La radio est à la musique ce que la salle est au cinéma

En fait. Le 23 mai, le Snep – qui représente notamment les majors de la musique – a publié les chiffres du marché de la musique enregistrée au premier trimestre 2012 : numérique + 24 % à 32,6 millions d’euros, physique – 13 % à 83,1 millions. Un satisfecit décerné à l’Hadopi. Un blâme adressé aux radios.

En clair. Si les radios restent encore les privilégiées en tant que « première fenêtre » de diffusion des nouveautés musicales produites par la filière, elles ne satisfont pas du tout les producteurs de musique. En dressant l’état du marché français de la musique enregistrée pour le premier trimestre, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) en a profité pour reprocher aux radios de ne pas suffisamment diffuser de nouveautés francophones. « La situation est alarmiste et nous allons interpeller les pouvoirs publics sur le fait que 7 % des titres envoyés aux radios représentent les trois-quarts de leurs diffusions. Il y a matraquage au détriment de la diversité musicale », déplore David El Sayegh, directeur général du Snep. Pour le syndicat des majors du disque (1), le CSA (2) n’y remédie pas. « Cette absence de diversité nous tue autant que la piraterie. (…) Il faut une modification législative », lance-t-il (3). Quant au président du Snep, Denis Ladegaillerie, par ailleurs directeur général du label Believe Digital, il rappelle que « la radio est le premier média de prescription pour la musique » et que « si un titre est diffusé à la radio, ses ventes augmentent aussi sur Internet ». Est-ce à dire que les producteurs de musique continuent à trop privilégier la radio pour la diffusion de leurs nouveautés au détriment d’autres médias comme le Web ? Autrement dit : la radio est-elle à la musique ce que la salle est au cinéma ? « S’il y a chronologie des médias dans la musique, la durée de diffusion d’un titre à la radio est de plus en plus courte : un mois environ, pas plus », répond David El Sayegh à Edition Multimédi@. Alors que pour les films, la première de diffusion est de quatre mois pour les salles de cinéma. « J’aimerais bien que YouTube lance des titres nouveaux comme le font les radios, mais YouTube veut rester un hébergeur et non pas devenir éditeur [avec les responsabilité plus lourde que cela comporte vis-à-vis du piratage, ndlr] », regrette pour sa part Denis Ladegaillerie. Sur le Net, il n’y a d’ailleurs pas de quotas de diffusion (lire EM@56, p. 3). Le Snep espère en tout cas que la radio numérique terrestre (RNT), pour laquelle il se dit favorable, « ouvrira la voie à la diversité ». Or les grandes radios (4) n’en veulent pas. Décidément, le torchon brûle entre les majors et les grandes stations… @

Timeline

10 mai
• Le CSA annonce le calendrier des prochains appels à candidatures de la RNT, échelonnés de juin 2012 à avril 2013, pour 20 nouvelles zones.
• Le CSA a retiré les fréquences attribuées en 2008 aux 16 chaînes de la télévision mobile personnelle (TMP), selon « Latribune.fr ».
• L’Idate publie la 12e édition du « DigiWorld Yearbook » (lire p. 3).
• YouTube (Google) va lancer un appel à projets auprès des producteurs pour la création de « chaînes originales » premium (600.000 euros par projets), selon
« Challenges ».
• Dailymotion voit sa condamnation doublée (à 60.000 euros) en appel pour ne pas avoir retiré promptement un film (producteurs « La Chauve-Souris » et « 120 Films »).
• Dish Networks active aux Etats-Unis, pour 10 dollars par mois, la fonction « Hopper » qui permet sur son magnétoscope numérique de supprimer les pages de publicité.
• Le décret « numérisation des œuvres de patrimoine » paraît au J.O..
• SFR s’associe à Bull dans le « cloud computing », contre Orange associé à Thalès.
• LeGuide.com rejette l’offre de rachat de Lagardère.

