TF1 a perdu son procès contre l’« hébergeur » YouTube

En fait. Le 14 novembre, le groupe TF1 a déclaré que lui et YouTube mettaient
« fin au contentieux judiciaire qui les oppose depuis [2007] ». En 2008, la chaîne de Bouygues portait plainte contre la plateforme vidéo de Google pour contrefaçon (piratage). Cet accord cache une défaite judiciaire pour TF1.

En clair. La Cour d’appel de Paris n’aura pas à rendre un arrêt, lequel était attendu dans les prochains jours. Selon nos informations, le groupe TF1 devrait perdre son procès contre YouTube – à qui il réclamait 150 millions d’euros de dommages et intérêts depuis 2008. L’arrêt aurait confirmé en appel le jugement prononcé le 29 mai 2012 par le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, qui a confirmé le statut d’hébergeur de la plateforme de partage vidéo de Google. TF1 avait fait appel (1).
« La société défenderesse [YouTube] qui a le statut d’hébergeur n’est (…) pas responsable a priori du contenu des vidéos proposées sur son site ; seuls les internautes le sont ; elle n’a aucune obligation de contrôle préalable du contenu des vidéos mises en ligne et elle remplit sa mission d’information auprès des internautes (…) », avait justifié il y a plus de deux ans le TGI de Paris pour disculper la filiale de Google. La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (loi dite LCEN) prévoit en effet – depuis dix ans maintenant – une responsabilité limitée des hébergeurs techniques, lesquels ne sont tenus responsables de piratage en ligne que
si les contenus contrefaits leurs sont signalés par notification (2). Dans ce cas, ils sont tenus les retirer promptement. Or, le juge du TGI avait constaté que YouTube avait
« systématiquement et avec diligence traité les notifications » qui lui ont été adressées par TF1.

En outre, dès le 25 avril 2008, le géant du Web avait tendu la main à la chaîne du groupe Bouygues en lui proposant de recourir à sa technologie de reconnaissance de contenus, Content ID, afin d’empêcher la mise en ligne de copies non autorisées. Mais c’est seulement le 16 décembre 2011, soit plus de trois ans et demi après, que TF1 a souscrit à Content ID de YouTube. Le filtrage exigé par la chaîne a été écarté, d’autant que le jugement rappelle qu’« aucun filtrage préalable n’est imposé aux hébergeurs et les contraindre à surveiller les contenus (…) revient à instituer ce filtrage a priori refusé par la CJUE ». La Cour de justice de l’Union européenne a en effet publié, le 24 novembre 2011 – dans l’affaire Sabam contre Scarlet – un arrêt dans laquelle elle répond que « le droit de l’Union s’oppose à une injonction faite à un [FAI] de mettre en place un système de filtrage de toutes les communications électroniques transitant par ses services » (3). @

Droits de diffusion, chronologie des médias, statut d’hébergeur, conventionnement : les SMAd en question

Malgré une législation aménagée par rapport à celle applicable aux services linéaires, les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) peinent
à trouver leur place. Le CSA et la Commission européenne veulent favoriser
leur développement, le rapport Lescure livrant quelques pistes.

Par Christophe Clarenc (photo), associé, et Renaud Christol, counsel, August & Debouzy

Depuis l’adoption de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (1) (SMA) en 2007, dont les dispositions ont été transposées en droit français par une loi de 2009 (2) et complétées par le décret de 2010
sur les services de médias audiovisuels à la demande (3) (SMAd), les éditeurs de ces services en ligne – principalement vidéo à la demande (VOD) et télévision
de rattrapage (catch up TV) – bénéficient d’une réglementation propre. Leur développement est d’ailleurs présenté comme la réponse la plus appropriée au problème du téléchargement illégal, depuis que « l’échec de l’Hadopi » est – à tort ou à raison – une opinion généralement répandue.

