Nonce Paolini, PDG du groupe TF1, va lancer des chaînes sur YouTube mais sous leur propre marque

Alors que TF1 fête ses 40 ans cette année, son PDG Nonce Paolini prend très au sérieux la concurrence que peut faire le Web à la télévision. Au point de se lancer enfin sur le marché des réseaux multi-chaînes (ou MCN) avec plusieurs projets sur YouTube, mais « pas sous la marque TF1 ».

Nonce PaoliniTF1 entre enfin dans la danse des MCN (Multi- Channel Networks), ces réseaux multichaînes diffusés sur les plateformes vidéo telles que YouTube ou Dailymotion, et capables de fédérer de larges audiences en ligne recherchées par les annonceurs publicitaires.
Après Canal+, M6 et même France Télévisions, la filiale du groupe Bouygues se lance à son tour dans la télévision sur Internet. « Puisque l’on sait faire de la télévision, on devrait être capable aussi de faire des MCN dont on parle beaucoup. TF1 y travaille, même si cela est encore un travail de laboratoire. Nous avons devant nous tout un espace de création absolument formidable », a dévoilé son PDG, Nonce Paolini, lors d’un dîner-débat sur « le bel avenir de la télévision », organisé au Sénat le 8 janvier dernier par le Club audiovisuel de Paris.

Des chaînes sur YouTube et un atelier d’écriture
« Aujourd’hui, nous travaillons sur un certains nombre de chaînes de ce type. Ce sont des projets, parfois très avancés », a-t-il poursuivi. TF1 a donc changé d’avis, n’éprouvant pas jusque-là la nécessité de diffuser des contenus sur les plateformes vidéo et estimant sa propre plateforme Wat.tv suffisante (1).
Contrairement à M6, Canal+ voire Fimalac qui ont procédé par acquisitions ou prises de participations, la démarche de TF1 dans les MCN se veut « moins institutionnelle » et plus orientée vers les capacités internes du groupe et des talents extérieurs. « Dans le cadre de la Fondation TF1, on a créé un atelier d’écriture pour de jeunes auteurs issus de la diversité. C’est aussi dans le domaine de l’expérimentation. On est très ouverts à des idées, avec en même une économie générale très tendue. (…) Il faut quand même dire qu’il n’y a pas d’économie sur YouTube, en tout cas pas celle conventionnelle que l’on connaît. Les coûts sont très bas. Mais cela n’empêche pas la qualité. Un certain nombre de stars du Web l’ont fait avec des moyens de fortune. C’est un champ d’exploration assez fort », a expliqué Nonce Paolini.
L’atelier d’écriture de la Fondation d’entreprise TF1, laquelle fut constituée en 2007 pour oeuvrer en faveur de la diversité et l’insertion professionnelle des jeunes « des quartiers sensibles » (2), est placé sous la houlette de Samira Djouadi (coordinatrice) et de Nathalie Laurent (directrice artistique de la fiction française chez TF1), en partenariat avec notamment Alain Pancrazi (PM production).

