Les propositions très françaises du CSA pour soutenir le développement des SMAd

Les SMAd de type VOD ou TVR sont soumis aux obligations applicables à la télévision. A contrario, de grandes plateformes du Net – exclues de cette catégorie – ne sont pas contraintes de respecter ces règles. Ce qui leur procure un avantage concurrentiel considérable. Le CSA propose d’y remédier.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Le rapport du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)
au gouvernement sur l’application du décret n°2010-1379
aux SMAd (1) a permis d’analyser de façon approfondie
la situation de ce marché et ainsi de mettre en évidence
le faible développement des SMAd en France (2). Le CSA pointe le manque d’attractivité de l’offre actuelle qui résulterait, entre autre, de la mise à disposition tardive de contenus et de leur prix élevé. Autre handicap souligné par
le CSA : le régime juridique des SMAd est bien plus contraignant que celui des acteurs de l’Internet.

Le statut des acteurs du Net
En effet, les plates-formes de partage – sous couvert de se limiter à la communication de contenus « privés », c’est-à-dire produits et mis en ligne par des individus et non
par des professionnels de l’édition – sont exemptées des obligations pesant sur les éditeurs. Or, la frontière est mince sinon inexistante car ces plates-formes éditent de
fait des contenus « professionnels » (par exemple, Daily Sport édité par Dailymotion
ou les chaînes originales diffusées par YouTube) et ont noué depuis longtemps des partenariats avec des éditeurs audiovisuels (3).
Le CSA propose donc d’intégrer dans le futur projet de loi « Création » en cours de préparation, les dispositions nécessaires à une réglementation plus neutre en faveur
des éditeurs de SMAd. Le régulateur de l’audiovisuel recommande ainsi de clarifier le statut des acteurs de l’Internet qui se trouvent en concurrence directe avec les SMAd, autrement dit de les faire en quelque sorte entrer dans son giron. Outre les grandes plates-formes, le CSA vise l’ensemble des acteurs d’Internet car, du fait de la convergence, les métiers auparavant distincts – ceux de l’édition et de la distribution – se confondent de plus en plus : des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) développent leurs propres offres de VOD, y compris par abonnement (SVOD), des téléviseurs connectables offrent des services résidents de vidéo ou de télévision de rattrapage (TVR), etc. Or, malgré l’effacement progressif des anciennes frontières, les entreprises sont soumises – au moins en théorie – à des régimes juridiques différents en fonction de services qu’ils fournissent pourtant simultanément. Ainsi, une plate-forme de partage de vidéo peut être qualifiée, d’une part, d’hébergeur de contenus mis en ligne par les utilisateurs privés, et, d’autre part, d’éditeur pour un service audiovisuel.
Et par conséquence, être soumise à des régimes distincts : respectivement, celui d’hébergeur relevant de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, et celui d’éditeur conformément à la loi du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté
de communication (4).

Le CSA propose donc d’élargir la catégorie de SMAd sur la base de la notion de distributeur audiovisuel. Sur ce point, le CSA rejoint la logique du rapport de la mission Lescure (5) qui a proposé d’appliquer à certains acteurs (FAI, fabricants et distributeurs de smartphones, magasins d’applications, sites de partage de vidéos) le régime de distributeur de services audiovisuels prévu par la loi française. Cette idée a d’ailleurs déjà fait l’objet d’une présentation à la Commission européenne lors de la réflexion sur le livre vert relatif à la convergence dans l’audiovisuel (6) (*) (**). A cette occasion, la France (7) a plaidé pour une concurrence équitable entre les différents acteurs ce qui nécessite l’extension du champ d’application de la directive SMA aux distributeurs de médias audiovisuels et la révision du principe du pays d’origine (voir zoom).

Déclaration et conventionnement
Actuellement, les éditeurs de SMAd ne sont soumis à aucune formalité préalable (8). Ce système a été initialement pensé pour supprimer les barrières à l’entrée, afin de favoriser le développement du marché. Cependant les obligations qui ont finalement
été imposées aux éditeurs de SMAd nécessitent un dispositif de contrôle efficace et justifient un recensement préalable. Une obligation de déclaration des SMAd faciliterait cette tâche. Toutefois, le Conseil n’entend pas introduire un régime d’autorisation préalable, tel qu’il est appliqué pour les services diffusés par voie hertzienne terrestre notamment.
Par ailleurs, le CSA propose une mesure de conventionnement volontaire de certains services en complément du régime déclaratif. Le conventionnement serait destiné aux acteurs souhaitant prendre des engagements plus forts, en termes de diversité, de financement de la création, de tarifs sociaux et contribution à l’offre non marchande, en contrepartie d’avantages : accès aux aides, chronologie de médias plus avantageuse, meilleur référencement dans les moteurs de recherche, possibilité de priorisation dans
la gestion des débits, … Sur ce point encore le CSA reprend les recommandations du rapport Lescure mais appelle à une réflexion approfondie qui va sûrement être abondante, notamment en ce qui concerne la neutralité du Net.