Des barrières dressées par les chaînes
Après quatre ans d’application, force est de reconnaître que ces dispositions n’ont pas pleinement atteint leur objectif. Dans ce contexte, les initiatives se multiplient pour que l’essor des SMAd soit enfin significatif et durable. Ainsi, le CSA et la Commission européenne viennent chacun de publier, à quelques jours d’intervalle, une consultation publique portant, respectivement, sur l’application du décret SMAd (4) et sur un livre vert consacré à la convergence des services de radiodiffusion traditionnels et d’Internet (5). Tandis que le rapport Lescure, qui a été remis le 13 mai dernier au gouvernement dans le cadre de la mission « Acte II de l’exception culturelle », identifie certains freins au développement des SMAd nationaux.
Ce rapport Lescure estime, tout d’abord, que les éditeurs de services linéaires, en l’occurrence les chaînes de télévision, contraignent les éditeurs de SMAd, que sont
les services de VOD notamment, par des pratiques contractuelles qu’ils imposent aux détenteurs de droits cinématographiques grâce à leur pouvoir de négociation. La pratique présentée comme la plus problématique est celle du « gel des droits », par laquelle les éditeurs de services linéaires s’assurent qu’ils bénéficient de l’exclusivité de diffusion d’un film, pendant toute la durée du contrat, et non pas seulement pendant la période de diffusion télévisuelle du film (cette dernière exclusivité résulte de la version actuelle de la chronologie des médias). Ce faisant, l’éditeur de service linéaire s’assure qu’aucun SMAd (sauf éventuellement celui qu’il édite par ailleurs) ne pourra diffuser le film. Cette pratique est en contradiction avec le principe d’absence d’exclusivité qui prévaut en matière de commercialisation de droits non linéaires pour les films, principe garanti par les injonctions prononcées, en juillet 2012, par l’Autorité de la concurrence dans l’affaire Canal+/TPS (6). Surtout, elle restreint considérablement l’offre de films (nouveautés ou films de catalogue) sur les SMAd et détourne par conséquent les consommateurs de ces services, au profit principalement de l’offre illégale. Le rapport Lescure propose par conséquent une interdiction du gel des droits ou, en seconde hypothèse, une limitation de son champ d’application à la seule fenêtre de diffusion télévisuelle, dans laquelle l’éditeur de services linéaires est actif.
Le rapport pointe ensuite les désavantages des SMAd nationaux par rapport aux trois sources de concurrence identifiées : l’offre illégale, les hébergeurs et les opérateurs étrangers.
• S’agissant de l’offre illégale, il ne peut que constater qu’elle présente de nombreux avantages pour le consommateur : elle est gratuite, quasiment exhaustive et immédiatement accessible. Afin de pouvoir lutter à armes égales, le rapport Lescure propose – s’appropriant ainsi les demandes récurrentes des éditeurs de SMAd – de modifier la chronologie des médias.

Promouvoir les SMAd nationaux
La VOD, qui n’est actuellement possible que 4 mois après la sortie en salles, pourrait être disponible 3 mois après (soit pour l’ensemble des offreurs, soit seulement pour ceux ayant pris des engagements volontaires dans le cadre d’un dispositif de conventionnement).
La fenêtre de SVOD (VOD par abonnement) serait, quant à elle, avancée de 36 à 18 mois pour l’ensemble des films, soit juste après la première fenêtre de télévision payante.
Selon le rapport, cela permettrait de maintenir, au profit des chaînes de télévision payante, une fenêtre d’exclusivité de huit mois suffisante pour amortir leurs investissements et préserver leur attractivité. En contrepartie, il propose que les services de SVOD qui souhaitent proposer des films dès 18 mois après leur sortie en salle, soient tenus de prendre des engagements en termes de contribution à la production du cinéma français, conformément au décret SMAd.

