseur, qui n’a pu remporter une enchère, à se reporter sur d’autres objets similaires sélectionnés par elles. La Cour d’appel a jugé que les sociétés eBay n’avaient pas la seule qualité d’hébergeur et ne pouvaient bénéficier, en leur qualité de courtier, du régime de responsabilité des hébergeurs, et les a condamnées à réparer les dommages subis par
la société Louis Vuitton du fait de leur manquement à leur obligation de s’assurer que leur activité ne génère pas d’actes illicites au préjudice de tiers. Devant la Cour de cassation, les sociétés eBay ont contesté cette décision en faisant notamment valoir que, d’une part, l’exercice d’une activité d’hébergement n’est pas exclu par une activité de courtage, dès lors que le prestataire exerce une activité de stockage des annonces sans contrôler le contenu éditorial de celles-ci et que, d’autre part, le rôle du prestataire doit être apprécié au regard de chacune des activités déployées par le prestataire et non globalement, et
au regard du contrôle réellement réalisé par celui-ci et non en fonction de celui que ses moyens techniques lui permettraient éventuellement d’exercer.
Dans son arrêt du 3 mai 2012, la Cour de cassation rejette ces arguments et confirme
la Cour d’appel sur ce point. Prenant acte de ce que les sociétés eBay jouent un rôle
actif de nature à leur conférer la connaissance ou le contrôle des offres de vente illicites qu’elles stockent, la haute juridiction retient que ces sociétés n’ont pas exercé qu’une simple activité d’hébergement et doivent être en conséquence privées du régime exonératoire de responsabilité prévu par l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.Dans cette décision, la Cour de cassation fait sienne la position adoptée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), dans son arrêt « L’Oréal contre eBay » rendu le 12 juillet 2011. La CJUE avait en effet considéré qu’eBay, exploitant d’un site de marché Internet dont les utilisateurs avaient enfreint le droit des marques, avait joué un « rôle actif » dans les offres illicites et que,
dès lors, cet exploitant ne pouvait pas bénéficier du régime de responsabilité dérogatoire des fournisseurs de services en ligne (8).

Recadrage de la notion d’hébergeur
Cette décision recadre la notion d’hébergeur et paraît mettre fin aux hésitations de la jurisprudence quant à la définition de l’hébergeur, excluant ainsi les exploitants de places de marché en ligne dont une partie de la rémunération provient des revenus publicitaires et des commissions sur les ventes réalisées. La notion d’hébergeur semble désormais
se limiter aux seuls prestataires mettant à la disposition de tiers des espaces de stockage. @

* Elue en décembre 2010 par ses pairs,
Christiane Féral-Schuhl a pris officiellement
ses fonctions de bâtonnier du barreau de Paris
le lundi 2 janvier 2012.

Le statut d’hébergeur protège YouTube et Dailymotion

En fait. Le 29 mai, le TGI de Paris a rendu un jugement favorable à l’ »hébergeur » YouTube, que TF1 accusait depuis 2008 de contrefaçon (réclamant 150 millions d’euros). La chaîne de Bouygues devrait aussi perdre contre Dailymotion, lequel n’est pas non plus « éditeur » et « responsable a priori ».

En clair. « La société défenderesse [YouTube, filiale de Google] qui a le statut d’hébergeur n’est (…) pas responsable a priori du contenu des vidéos proposées sur son site ; seuls les internautes le sont ; elle n’a aucune obligation de contrôle préalable du contenu des vidéos mises en ligne et elle remplit sa mission d’information auprès des internautes (…) », justifie le TGI de Paris pour disculper le premier site mondial de partage vidéo. La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (dite LCEN) prévoit en effet une responsabilité limitée des hébergeurs techniques, lesquels ne sont tenus responsables de piratage en ligne que si les contenus contrefaits leurs sont signalés par notification. Dans ce cas, ils sont tenus les retirer promptement.
Or, le juge constate que YouTube a « systématiquement et avec diligence traité les notifications » qui lui ont été adressées par TF1. En outre, dès le 25 avril 2008, le géant du Web a proposé à la chaîne de recourir à sa technologie de reconnaissance de contenus Content ID pour empêcher la mise en ligne de copies non autorisées. Mais c’est seulement le 16 décembre 2011, soit plus de trois ans et demi après, que TF1 a souscrit à Content ID de YouTube. Le filtrage exigé par la chaîne a été écarté, d’autant que le jugement rappelle que « aucun filtrage préalable n’est imposé aux hébergeurs et les contraindre à surveiller les contenus (…) revient à instituer ce filtrage a priori refusé par la CJUE ». La Cour de justice de l’Union européenne a en effet publié, le 24 novembre dernier (dans l’affaire Sabam contre Scarlet), un arrêt dans laquelle elle répond que « le droit de l’Union s’oppose à une injonction faite à un [FAI] de mettre en place un système de filtrage de toutes les communications électroniques transitant par ses services » (1). L’Association de services Internet communautaires (Asic), dont le
siège social est situé chez Dailymotion, s’est félicité de ce jugement (2). Or, justement,
le concurrent français de YouTube est lui aussi pris à partie par TF1 qui lui réclame pour contrefaçon 80 millions d’euros. Cette indemnité est calculée par la chaîne sur la base 0,40 euro par visualisation. Contacté par Edition Multimédi@, Dailymotion a répondu « ne pas communiquer sur ce sujet », ni sur le courrier du 13 mars reçu du CSA (3) qui considère YouTube et Dailymotion comme des éditeurs… @