Affaires « TF1 contre YouTube et Dailymotion » : le droit des hébergeurs est encore sauve

Les deux décisions sur TF1 des 29 mai et 13 septembre derniers n’ont pas révolutionné le droit des hébergeurs, lesquels continuent de bénéficier d’une responsabilité limitée par rapport à celle des éditeurs de contenus, et maintiennent à distance le spectre d’une surveillance généralisée du Net.

Par Rémy Fekete, avocat associé, Gide Loyrette Nouel

Le régime de la responsabilité des plates-formes communautaires de vidéos en ligne semble fixé :
ces dernières sont de simples intermédiaires techniques
et relèvent, à ce titre, du régime de la responsabilité des hébergeurs institué par l’article 6-I-2 de loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004.

 

Les obligations des hébergeurs
Ce régime juridique protecteur permet aux plates-formes de partage de vidéos en ligne
de ne pas être considérées comme responsables de la présence de contenus illicites
mis en ligne par les internautes sur leurs plates-formes. En revanche, elles sont tenues
de suspendre promptement la diffusion des contenus dont elles ont été valablement informées de l’illégalité.
A travers deux jugements récents – TF1 contre YouTube rendu le 29 mai 2012 et TF1 contre Dailymotion du 13 septembre 2012 –, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a été amené à préciser les modalités et l’étendue de la responsabilité des plates-formes de partage de vidéos en ligne. Dans ces deux affaires, TF1 et des filiales du groupe reprochaient à YouTube et Dailymotion la diffusion d’extraits de leurs émissions (matchs, journaux télévisés, films, etc.) sur leurs plates-formes. Si TF1 et ses filiales se sont vus déboutés de leur demande en réparation contre YouTube (d’ailleurs essentiellement en raison d’un choix de fondement inopérant (1)), leur action a en revanche été entendue à l’encontre de Dailymotion.
Après avoir conforté le statut d’hébergeur des deux plates-formes de partage vidéo, les juges du fond ont précisé les obligations tenant à ce statut. Selon la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), la qualification d’hébergeur – telle qu’elle résulte de l’article
14 de la directive n°2000/31/CE du 8 juin 2000 relative au commerce électronique (2) – ne doit pas être retenue si le prestataire du service Internet joue un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance et un contrôle des contenus présents sur son site. L’appréciation de ce rôle est une question délicate, comme en témoigne la jurisprudence concernant le site eBay qualifié tour à tour d’éditeur et d’hébergeur au gré des décisions.
En l’espèce, TF1 tentait de contester la qualité d’hébergeur de YouTube et Dailymotion. Cet argument avait peu de chances de prospérer dès lors que, s’agissant des plates-formes de vidéos, la jurisprudence semble se stabiliser en faveur de la reconnaissance
du statut d’hébergeur. Ainsi, par trois arrêts du 17 février 2011, la première Chambre civile a approuvé un arrêt ayant retenu le statut d’hébergeur de Dailymotion, en se fondant sur son rôle neutre, passif et purement technique dans la gestion des vidéos, Dailymotion n’opérant pas de sélections des contenus en ligne. La position adoptée
un an plus tôt par la Cour de cassation dans le très critiqué arrêt Tiscali (3) a donc été abandonné : le fait de proposer aux annonceurs de mettre en place des espaces publicitaires payants et d’en assurer la gestion n’implique plus que les services fournis soient aussitôt exclus de la définition de l’activité d’hébergement au sens de la LCEN. De la même manière, le TGI de Paris retient dans son jugement du 29 mai 2012 que les profits que YouTube tire de la publicité n’impliquent pas que la plate-forme ait excédé les fonctions de l’hébergeur. Le juge relève, en effet, que « la LCEN n’a jamais interdit de gagner de l’argent en vendant des espaces publicitaires ».

Le moteur ne fait pas l’éditeur
La mise en place d’un moteur de recherche interne au site de la plate-forme de partage
de vidéos et suggérant des mots clés n’affecte pas non plus le rôle passif et neutre de
la plateforme de diffusion de vidéos et par conséquent sa qualification d’hébergeur.
Dans son jugement du 13 septembre 2012, le tribunal a jugé que la mise en place d’un
tel outil fait partie des fonctions d’un hébergeur, qui se doit « d’assurer l’accessibilité des contenus ».
Le fait qu’en l’espèce, ce moteur suggère luimême des mots clés comme « TF1 » a
été jugé sans incidence sur la qualité d’hébergeur, dès lors que ces suggestions sont
le produit d’un processus automatique établi en fonction de la fréquence d’apparition
des termes dans les requêtes des utilisateurs, et non la manifestation de la volonté de Dailymotion de tirer profit des contenus. La qualification d’hébergeur retenue, le tribunal
a ensuite précisé les obligations incombant à ce statut.