Hébergeurs et éditeurs : discriminations ?
• S’agissant des hébergeurs de plateformes de vidéo communautaires généralistes (7), le rapport Lescure relève que ces opérateurs bénéficient en France d’un statut particulier, notamment en matière de responsabilité (8). Et grâce à leur puissance commerciale, ils disposent d’un véritable pouvoir de négociation vis-à-vis des détenteurs de droits. Au surplus, ils ne sont soumis à aucune obligation en matière de contribution au financement du cinéma français – situation d’ailleurs combattue par le CSA (9). Or, les services proposés sur leurs plateformes sont de plus en plus regardés comme substituables avec les SMAd par les consommateurs : il est possible de regarder certains films sur Dailymotion ou YouTube et cette dernière a même lancé récemment de véritables « chaînes thématiques » disponibles à la demande. Dans ce contexte, le rapport propose (10) une saisine de l’Autorité de la concurrence, vraisemblablement une saisine pour avis qui pourrait donner lieu à une enquête sectorielle. Un tel examen du secteur pourrait permettre de contrôler les éventuelles discriminations pratiquées par les titulaires de droits, dans l’application de leurs conditions commerciales aux éditeurs et aux hébergeurs.
• S’agissant des opérateurs étrangers, les fameux « géants de l’Internet » qui sont agités par de nombreux opérateurs du secteur télévisuel comme des épouvantails, ils sont soumis à la législation de leur pays d’établissement. La directive SMA prévoit, en effet, que la législation applicable aux éditeurs de SMAd soit celle de leur pays d’origine, dans lequel ils sont établis, et non celle du ou des pays dans le(s)quel(s) le service est proposé. Même si cette règle avait un objectif vertueux (permettre à des éditeurs de SMAd de diffuser dans de nombreux pays de l’Union sans avoir à adapter leur pratique et leurs outils à chaque pays de diffusion), elle s’avère avoir des effets négatifs certains pour les éditeurs de SMAd localisés en France. Les éditeurs de SMAd étrangers bénéficient,
la plupart du temps, d’une fiscalité avantageuse par rapport à celle applicable en France. Surtout, ils échappent aux obligations de financement du cinéma français qui pèsent sur les éditeurs de SMAd établis en France, en application du décret SMAd. Enfin, ces services étrangers ne sont pas soumis à la chronologie des médias.
Le délai entre la sortie en salle et le moment où ils pourront proposer les films sur
leur plateforme, dépend donc exclusivement de leur pouvoir de négociation avec les détenteurs de droits. En d’autres termes, les éditeurs de SMAd établis en France sont pénalisés. Jusqu’à présent, la menace représentée par ces opérateurs pouvait apparaître théorique. Or, comme le souligne le rapport Lescure, il est déjà possible d’accéder, depuis la France, à des SMAd en principe destinés à des publics étrangers (tel que Lovefilm d’Amazon, implanté au Royaume-Uni), en utilisant des dispositifs comme les réseaux privés virtuels (en attendant le lancement imminent en France des offres de Netflix et Lovefilm).
Le rapport propose de modifier la directive SMA, afin de mettre en place la règle du pays de destination du service et d’instaurer, par ailleurs, un mécanisme de conventionnement de l’ensemble des éditeurs de SMAd, quelle que soit leur localisation, dès lors qu’ils sont actifs en France. Ce conventionnement serait, dans son principe, analogue à celui qui existe pour les chaînes linéaires, mais contiendrait des obligations allégées. Il est fort probable que ce conventionnement soit utilisé pour traiter la délicate question de la participation des SMAd, français et étrangers, au financement du cinéma français et que la règle finalement retenue ne soit pas de nature à défavoriser les opérateurs localisés
en France.
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres
La route risque d’être encore longue. On se souvient que la modification de la chronologie des médias, intervenue en 2009, avait fait l’objet de très nombreuses discussions et une nouvelle modification serait sans doute soumise à un processus analogue. Par ailleurs, les discriminations ne sont répréhensibles en droit de la concurrence, que si elles résultent d’une entente anticoncurrentielle ou d’un abus de position dominante. Enfin, la Commission européenne est réputée très attachée au maintien du principe du pays d’origine, et l’on peut s’interroger sur l’efficacité d’un conventionnement (couplant engagements et avantages) des opérateurs qui ne sont pas localisés en France et qui offrent leurs services par Internet. @

Allostreaming : Yahoo voudrait porter l’affaire devant la Cour de justice européenne

Les organisations du cinéma APC, SEVN et FNDF devront encore patienter jusqu’au 4 juillet pour connaître le verdict suite à l’assignation en référé
qu’elles avaient déposée fin 2011 pour exiger des FAI de bloquer et les moteurs
de recherche de dé-référencer les sites web accusés de piratage.

