Les maisons d’édition craignent un coup de frein des ventes de livres numériques si la TVA revenait à 20 %

Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici (photo), commissaire européen à la Fiscalité, que dépendra l’issue de l’affaire française de la TVA réduite sur les ebooks. La France échappe pour l’heure à une sanction, en attendant la révision de la directive européenne « TVA » prévue fin 2016.

« L’année prochaine sera une année décisive pour le développement du livre numérique en Europe suite au jugement
de la Cour de Justice de l’Union européenne [CJUE] sur le taux
de TVA applicable au livre numérique. Il sera en effet difficile de maintenir une croissance équivalente si la TVA du livre numérique téléchargeable revient au taux normal », a prévenu Gabriel Zafrani, chargé de mission Affaires économiques au Syndicat national de l’édition (SNE), dont l’assemblée générale s’est tenue le 25 juin.

Incertitude fiscale jusqu’à fin 2016
La CJUE a en effet décidé le 5 mars dernier que l’application par la France (1) d’un taux réduit de TVA aux livres numériques téléchargeables était illégal. Depuis janvier 2012, la France applique l’alignement du taux de TVA pour les livres numériques sur celui du livre papier : 5,5 %. Or, selon la Commission européenne, le livre numérique est un service de téléchargement qui doit donc être assujetti au taux normal de 20 %. La France s’attendait à être condamnée pour infraction au droit communautaire et sera
a priori contrainte de revenir l’an prochain au taux normal de TVA pour les ebooks.
Mais l’exécutif européen a tout de même reconnu qu’il lui fallait, dans le cadre d’une réforme générale de la TVA qu’il dévoilera fin 2016, aligner le taux de TVA des livres numériques. Car, pour l’heure, la directive européenne « TVA » ne permet d’appliquer le taux de TVA réduit qu’aux biens et services cités dans son annexe III, laquelle ne
cite que les livres sur support physique. De plus, la CJUE constate que la législation communautaire exclut explicitement la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA
aux « services fournis par voie électronique » (2). Ce qui est le cas de la vente de livres numériques.

Selon le monde de l’édition française, le retour à une TVA à 20 % au lieu de 5,5 % donnera un sérieux coup de frein au marché du livre numérique dont le démarrage reste déjà lent. « La transition vers le numérique est en cours pour les éditeurs et les incertitudes qui pèsent sur le taux de TVA à appliquer pour les livres numériques téléchargeables mettent tous les acteurs de la filière du livre dans une situation compliquée. (…) L’équilibre financier reste délicat à atteindre pour les éditeurs et la lecture sur support numérique a besoin de conditions favorables pour se développer », a expliqué Gabriel Zafrani. En 2014, le marché de l’édition numérique – tous supports et catégories éditoriales confondus – a généré un chiffre d’affaires de 161,4 millions d’euros, en progression de 53,3 % sur un an. Cela représente, toujours en valeur, 6,4% des ventes de livres des éditeurs. Cette progression a été principalement portée par le marché professionnel qui représente 64 % des ventes en numérique (contre 58 % l’an dernier). Quant à l’édition numérique grand public, elle atteint désormais 2,9 % des ventes de livres (contre 2,3 % l’an dernier). Mais les maisons d’édition françaises peuvent s’estimer épargnées pour l’instant par le verdict de la CJUE : la Commission européenne – qui est souveraine sur ce sujet – a décidé de ne pas poursuivre la France où un changement de TVA pour les livres numériques n’interviendra pas avant le 1er janvier 2016 (loi de Finances 2016). Tandis que la réforme de la TVA sera présentée
fin 2016 par la Commission européenne. « Il est possible que le passage au taux plein de TVA soit suspendu d’ici là », espère le SNE. Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici, ancien ministre de l’Economie et des Finances, actuel commissaire européen à la Fiscalité (3), que dépendra l’issue politique de cette épineuse affaire.
La décision doit être prise à l’unanimité par les Etats-membres. Ce n’est pas gagné :
les ministres de la Culture croient plutôt à cet alignement de TVA, alors que les ministres des Finances sont plus réservés.

