Plus lourd hors des Etats-Unis, Facebook assume le risque accru de redressements fiscaux

C’est dans un climat de suspicion d’évasion fiscale que Facebook fête ses anniversaires : 10 ans d’existence le 4 février, 30 ans de Mark Zuckerberg le
14 mai, 2 ans de la filiale française dans ses locaux parisiens de l’avenue de Wagram le 7 juin et 1 an de Laurent Solly (photo) à sa tête le 3 juin.

Par Charles de Laubier

Laurent SollyPour la première fois depuis sa création il y a dix ans, Facebook
a réalisé l’an dernier plus de la moitié de son chiffre d’affaires en dehors des Etats-Unis. Sur les 7,8 milliards de dollars réalisés en 2013, 54 % proviennent du « reste du monde » (soit un peu plus de
4,2 milliards de dollars).
Et l’international progresse le plus en un an (+ 69,6 %), comparé
à la croissance des revenus états-uniens (+ 40,1 %). Sur les 757 millions d’utilisateurs actifs chaque jour (soit 61,5 % des 1,230 milliard de comptes ouverts sur Facebook), ils sont – selon notre estimation – 90 % en dehors des Etats-Unis – dont 195 millions en Europe.
Mais le revers de cette exposition internationale, c’est l’accroissement du risque fiscal.
La firme de Palo Alto, dont le bénéfice net – après impôts donc – a atteint 1,5 milliard de dollars l’an dernier, ne l’ignore pas.

Menace sur ses résultats : Facebook a déjà prévenu
Cotée depuis mai 2012 et valorisée plus de 173,5 milliards de dollars (1), elle prévient les investisseurs sur de possibles redressements fiscaux que certains Etats pourraient lui infliger. Ce qui aurait pour conséquence de « nuire » à ses résultats financiers.
« Beaucoup de pays dans l’Union européenne, aussi bien qu’un certain nombre d’autres pays et organisations comme l’OCDE (2), réfléchissent activement à des changements des lois fiscales existantes. (…) En raison de l’expansion de nos activités internationales, tout changement de fiscalité pourrait accroître notre taux d’imposition mondial effectif et nuire à nos résultats financiers », met clairement en garde le groupe du jeune milliardaire Mark Zuckerberg dans les « facteurs de risques » exposés dans son rapport annuel publié en début d’année par le gendarme de la Bourse américaine (SEC).
« Les lois fiscales applicables à notre activité (…) sont sujettes à interprétation et certains juridictions interprètent de façon agressive leurs lois dans le but de lever des impôts supplémentaires auprès d’entreprises comme Facebook », met en garde l’entreprise qui a provisionné sur ses comptes de l’an dernier plus de 1,2 milliard de dollars (184 % de plus sur un an) au titre des impôts sur le revenu.

Laurent Solly invoque le secret fiscal
En Europe, la France est sans doute le pays le plus actif pour appeler à une réforme fiscale à l’heure du numérique. Après les rapports (3) Marini (2010 et 2012), Collin & Colin, Muet & Woerth et CNNum (2013), voilà que François Hollande, s’en prend directement aux géants du Net en estimant le 6 février que leur optimisation fiscale
« n’est pas acceptable ». C’était une semaine avant de se rendre – après sa rencontre avec Barack Obama – dans la Silicon Valley, où il a notamment rencontré Sheryl Sandberg, la directrice des opérations et numéro 2 de Facebook…
Pendant ce temps, le 12 février à Paris, l’Association des journalistes médias (AJM) recevait à déjeuner Laurent Solly, directeur général de Facebook France. La toute première question a été de savoir si la filiale française du réseau social faisait l’objet d’un redressement fiscal – comme cela serait le cas avec Google à qui le fisc réclamerait jusqu’à 1 milliard d’euros. « Ça commence bien ! Je pensais en venant que vous alliez me poser cette question », a-t-il répondu avant de mettre rapidement un terme à ce sujet : « Il y a une règle en France qui est celle du secret fiscal entre les entreprises et l’administration. Je m’en tiendrai à cette règle. (…) Je n’ai pas dit qu’il y avait des discussions. Je dis simplement que la règle en France – j’ai été au ministère des Finances et puis vous citer les articles du code fiscal ou des lois de Finances, ou du code pénal en cas de non respect de cette règle pour les fonctionnaires… – est le respect de ce secret fiscal. Et, en tant que représentant de Facebook, cette règle est aussi celle de notre entreprise ».