C’est l’un des référés les plus long de l’histoire de la justice française ! Déposée le
30 novembre 2011 par l’Association des producteurs de cinéma (APC), la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF) et le Syndicat national de l’édition vidéo numérique (SEVN), l’assignation en référé à l’encontre des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et des moteurs de recherche dans l’affaire Allostreaming (1) (*) (**) joue les prolongations.

Question prudentielle le 23 mai
Présents à l’audience du 25 avril dernier au TGI de Paris, nous avons pu constater que
la juge des référés Magali Bouvier a accédé à la demande de Yahoo de reporter une nouvelle fois l’audience de plaidoirie, fixée cette fois au 4 juillet prochain. Surtout, Yahoo a obtenu de la première vice-présidente du TGI de Paris un délai supplémentaire – jusqu’au 23 mai – pour lui soumettre une demande de question préjudicielle. De quoi donner à l’affaire une tournure européenne si la magistrate décidait de surseoir à statuer et de transmettre la question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). De quoi s’agit-il ? Depuis la précédente audience du 28 mars, Yahoo soulevait le problème de savoir si la France n’a pas transposé « trop largement » la directive européenne dite DADVSI (2) de mai 2011. Car Yahoo estime, en tant que moteur de recherche, qu’il n’est pas concerné par le contenu des sites web qu’il indexe et qu’il ne peut être assimilé à ce que la directive DADVSI appelle un « intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin ». Or, en transposant cette directive dans la loi Hadopi du 12 juin 2009, la France en aurait trop fait en remplaçant le terme « intermédiaire » par « toute personne » susceptible de se voir « ordonner toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin », comme le stipule l’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Selon Yahoo, les moteurs de recherche ne sont pas des intermédiaires techniques comme les FAI ou les hébergeurs.
En outre, une seconde échéance a été fixée au 27 juin pour l’envoi à la juge des dernières conclusions de chacune des parties. Et l’audience de plaidoirie se tiendra le
4 juillet, …
« jour de la fête de l’Indépendance américaine ! », a-t-on pu entendre. « C’est un signe d’espoir », a ironisé Alexandra Neri, associée chez Herbert Smith et avocate de Google/YouTube, laquelle a pour sa part proposé « une offre de médiation ». Pour elle,
« ce type de litige doit pouvoir être résolu par une solution alternative, une médiation même partielle ». Après avoir fait l’objet de mises en demeure de la part de l’APC, du SEVN et de la FNDF sur la base de procès-verbaux établis par l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), Google a été le premier, dès mi-septembre
2011 et donc avant le dépôt de l’assignation fin novembre 2011, à dé-référencer mondialement la galaxie « Allostreaming » (3). Quoi qu’il en soit, Google reste dans
la logique du «mieux vaut un bon accord rapidement plutôt qu’un très long mauvais procès », lequel pourrait s’éterniser en appel puis en cassation, voire au niveau européen sur la question préjudicielle. L’avocat des trois syndicats d’ayants droits, Christian Soulié, associé fondateur de Soulié & Coste- Floret, n’est pas contre. Mais
les FAI (4) sont, eux, plutôt réticents à une conciliation sans jugement.
L’APC, le SEVN et l’APC souhaiteraient en outre faire valider par la justice l’utilisation
d’un logiciel de « suivi en temps réel et en permanence des sites, de leurs adresses IP
et de leurs noms de domaines, pour signaler et traiter tout changement pouvant intervenir postérieurement à la décision judiciaire de blocage d’accès [par les FAI] et de dé-référencement des moteurs de recherche » (5). Un agent assermenté de l’Alpa pourrait ainsi re-notifier aux FAI et aux moteurs de recherche de nouvelles infractions – sans nouvelle décision du juge – pour que ces derniers bloquent ou déréférencent à nouveau. Reste à savoir si la magistrate Magali Bouvier prendra le risque de cautionner un tel dispositif, qui risque de provoquer des sur-blocages et porter atteinte aux libertés fondamentales.