Les Vingt-huit sont très divisés
« Une dizaine d’Etats demeurent encore opposés à cette réforme : le Royaume-Uni
en particulier, qui craint une remise en cause de son taux zéro sur le livre papier, le Danemark et la Bulgarie qui pratiquent des taux normaux sur le livre papier, mais
aussi l’Estonie, l’Irlande, Malte, la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et l’Autriche. D’un autre côté, l’Italie a adopté une loi sur le taux réduit de TVA pour les livres physiques et numériques, y compris en ligne (4 % au lieu de 22 %), en vigueur depuis le 1er janvier 2015 », détaille le SNE dans son rapport d’activité 2014-2015 dévoilé lors de son AG. Le syndicat avait lancé en mars dernier une vaste campagne virale baptisée #ThatIsNotABook, afin d’interpeller les instances communautaires et sensibiliser les lecteurs français et européens à la nécessité de préserver un taux de TVA réduit sur le livre numérique. @

Charles de Laubier

« Luxembourg Leaks » : un pavé dans le numérique

En fait. Le 6 novembre, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a publié une enquête menée par 80 reporters de 26 pays
sur les accords fiscaux (tax rulings) conclus entre 340 entreprises et le Luxembourg. Des entreprises du numérique, de médias et des télécoms
figurent en bonne place.

En clair. Selon nos constatations, plus d’une douzaine d’entreprises du numérique,
des médias ou des télécoms font partie des 340 sociétés – la plupart multinationales – ayant bénéficié du Luxembourg d’avantages fiscaux (tax rulings) considérées comme des « aides d’Etat » déguisées. Ce scandale a été révélé – via Le Monde notamment – sous le nom évocateur de « Luxembourg Leaks » ou « LuxLeaks » (1). Ainsi, dans la catégorie de entreprises de technologies, on y trouve la filiale iTunes d’Apple que l’on ne présente plus, le géant du e-commerce Amazon avec notamment sa filiale luxembourgeoise Amazon Media, l’opérateur mobile européen Vodafone, l’opérateur télécom historique suédois Tele2, l’opérateurs télécoms américain Verizon, le groupe de conseil informatique Accenture d’origine américaine (ex-Arthur Andersen) mais basé en Irlande et présidé par le Français Pierre Nanterme, ou encore Tele Columbus qui est le troisième câblo-opérateur en Allemagne.

Dans la catégorie des entreprises de médias, on y découvre cette fois Sportive Group, société de gestion des droits marketing et audiovisuels sportifs qui appartient à Lagardère, le groupe britannique Guardian Media Group éditeur du quotidien The Guardian et de site Theguardian.com, la société Informa spécialisée dans l’édition professionnelle, enregistrée à Jersey, basée en Suisse et cotée à la Bourse de Londres, le groupe américain d’éditions presque centenaire McGraw-Hill dont une des filiales n’est autre que Standard & Poor’s (2), et ABS-CBN qui est un important network de télévision aux Philippines.

Dans la catégorie des entreprises de commerce, on y retrouve Amazon, aux côtés de notamment LVMH (3) qui possède notamment en France le groupe Les Echos (éditeur du quotidien économique et financier français Les Echos et de son site Lesechos.fr). Enfin, dans la catégorie des entreprises de la finance, on retrouve là aussi Amazon, Accenture, Guardian Media Group et McGraw-Hill déjà mentionnés, mais aussi le groupe hongkongais Hutchison Group en lien avec le conglomérat et opérateur télécoms Hutchison Whampoa, présent notamment en Europe avec la marque « 3 » (Australie, Autriche, Danemark, Irlande, Italie, Royaume-Uni et Suède). Toutes ces entreprises bénéficient d’avantages fiscaux de la part du Grand- Duché, lequel est considéré en France comme un « paradis fiscal », où l’optimisation fiscale se le dispute à l’évasion fiscale. @

Google dénonce «la violence» de l’exception culturelle

En fait. Le 2 décembre, Carlo d’Asaro Biondo, président de Google pour le Sud
et l’Est de l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique (Seemea), est intervenu au grand débat de la 6e édition annuelle de l’Assemblée des médias (soutenue notamment par la SACD et le CNC) pour dénoncer une certaine « violence ».

