YouTube « Music Pass » sous la menace d’une plainte

En fait. Le 23 mai, l’ultimatum lancé contre YouTube par la Worldwide Independent Music Industry Network (WIN) est arrivé à échéance. Les producteurs de musique indépendants qu’elle représente au niveau mondial menacent de saisir la Commission européenne sur les « rémunérations inéquitables » imposées.

En clair. Selon différentes sources, YouTube, s’apprête à lancer cet été son service payant de streaming musical qui devrait être baptisé «Music Pass » et proposé moyennant 5 dollars par mois avec publicité ou 10 euros par mois sans. Mais pour se lancer à l’assaut du marché mondial de la musique en streaming en pleine croissance
et dominé par le suédois Spotify, le numéro un des plateformes de partage vidéo doit boucler d’ici l’été prochain des accords avec les producteurs de musique. Si les contrats avec les trois majors « du disque », Sony, Warner et Universal, sont négociés directement et séparément, il n’en va pas de même avec les producteurs indépendants. Il est en effet proposé à ces derniers un contrat type avec « la menace explicite que leurs contenus seront bloqués sur la plateforme [YouTube] si ce contrat n’est pas signé ». C’est du moins ce qu’a rapporté le 22 mai dernier la Worldwide Independent Music Industry Network (WIN), organisation mondiale des producteurs de musique indépendants.

Pour WIN, les conditions présentées par YouTube sont « défavorables, non-négociables avec des taux de rémunération sousévalués par rapport à d’autres partenaires tels que Spotify, Rdio, Deezer et autres ». Dans WIN, on retrouve Impala, l’association européenne des producteurs indépendants, et deux organisations françaises : l’Union
des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) et la Fédération des labels indépendants (CD1D).

« Les producteurs indépendants demandent instamment à YouTube de reconsidérer sa position et de leur offrir des conditions de rémunération équitable. Dans le cas contraire, les organisations professionnelles représentant les intérêts de ce secteur seront contraintes de saisir la Commission européenne de ce dossier », explique Jérôme Roger, directeur général de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), également directeur général de l’UPFI. Si YouTube mettait sa menace de bloquer toutes les musiques des indépendants, « cela aurait pour conséquence d’évincer l’ensemble des catalogues indépendants présents sur YouTube, soit 30 % du répertoire musical mondial ». Ce n’est pas la première fois que la filiale vidéo de Google a maille à partir avec l’industrie de la musique : l’an dernier, YouTube avait fait pression sur la Sacem en arrêtant de diffuser des publicités sur les clips vidéo (1). @

Netflix, Amazon, Yahoo, Microsoft, … : guerre des séries

En fait. Le 28 avril, Microsoft et Yahoo ont annoncé respectivement deux séries originales et des proprammes de télévision pour la Xbox. Le 23 avril, Amazon annonçait une exclusivité avec HBO pour des séries en streaming. AOL, Sony
et Disney investissent aussi, comme Netflix avec « House of Cards ».

En clair. Le marché des séries originales pour Internet a le vent en poupe. Depuis que
le leader américain des séries en streaming Netflix investit dans des films – comme
la célèbre série politique « House of Cards » ou la tragi-comédie « Orange is the New Black » – avec un budget global d’acquisition des droits proche des 3 milliards de dollars, les autres acteurs du Net eux aussi sur des oeuvres audiovisuelles. Les séries originales permettent aux grands sites de VOD et aux grands portails du Net de se différencier
sur le marché hyper concurrentiel de la vidéo en ligne, en fidélisant une audience et en captant de ce fait une part croissante des recettes publicitaires jusqu’alors dévolue aux chaînes de télévision classiques. Mais les séries exclusives coûtent cher à produire, même si les candidats à l’acquisition des droits ne divulguent aucun chiffre. Selon le Wall Street Journal, Yahoo investirait entre 0,7 et 1 million de dollar par épisode.

Or qui dit série, dit plusieurs épisodes (seize au total répartis à parts égales entre « Other Space » et Sin City Saints »), lorsqu’il ne s’agit pas de « saisons ». Ce qui démultiplie la note finale. Mais cela reste modeste comparé aux 100 millions de dollars que Netflix aurait investis dans la série « House of Cards ». Amazon, qui a aussi investi dans sa série politique « Alpha House », entend ne pas se laisser distancer par Netflix et multiplie les nouveaux programmes (« Mozart in the Jungle », « The After », …). Son accord exclusif avec HBO (1) (« Les Sopranos », « The Wire », …) lui coûterait entre 100 et 270 millions de dollars par an, selon des médias américains. Microsoft, que l’on n’attendait pas vraiment sur ce terrain, y va lui aussi de ses investissements pour rendre plus attractive sa console multimédia Xbox One. « Les jeux font partie de notre ADN depuis au moins
15 ans, la création de contenus télévisés originaux est l’étape suivante logique de notre évolution », a déclaré le 28 avril Jordan Levis, vice-président de Xbox Entertainment Studios. A partir de juin, il lancera sur la console des programmes télé « Xbox Originals ». La surenchère des exclusivités pousse Netflix à augmenter d’ici juin son tarif d’abonnement « d’un ou deux dollars selon les pays et seulement pour les nouveaux abonnés » (2). Reste à savoir si, par rapport à l’Irlande (3), le tarif en France sera d’emblée à 8,99 euros par mois. @

Musique : le streaming dépasse le téléchargement

En fait. Le 30 avril, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) a présenté les chiffres du marché français de la musique enregistrée pour le premier trimestre 2014 : – 7,1 % à 100,3 millions d’euros, dont 32,9 millions pour les ventes numériques (+ 6,6 %). Mais le streaming inquiète quand même.