Assouplissement des obligations financières
Le Conseil propose également une série des mesures pour alléger les obligations opérationnelles et financières des SMAd, dans le but d’augmenter leur attractivité et leur compétitivité.
Chronologie des médias : le délai minimum – entre la sortie d’un film en salles et son exploitation en VOD – pourrait être diminuée en faveur des SMAd, de 4 mois actuellement à 3 mois. S’agissant des offres de SVOD, ce délai pourrait être raccourci
de 36 à 24 mois.
Obligations financières : le CSA propose d’élargir le périmètre des dépenses prises en compte dans le calcul des obligations de contribution au développement de la production. A l’heure actuelle, ne sont pas prises en compte dans le chiffre d’affaires annuel net d’un SMAd, qui constitue la base de ce calcul, la taxe sur la valeur ajoutée et la taxe sur les ventes et locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public. Or, l’essentiel des dépenses des SMAd portent sur des reversements aux ayants droits qui s’effectuent en fonction de la consommation effective des œuvres
par le public. Le CSA propose donc que les SMAd puissent déduire ces dépenses du chiffre d’affaires pris en compte pour déterminer leurs obligations contributives, ainsi que les coûts de numérisation des films, de mise en ligne et de lutte contre le piratage. En revanche, la contribution de l’éditeur au développement de la production d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques porterait globalement sur l’ensemble des SMAd qu’il édite ou qui sont édités par ses filiales ou sociétés sœurs au sein d’un même groupe, avec toutefois un rehaussement du financier de déclenchement de la contribution.

Règles de quota relatives aux œuvres d’expression originale française (EOF) ou européennes : elles pourraient être assouplies notamment dans la cadre de la commercialisation de services thématiques ou sur les pages d’accueil. Corrélativement, le CSA propose d’abandonner l’obligation de quotas EOF ou européennes « à tout moment » au profit d’une appréciation sur une base annuelle s’appliquant à la fois à la TVR et à la VOD. @

ZOOM

La vraie bataille ?
Les propositions du CSA ont été accueillies plutôt favorablement par les éditeurs de SMAd mais elles sont vues d’un très mauvais œil par tous acteurs d’Internet qui ne veulent pas de l’immixtion du CSA dans leurs activités. Ceci n’est pas une surprise
mais on peut toutefois se demander si les propositions du CSA ne sont pas totalement opposées aux objectifs affichés. En effet, on constate qu’un modèle peu ou pas régulé comme celui des acteurs d’Internet fonctionne et se développe, quels que soient ses défauts, alors qu’a contrario un modèle très régulé comme celui des SMAd à la française peine à s’imposer du fait en particulier des contraintes réglementaires auxquelles il est soumis. Fidèle aux traditions de l’administration française, le CSA songe alors, d’une part, à contrôler le secteur dynamique qui lui échappe pour lui imposer des obligations qui ne pourront que ralentir son développement (obligations dont le respect sera de surcroît difficile à contrôler), et, d’autre part, à créer de nouvelles règles destinées à alléger les contraintes pesant sur une activité en difficulté (règles qui restent toutefois extrêmement complexes).
Entraver le bien portant et soigner le symptôme du malade sans s’attaquer aux origines
de son mal est certes cohérent avec une tradition d’égalitarisme française, mais peut-être peu efficace dans le monde numérique mondialisé tel qu’il se développe.
Au demeurant, le problème majeur de la compétitivité des SMAd français réside essentiellement ailleurs, c’est à dire dans la distorsion de concurrence provoquée par
le principe communautaire du pays d’origine qui détermine le régime applicable.
Au bénéfice du CSA, il faut aussi noter que la substitution de la règle du pays d’établissement par le pays de destination à travers la notion « d’établissement du service », est une mesure évoquée à de multiples reprises par les autorités publiques françaises, dont fait partie le CSA – y compris récemment lors la consultation sur la révision de la directive européenne SMA. C’est ici le principal enjeu de survie pour les SMAd français. @