En clair. « L’importance de la diversité culturelle est fondamentale. Mais je n’aime pas le terme ‘’exception’’ car il a une connotation de violence. La diversité, c’est la représentation d’intégration et le respect des différentes manières de voir. Je préfère. On est exceptionnel par rapport à un autre, et on est différent avec plus l’idée d’intégration », a déclaré Carlo d’Asaro Biondo, président de Google pour les régions
« Seemea », une semaine avant l’ouverture à Paris du « Lab de l’Institut Culturel ». Il estime que la France brandit l’exception culturelle (1) (*) (**) et la fiscalité numérique avec violence.
« La seule solution n’est pas le fisc, mais de définir des règles claires sur la répartition des revenus et trouver des équilibres pour que cela fonctionne. Tout cela, il faut le voir dans les détails et y réfléchir en faisant deux changements fondamentaux en France. Premièrement : arrêter la violence ! L’escalade de violence que nous vivons depuis quelques mois, voire quelques années, est grave, violence que l’on voit, manière dont on s’exprime, … Au lieu de discuter des faits, on fait de la démagogie. (…) Je trouve que l’on est en France dans un pays qui devient violent… Ne faites pas de caricature de ce que je dis [en s’adressant à Pascal Rogard, DG de la SACD, lequel estime qu’il n’en est rien, ndlr] », s’est insurgé Carlo d’Asaro Biondo. Deuxièmement, la France doit parler cercle vertueux plutôt que fiscalité restrictive. « Qui protège-t-on ? Si ce sont les grands groupes parce qu’ils sont grands et établis, alors on fait un discours d’un certain genre. (…) Donc, nous sommes obligés de nous asseoir, de parler tranquillement et de réfléchir en évitant l’escalade de violence », a-t-il insisté sous les applaudissements de la salle.

« Tu vois, il n’y a pas de violence : tu es applaudi… », ironise Pascal Rogard. Ce à quoi Carlo d’Asaro Biondo répond sérieusement : « Je vis quand même ici en France depuis 16 ans. Il y a un an et demi que je ne peux plus descendre de chez moi tranquille le soir [protestation de Pascal Rogard, ndlr]… Non, mais c’est comme ça. On a fait le choix de stigmatiser une partie de la population contre l’autre – j’ai le courage de le dire : je le vis. Je trouve que c’est dommage ». Pour Google, il faut « revoir le pacte social, assez local, sur lequel on a fondé nos sociétés ». Et ce, au niveau de l’Unesco (2) et de l’Union européenne. @

Données personnelles : taxer les géants du Net ?

En fait. Le 24 septembre, Fleur Pellerin, ministre en charge de l’Economie numérique, a réuni à Bercy six de ses homologues européens (allemand, britannique, italien, espagnol, polonais, hongrois) pour préparer le Conseil des ministres de l’UE des 24 et 25 octobre prochains. Vers une fiscalité numérique européenne ?

En clair. C’est en s’inspirant du rapport du conseiller d’Etat Pierre Collin et de l’inspecteur des Finances Nicolas Colin rendu en janvier dernier (1) que le ministère de l’Economie et des Finances a imaginé une nouvelle taxe applicable notamment aux entreprises du Net qui échappent à l’impôt lorsqu’elles sont localisées à l’étranger. Il s’agit d’un projet de contribution fiscal calculée sur les volumes de transferts de données personnelles
hors d’Europe. Fleur Pellerin a présenté ce projet de fiscalité numérique à six de ses homologues européens lors du mini-sommet qui s’est tenu à Bercy, en présence de Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne chargée de la Stratégie numérique (lire p. 8 et 9). Sont principalement visées les entreprises américaines en position dominante sur Internet, les fameux « GAFA » (Google, Apple, Facebook et
autres Amazon), qui sont devenues les championnes de l’optimisation fiscale grâce
à la localisation de leurs ventes en ligne dans des pays à faibles taux d’imposition.
La ministre française propose de porter la question de la fiscalité numérique au niveau européen, comme pour répondre favorablement au Conseil national du numérique (CNNum) qui préconise dans son avis et rapport remis à Bercy le 10 septembre (2)
de ne pas instaurer de taxe à l’échelon national. La France suggère à la Commission européenne de réaliser une étude d’impact en vue de préparer un rapport sur la possibilité de soumettre à contribution les transferts de données hors d’Europe. Une telle taxe concernerait non seulement les GAFA mais aussi toutes entreprises dotées de systèmes d’information – autrement dit tous les secteurs de l’économie que le numérique « dévore » (écrit le rapport Collin & Colin). Pour peu que les entreprises transfèrent hors d’Europe ces données, opérations qui doivent préalablement être déclarées dans les pays européens concernés.