En clair. Les revenus du streaming sur le marché de la musique en ligne bondit (+ 40 % à 16,5 millions d’euros) pour devenir – pour la première fois en France – le premier moyen d’écoute musicale sur Internet : un peu plus de la moitié (50,08 %) des revenus numériques proviennent en effet de ce mode d’écoute de flux audio, bien qu’il représente encore seulement 16,5 % du marché global. « Le streaming est à lui seul le moteur de la croissance des ventes de musique numérique », a souligné Guillaume Leblanc, DG du Snep. L’année 2013 avait amorcé le « fléchissement du téléchargement » (1). Cependant, cette migration des usages du téléchargement vers le streaming préoccupe les producteurs de musique du Snep (2) car la croissance se fait plus en faveur du streaming gratuit financé par la publicité (+ 43,8 %), mais moins rémunérateur pour l’industrie musicale, qu’au profit du streaming par abonnement (+ 38,3 %) aux revenus plus élevés. Bien que la France compte « entre 1,5 et 2 millions d’abonnés » à un service de streaming musical (y compris les abonnements inclus dans un forfait comme Deezer avec Orange), ce segment a de plus en plus de mal à attirer un public habitué à la gratuité.

L’Observatoire de la Cité de la musique (3), a fait le 14 avril dernier le constat suivant :
« Faute d’avoir su mettre en place très tôt une offre légale payante, riche et de qualité,
le streaming par abonnement (…) semble de moins en moins correspondre au positionnement des publics, éduqués à la gratuité ». Spotify n’a-t-il pas décembre 2013 lancé une offre gratuite financée par la publicité ? « Alors que les sites de streaming étaient dans une économie de la distribution, cette spirale mortifère du gratuit risque
de les faire glisser vers une économie de la diffusion », s’est inquiété l’observatoire.
Ce que redoute aussi les producteurs.
Pour compenser ce « transfert de valeur », le Snep demande « un nouveau droit à rémunération » assis sur les recettes publicitaires des sites de musique en ligne (4). Si l’année 2013 avait redonné du baume au coeur des producteurs de musique avec une croissance de 1 % sur un an (voir tableau p. 10), les trois premiers mois de 2014 font en tout cas globalement pâle figure : le recul de 7,1 % est dû à la baisse à la fois des ventes physiques de type CD (-12,6 % à 67,2 millions d’euros) et des ventes de téléchargement à l’acte (-10 % à 14,7 millions). @

Sport : match TV versus OTT

Une succession d’événements médias montrent bien que
le paysage audiovisuel mondial a bien changé. Une série,
un film et une comédie musicale occupent le devant de la scène en battant des records d’audience. Points communs : chacune de ces œuvres a pour thème une épopée sportive
et toutes ont comme producteur principal… une grande association sportive. Des ligues et quelques grands clubs
de football, de basket ou de baseball sont en effet devenus de véritables groupes
de médias disposant depuis longtemps de lieux de spectacles, puis de leurs propres moyens de diffusion et, désormais, de productions. Ce sont des empires sans équivalents, construits sur des contenus « premium ». Sachant que seuls la fiction (films et séries récents) et certains événements sportifs réunissent les conditions nécessaires pour bénéficier de ce qualificatif (forte attractivité, rareté et acceptation
des consommateurs à payer). Qu’on le déplore ou non, le sport est devenu le divertissement majeur du XXIe siècle. Cette ascension tient autant à l’attrait toujours croissant des compétitions qu’aux nouvelles mannes captées au fil du temps par les propriétaires des droits sportifs. Et ce, grâce à la diversification des modes de diffusion des matchs et aux débouchés offert par Internet.

« Des ligues et quelques grands clubs sportifs
sont devenus de véritables groupes de médias »

Tout a commencé bien avant la révolution numérique. Le sport a tout d’abord bénéficié de l’envolée des droits de diffusion audiovisuelle, comme le montre le doublement des reversements des éditeurs de télévision à péage aux propriétaires des droits sportifs :
de près de 500 millions d’euros aux Etats-Unis entre 1995 à plus de 1 milliard en 2015 !
La principale raison de cette envolée est à trouver dans les records d’audience qu’atteignent régulièrement les matchs : plus de 110 millions de téléspectateurs pour le Super Bowl avant 2015. En France, les meilleures audiences TV reposaient aussi sur les compétitions internationales de football et de rugby. Le sport a également bénéficié de la multiplication progressive des chaînes de télé, offrant de plus en plus d’espace aux sports les plus demandés – comme à ceux longtemps écartés des lumières cathodiques. Puis, c’est en se lançant sur Internet que les ayants droits ont jeté les bases de leur relais de croissance actuel. A l’exception notable des ligues de football européennes, longtemps focalisées sur la vente de droits TV, les ligues sportives majeures ont très tôt développé des stratégies OTT (Over-The-Top) en complément d’une stratégie TV traditionnelle. Sur leur marché domestique, il s’agissait de favoriser la vente de droits aux chaînes en clair et payantes pour les rencontres de « têtes d’affiche » et d’éditer en même temps un service de vidéo OTT d’accès direct aux matchs non diffusés à la télévision. Pour les pays où les ligues ne bénéficiaient d’aucune couverture TV, leurs services OTT offraient un accès à l’ensemble des matchs. Ces revenus additionnels ont permis aux ayants droits d’augmenter leur pouvoir de négociation vis-à-vis des grands « Networks ».

