L’après-Hadopi : le rôle des fournisseurs d’accès à l’Internet reste à clarifier

La loi « Hadopi » est relativement claire sur ce que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) doivent faire. Mais elle l’est beaucoup moins sur ce qu’ils peuvent faire pour contribuer au développement de l’offre légale et à la lutte contre le piratage en ligne.

Par Winston Maxwell, avocat associé, cabinet Hogan & Hartson.

La loi « Création et Internet » donne plusieurs rôles bien définis aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Ils (1) doivent communiquer à la Commission de protection des droits de l’Hadopi – Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet – l’identité de l’abonné dont l’adresse IP a été relevée par des agents assermentés du CNC, le Centre national du cinéma et de l’image animée, des sociétés de gestion collective ou des organismes de défense professionnelle.

 Statut des FAI et « filtrage » du Net
Les FAI doivent transmettre à leurs abonnés par voie électronique les recommandations émanant de la Commission de protection des droits. Ils doivent
aussi informer leurs abonnés de leurs devoirs de veiller à ce que leur accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres protégées par le droit d’auteur sans l’autorisation de l’ayant droit. Ils doivent envoyer à leurs abonnés des messages de sensibilisation sur l’importance du droit d’auteur. Ils doivent en outre leur proposer au moins l’un des moyens de sécurisation labellisés par l’Hadopi, qui leur permettra d’accomplir leur mission de veille sur leur ligne d’accès. La loi donne aux FAI l’obligation de suspendre l’abonnement de certaines personnes, tout en maintenant
en opération la ligne téléphonique et la télévision. Enfin, la loi autorise le tribunal de grande d’instance d’ordonner à toute personne, y compris les FAI, de mettre en oeuvre des mesures propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte à un droit d’auteur.
La nature de ces mesures n’est pas précisée par la loi.

Si la loi Hadopi est relativement claire sur ce que les FAI doivent faire, elle l’est en revanche beaucoup moins sur ce qu’ils peuvent faire afin de contribuer au développement de l’offre légale et à la lutte contre la contrefaçon. Les FAI pourraient faire des études statistiques sur le comportement des internautes avant et après les actions de l’Hadopi, afin de juger de leur efficacité. Ils pourraient envoyer des messages de sensibilisation ciblés, en temps réel, au moment où un internaute commence à télécharger une oeuvre protégée pour le prévenir des risques encourus
et sur l’existence d’alternatives légales. Sur le plan technique et commercial, il y a beaucoup de possibilités. Les FAI doivent avancer plus prudemment sur le plan juridique que les sites dits UGC (2) favorisant le partage de musiques et de vidéos.
Car les FAI craignent de perdre leur statut de « simple transporteur » au titre de la loi LCEN (3) et la directive européenne Commerce électronique. Cette crainte n’est peut-être pas fondée, car la directive prévoit expressément – aux préambules 40 et 45 – la possibilité pour les FAI de mettre en oeuvre des outils, notamment pour prévenir des actes de contrefaçon. Les UGC avaient peur de perdre leur statut d’hébergeur et pourtant ils ont fini par mettre en oeuvre des outils de lutte contre la contrefaçon et ces outils n’ont pas conduit à la perte de leur statut. Un deuxième obstacle, plus sérieux celui-ci, est l’article L 34.1 du Code des postes et des communications électroniques qui encadre très strictement l’utilisation par les FAI des données de trafic (voir encadré).
Or, la plupart des actions des FAI, notamment les actions de sensibilisation en temps
réel, nécessitent l’utilisation de données de trafic et les FAI s’interrogent à juste titre
sur la compatibilité de ces utilisations avec l’article L 34.1. Vient enfin le souci des FAI d’enfreindre un corps de règles connues sous le label Net Neutrality.

Ne pas enfreindre la Net Neutrality
Le concept de « neutralité de l’Internet » regroupe plusieurs principes, dont la liberté pour les internautes de consulter des informations de leur choix et d’utiliser des applications de leur choix. Le fait pour un FAI de brider la bande passante pour certaines applications, comme les échanges « paire à paire » (peer to peer ou P2P), pourraient mettre le FAI en infraction avec ce corps de règles qui, encore une fois,
n’est pas bien défini en Europe et aux Etats-Unis. Le sujet de la Net Neutrality devient politiquement chaud en Europe et en France. Et ce n’est donc pas le moment pour les FAI de commencer à mettre en oeuvre des mesures innovantes pour décourager le téléchargement illicite, car ces mesures pourraient au contraire attiser la flamme des partisans de la neutralité du Net et conduire à l’imposition de règles strictes qui empêcheraient les FAI à l’avenir d’offrir des niveaux de services différenciés.