La vingtaine de journalistes présents sont donc restés sur leur faim. Tout juste Laurent Solly a-t-il indiqué à l’un de nos confrères, BFM TV, avoir lu son article révélant comment Facebook échappe à l’impôt en France. Mais il n’a fait aucun commentaire,
ni démenti ces informations… Pour mémoire, l’article en question, paru en septembre 2013, a pour titre « Exclusif : comment les profits de Facebook partent aux îles Caïmans » (4). Le lecteur y apprend que « le réseau social ne déclare en France que 2,5 % de son chiffre d’affaires réel [7,6 millions d’euros en 2012], et ne paie donc quasiment pas d’impôts au fisc français » et ainsi « sa filiale française n’a payé que 191.133 euros d’impôt sur les bénéfices en 2012 ». Le chiffre d’affaire réel de la filiale français du numéro un des réseaux sociaux aurait été en réalité cette année-là d’environ 300 millions d’euros pour un profit estimé à 30 millions d’euros. Si ces sommes avaient été déclarées, ce sont 10 millions d’euros d’impôts qui auraient dû être payés. L’optimisation fiscale est obtenue grâce à une filiale basée en Irlande (Facebook Ireland Ltd), elle-même versant des « redevances » à une autre société irlandaise (Facebook Ireland Holdings), qui elle-même est « détenue, au travers de plusieurs holdings, par Facebook Cayman Holdings Unlimited I, une société immatriculée dans
le paradis fiscal des îles Caïmans » !
Ironie de l’histoire, Nonce Paolini, patron de TF1 où Laurent Solly était auparavant directeur de la publicité, a cosigné avec Canal+ et  M6 un courrier – daté du 11 février et adressé à la ministre Aurélie Filippetti (5) – tirer  la sonnette d’alarme face à l’arrivée de « Google, Apple, Netflix, Amazon et Facebook » dans le secteur de la télévision,
« tout en pratiquant une optimisation fiscale exorbitante »…

Le montage financier de Facebook n’est pas sans ressembler à celui que pratique Google, via sa holding Google Ireland Holdings, jusqu’aux Bermudes qui font partie avec les îles Caïmans des nombreux paradis fiscaux. C’est avec le même objectif que Yahoo prendra également la tangente en rattachant – à partir du 21 mars prochain – les services en ligne relevant jusqu’alors de Yahoo France SAS à Yahoo EMEA Limited en Irlande… Chez Facebook, le secret fiscal est inversement proportionnel à
« l’exhibitionnisme » de ses 26 millions d’utilisateurs actifs en France (dont 18 millions se connectant chaque jour). Même lorsque la commission des Finances de l’Assemblée nationale mène une enquête sur « l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international » et demande à auditionner les « GAFAM » (Google, Apple, Facekook, Amazon et Microsoft), Facebook fait partie de ceux – avec Apple – qui n’ont pas souhaité lui répondre. « Cette attitude est bien évidemment inacceptable », avait vivement protesté en juillet dernier cette mission Muet-Woerth.

Une présence française plutôt discrète
Cette paradoxale culture de la discrétion du célèbre trombinoscope en ligne est aussi illustrée par l’absence de logo, ni même d’indications, sur la présence de Facebook France au 112 de l’avenue de Wagram qui mène à l’Arc de Triomphe.
Les bureaux parisiens sont en open space, y compris le baby-foot ! Lors de la pendaison de crémaillère il y a près de deux ans (6), ils n’étaient qu’une trentaine de salariés. Ils sont aujourd’hui une cinquantaine, sur les 6.337 que compte le groupe. @

Timeline

7 février
• Sony ferme Reader Store, les clients étant orientés vers Kobo (Rakuten).

6 février
• François Hollande, chez Vente-privee.com: « Par rapport à ces grands groupes [GAFA, ndlr], qui se mettent dans des pays à faible taux d’imposition des sociétés, nous devons agir ».
• La Commission européenne : « L’offre restreinte de films [en salle] incite au téléchargement. (…) [Le cinéma] pourrait augmenter ses recettes en exploitant différents types de plateformes en ligne (…) ».
• Twitter chute de près de 25 % en Bourse : ralentissement de la croissance des utilisateurs (241 millions).
• Twitter génère 1,49 dollar de recette publicitaire toutes les 1.000 consultations de sa « timeline », en hausse de 76 % sur un an.