Qu’entend t-on pas « promptement » ?
L’article 6-I-2° de la LCEN oblige l’hébergeur qui a « eu connaissance du caractère illicite des informations stockées », notamment après une notification dans les formes requises, à retirer promptement l’accès au contenu en cause. La LCEN reste silencieuse sur la définition de « promptement ». S’il est clair que l’hébergeur est tenu à une obligation de diligence, le délai devrait néanmoins prendre en compte le temps de traitement de l’opération de retrait, compte-tenu des réalités humaines et techniques rencontrées par les hébergeurs. C’est la jurisprudence qui est venue préciser la définition du terme « promptement ». Dans l’affaire Amen, le TGI de Toulouse a retenu que sera qualifiée de prompte la cessation de la diffusion qui intervient le jour même de la notification.
A défaut, l’hébergeur du site litigieux ne pourra jouir de l’allégement de responsabilité prévu par l’article 6-I-2° de la LCEN.
Dans les jugements du 29 mai 2012 et du 13 septembre 2012, le tribunal a considéré
que YouTube et Dailymotion ont tardé à retirer les vidéos litigieuses. Notifiée du caractère illicite du contenu de certaines vidéos, YouTube a mis « au mieux 5 jours à supprimer les vidéos ». Quant à Dailymotion, il a été jugé qu’elle n’avait pas réagi suffisamment promptement dès lors que son site affichait encore le mardi 15 janvier, des contenus qui lui avaient été notifiés le vendredi 11 au matin. Par ailleurs, quelle force donner à l’obligation du retrait d’un contenu notifié comme illicite ? Plus précisément, l’hébergeur a-t-il la charge de repérer et le cas échéant de retirer tout contenu préalablement notifié, qui serait replacé sur le site à une nouvelle adresse ? Dans les affaires commentées, TF1 souhaitait imposer aux hébergeurs la mise en place d’une telle obligation de suppression systématique, pour le futur, de contenus notifiés comme illicites. Le TGI a rejeté cette demande au nom du principe, garanti tant par la directive Commerce électronique que par la LCEN, selon lequel il ne peut peser d’obligation générale de surveillance sur l’hébergeur. Par ailleurs, un arrêt rendu par
la CJUE le 24 novembre 2011 a écarté la possibilité d’imposer aux hébergeurs une mesure générale de filtrage sans limitation dans le temps. C’est à la lumière de ces principes que la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 12 juillet 2012, qu’obliger
un hébergeur à prendre des mesures pour empêcher toute nouvelle mise en ligne d’un contenu contrefaisant, sans même qu’il en ait été avisé par une autre notification régulière, contreviendrait aux dispositions de la LCEN (4).
Mais, le jugement du 13 septembre 2012 impose des obligations nouvelles à Dailymotion. Ainsi, la plate-forme se voit reprocher par le tribunal, de ne pas avoir fermé les comptes d’utilisateurs que TF1 lui avaient signalés à plusieurs reprises comme étant à l’origine des contenus litigieux, alors que les conditions générales d’utilisation de son site lui permettaient de le faire.
Enfin, la plate-forme de partage de vidéo se voit ordonner, sous astreinte, de retirer de son moteur de recherche les suggestions contenant les mots clés désignant TF1 et LCI. Dès lors qu’il est patent que les suggestions que propose le moteur de recherche permettent d’accéder très facilement à des contenus mis en ligne en violation des droits de ces chaînes de télévision, la demande de suppression de telles suggestions, apparaît justifiée.

La diversification des hébergeurs
Ces décisions, si elles ne viennent pas révolutionner le droit des hébergeurs et indépendamment de savoir si TF1 fera ou pas appel (5), constituent ainsi une intéressante illustration des enjeux pratiques auxquels ces derniers peuvent être confrontés.
D’autant que leur métier se complexifie et se diversifie jusque dans l’édition de contenus, des ayants droits estimant que : « [YouTube ou Dailymotion] ont incontestablement une activité d’hébergeur. Ils ont incontestablement une activité d’éditeur » (6). @