Hache de guerre enterrée avec YouTube
L’intérêt pour une chaîne de télévision de lancer son propre réseau multi-chaîne et de pouvoir ainsi monétiser des chaînes sur Internet avec la publicité vidéo en plein boom. Les annonceurs en quête d’audiences en ligne sont au rendez-vous. Il s’agit aussi de se situer entre les vidéos amateurs que l’on trouve sur YouTube ou Dailymotion et les programmes professionnels diffusés à l’antenne. « Nous ne nous lancerons certainement pas sur le MCN sous la marque TF1 qui reste une marque avec des programmes premium et qui s’adresse au plus grand nombre en faisant ce que j’appelle le “populaire chic”. Ce seront des chaînes avec leur propre personnalité, qui toucheront leur propre public, avec leur propre identité. Mais pas sous la marque TF1 », a-t-il tenu à préciser.
Ironie de l’histoire : le réseau des réseaux a quarante ans, la première chaîne française aussi (3)… TF1 voyait jusqu’à maintenant Internet comme un repère de pirates, ferraillant notamment en justice contre YouTube et Dailymotion – les accusant de contrefaçon. « N’oublions pas que YouTube et Dailymotion ont fondé leur modèle économique au départ sur le piratage. En fin d’année dernière, nous avons mis un terme aux procédures (judiciaires) qui se sont engagées en 2008 contre eux. Nous avons gagné : nous avons passé une transaction avec Google [maison mère de YouTube, ndlr] qui ne voulait pas un jugement défavorable et nous avons fait condamner Dailymotion [à payer 1,38 million d’euros à TFI pour piratage, ndlr] »,
s’est félicité celui qui fut nommé DG du groupe TF1 en mai 2007, puis PDG en août 2008. Le 14 novembre 2014, le groupe TF1 annonçait en effet que lui et YouTube
non seulement mettaient « fin au contentieux judiciaire qui les oppose depuis plusieurs années » mais aussi annonçaient « un partenariat relatif à la création par TF1 de chaînes et contenus originaux sur la plateforme ». Et le recours à la technologie Content ID de YouTube permettra à TF1 de protéger ses contenus vidéo contre le piratage. Selon nos informations, et contrairement à ce que laisse en entendre Nonce Paolini, c’est le groupe TF1 qui devait perdre son procès contre YouTube – à qui il réclamait 150 millions d’euros de dommages et intérêts.
Si la procédure en appel – initiée par TF1 – était allée jusqu’à son terme, il y a de grande chance que l’arrêt aurait confirmé le jugement prononcé le 29 mai 2012 par
le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, lequel a confirmé le statut d’hébergeur de la plateforme de partage vidéo de Google (4). La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (loi dite LCEN) prévoit en effet – depuis plus de dix ans maintenant – une responsabilité limitée des hébergeurs techniques, lesquels ne sont tenus responsables de piratage en ligne que si les contenus contrefaits leurs sont signalés par notification. Dans ce cas, ils sont obligés les retirer promptement. Or, le juge du TGI avait constaté que YouTube avait « systématiquement et avec diligence traité les notifications » qui lui ont été adressées par TF1. De plus, dès le 25 avril 2008, le géant du Web avait tendu la main à la chaîne du groupe Bouygues en lui proposant de recourir à sa technologie de reconnaissance de contenus, Content ID, afin d’empêcher la mise en ligne de copies non autorisées. Mais c’est seulement le
16 décembre 2011, soit plus de trois ans et demi après, que TF1 avait souscrit à Content ID de YouTube. C’est pour ne pas avoir suffisamment « promptement » retiré des contenus de la chaîne (des extraits d’un spectacle de Gad Elmaleh par exemple) que la plateforme Dailymotion a, elle, été condamnée par un arrêt de la Cour d’appel
de Paris du 2 décembre 2014 à payer 1,38 million d’euros à TFI pour piratage.

TF1 pour les vieux, le Web pour les jeunes !
Maintenant que TF1 a enterré la hache de guerre avec YouTube, l’année 2015 sera celle de sa conquête du Web et de la reconquête de jeunes téléspectateurs qui se détournent de plus en plus de la télévision linéaire. Mais Nonce Paolini, en observant ses trois filles (voir Zoom), s’inscrit en faux contre cette fatalité : « On nous explique que les jeunes ne regardent plus la télévision. C’est évidemment faux ! Les
15-24 ans la regardent. Mais depuis 2008, c’est une télévision qui petit à petit se consomme non seulement sur le grand écran avec des programmes linéaires mais aussi de façon délinéarisée ».
S’il admet que des jeunes ne regardent plus le petit écran et se rendent sur Internet,
il ne perçoit pas cela comme une concurrence à TF1 : « Bien sûr que les jeunes vont sur YouTube. Mais ils n’y vont pas pour regarder le premium de TF1, qu’ils peuvent cependant visionner soit en piratant en streaming, soit en regardant en direct, soit en délinéarisé… Sur YouTube, la consommation n’est pas celle de programmes de chaînes premium. C’est une consommation qui est de courte durée par rapport à
des programmes comme les nôtres. C’est un mode de consommation qui est aussi complémentaires ». TF1 entend continuer à séduire la jeune génération, laquelle est majoritaire sur des émissions telles The Voice, Danse avec les Stars ou encore Kolanta. Quant à Wat.tv, plateforme vidéo du groupe TF1, elle continuera d’exister
mais avec les contenus premium des chaînes. Selon Médiamétrie, la mesure d’audience de la vidéo sur Internet en France sur le mois de novembre 2014 (derniers relevé disponible en date), Google/YouTube est toujours largement en tête avec plus
de 29,2 millions de visiteurs uniques dans le mois pour 1,2 milliard de vidéos vues. TF1/Wat arrive en cinquième position (derrière Dailymotion, Facebook et Digiteka) avec plus de 9,2 millions de visiteurs uniques dans le mois pour 54,3 millions de vidéos vues. Où l’on constate que YouTube constitue une source d’audiences nouvelles pour TF1.