Du logiciel TMG-Alpa à l’Hadopi
Une autre magistrate, Mireille Imbert Quaretta, la présidente de la Commission de la protection des droits (CPD) de l’Hadopi, n’est pas contre cette idée de suivre l’exécution des décisions de justice au-delà du juge. Elle propose même, dans son rapport du
15 février 2013, portant « sur les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites », que l’Hadopi en soit chargée. C’est justement ce qu’a demandé l’APC lors de son audition par la mission Lescure… @

Charles de Laubier

L’Hadopi remet en cause le statut d’hébergeur

En fait. Le 25 février, Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la Commission de la protection des droits (CPD) de l’Hadopi, a remis à la présidente de cette dernière son rapport sur « les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites ». Elle y critique le statut d’hébergeur.

En clair. « Le statut d’hébergeur a (…) favorisé le développement des actes de contrefaçon à grande échelle. Il est ainsi devenu un espace de protection pour les sites qui fondent leur activité sur la mise à disposition non autorisée de contenus. Cet espace
a été préservé par la jurisprudence, qui a consacré une acception large de la notion d’hébergement mais une appréciation stricte de l’obligation de retrait », critique Mireille Imbert-Quaretta, dans son rapport daté du 15 février (http://lc.cx/MIQ).
Si la Cour de cassation a reconnu le 17 février 2011 la qualité d’hébergeur à Dailymotion (1) (*) (**) et à un site d’hébergement de liens hypertextes (à l’époque Bloobox/Fuzz), elle a en revanche écarté le 3 mai 2012 le bénéfice de ce statut protecteur au site d’enchères eBay et au site musical Radioblog. « (…) C’est l’existence d’une capacité d’action sur les contenus ou d’un rôle actif du site de nature à lui donner une connaissance effective des contenus illicites qui peut permettre d’écarter le régime limitatif de responsabilité de l’hébergeur. La présence d’un contenu illicite sur un site ne suffit pas à engager sa responsabilité, mais les sites qui ont un rôle actif sur les mises à disposition de contenus illicites ne peuvent pas se retrancher derrière le statut d’hébergeur ». Ainsi, pour lutter contre le streaming et le téléchargement direct illicites, la magistrate estime que les sites web concernés devraient généraliser la pratique volontaire de la suppression définitive (« take down and stay down ») des contenus piratés. Or, pour l’instant, les hébergeurs ne doivent retirer ou empêcher l’accès aux contenus illicites que s’ils en ont eu effectivement connaissance (2). Les outils d’empreintes numériques, tels que Content ID de YouTube, permettent pourtant ce retrait systématique et définitif. Or, le rapport «MIQ » rappelle que la directive européenne de 2000 sur le commerce électronique donne la possibilité aux Etats membres de « prévoir une série d’obligations à la charge des intermédiaires [hébergeurs, fournisseurs d’accès Internet, fournisseurs de « cache », publicitaires, financiers, …], destinées à faire cesser ou prévenir les atteintes liées à des contenus illicites ». Selon Mireille Imbert-Quaretta, si la législation peut l’imposer contre le blanchiment d’argent sale, alors elle devrait pouvoir le faire contre le piratage en ligne. @

Affaires « TF1 contre YouTube et Dailymotion » : le droit des hébergeurs est encore sauve

Les deux décisions sur TF1 des 29 mai et 13 septembre derniers n’ont pas révolutionné le droit des hébergeurs, lesquels continuent de bénéficier d’une responsabilité limitée par rapport à celle des éditeurs de contenus, et maintiennent à distance le spectre d’une surveillance généralisée du Net.

Par Rémy Fekete, avocat associé, Gide Loyrette Nouel

Le régime de la responsabilité des plates-formes communautaires de vidéos en ligne semble fixé :
ces dernières sont de simples intermédiaires techniques
et relèvent, à ce titre, du régime de la responsabilité des hébergeurs institué par l’article 6-I-2 de loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004.

