Filtrage du Net : les ayants droits veulent que les expérimentations soient enfin menées

Elles auraient dû être lancées à partir de novembre 2009, soit 24 mois après
la signature des accords de l’Elysée « pour le développement et la protection
des œuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux ». Les expérimentations de filtrage sur Internet tardent. La Sacem le déplore.

Il y a un an, lors de ses vœux à la Culture (1), Nicolas Sarkozy avait déclaré que :
« Mieux on pourra “dépolluer“ automatiquement les réseaux et les serveurs de toutes les sources de piratage, moins il sera nécessaire de recourir à des mesures pesant
sur les internautes. Il faut donc expérimenter sans délai les dispositifs de filtrage ».
Le chef de l’Etat le promet depuis les accords de l’Elysée « pour le développement
et la protection des œuvres et programmes culturels sur les nouveaux réseaux », signés le 23 novembre 2007.

Filtrer, c’est « ouvrir la boîte de Pandore »
Les signataires ont prévu que « dans un délai qui ne pourra excéder 24 mois à compter
de la signature du présent accord, les prestataires techniques s’engagent à collaborer avec les ayants droit sur les modalités d’expérimentation des technologies de filtrage des réseaux ». Lors des 2e Rencontres parlementaires sur l’économie numérique, organisées le 8 février dernier et présidées par le député Jean Dionis, un membre du directoire de la Sacem (2) – Claude Gaillard – a déploré que ces expérimentations de filtrage tardent à se mettre en place. « Il faut les mettre en oeuvre », a-t-il insisté. La mise en place de radars TMG sur le Net et le recours à la réponse graduée de l’Hadopi ne suffisent pas aux ayants droits. Après le filtrage des jeux d’argent en ligne illégaux
et le filtrage des sites web de pédopornographie, il est question de filtrer les sites de téléchargement ou de streaming illicites dans le cadre de la lutte contre le piratage
des œuvres culturelles (musiques, films, livres, …). « Mettre en place un processus de filtrage, c’est indéniablement ouvrir la boîte de Pandore », préviennent Nicolas Curien, membre de l’Arcep, et Winston Maxwell, avocat associé chez Hogan Lovells, dans leur livre « La neutralité d’Internet » (3).
Pour l’heure, deux lois françaises organisent déjà le filtrage de l’Internet par le blocage de sites web. La première promulguée le 13 mai 2010 porte sur les jeux d’argent et
de hasard en ligne et prévoit que le président de l’Arjel (4) « peut également saisir le président du TGI de Paris aux fins de voir prescrire, en la forme des référés, toute mesure destinée à faire cesser le référencement du site d’un opérateur » de site de jeu illégal (5). La seconde loi – celle sur la sécurité intérieure (ou Loppsi 2), actuellement examinée par le Conseil constitutionnel saisi le 14 février dernier – prévoit dans le cadre de la lutte contre la pédopornographie que « l’autorité administrative notifie [aux fournisseurs d’accès à Internet] les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant (…), auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai ». Faire cesser et empêcher sont les deux maître-mots
du filtrage du Web à la française. Pour la Loppsi 2, les sages du Palais Royal devront dire si la décision de bloquer des sites sur Internet doit relever de la seule autorité
et du contrôle du juge, comme c’est le cas pour la loi sur les jeux d’argent en ligne
ou pour la loi Hadopi prévoyant la coupure de l’accès (6). En appui de la saisine des parlementaires, la Quadrature du Net (7) a remis au Conseil constitutionnel un
« mémoire complémentaire » où est dénoncé le « filtrage administratif » (sans intervention du juge) et le caractère anticonstitutionnel de cette mesure de blocage
« disproportionné », qui utilise dans certains cas la technologie dite DPI (Deep Packet Inspection). Comme pour le filtrage de sites de jeux d’argent en ligne non autorisés ou de sites pédopornographiques, la question de l’intervention judiciaire se posera au futur filtrage des sites de téléchargement ou de streaming illicites. Quant à la position de
la Commission européenne sur le filtrage, elle a été exposée le 5 février lors d’une audience de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui a fait l’objet d’un rapport (8).

Le juge doit s’imposer à l’Europe
« Les directives [européennes (9)], interprétées notamment au regard du droit à la vie privée et de la liberté d’expression, ne font pas obstacle à ce que les États membres autorisent un juge national, saisi dans le cadre d’une action en cessation (…), à ordonner à un fournisseur d’accès de mettre en place, afin de faire cesser les atteintes au droit d’auteur qui ont été constatées, un système de filtrage destiné à identifier sur son réseau la circulation de fichiers électroniques concernant une oeuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle (…) », estime l’exécutif européen. La CJUE doit
se prononcer – à la demande de la cour d’appel de Bruxelles – sur une affaire où un FAI belge, Scarlet, avait été condamné en 2007 à bloquer sur les réseaux peer-to-peer les musiques dont les droits étaient gérés par la Sabam – la Sacem belge. A suivre. @

Charles de Laubier