9 mai
• Facebook lance auprès des développeurs sa boutique d’applications web et mobile,
« App Center ».
• L’Alpa et TMG ont développé un outil de repérage de streaming illégal et de gestion
« notice & stay down » pour enjoindre les FAI et les moteurs de bloquer ou déréférencer. Le TGI de Paris doit dire si ce logiciel « Alpa-TMG » est secret, selon
« PC INpact ».
• NRJ, RTL, Europe 1 et RMC déclarent « obsolète » la RNT, lire interview de Jean-Paul Baudecroux dans EM@55.
• TF1 et YouTube se retrouve devant le TGI de Paris, la chaîne réclamant 141 millions d’euros de dommages et intérêts.
• Iggy Pop met en vente sur Internet son dernier album « Après », expliquant avoir été « humilié par les maisons de disques ».
• Samsung achète mSpot, spécialisé dans le streaming pour mobile.
• Yahoo gagne son procès contre NextRadioTV (BFM, RMC, O1net, …) pour rupture abusive de contrat publicitaire, selon « Lexpress.fr ».
• Ongo, le kiosque numérique de journaux financé par le « New York Times », le «Washington Post » et « USA Today », ferme.
• Omea Telecom (Virgin Mobile, Tele2, Breizh Mobile, Casino Mobile) repart vers les 2 millions d’abonnés malgré l’arrivée de Free Mobile.
• Mondadori France signe avec Lekiosque.fr pour 37 titres.

8 mai
• Electronic Arts publie ses résultats annuels 2011/2012 (au 31 mars) : 4,1 milliards de dollars de chiffre d’affaires (+ 15,4 %) pour 76 millions de dollars de bénéfice net.

7 mai
• Lagardère annonce le lancement d’une offre publique d’achat de 84 millions d’euros sur LeGuide.com.

4 mai
• Neelie Kroes lors de la conférence Republica : « Ne vous préoccupez plus d’ACTA [accord anti-contrefaçon très controversé, ndlr] ».
• Yahoo et Microsoft transposent en Europe leur partenariat « Alliance Search » dans la publicité en ligne.
• France Télécom et l’Association Beaumarchais (SACD) récompensent sept projets transmédias dans le cadre de la 3e édition de la bourse Orange/Formats innovants.
• La Free Software Foundation organise la « Journée internationale contre les DRM » (Digital Rights Management), considérés comme des «menottes numériques ».

3 mai
• Google Books demande aux Etats-Unis l’abandon des poursuites de la The Authors Guild.
• LinkedIn achète SlideShare, service de conférence en ligne, pour 119 millions de dollars.
• France Télécom annonce être partenaire officiel du 65e Festival de Cannes, Orange soutenant cinq films via sa filiale Studio 37.
France Télécom donne le coup d’envoi jusqu’au 21 mai du vote des internautes pour la 4e édition du Prix Orange du Livre 2012.
• France Télécom lance TweetVox, « premier service de microblogging qui allie la voix et la géolocalisation » (Orange Vallée).

2 mai
• Laure de La Raudière (députée UMP) remet à Eric Besson son rapport définitif sur la neutralité du Net : légiférer sera nécessaires.
• France Télévisions lance son service de VOD, PluzzVàD.
• Arianna Huffington souhaiterait racheter le « Huffington Post » qu’elle avait vendu en 2011 à AOL, lequel en veut 1 milliard de dollars, selon « Business Insider ».
• Google Play atteint les 500.000 applications (contre 600.000 d’Apple).

1er mai
• Le SNRL (Syndicat national des radios libres) « félicite le CSA pour sa position courageuse et historique » en faveur de la RNT.
• L’Audit Bureau of Circulation (ABC), l’OJD américain, montre une croissance
(+ 8,6 % sur un an) des éditions numériques des quotidiens, représentant 14,2 % de leur diffusion totale.

26 avril
• Le CSA relance jusqu’au 31 mai l’appel à candidatures de la RNT pour Paris, Marseille et Nice : décision au J.O..
• Le Bureau de la Radio (RTL, Europe 1, NRJ, BFM/RMC) dénonce « le passage en force » du CSA dans la RNT.

23 avril
• Le Sirti « salue » la décision du CSA de relancer la RNT.

20 avril
• Onde numérique et La radio numérique (TDF/Mediamobile) sont les deux candidats déclarés recevables par le CSA pour l’appel à candidatures RNT en bande L.