5 février
• Yahoo transfert ses services en Irlande, dont ceux de Yahoo France.
• La Commission européenne obtient de Google « un affichage comparable [à ses propres services] de ses concurrents dans la recherche en ligne spécialisé ».
• Time Warner, résultats 2013 : CA de 29,8 Mds$ (+ 4 %) pour 3,7 Mds$ de bénéfice net (+ 26 %).

4 février
• Microsoft nomme son nouveau DG : Satya Nadella (46 ans).
• Les députés adoptent à l’unanimité le taux de TVA à 2,10 % pour la presse en ligne.
• Le Parlement européen adopte la directive Gestion collective (p. 7).
• Google France fait l’objet d’un redressement fiscal de 1 milliard d’€, selon Le Point.
• Jean-François Mulliez (e-TF1) : « On a intérêt à travailler ensemble, à faire un ‘’Hulu à la française’’ [dans la SVOD]. (…) Il y a des rouleaux compresseurs qui arrivent [Netflix, ndlr] ».
• Jean-François Mulliez (e-TF1) : « sur YouTube [comme Canal+], il faut y laisser 50 % de chiffre d’affaires ; on travaille à perte ».
• Netflix veut lever 400 millions de $ pour se développer en Europe.
• Facebook fête ses 10 ans : Mark Zuckerberg (29 ans), milliardaire à la tête d’un fortune de près de 30 Mds$.

3 février
• Le Snep publie le bilan 2013 de la musique enregistrée (p. 5).
• La Commission européenne crée un « groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (SMA) ».
• L’UPFI, au Midem, souhaite 10 M€ d’aide aux labels indépendants en 2014 et 90 M€de soutien à la filière musicale (PLF 2015).
• Médiamétrie publie l’audience des sites web avec une nouvelle règle interdisant le couplage d’audience de sites distincts.
• Michel Hazanavicius et Vincent Maraval estiment qu’il est temps que le cinéma français prenne « le virage d’Internet ».
• Euronews : «1re chaîne d’information sur YouTube dans le monde ».
• Vivendi décerne au Midem son Prix « Coup de cœur » à Cubic.fm.

2 février
• Aurélie Filippetti annonce au Midem un possible « élargissement de l’assiette » de taxes existantes pour soutenir la filière musicale.
• La Sacem annonce 810 M€ de droits d’auteur collectés en 2013 (+1,7 %), dont 24,7 millions provenant d’Internet (+ 20,5 %): 51 % du streaming, 46 % du téléchargement et 3 % de la sonorisation de sites web.

31 janvier
• Amazon, résultats 2013 : CA de 74,4 Mds$ (+ 22 %) pour un bénéfice net de 274 M$ (contre une perte de 39 M$).
• Arnaud Montebourg, lors des vœux de la FFTélécoms : « Nous souhaitons réformer l’Arcep, réduire ses pouvoirs et la remettre à sa place », lui reprochant sans le dire le lancement de Free Mobile.
• Jean-Ludovic Silicani (Arcep), dans Challenges : « Si l’on veut construire un grand marché unique des télécoms, il faut un cadre européen qui s’applique à tous les pays ». • L’Idate : les revenus mondiaux de la télévision devraient passer de 374,8 Mds d’€ en 2013 à 459,2 Mds d’€ en 2018 (+ 23 %).
• La FFTélécoms publie son Rapportannuel2013.fftelecoms.org
• SFR et Bouygues mutualisent une partie de leurs réseaux mobiles : 300 millions d’€ d’économies.

30 janvier
• Aurélie Filippetti annonce une réforme du Centre national des variétés (CNV) pour soutenir la filière musicale.
• La Cisac publie les perceptions mondiales du droit d’auteur : 7,8 milliards d’€en 2012 (+ 2 %), dont 3,8 % (soit 301 millions d’€) générés par le numérique (+ 7 %).
• Google, résultats 2013 : CA de 59,8 Mds $ (+ 19 %) pour un bénéfice net de 12,9 Mds $ (+20 %).
• Google cède pour 2,9 Mds$ à Lenovo les mobiles de Motorola acquis en 2012 pour 12,5 Mds$.
• Facebook, résultats 2013 : CA de 7,9 Mds$ (+55 %) pour un bénéfice net de 1,5 Mds$ (+ 2.730 % !).
• Kantar Media : la e-pub (display) a généré en France 2,751 Mds d’€ bruts en 2013 (stable).
• La Fevad : l’e-commerce en France pèse 51,1 Mds€en 2013 (+13,5 %).