L’échec de M6 (Rising Star) : leçon pour TF1
Mais Nonce Paolini veut rester prudent avec le Web : « Lorsque l’on veut faire des réseaux sociaux l’objet principal d’une émission, c’est un désastre… Rising Star
[sur M6] n’était pas une émission mais des votes par réseaux sociaux et promesse
de “trombine” à la télé ! Cela n’a pas marché. C’était une expérience. Rising Star fut
un échec. Il y a bien eu beaucoup de votes sur le Web, mais ce n’est pas cela une émission. Donc le défi qui nous est lancé est celui de notre propre créativité, notre propre capacité à faire des événements, à imaginer des séries et des soirées ». TF1
est restée en 2014 la chaîne de télévision la plus regardée de France, réalisant 95
des 100 meilleurs résultats d’audiences et une part d’audience qui se maintient tant bien que mal sur l’année : 22,9, contre 14,1 pour France 2, 10,1 pour M6 et 9,4 pour France 3. @

Charles de Laubier

ZOOM

Le PDG de TF1 voit dans ses filles le futur de la télé !
« J’ai une fille de 35 ans (Marion), une de 24 ans (Raphaëlle) et une de 20 ans
(Emma) », a confié Nonce Paolini, PDG du groupe TF1 devant le Club audiovisuel
de Paris, le 8 janvier dernier.
« On voit bien qu’il y a des situations différentes. Et s’il y a un effet générationnel on regarde cela de très près : Marion, qui a été une folle de technologies, regarde maintenant la “téloche” avec son gamin… Raphaëlle, qui est une passionnée, regarde des [séries] avant moi … et je ne veux pas savoir comment elle fait : si la gendarmerie arrive, elle aura à répondre de ses actes ! [rires des convives]. Emma, c’est d’abord les réseaux sociaux et les relations avec sa communauté, avec sa fac, et dans sa coloc[ation] je ne lui ai pas mis de télévision (la durée d’écoute s’est, là, effondrée d’un coup !) ». Si cette génération-là est née avec le Web et consomme des contenus sous toutes ses formes et sur tous les supports, il est comme soulagé de voir le mode de consommation de sa fille aînée Marion changer : « Le grand avantage des jeunes,
c’est qu’ils vieillissent ! C’est vrai que lorsque l’on vieillit, on consomme plus de télévision linéaire. (…) C’est à nous de relever le défi et d’être capable d’être présent sur tous ces supports, quelques fois dans un scepticisme des producteurs vis-à-vis des programmes à imaginer spécifiquement pour le Web ». La télé doit se réinventer… @

FOCUS

La course aux réseaux multi-chaînes sur le Net bat son plein
RTL Group, la maison mère de M6, investit dans des MCN à travers des participations significatives ou des prises de contrôles telles que dans la société canadienne BroadbandTV, l’un des plus importants MCN sur YouTube, à hauteur de 51 % du
capital acquis en juin 2013, ou dans la société américaine StyleHaul, avec 22,3 %
en avril 2013, augmentée à près de 100 % en novembre 2014. Quant au groupe M6, fort de ses succès avec Golden Moustache (aussi connu sur le Web que Norman ou Cyprien), Rose Carpet et Minute Facile, il a lancé en novembre dernier une nouvelle chaîne YouTube avec Cover Garden. De son côté, Canal+ détient non seulement une participation minoritaire (5 %) dans Maker Studios – le géant américain des MCN, détenu par Disney – mais aussi a racheté en mars 2014 la start-up française Studio Bagel qui diffuse plus d’une vingtaine de chaînes sur YouTube. La chaîne cryptée
du groupe Vivendi avait auparavant lancé, en 2013, un réseau multi-chaîne baptisé CanalFactory avec une vingtaine de chaînes vidéo également.
Le groupe France Télévisions s’est lui aussi lancé dès janvier 2013 dans le MCN et compte aujourd’hui plus de 25 chaînes sur YouTube. Quant au groupe Webedia, détenu par Fimalac (la holding de Marc Ladreit de Lacharrière), il s’est offert en février 2014 un autre français du MCN : Melberries, diffusant ses chaînes sur YouTube, Dailymotion ou encore Wat.tv et Orange, propriétaire de Dailymotion. @