Le Net Art n’a pas de prix

Cela fait bien longtemps que l’art est sorti du cadre de la toile (pas du Web, celle du peintre !) pour partir à l’assaut de tous les supports, expérimenter toutes les formes plastiques et transgresser les frontières de toutes les disciplines. Le fabuleux XXe siècle a, de ce point de vue, opéré toutes les ruptures. Jusqu’à flirter avec la tentation de la fin de l’art avec, par exemple, la salle vide d’un Yves Klein en 1958, reprise en 2009 dans une exposition un rien provocante au Centre Pompidou, intitulée « Vides, une rétrospective » : neuf salles vides d’artistes différents…
Internet est devenu, pour les artistes, un nouvel outil au potentiel encore à découvrir. L’art y est présent non seulement à travers des créations d’œuvres originales, réalisées pour ce média, mais également via des catalogues ou galeries en ligne. A l’instar des initiatives « Google Art Project », visant à organiser nos visites virtuelles de tous les musées du monde, ou « Web Net Museum », site original dédié à exposer la nouvelle culture numérique. Mais le Net est également devenu, selon les cas, un puissant allié ou un perturbateur du commerce de l’art.

« Au-delà des artistes, c’est bien tout le marché international de l’art qui est bouleversé par les
forces de ‘’désintermédiation’’ du Net »

Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’art en ligne est né bien avant Internet. C’est
ainsi que Roy Ascott, pionnier de l’art télématique, créa sur réseau IP Sharp, une oeuvre éphémère, « La plissure du texte », au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1983. Le Minitel fut également un média que s’approprièrent les artistes comme Fred Forest, pionnier de l’art vidéo puis du Net.art avec son Zénaïde et Charlotte à l’assaut des médias en 1989. D’autres se saisirent d’Internet grand public dès ses tous premiers pas en 1994, avec notamment les œuvres « Waxweb », de David Blair, et « The File Room », de Muntadas, toujours en ligne et en développement.. Dès lors, le nombre et la diversité
des créations sur Internet n’ont cessé de croître de manière exponentielle pour donner naissance à divers types d’œuvres, comme autant de courants, chaque artiste développant sa propre technique, son propre style, sa propre création : statiques, consistant en une ou plusieurs pages HTML et non modifiables par l’internaute ; interactives reposant sur une interaction avec les utilisateurs ; génératives conçues
à partir d’algorithmes mathématiques et produisant des objets de façon automatique ; collaboratives fondées sur la participation, volontaire ou non, des internautes.
Ces œuvres, qui se créent au rythme des innovations techniques, mais surtout au gré de l’imagination des artistes et/ou de l’interaction des internautes, s’exposent également sur tous les écrans. En 2012, les piétons du centre-ville de Nantes pouvaient télécharger des œuvres d’art de jeunes créateurs sur leur smartphone (en scannant des « QR-codes » à chaque coin de rue )pour les partager ensuite sur les réseaux sociaux. De très nombreuses réalisations artistiques s’exposent désormais sur les écrans géants de nos villes, comme cette exposition permanente d’art vidéo sur les écrans du métro de Londres.
Au-delà des artistes, c’est bien tout le marché international de l’art qui est bouleversé par les forces de « désintermédiation » qui sont la marque de la révolution du Net : Artprice permet à tout un chacun de connaître les quotes des artistes ; Artnet se présente comme une véritable place de marché (2.200 galeries dans le monde représentant plus de 39.000 artistes). Mais ne rêvons pas trop : le marché de l’art est encore – pour longtemps ? – cet univers fermé et administré par quelques grandes galeries, une poignée d’experts et de maisons de ventes aux enchères qui organisent un savant ballet autour de la « petite famille » des milliardaires collectionneurs de la planète. Le record de l’oeuvre la plus chère du monde, longtemps détenu par celle, unique, de David Choe, peinte sur un mur du siège de Facebook (lequel l’avait rémunéré en actions valorisées à plus de 200 millions de dollars), est aujourd’hui battu par un ensemble de pixels éparpillés sur la Toile : il s’agit d’une image complexe, créée à l’aide d’algorithmes combinés aux milliards d’actions des internautes sur les réseaux sociaux, qui a donné naissance à une oeuvre qui visualise sur nos écrans 3D les émotions de toute une planète ! Elle n’a pas de prix et personne n’est en mesure de se l’offrir… ou la posséder. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » :
L’économie numérique mondiale
* Directeur général adjoint du DigiWorld Institute by IDATE.