« Riposte graduée » dans les contrats
Reste à savoir si les fournisseurs d’accès à Internet peuvent mettre en place une
« réponse graduée privée » ? En juin dernier, l’anglais Virgin Media a annoncé un accord avec Universal Music et en même temps son intention de mettre en oeuvre
un système de réponse graduée privée pour ses abonnés comprenant la suspension temporaire de l’abonnement pour certains internautes qui continueraient de télécharger illégalement malgré des mises en demeure (4). Depuis la mise en oeuvre des « UGC principles », en octobre 2007 (5), les plus grands sites de partage de vidéo et de musique ont mis en oeuvre un système de réponse graduée privée. Les utilisateurs du service Myspace, par exemple, doivent accepter les conditions générales d’utilisation du site précisant, qu’après plusieurs avertissements, leur compte peut être suspendu (6). Un grand nombre d’universités et de municipalités américaines mettent en oeuvre les mêmes techniques sur le réseau : au bout d’un certain nombre d’avertissements, le compte de l’utilisateur est suspendu. En France, des procédés similaires sont utilisés par les grands sites UGC tels que Dailymotion, par ailleurs signataire des « UGC Principles ». La mise en oeuvre de tels procédés par les FAI en France – même avec
le consentement de leurs abonnés – semble plus délicate, notamment en raison de l’article L 34.1 qui encadre strictement l’utilisation des données de trafic, même pour
les actions de sensibilisation. Des offres « privilèges » ? La loi Création et Internet impose aux FAI l’obligation d’offrir à leurs abonnés au moins un moyen de sécurisation leur permettant d’empêcher les téléchargements illicites sur leur ligne. Pour encourager l’offre légale, les FAI pourraient accorder des conditions privilégiées aux abonnés ayant choisi de s’équiper d’un moyen de sécurisation labellisé par l’Hadopi.
Ces offres « privilèges » pourraient prendre plusieurs formes. Cela peut être une remise supplémentaire sur le prix de l’abonnement normal pour un accès haut débit. Sur le plan technique, cette remise supplémentaire pourrait se justifier par la différence objective dans la consommation de bande passante par les clients utilisant de tels dispositifs. Ce groupe de clients « vertueux » utilisera en général moins les protocoles peer-to-peer, afin de télécharger des vidéos par exemple, conduisant à une réduction significative de la bande passante consommée. Autre offre « privilège » possible : le FAI ou même un offreur de contenus indépendant pourrait proposer un prix spécial pour un service de vidéo à la demande (VOD), réservé aux internautes s’étant équipés de moyens de sécurisation labellisés par l’Hadopi.

Vers des offres « privilèges » antipiratage
Une telle offre pourrait se justifier par les remises accordées par les fournisseurs de contenus en amont pour les clients « vertueux » de la plateforme. Un FAI qui propose une telle offre « privilège » devra veiller à ce qu’elle ne soit pas anticoncurrentielle. En effet, si le fournisseur d’accès à Internet réservait l’offre uniquement aux clients s’étant équipés d’un moyen de sécurisation proposé par lui-même, il s’agirait d’une vente liée problématique dans certains cas. @

ZOOM

Offre légale : les données de trafic posent problème
L’article L 34-1 V du Code des Postes et des communications électroniques interdit
la conservation et le traitement des données de trafic sur les informations échangées ou consultées par les internautes. Est-ce que cet article interdit toute action par un fournisseur d’accès à Internet (FAI) fondée sur le contenu des informations consultées
ou échangées par l’internaute ? Si c’était le cas, aucune mesure de filtrage fondée sur le contenu ne serait possible. Or, on sait que certains types de filtrage sont tolérés sur les réseaux. Le groupe de travail dit « Article 29 » (réunissant les “Cnil” européenne) précise que les filtrages anti-virus et anti-spams sont justifiés et que d’autres mesures de filtrage pour certains types de contenu prédéfinis sont possibles à condition que l’utilisateur donne son consentement à l’avance (avis du 21 février 2006). On pourrait en déduire que cet article 34.1 V comporte certaines exceptions et que le législateur a voulu surtout interdire la conservation, par les opérateurs, de données de trafic relatives aux informations consultées ou échangées par les internautes. Mais le traitement instantané de certaines informations, avec le consentement de l’abonné et avec certaines sauvegardes afin de garantir la protection de la vie privée, serait toléré. Ce point nécessite cependant un éclaircissement juridique et il serait utile que les experts de la Cnil et de l’Arcep édictent des lignes de conduite pour les opérateurs désirant expérimenter certaines mesures d’encouragement de l’offre légale utilisant les données de trafic en temps réel.