En France, c’est la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) qui autorise les entreprises – qu’elles soient françaises ou étrangères. De son côté, l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) a été mandatée début septembre pour proposer d’ici juin 2014 des mesures fiscales pour localiser l’impôt là où l’entreprise fournit ses services, afin qu’elles soient transposer
par les Etats membres de l’OCDE d’ici fin 2015. @

Il y a près de trois ans maintenant, Free lançait l’option TV à 1,99 euro

Malgré les critiques des politiques et des industries culturelles qui n’ont cessé d’accuser Iliad de contournement fiscal, l’option TV à 1,99 euro perdure.
Survivra-t-elle à la nouvelle TSTD ?

La Commission européenne devrait dire d’ici fin septembre si elle accepte ou pas la deuxième mouture, élargie à tous les abonnements fixe et mobile, de la taxe TSTD (pour taxe sur la distribution de services de télévision payée par les FAI) que lui a soumise cet été le gouvernement français.

TSTD : décision en vue
Selon nos informations, c’est Wouter Pieke, le directeur de l’unité « Aide d’Etat » (C4)
à la direction de la Concurrence du commissaire européen Joaquín Almunia, qui examine
la notification de la France. Maintenant que la décision de la Cour européenne de
Justice (CJUE) a validé le 27 juin dernier la « taxe télécom » française prélevée sur
les opérateurs pour financer l’audiovisuel public, Bruxelles va pouvoir maintenant se prononcer sur la nouvelle TSTD. La décision mettra-t-elle un terme à trois ans de flou artistique dans ce domaine ?
Si elle était validée, cela pourrait remettre en question l’option TV à 1,99 euro que Free
a instaurée il y a bientôt trois ans maintenant, en plus du forfait à 29,99 euros (1). Ce surcoût, payé par la plupart des 5,5 millions d’abonnés à la Freebox, a de fait contribué à augmenter l’ARPU des abonnements haut débit. Cette option TV est née à la suite de la hausse, à l’automne 2010, de la TVA à 19,6 % sur les offres triple play, au lieu de 5,5 % sur la moitié de la facture liée à distribution des chaînes de télévision. Ce changement
de fiscalité avait été adopté dans la loi de finances 2011, après que la Commission européenne ait considéré comme illégale l’application par la France de la TVA réduite sur la moitié du triple play. Or cette disposition fiscale avait été instaurée par la loi du 5 mars 2007 « en contrepartie » de la taxe TSTD, payable au fonds Cosip du CNC (2) pour contribuer au financement du cinéma (lire EM@19, p. 7).

Optimisation fiscale ?
Voyant la TVA repasser à 19,6 %, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) se sont estimés floués. Free a été le premier – suivi de SFR – à instaurer une option TV à prix modique, payant de ce fait un écot bien moindre au CNC. Depuis, les gouvernements successifs et des organisations du cinéma et de l’audiovisuel n’ont cessé de dénoncer
ce qu’ils considèrent comme un « contournement fiscal » ou une « optimisation fiscale » de la part de Free.

Le cinéma fustige Free
« Free tente ainsi de faire une économie sur le dos de la création cinématographique et audiovisuelle, en ayant pour objectif de réduire drastiquement l’assiette de la taxe destinée à cette dernière, qui est perçue par le CNC, tout en continuant plus que jamais à faire des œuvres un produit d’appel », dénonçait à l’époque Frédéric Goldsmith, délégué général de l’Association des producteurs de cinéma (APC) (lire EM@27, p.3). « Les créateurs (…) seraient fondés à exercer [leur droit d’autoriser ou d’interdire la retransmission des programmes] pour éviter d’être dépouillés par cette carabistouille », estimait de son côté Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD). @

Charles de Laubier