Remise en cause du modèle historique du peering : vers une recomposition du marché de l’Internet

Le litige opposant Cogent à France Télécom sur le refus d’interconnexion pourrait aboutir, à la remise en cause de l’intégralité du modèle économique
de la circulation des flux sur Internet, un marché jusqu’à aujourd’hui auto-régulé et basé sur le peering gratuit.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

L’affaire « Cogent contre France Télécom » pourrait avoir
des retombées sans précédent sur l’avenir du marché de
gros d’Internet. En effet, dans l’attente de sa décision finale, l’Autorité de la concurrence (1) semble, d’ores et déjà, légitimer la récente politique de peering de l’opérateur historique consistant à faire payer l’ouverture de nouvelles capacités en cas de déséquilibre maximum de 1 à 2,5 entre les flux sortants et entrants sur son réseau.

L’affaire pourrait faire boule de neige
Pour le monde d’Internet, organisé autour d’un modèle de peering gratuit et dans un cadre souvent informel, c’est une véritable révolution.
La perspective de voir bouleverser le paradigme de la gratuité et, par ricochet, d’ouvrir
la voie à une régulation économique des flux sur Internet, réjouit les uns et désespère
les autres. Pour mémoire, le différend opposant Cogent à Orange prend son origine dans une affaire antérieure, survenue au début de l’année 2011. Dans ce dossier, Megaupload – un des principaux clients de Cogent – reprochait à France Télécom de brider intentionnellement le débit des utilisateurs pour l’accès aux contenus du site de téléchargement. Megauplead avait alors choisi d’afficher sur sa page d’accueil un pop up informant l’internaute des restrictions d’accès pratiquées par son fournisseur d’accès à Internet (FAI). Et ce, en visant expressément Orange : « La plupart des utilisateurs
qui ont ce problème ont accès à Internet via France Télécom, souvent sous la marque Orange ». En guise de réponse, Orange se retournait vers Cogent en incriminant la mauvaise qualité des infrastructures de ce dernier et menaçait de poser une plainte pour dénigrement. Piqué au vif, Cogent décidait alors de saisir l’Autorité de la concurrence sans se laisser intimider. C’est ainsi que l’opérateur de transit Cogent demandait au gendarme de la concurrence de considérer comme un refus d’interconnexion le fait qu’Orange ne veuille pas prendre en compte, sur la base des accords de peering initiaux, l’ouverture de nouvelles capacités d’interconnexion. Mal lui en prit car, dans son communiqué du 3 avril dernier, l’Autorité de la concurrence a non seulement écarté le motif de refus d’interconnexion mais elle a ouvert la voie à un modèle payant du peering, précisant ainsi que : « France Télécom n’a pas refusé l’accès de Cogent à ses abonnés mais a seulement demandé à être payé, conformément à sa politique de peering, pour l’ouverture de nouvelles capacités ».
Dès lors, la solution qui sera apportée à ce litige particulier (voir encadré p. 9) pourrait avoir de lourdes conséquences pour l’ensemble des acteurs du monde d’Internet.
C’est ainsi qu’on peut se demander si au lieu du scabreux débat sur la neutralité d’Internet (2), le litige Cogent/France Télécom n’est pas plus à même d’apporter une réponse satisfaisante aux opérateurs de réseaux, lesquels cherchent à faire évoluer
le modèle économique existant. Il s’agit en effet pour eux de trouver des ressources propres à financer la mise à niveau de leurs réseaux, cette dernière étant nécessaire pour répondre aux développements des usages numériques et multimédias dévoreurs de bande passante.
A l’origine, Internet était dépourvu de toute logique commerciale ou d’objectif de QoS (Quality of Service). Le raccordement à ce réseau public universitaire était ouvert à tout acteur remplissant des missions de recherche et d’enseignement. Avec le développement de réseaux privés, les points d’échange ont vu le jour sur la base d’une obligation de peering avec les autres réseaux (3) afin se prévenir le cloisonnement des réseaux publics et privés, et notamment la discrimination de ces derniers.