28 janvier
• Manuel Alduy, directeur de Canal OTT (Canal+), indique à EM@ à propos d’acquisitions web ou de Studio Bagel (lire p. 4) : « Rien n’est exclu pour appuyer le développement de nos activités ».
• Philippe Bailly, NPA Conseil, à EM@ : « Le vrai challenge de Canal OTT sera de conjuguer le teaser qu’elles [ses chaînes gratuites sur YouTube] offrent avec une perspective vers le payant ».
• La SACD indique que des représentants de Netflix seront à Paris mi-février, pour un lancement en septembre.

27 janvier
• Fleur Pellerin, lors des vœux de l’Arcep : « La loi numérique définira (…) les contreparties attendues des opérateurs » (investissements et emplois) pour l’utilisation de fréquences.
• Pascal Nègre, président d’Universal Music France, au Parisien : « Le modèle de départ de Deezer, qui était financé uniquement par la publicité, n’avait aucun sens ».
• Google achète DeepMind (intelligence artificielle).

24 janvier
• Orange se séparerait de Frédérique Dumas, DG d’Orange Studio (ex-Studio 37), affirme L’Express.
• Canal+ crée une division, Canal OTT intégrant CanalPlay.

Radio des objets

« Good moooooorning Paris ! ». Les ondes vibrent encore de ce cri qui réveille la capitale depuis plus d’un mois. Un salut tonitruant poussé chaque matin par l’un des présentateurs vedette de la nouvelle station Word Radio 1. Une radio d’un nouveau genre : des programmes diffusés en mode tout IP de New York, Shanghai, Sao Paulo, Berlin, Londres et Lagos, pour une audience sans frontières affranchie des limites de la diffusion hertzienne. C’est bien le pari insensé d’une poignée de jeunes passionnés de musiques et de cultures du monde que d’avoir réussi à lancer une radio d’un nouveau ton, s’adressant à des auditeurs avides des nouvelles de la planète. Ils ont su tirer parti des atouts historiques de ce média, en amplifiant sa puissance par l’intégration des nouveaux outils : podcasts, vidéos, réseaux sociaux et métadonnées.

« Au-delà des mobiles et des autoradios, ce sont
nos ampoules, nos vêtements ou nos robots domestiques
qui mettent à volonté ces nouvelles radios à portée de
nos oreilles. »

Cet étonnant succès ne doit pas masquer l’évolution radicale qui a fini par rattraper
le média radio, resté longtemps à l’écart de l’appétit des majors du Net en raison de barrières réglementaires et culturelles plus élevées que l’enjeu financier qu’il représente. A l’instar des autres médias, et peut être mieux encore, la radio s’est adaptée à tous les nouveaux « transistors numériques » : smartphones, tablettes, smart TV, sites web ou encore radios personnalisables, sans oublier les autoradios digitaux. Ce qui a permis de développer l’écoute digitale mobile, tout en ouvrant la voie à de nouveaux espaces de monétisation. Le combat a porté un temps sur les standards qui devait offrir une alternative à la radio tout-IP, comme la fameuse RNT qui fut, en France, à l’origine de tant de rapports et d’études. La radio numérique terrestre y fut finalement lancée laborieusement en juin 2014 sur les villes-test de Marseille, Nice et Paris. Et c’est l’Union européenne de radio-télévision (UER) qui lança à la même époque un projet visant à intégrer dans tous les récepteurs une « europuce » pour permettre d’écouter gratuitement la radio dans n’importe quel pays, avec l’idée de libérer l’industrie de sa dépendance des opérateurs télécoms.
Si la radio n’a pas disparu, elle a éclaté selon des lignes de fracture correspondant aux grandes familles de « stations ».
Les programmes musicaux ont été les plus touchés, tant les modes d’écoute ont été bouleversés par la montée en puissance progressive du streaming (lequel s’est imposé face au support physique puis au téléchargement). De véritables radios en ligne interactives – smart radio – ont progressivement pris le pouvoir : Pandora dépassait les 150 millions d’utilisateurs en 2013 et participa au processus de consolidation commencé dès l’année suivante par le rachat symbolique de KXMZ-FM, petite station hertzienne radio du sud Dakota. Pour de nombreux pays émergents, le streaming s’est très vite taillé la part du lion puisqu’il a représenté dès 2014 près de 50 % du marché
de la musique.
Au Brésil, en Chine, en Inde, au Mexique ou au Vietnam, le smartphone est en effet devenu le terminal de référence pour l’écoute de musique via les grands services de
radio en streaming. Cet engouement a touché tous les pays et permis aux plates-formes internationales, comme Spotify ou Deezer, d’atteindre une taille critique mondiale de plus de 40 millions d’abonnés, indispensable pour un niveau de rentabilité suffisant.
Après les radios musicales, les généralistes ont tenté de réinventer la télévision en transformant leurs émissions de plateaux en talk-show et en demandant à leurs journalistes de réaliser des reportages vidéo. Ces stations multimédias ont peu à
peu été englobées dans des groupes pluri-médias capables de décliner leurs contenus sur tous les formats (écrit, voix et vidéo). Finalement, c’est en capitalisant sur leurs fondamentaux que certaines radios ont pu cultiver avec succès une différence qui fait encore leur succès aujourd’hui : des concepts innovants servis par de grandes voix,
« éditorialisant » des émissions d’information, de sport, de musique, d’humour ou d’histoire, mais désormais accessibles sur une multitude d’objets connectés. Car au-delà des mobiles et des autoradios, ce sont nos ampoules, nos vêtements ou nos robots domestiques, entre autres, qui mettent à volonté ces nouveaux programmes
à portée de nos oreilles. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Voiture connectée.
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 »
(http://lc.cx/b2025).