 

Les obligations des hébergeurs
Ce régime juridique protecteur permet aux plates-formes de partage de vidéos en ligne
de ne pas être considérées comme responsables de la présence de contenus illicites
mis en ligne par les internautes sur leurs plates-formes. En revanche, elles sont tenues
de suspendre promptement la diffusion des contenus dont elles ont été valablement informées de l’illégalité.
A travers deux jugements récents – TF1 contre YouTube rendu le 29 mai 2012 et TF1 contre Dailymotion du 13 septembre 2012 –, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a été amené à préciser les modalités et l’étendue de la responsabilité des plates-formes de partage de vidéos en ligne. Dans ces deux affaires, TF1 et des filiales du groupe reprochaient à YouTube et Dailymotion la diffusion d’extraits de leurs émissions (matchs, journaux télévisés, films, etc.) sur leurs plates-formes. Si TF1 et ses filiales se sont vus déboutés de leur demande en réparation contre YouTube (d’ailleurs essentiellement en raison d’un choix de fondement inopérant (1)), leur action a en revanche été entendue à l’encontre de Dailymotion.
Après avoir conforté le statut d’hébergeur des deux plates-formes de partage vidéo, les juges du fond ont précisé les obligations tenant à ce statut. Selon la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), la qualification d’hébergeur – telle qu’elle résulte de l’article
14 de la directive n°2000/31/CE du 8 juin 2000 relative au commerce électronique (2) – ne doit pas être retenue si le prestataire du service Internet joue un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance et un contrôle des contenus présents sur son site. L’appréciation de ce rôle est une question délicate, comme en témoigne la jurisprudence concernant le site eBay qualifié tour à tour d’éditeur et d’hébergeur au gré des décisions.
En l’espèce, TF1 tentait de contester la qualité d’hébergeur de YouTube et Dailymotion. Cet argument avait peu de chances de prospérer dès lors que, s’agissant des plates-formes de vidéos, la jurisprudence semble se stabiliser en faveur de la reconnaissance
du statut d’hébergeur. Ainsi, par trois arrêts du 17 février 2011, la première Chambre civile a approuvé un arrêt ayant retenu le statut d’hébergeur de Dailymotion, en se fondant sur son rôle neutre, passif et purement technique dans la gestion des vidéos, Dailymotion n’opérant pas de sélections des contenus en ligne. La position adoptée
un an plus tôt par la Cour de cassation dans le très critiqué arrêt Tiscali (3) a donc été abandonné : le fait de proposer aux annonceurs de mettre en place des espaces publicitaires payants et d’en assurer la gestion n’implique plus que les services fournis soient aussitôt exclus de la définition de l’activité d’hébergement au sens de la LCEN. De la même manière, le TGI de Paris retient dans son jugement du 29 mai 2012 que les profits que YouTube tire de la publicité n’impliquent pas que la plate-forme ait excédé les fonctions de l’hébergeur. Le juge relève, en effet, que « la LCEN n’a jamais interdit de gagner de l’argent en vendant des espaces publicitaires ».

Le moteur ne fait pas l’éditeur
La mise en place d’un moteur de recherche interne au site de la plate-forme de partage
de vidéos et suggérant des mots clés n’affecte pas non plus le rôle passif et neutre de
la plateforme de diffusion de vidéos et par conséquent sa qualification d’hébergeur.
Dans son jugement du 13 septembre 2012, le tribunal a jugé que la mise en place d’un
tel outil fait partie des fonctions d’un hébergeur, qui se doit « d’assurer l’accessibilité des contenus ».
Le fait qu’en l’espèce, ce moteur suggère luimême des mots clés comme « TF1 » a
été jugé sans incidence sur la qualité d’hébergeur, dès lors que ces suggestions sont
le produit d’un processus automatique établi en fonction de la fréquence d’apparition
des termes dans les requêtes des utilisateurs, et non la manifestation de la volonté de Dailymotion de tirer profit des contenus. La qualification d’hébergeur retenue, le tribunal
a ensuite précisé les obligations incombant à ce statut.