Nouveau modèle économique du Net ?
Mais aujourd’hui, il est clair que l’évolution des pratiques et des applications numériques a profondément modifié le fonctionnement de l’Internet des débuts. L’asymétrie croissante entre les flux sortant et entrant – ceux générés par l’opérateur
de réseau et ceux qu’il accueille sur son réseau – fait que le peering n’est plus forcément un jeu à somme nulle. De ce fait, les opérateurs de réseau et les opérateurs de transit supportent les investissements importants dans le réseau pour suivre la courbe exponentielle des usages et des débits. En conséquence, ils reprochent aux
« prestataires de la société de l’information » (PSI), tels que Google/YouTube, Facebook, Dailymotion ou encore Akamai, appelés aussi OTT (Over-The-Top),
de ne pas participer aux investissements, alors qu’ils engrangent des profits importants grâce aux réseaux utilisés. A contrario, le peering « payant » permettrait de trouver des moyens de financer de façon équitable ces investissements.
Par ailleurs, la réciprocité de services sans aucun aspect financier contraste avec les pratiques d’interconnexion dans les télécommunications. Les opérateurs de téléphonie comptabilisent en effet les durées des appels entrants et sortants de leur réseau, et le réseau déficitaire (le réseau ayant plus d’appels entrants que sortants) reçoit une compensation. A l’instar de ce système, l’opérateur de transit pourrait être indemnisé
par son partenaire générant le plus de trafic.
Reste qu’il ne faut pas négliger les effets secondaires d’un peering payant. Tout d’abord, la taxation des flux de données « supplémentaires » provoquerait un désavantage compétitif du marché français. Si dans un contexte d’offres d’abondance (forfait illimités), l’usager final ne devrait pas être pénalisé par le nouveau modèle, les IXP (Internet Exchange Point) français seraient grands perdants de l’affaire en prenant le risque de voir fuir leurs clients à l’étranger.

Risque pour la compétitivité française
Or, les infrastructures d’Internet, en particulier les nœuds d’interconnexion entre les réseaux, constituent un enjeu de compétitivité non négligeable. Cela est particulièrement vrai dans la perspective de l’arrivée à Marseille de nouveaux câbles sous-marins reliant l’Afrique et le Moyen- Orient. La France pourrait ainsi aspirer au rôle de carrefour numérique de l’Europe vers ces destinations, à l’instar de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas qui assurent les liaisons transatlantiques et de l’Allemagne qui dessert l’Europe centrale et la Russie. Par ailleurs, les tarifs de compensation seraient très probablement encadrés et soumis à la surveillance de l’Arcep et/ou de l’Autorité de la concurrence. Un marché jusqu’à présent autorégulé se verrait donc imposer des obligations réglementaires spécifiques susceptibles, diront certains, de brider l’innovation et d’augmenter les coûts de transaction. @

FOCUS

Transparence : les engagements de France Télécom
Bien que le grief de refus d’interconnexion ait été écarté, l’Autorité de la concurrence
a identifié d’autres pratiques anticoncurrentielles de l’opérateur historique. En effet, Orange fournit à divers prestataires de la société de l’information (PSI) – tels que Google/YouTube, Facebook, Dailymotion, Akamai, etc, générant un trafic très important – une prestation d’accès aux abonnés d’Orange. Et ce, via ses offres « Open transit » à
un prix qui apparaît sensiblement inférieur aux pratiques du marché. France Télécom est ainsi en concurrence direct avec des opérateurs de transit comme Cogent. Or, le faible niveau du tarif de ses offres est susceptible de générer un effet de ciseaux tarifaire dans les hypothèses où un opérateur de transit tiers souhaiterait « répondre à la demande du site (i.e. un PSI) d’accéder aux abonnés d’Orange ». Par ailleurs, « le prix plus attractif facturé au site client par France Télécom est susceptible de favoriser indûment ce site dans son activité par rapport à ses concurrents ». Autrement dit, c’est le grief de position dominante de l’opérateur historique sur le marché des offres d’accès direct ou indirect aux abonnés français du FAI Orange qui est ici soulevé par le gendarme de la concurrence (4). A titre de pare-feu, Orange a donc proposé des engagements pour rendre les relations internes avec « Open transit » plus transparentes. Il propose de formaliser un protocole interne entre Orange et « Open transit » encadrant les conditions techniques, opérationnelles et financières de la fourniture de service de connectivité. Par ailleurs, il mettrait en place un suivi de ce protocole. L’affaire n’est pourtant pas tranchée. L’Autorité de la concurrence s’était donnée jusqu’au 3 mai pour apprécier les engagements de France Télécom. @

Fair use et numérique : la Commission européenne prépare les esprits à plus de tolérance

La commissaire européenne en charge du numérique, Neelie Kroes, s’est
exprimée – le 2 mai sur son blog – en faveur de la consultation de la Hadopi sur
les « exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins ». En toile de fond : l’idée
– encore taboue – d’un fair use en Europe.

« Une évolution vers une approche ouverte des exceptions (fair use), sur le modèle
des Etats-Unis, vous semble-t-elle souhaitable, ou pensez-vous que le maintien de l’approche française et communautaire (liste limitative d’exceptions) demeure préférable ? Pourquoi ? ».