Les propositions très françaises du CSA pour soutenir le développement des SMAd

Les SMAd de type VOD ou TVR sont soumis aux obligations applicables à la télévision. A contrario, de grandes plateformes du Net – exclues de cette catégorie – ne sont pas contraintes de respecter ces règles. Ce qui leur procure un avantage concurrentiel considérable. Le CSA propose d’y remédier.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Le rapport du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)
au gouvernement sur l’application du décret n°2010-1379
aux SMAd (1) a permis d’analyser de façon approfondie
la situation de ce marché et ainsi de mettre en évidence
le faible développement des SMAd en France (2). Le CSA pointe le manque d’attractivité de l’offre actuelle qui résulterait, entre autre, de la mise à disposition tardive de contenus et de leur prix élevé. Autre handicap souligné par
le CSA : le régime juridique des SMAd est bien plus contraignant que celui des acteurs de l’Internet.

Le statut des acteurs du Net
En effet, les plates-formes de partage – sous couvert de se limiter à la communication de contenus « privés », c’est-à-dire produits et mis en ligne par des individus et non
par des professionnels de l’édition – sont exemptées des obligations pesant sur les éditeurs. Or, la frontière est mince sinon inexistante car ces plates-formes éditent de
fait des contenus « professionnels » (par exemple, Daily Sport édité par Dailymotion
ou les chaînes originales diffusées par YouTube) et ont noué depuis longtemps des partenariats avec des éditeurs audiovisuels (3).
Le CSA propose donc d’intégrer dans le futur projet de loi « Création » en cours de préparation, les dispositions nécessaires à une réglementation plus neutre en faveur
des éditeurs de SMAd. Le régulateur de l’audiovisuel recommande ainsi de clarifier le statut des acteurs de l’Internet qui se trouvent en concurrence directe avec les SMAd, autrement dit de les faire en quelque sorte entrer dans son giron. Outre les grandes plates-formes, le CSA vise l’ensemble des acteurs d’Internet car, du fait de la convergence, les métiers auparavant distincts – ceux de l’édition et de la distribution – se confondent de plus en plus : des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) développent leurs propres offres de VOD, y compris par abonnement (SVOD), des téléviseurs connectables offrent des services résidents de vidéo ou de télévision de rattrapage (TVR), etc. Or, malgré l’effacement progressif des anciennes frontières, les entreprises sont soumises – au moins en théorie – à des régimes juridiques différents en fonction de services qu’ils fournissent pourtant simultanément. Ainsi, une plate-forme de partage de vidéo peut être qualifiée, d’une part, d’hébergeur de contenus mis en ligne par les utilisateurs privés, et, d’autre part, d’éditeur pour un service audiovisuel.
Et par conséquence, être soumise à des régimes distincts : respectivement, celui d’hébergeur relevant de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, et celui d’éditeur conformément à la loi du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté
de communication (4).

