Fair use et numérique : la Commission européenne prépare les esprits à plus de tolérance

La commissaire européenne en charge du numérique, Neelie Kroes, s’est
exprimée – le 2 mai sur son blog – en faveur de la consultation de la Hadopi sur
les « exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins ». En toile de fond : l’idée
– encore taboue – d’un fair use en Europe.

« Une évolution vers une approche ouverte des exceptions (fair use), sur le modèle
des Etats-Unis, vous semble-t-elle souhaitable, ou pensez-vous que le maintien de l’approche française et communautaire (liste limitative d’exceptions) demeure préférable ? Pourquoi ? ».

Exception au droit d’auteur en question
Telle est l’une des questions fondamentales que pose la Hadopi dans sa consultation publique pilotée par Jacques Toubon sur les « exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins », lancée le 29 février dernier et prolongée jusqu’au 15 juillet (au lieu du 15 mai).
Le fair use : quésaco ? La Hadopi rappelle que ce principe « permet de faire échapper à l’autorisation des titulaires de droits certaines utilisations non définies par la loi ». En clair, ce droit de reproduire ou de copier une oeuvre sans avoir besoin d’obtenir l’autorisation des ayants droits est déjà appliqué aux Etats-Unis, au Canada et dans la plupart des
pays du Commonwealth, lesquels prévoient des limitations et des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son oeuvre (droit d’auteur ou copyright) – mais sans lister ces limitations dans la loi. Car à la différence de la notion plus restrictive de la copie privée adoptée en Europe, où le droit fixe seulement les limites au-delà desquelles le droit d’auteur doit être respecté, le fair use se veut plus souple, plus ouvert et plus tolérant – laissant les tribunaux juger le cas échéant ce qui est relève effectivement d’un « usage loyal », raisonnable ou acceptable. Avec Internet, les réseaux sociaux, le streaming (1),
le peer-to-peer et plus encore le cloud computing, le fair use semblerait plus adapté –
car plus flexible – aux évolutions des usages du numérique que les listes d’exceptions rapidement dépassées et une notion de copie privée à géométrie variable. Aux Etats-Unis, la copie d’une musique ou d’un film pour un usage personnel est couverte par ce que l’on appelle le droit au format shifting – comprenez conversion du fichier en différents formats pour différents usages dans différents environnement personnels – toléré sur la base du principe du fair use.
Mais cette tolérance n’est pas prévue dans le droit communautaire. Ainsi, en Europe, le régime des exceptions – y compris l’exception pour copie privée – prime et ne permet
pas de légaliser un transfert de fichiers, notamment dans le nuage informatique s’il dépasse l’usage privé ou le cercle familial. « Ne ratez pas cette opportunité ! », a lancé sur son blog la commissaire européenne, Neelie Kroes, pour inciter à répondre à la consultation « importante » de l’Hadopi pour « donner son avis sur quelles exceptions seraient légitimes, pour le régime français du droit d’auteur, au vu de l’actuelle révolution digitale ». Et d’ajouter : « Combattre le piratage ne se fait pas uniquement par des mesures coercitives. (…) Je ne suis pas fan des mesures qui punissent les individus
ou familles en coupant l’accès à Internet ». La Commission européenne s’est justement engagée dans un réexamen de la directive de 2001 sur « l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (2). Le cabinet de Neelie Kroes a précisé à Edition Multimédi@ que cela « incluait une analyse
de la portée qui a été donnée aux différentes exceptions mentionnées par ce texte et de
la capacité de ces dispositions à faire face aux enjeux et à relever les défis de l’ère numérique ». Très écouté par la Commission européenne, le professeur Bernt Hugenholtz – directeur de l’Institut du droit de l’information (IViR) à l’Université d’Amsterdam, ainsi que conseiller de l’OMPI, de la Commission européenne et du Parlement européen (3) – a d’ailleurs publié en novembre 2011 une étude explicite intitulée « Fair use en Europe.
A la recherche de flexibilités ».
Aux Etats-Unis, le principe du fair use – codifié dans la Copyright Law – évolue continuellement à la lumière de la jurisprudence américaine et au rythme de l’appropriation de nouvelles technologies numériques par les utilisateurs. D’aucuns en Europe voit dans le fair use – longtemps sujet tabou chez les ayants droits européens – une insécurité juridique. D’où une volonté sur le Vieux Continent de fixer des limites, ce qui prévaut jusqu’à maintenant. En France, par exemple, le Code de la propriété intellectuelle ,
dresse une liste à la Prévert des exceptions : « L’auteur ne peut interdire : (…) les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ; (…) les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé (…) ; les analyses et courtes citations (…) ; les revues de presse ; [etc.,etc., ndlr] » (4).

La Hadopi empiète-t-elle sur le CSPLA ?
La Hadopi réussira-t-elle à lancer le débat en France sur le fair use qu’est censé traiter
le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) ? @

Charles de Laubier