La TV connectée, qui n’en finit pas d’émerger en Europe, a-t-elle vraiment un avenir ?

Selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA), l’offre de Smart TV laisse à désirer. Non seulement les consommateurs des Vingt-huit ne mettent pas la connexion à Internet en tête de leurs critères de choix lors de l’achat, mais en plus ils préfèrent utiliser les autres terminaux pour cela.

Susanne Nikoltchev

Susanne Nikoltchev, directrice de l’OEA.

« Les Smart TV sont-elles réellement smart ? C’est une question qui reste jusqu’à maintenant sans réponse, dans la mesure où les consommateurs ne recherchent pas en premier lieu la connectivité Internet, lorsqu’il décident d’acheter un nouveau téléviseur, les trois principaux critères de choix étant plutôt la taille de l’écran, le prix et la qualité de l’image », constate l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA) dans son étude sur les marchés audiovisuels à la demande dans les Vingt-huit.
Et l’organisme de service public européen, composé de 40 Etats membres et de l’Union européenne, représentée par
la Commission européenne, d’ajouter : « Les consommateurs n’accèdent même pas aux contenus sur leur Smart TV, leur préférant leurs tablettes, leurs box Internet ou leurs ordinateurs comme principaux moyens de consulter en ligne ces contenus ».

2014 : point de basculement des ventes
La télévision connectée est-elle mort-née ? L’OEA, basé à Strasbourg au sein du Conseil de l’Europe, se le demande, tant les usages de la Smart TV sont très en deçà de l’offre de téléviseurs connectés. Selon Screen Digest (IHS), c’est justement au cours de cette année que devrait être atteint le point de basculement où les ventes mondiales de Smart TV dépasseront les autres téléviseurs (plus de 50 % des téléviseurs écoulés en 2014 sont connectables, contre 35 % en 2013, en attendant un taux de 65 % en 2016). Si la croissance de 15 % par an en moyenne est au rendez-vous, ce n’est pas
le cas pour les téléspectateurs connectés !
« Même si les clients consomment beaucoup de contenus à la demande, ces derniers sont surtout payés aux fournisseurs d’accès à Internet via leurs box, ou aux entreprises de matériels tels qu’Apple, Roku et Tivo (et bientôt Amazon, voire peut-être Intel) », souligne le rapport. Et si les cycles de remplacement sont maintenant de sept ans, au lieu de plus de huit ans auparavant, ce n’est pas grâce aux téléviseurs connectés mais plutôt au fait que les consommateurs changent leur vieux téléviseurs cathodiques pour des écrans plats ! La taille et la haute définition (HD) arrivent en tête des critères de choix, suivies du prix qui reste déterminant. Autant dire que les fabricants (Sony, Samsung, LG, Philips, Sharp, …) ne sont pas sur la même longueur d’ondes que les consommateurs : les premiers pensent que la connexion à Internet est un service premium sur lequel ils comptent pour accélérer le renouvellement des téléviseurs,
alors que les consommateurs ne voient pas ce plus comme aussi important. Ce peut d’engouement expliquerait qu’Apple hésite encore à fabriquer ses iTV, se contentant d’offrir le boîtier « Apple TV », et que Google ou Amazon s’en tiennent à des « dongle » (clé à brancher sur l’écran de télévision pour se connecter à Internet de son smartphone ou sa tablette), avec respectivement Chromecast et Fire TV. Orange prépare un tel « dongle » (1). Ce qui ne va pas sans créer une certaine confusion auprès des consommateurs sur les notions de téléviseurs connectés. S’agit-il d’une
« Connected TV » via une box, une console de jeux ou un « dongle » ? Ou est-ce
une Smart TV, c’est-à-dire intégrant dans sa conception la connexion Internet ?
Quoi qu’il en soit, ce que veulent les télénautes, c’est de pouvoir naviguer librement
sur le Web à partir de leur TV connectée pour trouver les contenus – principalement vidéo – correspondant à leurs goûts. Cela tombe bien car la tendance va dans le sens des Smart TV « contrôlées par les consommateurs », contrairement aux Smarts TV
« controlées par le fabricant ».