Le CSA propose donc d’élargir la catégorie de SMAd sur la base de la notion de distributeur audiovisuel. Sur ce point, le CSA rejoint la logique du rapport de la mission Lescure (5) qui a proposé d’appliquer à certains acteurs (FAI, fabricants et distributeurs de smartphones, magasins d’applications, sites de partage de vidéos) le régime de distributeur de services audiovisuels prévu par la loi française. Cette idée a d’ailleurs déjà fait l’objet d’une présentation à la Commission européenne lors de la réflexion sur le livre vert relatif à la convergence dans l’audiovisuel (6) (*) (**). A cette occasion, la France (7) a plaidé pour une concurrence équitable entre les différents acteurs ce qui nécessite l’extension du champ d’application de la directive SMA aux distributeurs de médias audiovisuels et la révision du principe du pays d’origine (voir zoom).

Déclaration et conventionnement
Actuellement, les éditeurs de SMAd ne sont soumis à aucune formalité préalable (8). Ce système a été initialement pensé pour supprimer les barrières à l’entrée, afin de favoriser le développement du marché. Cependant les obligations qui ont finalement
été imposées aux éditeurs de SMAd nécessitent un dispositif de contrôle efficace et justifient un recensement préalable. Une obligation de déclaration des SMAd faciliterait cette tâche. Toutefois, le Conseil n’entend pas introduire un régime d’autorisation préalable, tel qu’il est appliqué pour les services diffusés par voie hertzienne terrestre notamment.
Par ailleurs, le CSA propose une mesure de conventionnement volontaire de certains services en complément du régime déclaratif. Le conventionnement serait destiné aux acteurs souhaitant prendre des engagements plus forts, en termes de diversité, de financement de la création, de tarifs sociaux et contribution à l’offre non marchande, en contrepartie d’avantages : accès aux aides, chronologie de médias plus avantageuse, meilleur référencement dans les moteurs de recherche, possibilité de priorisation dans
la gestion des débits, … Sur ce point encore le CSA reprend les recommandations du rapport Lescure mais appelle à une réflexion approfondie qui va sûrement être abondante, notamment en ce qui concerne la neutralité du Net.

Assouplissement des obligations financières
Le Conseil propose également une série des mesures pour alléger les obligations opérationnelles et financières des SMAd, dans le but d’augmenter leur attractivité et leur compétitivité.
Chronologie des médias : le délai minimum – entre la sortie d’un film en salles et son exploitation en VOD – pourrait être diminuée en faveur des SMAd, de 4 mois actuellement à 3 mois. S’agissant des offres de SVOD, ce délai pourrait être raccourci
de 36 à 24 mois.
Obligations financières : le CSA propose d’élargir le périmètre des dépenses prises en compte dans le calcul des obligations de contribution au développement de la production. A l’heure actuelle, ne sont pas prises en compte dans le chiffre d’affaires annuel net d’un SMAd, qui constitue la base de ce calcul, la taxe sur la valeur ajoutée et la taxe sur les ventes et locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public. Or, l’essentiel des dépenses des SMAd portent sur des reversements aux ayants droits qui s’effectuent en fonction de la consommation effective des œuvres
par le public. Le CSA propose donc que les SMAd puissent déduire ces dépenses du chiffre d’affaires pris en compte pour déterminer leurs obligations contributives, ainsi que les coûts de numérisation des films, de mise en ligne et de lutte contre le piratage. En revanche, la contribution de l’éditeur au développement de la production d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques porterait globalement sur l’ensemble des SMAd qu’il édite ou qui sont édités par ses filiales ou sociétés sœurs au sein d’un même groupe, avec toutefois un rehaussement du financier de déclenchement de la contribution.

Règles de quota relatives aux œuvres d’expression originale française (EOF) ou européennes : elles pourraient être assouplies notamment dans la cadre de la commercialisation de services thématiques ou sur les pages d’accueil. Corrélativement, le CSA propose d’abandonner l’obligation de quotas EOF ou européennes « à tout moment » au profit d’une appréciation sur une base annuelle s’appliquant à la fois à la TVR et à la VOD. @