Qu’entend t-on pas « promptement » ?
L’article 6-I-2° de la LCEN oblige l’hébergeur qui a « eu connaissance du caractère illicite des informations stockées », notamment après une notification dans les formes requises, à retirer promptement l’accès au contenu en cause. La LCEN reste silencieuse sur la définition de « promptement ». S’il est clair que l’hébergeur est tenu à une obligation de diligence, le délai devrait néanmoins prendre en compte le temps de traitement de l’opération de retrait, compte-tenu des réalités humaines et techniques rencontrées par les hébergeurs. C’est la jurisprudence qui est venue préciser la définition du terme « promptement ». Dans l’affaire Amen, le TGI de Toulouse a retenu que sera qualifiée de prompte la cessation de la diffusion qui intervient le jour même de la notification.
A défaut, l’hébergeur du site litigieux ne pourra jouir de l’allégement de responsabilité prévu par l’article 6-I-2° de la LCEN.
Dans les jugements du 29 mai 2012 et du 13 septembre 2012, le tribunal a considéré
que YouTube et Dailymotion ont tardé à retirer les vidéos litigieuses. Notifiée du caractère illicite du contenu de certaines vidéos, YouTube a mis « au mieux 5 jours à supprimer les vidéos ». Quant à Dailymotion, il a été jugé qu’elle n’avait pas réagi suffisamment promptement dès lors que son site affichait encore le mardi 15 janvier, des contenus qui lui avaient été notifiés le vendredi 11 au matin. Par ailleurs, quelle force donner à l’obligation du retrait d’un contenu notifié comme illicite ? Plus précisément, l’hébergeur a-t-il la charge de repérer et le cas échéant de retirer tout contenu préalablement notifié, qui serait replacé sur le site à une nouvelle adresse ? Dans les affaires commentées, TF1 souhaitait imposer aux hébergeurs la mise en place d’une telle obligation de suppression systématique, pour le futur, de contenus notifiés comme illicites. Le TGI a rejeté cette demande au nom du principe, garanti tant par la directive Commerce électronique que par la LCEN, selon lequel il ne peut peser d’obligation générale de surveillance sur l’hébergeur. Par ailleurs, un arrêt rendu par
la CJUE le 24 novembre 2011 a écarté la possibilité d’imposer aux hébergeurs une mesure générale de filtrage sans limitation dans le temps. C’est à la lumière de ces principes que la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 12 juillet 2012, qu’obliger
un hébergeur à prendre des mesures pour empêcher toute nouvelle mise en ligne d’un contenu contrefaisant, sans même qu’il en ait été avisé par une autre notification régulière, contreviendrait aux dispositions de la LCEN (4).
Mais, le jugement du 13 septembre 2012 impose des obligations nouvelles à Dailymotion. Ainsi, la plate-forme se voit reprocher par le tribunal, de ne pas avoir fermé les comptes d’utilisateurs que TF1 lui avaient signalés à plusieurs reprises comme étant à l’origine des contenus litigieux, alors que les conditions générales d’utilisation de son site lui permettaient de le faire.
Enfin, la plate-forme de partage de vidéo se voit ordonner, sous astreinte, de retirer de son moteur de recherche les suggestions contenant les mots clés désignant TF1 et LCI. Dès lors qu’il est patent que les suggestions que propose le moteur de recherche permettent d’accéder très facilement à des contenus mis en ligne en violation des droits de ces chaînes de télévision, la demande de suppression de telles suggestions, apparaît justifiée.

La diversification des hébergeurs
Ces décisions, si elles ne viennent pas révolutionner le droit des hébergeurs et indépendamment de savoir si TF1 fera ou pas appel (5), constituent ainsi une intéressante illustration des enjeux pratiques auxquels ces derniers peuvent être confrontés.
D’autant que leur métier se complexifie et se diversifie jusque dans l’édition de contenus, des ayants droits estimant que : « [YouTube ou Dailymotion] ont incontestablement une activité d’hébergeur. Ils ont incontestablement une activité d’éditeur » (6). @