Mais l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA), qui recense plus de 3.000 services audiovisuels à la demande (SMAd) établis dans l’ensemble des Vingt-huit
(voir encadré ci-dessous), n’a pas trouvé de données récentes sur l’état du marché
de la Smart TV en Europe. « Les chiffres sont soit contradictoires, soit ne sont pas actualisés. (…) Trouver des chiffres sur la vidéo à la demande pour Smart TV fut impossible », pointe le rapport. Bref, entre les consommateurs qui restent quasi indifférents aux fonctionnalités Smart TV, la confusion sur ce qu’est le téléviseur connecté et l’absence de chiffres récents ou cohérents, ce marché émergent est mal parti. A cela se rajoute la fragmentation des plateformes de Smart TV qui, selon l’étude de l’OEA, constitue « un des obstacles majeurs encore à lever » malgré les initiatives des industriels de s’allier (2) pour promouvoir un standard de développement d’applications TV commun. @

FOCUS

La catch up TV domine les SMAd
Sur les 3.088 services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) dans l’Union européenne, les services de télévision de rattrapage arrivent en tête (au nombre de
1 104), les chaînes diffusées Internet (711 répertoriées) et les services les services de VOD (409). Toutes catégories de SMAd confondues, le Royaume-Uni en compte 682, la France 434 et l’Allemagne 330. En outre, 223 services établis aux Etats-Unis ciblent un ou plusieurs pays européens. @

Catch up TV : Free veut faire payer toutes les chaînes

En fait. Le 10 mars, Xavier Niel, fondateur de Free, administrateur, directeur général délégué et actionnaire majoritaire d’Iliad, a indiqué – lors de la présentation des résultats annuels du groupe – que les chaînes de télévision devaient payer pour distribuer leurs services de rattrapage sur son réseau.

Xavier NielEn clair. « Sur la catch up TV, qui est grande consommatrice
de bande passante, nous estimons que, lorsque les flux sont asymétriques comme c’est le cas pour la télévision de rattrapage, nous devons être rémunérés. Certains nombre d’acteurs de la catch up TV nous rémunèrent, d’autres pas. Donc, on travaille dans ce sens. Cela peut pour certains leur sembler parfois agressif, d’autres pas », a expliqué Xavier Niel (photo), qui assure cependant que ses relations avec les chaînes de télévision sont « plutôt bonnes ».

Rémunérer l’utilisation de sa bande passante
Free propose ainsi une sélection de programmes de 33 chaînes sur son service Freebox Replay. Mais les éditeurs TF1, M6 et autres France Télévisions rechignent
à payer les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) pour un service de replay qu’elles proposent gratuitement aux télénautes durant sept jours suivant leur diffusion à l’antenne.
Les chaînes, qui financent leur replay en plein développement (1) avec de la publicité
en ligne, estiment que c’est plutôt au FAI de payer pour « reprendre » leur service de TV
de rattrapage – véritable produit d’appel pour les offres triple play.

