Du filtrage de l’Internet à sa… nationalisation !

Que pourraient avoir en commun un chanteur de renommée internationale comme Bono et un député français comme Jacques Myard ? Rien, si ce n’est
leur penchant prononcé pour la mise sous contrôle de l’Internet (filtrage, nationalisation…). Comme en Chine !

« J’espère que l’on va prendre conscience de la nécessité de nationaliser ce réseau [Internet], et d’avoir la capacité de mieux le maîtriser, les Chinois l’ont fait » : quand un député de la République française, Jacques Myard (1), se laisse aller, cela donne ce propos édifiant que même les dirigeants de la République populaire de Chine n’auraient osé… C’est la première fois – au monde – qu’un homme politique demande, très sérieusement, à ce que l’on « nationalise » Internet. Il l’a déclaré le 15 décembre 2009
sur une radio de la bande FM (2).

« Internet est totalement pourri »
Motif avancé par Jacques Myard : « Le réseau Internet est aujourd’hui totalement pourri ». Il a évoqué pêle-mêle la cybercriminalité, les pirates informatiques, la mainmise des Américains sur le réseau des réseaux, les attaques chinoises, les chevaux de Troie ou encore le filtrage du Net. Curieusement, seuls des sites Web et la blogosphère ont relevé cette intervention du député, qui n’a quasiment pas été reprise dans les médias plus institutionnels. Mais le « buzz » médiatique a été suffisant sur le Net pour que l’élu émette le 18 décembre un communiqué sous le titre « Nationaliser Internet ! Et vive la polémique ! » avec une chute qui laisse songeur : « Jacques Myard entend déposer une proposition de loi en ce sens »… Le projet de loi « Loppsi 2 » (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) devrait justement être examiné fin janvier ou début février. Et d’en remette une couche, avec quelques bémols : « “Nationaliser Internet” ne signifie en aucun cas créer une police des échanges entre particuliers, sous réserve de la diffamation ou la violation des droits d’auteurs. Nous sommes dans un Etat de droit. (…) Il est donc indispensable de maîtriser ce réseau qui échappe aujourd’hui totalement à la France et aux Etats européens. (…) Cette “nationalisation” d’Internet, loin de porter atteinte à la liberté de communication, va au contraire la renforcer ». Le 13 octobre, le même député s’était distingué sur « Lepoint.fr » en affirmant : « J’ai rencontré des sociétés du secteur de l’armement qui affirment que le blocage [de sites Web illégaux] est parfaitement possible » (3). Si la nationalisation du Net était encore une idée inédite jusqu’à cette fin 2009, le filtrage du Web, lui, fait son chemin depuis les premiers débats à propos de la loi sur le droit d’auteur et les droits voisin (DADVSI) de décembre 2005. Dans une question de Jacques Myard au gouvernement le 25 novembre 2009 à propos d’Internet qu’il considère comme « un lieu d’escroqueries, de trafics et de manipulations en tous genres », le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux a répondu en évoquant le prochain examen de la Loppsi 2 : « Nous avons (…) l’intention de permettre le blocage des sites proposant des images et des représentations de mineurs à caractère pornographique. Ce sera une première ». L’année 2010 pourrait ainsi être celle du filtrage sur Internet. Le chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, y prépare d’ailleurs les esprits : « Il faut (…) expérimenter sans délai les dispositifs de filtrage », a-t-il dit lors de vœux le 7 janvier dernier (voir pages 1 et 2). A l’international, des voix s’élèvent aussi pour « traquer le contenu » sur le Web. Le chanteur du groupe de rock irlandais U2, Bono s’est prononcé “pour” le 2 janvier 2010 dans sa chronique du New York Times : « Les efforts nobles de l’Amérique pour stopper la pornographie infantile, sans parler des ignobles efforts de la Chine pour supprimer les dissentiments online montrent que c’est parfaitement possible de traquer les contenus [sur le Web] ». Comme Jacques Myard, l’Empire du Milieu est pris comme modèle !

« Une décennie de piratage en ligne »
Et l’artiste international, de mettre en garde : « Attention ! La seule chose qui protège les industries du cinéma et de la télévision du destin qu’ont connu la musique et les journaux est la taille des fichiers. L’immuable loi [de l’accroissement] de la bande passante laisse présager que dans à peine quelques années nous pourront télécharger une entière saison de [la série télévisée] ”24 Heures” en 24 secondes. Une décennie de partage et de vol de fichiers musicaux a montré que ceux qui en souffrent sont les artistes ». Et Bono d’espérer avec le filtrage du Net que « peut-être les magnats du cinéma réussiront là où les musiciens ont échoué et qu’ils rassembleront l’Amérique pour défendre l’économie la plus créative du monde, où la musique, le film, la TV et des jeux vidéo représentent presque 4 % du produit intérieur brut »… Reste à savoir si, aux Etats-Unis, en France ou ailleurs, la fin justifie les moyens. @