ZOOM

La vraie bataille ?
Les propositions du CSA ont été accueillies plutôt favorablement par les éditeurs de SMAd mais elles sont vues d’un très mauvais œil par tous acteurs d’Internet qui ne veulent pas de l’immixtion du CSA dans leurs activités. Ceci n’est pas une surprise
mais on peut toutefois se demander si les propositions du CSA ne sont pas totalement opposées aux objectifs affichés. En effet, on constate qu’un modèle peu ou pas régulé comme celui des acteurs d’Internet fonctionne et se développe, quels que soient ses défauts, alors qu’a contrario un modèle très régulé comme celui des SMAd à la française peine à s’imposer du fait en particulier des contraintes réglementaires auxquelles il est soumis. Fidèle aux traditions de l’administration française, le CSA songe alors, d’une part, à contrôler le secteur dynamique qui lui échappe pour lui imposer des obligations qui ne pourront que ralentir son développement (obligations dont le respect sera de surcroît difficile à contrôler), et, d’autre part, à créer de nouvelles règles destinées à alléger les contraintes pesant sur une activité en difficulté (règles qui restent toutefois extrêmement complexes).
Entraver le bien portant et soigner le symptôme du malade sans s’attaquer aux origines
de son mal est certes cohérent avec une tradition d’égalitarisme française, mais peut-être peu efficace dans le monde numérique mondialisé tel qu’il se développe.
Au demeurant, le problème majeur de la compétitivité des SMAd français réside essentiellement ailleurs, c’est à dire dans la distorsion de concurrence provoquée par
le principe communautaire du pays d’origine qui détermine le régime applicable.
Au bénéfice du CSA, il faut aussi noter que la substitution de la règle du pays d’établissement par le pays de destination à travers la notion « d’établissement du service », est une mesure évoquée à de multiples reprises par les autorités publiques françaises, dont fait partie le CSA – y compris récemment lors la consultation sur la révision de la directive européenne SMA. C’est ici le principal enjeu de survie pour les SMAd français. @

Le streaming s’apprête à dépasser le téléchargement

En fait. Le 3 février, les chiffres 2013 du marché français de la musique en ligne
– que le Snep a publiés au Midem – ont révélé un ralentissement de la croissance du streaming payant ou gratuit (+ 3,9 %) à 54 millions d’euros, et, pour la première fois une baisse du téléchargement (- 1,1 %) à 62,7 millions.

En clair. Selon nos estimations, le streaming devrait dépasser fin 2014 le téléchargement dans les modes de consommation de la musique en ligne en France (1). C’est un tournant majeur dans l’industrie musicale, confrontée au numérique depuis une douzaine d’année. Lorsque le téléchargement enregistrait encore en 2012 une croissance à deux chiffres, soit + 11,8 % sur un an à 63,4 millions d’euros de chiffre d’affaires, il pesait un peu plus
de la moitié des 125 millions d’euros du marché numérique de la musique enregistrée.
L’an dernier, cette fois, le « fléchissement du download » constaté par le président du Snep (lire ci-dessus) se traduit pour la première fois par un recul de ce mode de consommation, soit – 1,1 % sur un an à 62,7 millions d’euros. Résultat : le téléchargement pèse désormais un peu moins de la moitié des 125,8 millions d’euros des ventes numériques (voir tableau p. 10).

Face au téléchargement en déclin, le streaming pourrait donc devenir d’ici la fin de cette année le premier mode de consommation de la musique en ligne en France. L’Hexagone était déjà le deuxième pays dans le monde où la proportion du streaming est aussi importante, derrière la Suède où ce mode de consommation est le principal avec 90 %
des ventes de musiques numériques (2). Qu’il soit sur abonnement (comme Deezer en bundle avec Orange) ou gratuit (comme YouTube financé par la publicité), le streaming musical s’impose progressivement aux internautes et mobinautes. D’une part, le streaming payant (ou sur abonnement) a généré l’an dernier 35,8 millions d’euros de chiffre d’affaires (+ 1,2 %), soit 66,2 % du total des revenus du streaming. D’autre part,
le streaming gratuit (financé par la publicité) a progressé plus vite à 18,2 millions d’euros (+ 9,6 %), soit 33,8 % du total du streaming.

A l’instar de la plupart des pays dans le monde, le streaming se pratique en grande partie par abonnement – lorsqu’il ne se fait pas totalement par abonnement comme au Japon. Pour les producteurs de musique, l’avenir se trouve dans le streaming par abonnement qui est le mieux à même de leur assurer des revenus suffisants. Ils apprécient plus la formule « freemium » de type « essai gratuit » de Spotify que celle de Deezer partie d’emblée sur la gratuité (lire p. 2) avec aujourd’hui la difficulté de revenir vers du payant malgré le bundle avec son partenaire et actionnaire Orange. @