Exception au droit d’auteur en question
Telle est l’une des questions fondamentales que pose la Hadopi dans sa consultation publique pilotée par Jacques Toubon sur les « exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins », lancée le 29 février dernier et prolongée jusqu’au 15 juillet (au lieu du 15 mai).
Le fair use : quésaco ? La Hadopi rappelle que ce principe « permet de faire échapper à l’autorisation des titulaires de droits certaines utilisations non définies par la loi ». En clair, ce droit de reproduire ou de copier une oeuvre sans avoir besoin d’obtenir l’autorisation des ayants droits est déjà appliqué aux Etats-Unis, au Canada et dans la plupart des
pays du Commonwealth, lesquels prévoient des limitations et des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son oeuvre (droit d’auteur ou copyright) – mais sans lister ces limitations dans la loi. Car à la différence de la notion plus restrictive de la copie privée adoptée en Europe, où le droit fixe seulement les limites au-delà desquelles le droit d’auteur doit être respecté, le fair use se veut plus souple, plus ouvert et plus tolérant – laissant les tribunaux juger le cas échéant ce qui est relève effectivement d’un « usage loyal », raisonnable ou acceptable. Avec Internet, les réseaux sociaux, le streaming (1),
le peer-to-peer et plus encore le cloud computing, le fair use semblerait plus adapté –
car plus flexible – aux évolutions des usages du numérique que les listes d’exceptions rapidement dépassées et une notion de copie privée à géométrie variable. Aux Etats-Unis, la copie d’une musique ou d’un film pour un usage personnel est couverte par ce que l’on appelle le droit au format shifting – comprenez conversion du fichier en différents formats pour différents usages dans différents environnement personnels – toléré sur la base du principe du fair use.
Mais cette tolérance n’est pas prévue dans le droit communautaire. Ainsi, en Europe, le régime des exceptions – y compris l’exception pour copie privée – prime et ne permet
pas de légaliser un transfert de fichiers, notamment dans le nuage informatique s’il dépasse l’usage privé ou le cercle familial. « Ne ratez pas cette opportunité ! », a lancé sur son blog la commissaire européenne, Neelie Kroes, pour inciter à répondre à la consultation « importante » de l’Hadopi pour « donner son avis sur quelles exceptions seraient légitimes, pour le régime français du droit d’auteur, au vu de l’actuelle révolution digitale ». Et d’ajouter : « Combattre le piratage ne se fait pas uniquement par des mesures coercitives. (…) Je ne suis pas fan des mesures qui punissent les individus
ou familles en coupant l’accès à Internet ». La Commission européenne s’est justement engagée dans un réexamen de la directive de 2001 sur « l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (2). Le cabinet de Neelie Kroes a précisé à Edition Multimédi@ que cela « incluait une analyse
de la portée qui a été donnée aux différentes exceptions mentionnées par ce texte et de
la capacité de ces dispositions à faire face aux enjeux et à relever les défis de l’ère numérique ». Très écouté par la Commission européenne, le professeur Bernt Hugenholtz – directeur de l’Institut du droit de l’information (IViR) à l’Université d’Amsterdam, ainsi que conseiller de l’OMPI, de la Commission européenne et du Parlement européen (3) – a d’ailleurs publié en novembre 2011 une étude explicite intitulée « Fair use en Europe.
A la recherche de flexibilités ».
Aux Etats-Unis, le principe du fair use – codifié dans la Copyright Law – évolue continuellement à la lumière de la jurisprudence américaine et au rythme de l’appropriation de nouvelles technologies numériques par les utilisateurs. D’aucuns en Europe voit dans le fair use – longtemps sujet tabou chez les ayants droits européens – une insécurité juridique. D’où une volonté sur le Vieux Continent de fixer des limites, ce qui prévaut jusqu’à maintenant. En France, par exemple, le Code de la propriété intellectuelle ,
dresse une liste à la Prévert des exceptions : « L’auteur ne peut interdire : (…) les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ; (…) les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé (…) ; les analyses et courtes citations (…) ; les revues de presse ; [etc.,etc., ndlr] » (4).

La Hadopi empiète-t-elle sur le CSPLA ?
La Hadopi réussira-t-elle à lancer le débat en France sur le fair use qu’est censé traiter
le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) ? @

Charles de Laubier