Pour les sports moins populaires, la diffusion via une plate-forme web, comme Livesport.tv, Laola1.tv ou bien sur YouTube, est encore souvent la seule manière d’assurer leur retransmission : il était déjà possible en 2014 de visionner un match
du confidentiel Horseball sur Vimeo. La migration vers une distribution « tout OTT »
a depuis, bien progressé, même si elle n’a pas remplacé complètement le modèle classique de la télévision. La National Football League des États-Unis a transformé les quelque 5 milliards de dollars provenant de la vente de droits TV en près de 20 milliards aujourd’hui grâce à la vente de droits internationaux et des revenus tirés des médias mobiles. En Europe, malgré l’importance des droits TV, la Premier League de Football au Royaume-Uni ou la Ligue Nationale de Rugby en France ont progressivement joué la carte de la diffusion sur Internet pour répondre aux 20 % à 30 % de leurs millions de supporters prêts à s’abonner à leur service premium. Ces nouvelles « machines à cash » du divertissement ont trouvé un nouvel équilibre entre un accès du plus grand nombre aux sports populaires et l’offre de productions dérivées comme le cinéma, les jeux vidéo, les spectacles et… les programmes télé. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Ciné et OTT.
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 » (http://lc.cx/b2025).
Sur le même thème, l’institut a publié son rapport
« Les stratégies OTT des ayants droits de contenus
premium : sport, cinéma et fiction TV » (lire p. 7).

La fenêtre de Canal+ : un « monopole » en sursis

En fait. Le 26 mars, René Bonnell – producteur et auteur du rapport « Le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l’heure
du numérique » – a réitéré devant le Club audiovisuel de Paris la nécessité
d’« arrêter de geler les droits » pendant la « fenêtre » de diffusion de Canal+.

En clair. « La stratégie de Canal+, de monopole à partir du 10e mois jusqu’au 22e interdisant toute exploitation à l’intérieur de sa fenêtre, s’explique par le niveau de ses obligations », a encore expliqué René Bonnell, cofondateur de Canal+ il y a 30 ans et aujourd’hui producteur (Octave Films). Mais ce « monopole » de Canal+ dans la chronologie des médias a vécu, selon lui : « Il faut arrêter de geler les droits pendant la période où une chaîne comme Canal+ a acheté les droits pour sa fenêtre de diffusion, à partir du 10e mois [après la sortie d’un film en salle de cinéma, ndlr] ». Ce gèle des droits au profit de la chaîne cryptée se fait au détriment de la vidéo à la demande (VOD) qui, après avoir ouvert sa fenêtre à 4 mois après la salle, doit obligatoirement la refermer au bout de six mois d’exploitation pour laisser place nette à Canal+.
Et le tunnel des droits exclusifs peut ainsi s’éterniser sur plusieurs années. « Et s’il y a en plus derrière Ciné+, cela peut geler les droits pendant 18 mois. La VOD butte là et ne peut pas se développer », dénonce René Bonnell. Selon GfK, le marché français de la VOD est en baisse de 3 % à 245 millions d’euros en 2013. Ceci explique peut-être cela. « Cette pratique du gel des droits peut même s’étendre jusqu’à 48 mois quand les maisons mères des chaînes historiques en clair regroupent leurs achats avec ceux de leurs filiales de la TNT », avait relevé le rapport Bonnell. Le pire est ce gèle des droits ne touche que la VOD. En effet, la vente des DVD et autres Blu-ray – eux aussi à 4 mois après la salle – peut continuer, de même que le téléchargement définitif où iTunes d’Apple s’arroge 95 % de parts de marché !

Mais après son « Il faut arrêter de geler les droits » lancé devant le Club audiovisuel
de Paris, René Bonnell a ensuite nuancé son propos : « Il doit y avoir protection des fenêtres quand il y a préfinancement [des films]. Sinon, c’est la liberté », rejoignant ainsi
le rapport Lescure. Le rapport Bonnell, bien que prudent sur le calendrier (1), ne dit pas autre chose : « Autoriser la liberté de programmation en vidéo et ou sur les chaînes au-delà de 4 mois pour les films n’ayant fait l’objet du préfinancement d’aucun support. (…)
Si un diffuseur était intéressé par une telle acquisition, durée des fenêtres et protections des droits seraient définis par voie contractuelle en jouant notamment sur les prix ». @