Future loi « Loppsi 2 » : les FAI en première ligne

En fait. Le 9 septembre, les sénateurs ont rétabli l’intervention d’un juge avant
toute obligation de filtrer les sites web pédopornographiques prévue dans le
projet de « loi d’orientation et de programmation de la performance de la sécurité intérieure » (Loppsi 2). Mais les réticences des FAI demeurent.

En clair. Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) s’étaient déjà inquiétés de leur obligation de filtrage des sites web de jeux d’argent en ligne, après que le TGI de Paris leur ait ordonné de bloquer le site Stanjames.com. Ils vont être confrontés à une autre obligation de filtrage. Après avoir été modifié le 2 juin par la commission des lois du
Sénat, le projet de loi « Loppsi 2 » – attendu depuis près de trois ans – a été adopté le
10 septembre au Sénat et sera examiné le 29 septembre par l’Assemblée nationale (1).
Il prévoit notamment la création d’un délit d’usurpation d’identité sur Internet, l’aggravation des peines encourues pour certains délits de contrefaçon via Internet ou encore un système de captation des données informatiques à distance. Mais c’est l’article 4 sur le filtrage de sites web incriminés qui fait débat au point que sa suppression a été demandée. En vain. Cet article prévoit pour les FAI une obligation d’empêcher l’accès aux sites web qui diffusent des images pédopornographiques.
« Cette obligation entraîne la mise en place de dispositifs techniques très coûteux et des indemnisations qui seront liées à des phénomènes de surblocage inévitables (aux fournisseurs d’accès, aux hébergeurs et diffuseurs, voire aux internautes) », prévient la sénatrice Virginie Klès dans son amendement demandant la suppression de l’article 4. De plus, le filtrage peut être contourné. Les opérateurs du Net ne veulent pas non plus scanner les contenus du Web comme le leur demande le TGI de Paris. « Nous sommes comme La Poste, nous n’ouvrons pas le courrier », a déclaré mi-août Yves Le Mouël, le directeur général de la Fédération française des télécoms (FFT). Avec la Loppsi 2, les FAI se retrouvent en première ligne. La loi « Confiance en l’économie numérique » (LCEN) prévoit une « responsabilité en cascade » (2), selon un principe de subsidiarité (éditeur, herbergeur ou, à défaut, les FAI) que l’on retrouve dans la loi sur les jeux d’argent en ligne. La Loppsi 2, elle, fait appel directement au FAI une fois que l’autorité judiciaire a qualifié le contenu de pédopornographique. Reste que le feu vert d’un juge reste indispensable pour avoir recours aux mesures de filtrage sur Internet – maintenant que les sénateurs ont rétabli cette disposition… L’avis que le Conseil constitutionnel avait formulé le 10 juin 2009 dans le cadre de la loi Hadopi a ainsi été respectée. @

Yves Le Mouël, FFT : « L’Internet ouvert ne signifie pas bande passante gratuite »

Coûts de la riposte graduée Hadopi, filtrage du Net, déploiement de la fibre optique, neutralité des réseaux, contribution au Cosip, taxe pour l’audiovisuel public, augmentation de la TVA triple play,… Le directeur général de la Fédération française des télécoms, Yves Le Mouël, précise ses positions.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : La loi sur la sécurité intérieure (Loppsi 2) et la loi sur les jeux en ligne prévoient de légaliser le filtrage sur Internet. Craignez-vous que cela ne s’étende à la lutte contre le piratage ?
Yves Le Mouël :
Pour les opérateurs et fournisseurs d’accès, Internet est d’abord un formidable espace de liberté qu’il faut promouvoir. Mais c’est aussi un espace qui n’échappe pas à
la loi. Dans cette logique, les opérateurs et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI)
ont toujours respecté et respecteront toujours la législation en vigueur. Ils rappellent néanmoins que les dispositifs de lutte contre le piratage ou la cybercriminalité qu’on leur demanderait de mettre en oeuvre doivent être proportionnés à l’objectif recherché, d’autant qu’ils sont loin d’être infaillibles et ne sauraient garantir l’atteinte de l’objectif poursuivi. La pédagogie du bon usage reste la meilleure arme contre les comportements abusifs sur Internet.

EM@ : Le rapport du CGTI de 2008 avait évalué le coût de mise en oeuvre des sanctions Hadopi à un minimum de 70 millions d’euros de 2009 à 2012. Pourquoi estimez-vous ce coût à 100 millions d’euros ?
Y. Le M. :
Selon les opérateurs, les coûts pour la mise en oeuvre de la sanction prévue (suspension de l’accès à Internet) sont en réalité plutôt de l’ordre de 100 millions d’euros, ce montant ne comprenant pas les coûts correspondant aux demandes d’identification des internautes et aux investissements nécessaires à l’industrialisation de ces mécanismes. Ces coûts de mise en oeuvre de la loi Hadopi n’ont aucun rapport avec les activités économiques des opérateurs télécoms. Conformément au principe général et constitutionnel d’égalité devant les charges publiques, c’est bien à l’Etat de prendre en charge ces coûts.

« C’est bien à l’Etat de prendre en charge ces coûts de mise en oeuvre de la loi Hadopi qui n’ont aucun rapport avec les activités économiques des opérateurs télécoms. »

EM@ : Le rapport Zelnik écarte une taxe sur le chiffre d’affaires des FAI, préférant limiter le taux réduit de TVA sur leurs offres triple play. Qu’en pensez-vous ?
Y. Le M. :
La FFT salue le travail important accompli par les trois rapporteurs pour
le développement de l’offre légale numérique. A l’instar des trois rapporteurs, la Fédération récuse également toute proposition visant à instaurer une taxe supplémentaire pour les FAI, qui viendrait se rajouter aux nombreuses taxes déjà
en vigueur et en forte augmentation (fonds de soutien à l’industrie de programmes
ou Compte de soutien à l’industrie de programmes) et pénaliserait fortement les FAI. Pour nous, la proposition visant à accroître la part du chiffre d’affaires soumis à une TVA à 19,6 % contrevient directement à l’objectif du gouvernement de favoriser le développement d’une offre légale attractive pour le consommateur, d’une part, et d’une application générale du taux réduit de TVA aux produits culturels en ligne, d’autre part. En outre, la mesure risque de ne pas se voir répercutée sur les prix. Elle aura donc un impact sur leurs capacités d’investissements dans les contenus ou dans les infrastructures (développement de la fibre notamment). C’est pourquoi la FFT, en concertation avec plusieurs acteurs majeurs de l’industrie culturelle, demande l’application d’une TVA à taux réduit pour les offres multiservices de type triple play, indispensable au développement de l’offre légale numérique.

EM@ : A combien évaluez-vous en 2009, en France, les diverses contributions des opérateurs télécoms à la création des œuvres culturelles et audiovisuelles ?
Y. Le M. :
Le montant de la taxe audiovisuelle pour 2009 devrait être compris entre
250 et 300 millions d’euros. Nous n’avons pas encore de retour du Centre national
du cinéma et de l’image animée (CNC) pour les recettes du Cosip en 2009 et la contribution des FAI n’est pas rendue publique. Nous ne sommes certains que d’une chose : le montant de la contribution des FAI au Cosip a beaucoup augmenté par rapport 2008 (30 millions d’euros en 2008). Quant aux autres reversements effectués par les opérateurs, il n’est pas possible de les évaluer au niveau de la Fédération.

EM@ : Que pensez-vous du régime de gestion collective obligatoire des droits que prône le rapport Zelnik ?
Y. Le M. :
Nous sommes favorables à une gestion collective pour les droits musicaux en ligne, dans la mesure où elle présente avant tout l’intérêt de simplifier les négociations (notamment pour les services multi support, ordinateurs, mobiles, baladeurs, etc).
Nous soutenons une gestion collective simplifiée pour tous les supports afin d’être ainsi en mesure de proposer des offres innovantes. Face à la piraterie, le vrai enjeu est bien de faciliter l’accès de l’éditeur aux œuvres. Pour être attractives et lutter efficacement contre le piratage, les offres doivent être riches et innovantes, avec suffisamment de titres, sans système de gestion des droits numériques de type DRM, avec un prix fixé par l’éditeur… Ce mode de gestion collective obligatoire existe déjà depuis plusieurs années. Il permet la rémunération des producteurs audiovisuels et cinématographiques au titre de la reprise intégrale et simultanée de leurs œuvres sur le câble et il a prouvé son efficacité.

EM@: Que pensez-vous du nouveau cadre européen qui garantie la « neutralité du Net » et impose un « niveau de qualité minimale » ?
Y. Le M. :
Les opérateurs se préparent à la mise en oeuvre des mesures résultant de
la transposition du Paquet télécom, dont ils ne décident pas du calendrier. Concernant la neutralité de l’Internet, la FFT a engagé une réflexion, qu’elle veut large et ouverte, avec les autres acteurs de l’Internet et le régulateur. Garantir un Internet ouvert est clairement dans l’intérêt de tous : il faut simplement accepter que le concept d’Internet ouvert ne signifie pas bande passante gratuite. Notre objectif est aussi d’assurer la plus grande transparence pour le consommateur.

EM@ : Qu’attendez-vous de la Commission européenne qui a ouvert une procédure d’infraction contre la France sur la taxe de 0,9 % sur le chiffre d’affaires des opérateurs télécoms pour financer France Télévisions ?
Y. Le M. :
Le Fédération ne peut pas savoir quelle va être la réaction des pouvoirs publics. Le gouvernement a deux mois pour justifier le bien-fondé de cette taxe. Passé ce délai, la Commission décidera si elle instruit ou non une procédure en manquement contre le gouvernement. Elle saisirait alors la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) qui poursuivrait l’instruction sur la base du manquement d’Etat. Mais dans ce cas, rien n’aboutira avant au moins deux ans. Si la CJCE confirme sa jurisprudence constante depuis l’arrêt Albacom de 2003, limitant les taxes aux opérateurs télécoms aux seules charges administratives prévues lors de la délivrance de leurs licences, l’Etat devra rembourser de fortes sommes aux opérateurs : environ 350 millions d’euros par an, soit l’équivalent des 300 000 prises optiques nouvelles que les opérateurs auraient pu installer chaque année durant la période de contentieux. @

Deux lois vont légaliser le filtrage du Net

En fait. Le 19 janvier, la commission des finances du Sénat a examiné le projet
de loi sur les jeux d’argent en ligne. Le 27 janvier, la commission des lois à l’Assemblée nationale a examiné le projet de loi sur la sécurité intérieure.
Point commun : le filtrage de l’Internet.

En clair. L’ex-ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie en rêvait , l’actuel locataire de la place Beauvau, Brice Hortefeux, va le faire. Attendue depuis deux ans, le projet de
loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure – ou Loppsi 2, la première ayant été promulguée en 2002 – apparaît enfin à l’ordre du jour du Parlement. Les débats auront lieu à l’Assemblée nationale du 9 au 11 février. Le volet « lutte contre la cybercriminalité » va légaliser pour la première fois en France le principe du filtrage du Net. Cette mesure sera encadrée et limitée à la lutte contre la pornographie enfantine. Du moins par cette loi. Car le projet de loi sur les jeux d’argent et de hasard en ligne, qui sera examiné au Sénat les 23 et 24 février (1), prévoit lui aussi l’obligation de filtrage mais, cette fois, pour empêcher l’accès des internautes aux jeux en ligne illégaux. Ces deux textes législatifs vont créer un précédent législatif historique. Ils pourraient redonner des arguments aux industries culturelles, lesquelles sont déjà prêtes à expérimenter le filtrage, comme l’a rappelé Nicolas Sarkozy lors
de ses vœux du 7 janvier 2010 (lire EM@ n°5, p. 1, 2 et 6). Dans les deux lois, et conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel née avec la loi Hadopi (coupure de l’accès à Internet), la mesure de filtrage du Net – dérogatoire au droit commun – devrait être imposée après « accord de l’autorité judiciaire » (contrôle du juge). De quoi relancer la polémique, les opposants estimant que les technologies de filtrage pourront être contournées par l’anonymisation ou le cryptage, cela portant atteinte à la neutralité du réseau. Quoi qu’il en soit, la Loppsi 2 prévoit d’obliger les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) d’empêcher l’accès des utilisateurs aux contenus illicites. Une liste des sites pédopornograhiques sera définie par un arrêté du ministre de l’Intérieur. C’est l’Office de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) qui transmettra aux FAI les données des sites jugés illégaux, lesquels devront bloquer l’accès à ces sites web, même hébergés à l’étranger. Un décret d’application prévoira les compensations financières dues aux FAI, correspondant aux surcoûts induits par cette obligation de filtrage et de blocage. Reste à savoir si la loi leur indiquera quelle technologie de filtrage et de blocage utiliser sur le réseau. @