Les discussions FAI-chaînes peuvent tourner au dialogue de sourds… Rémunérer l’utilisation de sa bande passante pour délivrer leurs services de télévision de rattrapage est d’autant plus difficile à accepter pour les chaînes que Free fait lui aussi payer de son côté ses abonnés qui souhaitent une meilleure qualité de service. En effet, depuis un an, Free a instauré un « pass prioritaire », proposé en option (non obligatoire donc), qui garantit l’accès au service – même et surtout aux heures les
plus demandées (entre 19 et 22 heures).
Ce pass est facturé 0.99 euro pour une soirée ou 3,99 euros pour un mois. Free, qui inciterait les internautes à y souscrire même en dehors des heures de points (2), trouve ainsi le moyen avec ce service premium d’accroître l’ARPU (3) de ses abonnés qui est parmi les plus élevés des FAI en France : 36 euros, voire 38 euros pour le modèle Freebox Revolution (plus de 50 % du parc abonnés).
Reste que le rapport de Laurent Vallet sur les obligations de financement de la production audiovisuelle, remis à Aurélie Filippetti en décembre, préconise aux pouvoirs publics de réaliser une étude « sur les effets, le coût, la valorisation et l’évolution des usages de la télévision de rattrapage ». @

France Télévisions renonce à un budget numérique de 125 millions d’euros en 2015

Sur fond d’échec de rentrée sur l’avant 20 heures (access prime time) et de réduction de ses effectifs, France Télévision espère rebondir avec une « 6e chaîne » – celle de la télévision délinéarisée et connectée. Et ce, malgré à peine 2 % du budget total du groupe alloués au numérique.

Par Charles de Laubier

BPSelon nos informations, le budget numérique de France Télévisions pour 2014 devrait rester autour de 60 millions d’euros. La perspective d’atteindre 125 millions d’euros en 2015 est désormais écartée. « Le budget numérique 2014 n’est pas arrêté mais la perspective du COM précédent à 125 millions d’euros n’est hélas plus en ligne de mire », nous a indiqué Bruno Patino (photo), directeur général délégué aux programmes, aux antennes et aux développements numériques du groupe public de télévisions.

62 millions d’euros en 2013
Le contrat d’objectifs et de moyens (COM) initial, signé il y a deux ans sous Nicolas Sarkozy, prévoyait de passer de 55 millions d’euros en 2011 à 125 millions d’euros en 2015. C’était sans compter l’arrivée de François Hollande à la tête de l’Etat et des restrictions budgétaires imposées dès 2012 (1). « Le budget numérique était de 53 millions d’euros en 2011, 56,6 millions en 2012 et 62 millions en 2013 », nous a-t-il précisé. Après l’avenant au COM adopté sur 2013-2015 par le conseil d’administration de France Télévisions le 31 octobre, le budget numérique devrait rester à la portion congrue – soit à 2 % des 3 milliards d’euros du budget total du groupe dû aux cinq chaînes nationales publiques (2). Invité le 6 novembre de l’Association des journalistes médias (AJM), Bruno Patino a dit qu’il s’attendait à une stagnation : « Dans la conjoncture actuelle, ma position est de faire en sorte que le budget du numérique ne soit pas réduit. Je pense qu’il doit croître et que l’effort singulier qui avait été fait à l’arrivée de Rémy [Pflimlin, PDG de France Télévisions] soit maintenu au niveau de là où il est ». Ce dernier, dont le mandat s’achève en août 2015, avait encore déclaré le 27 août : « L’enjeu fondamental de mon mandat est de réussir le virage numérique ».
A budget constant, Bruno Patino espère donc réussir la troisième étape qu’il s’était fixée dans le numérique. La première étape a consisté à « rattraper notre retard » avec les lancements de Francetv Info, de Francetv Sport, de Francetv Education et de Culture Box. La seconde étape fut celle de la catch up TV et de Pluzz – présenté comme la « 6e chaîne » du groupe ou la « 1re chaîne délinéarisée » – et de l’entrée de la Social TV dans les programmes. « Je n’ai pas changé mon plan de route, a assuré Bruno Patino. La troisième étape est maintenant de préparer la TV connectée, peu importe comment votre télé est connectée (3). Un premier rendez-vous fort aura lieu en décembre ou janvier 2014 autour de Francetv Info, où l’on innovera fortement dans un univers de TV connectée ». Fin septembre, le fabricant de téléviseurs LG avait indiqué que l’application Francetv Info sur ses Smart TV permettra aux télé-connectés « d’accéder à un flux continu, personnalisé, et qui peut, selon le souhait de son utilisateur, cibler les dernières actualités en temps réel ou au contraire prendre du recul et proposer contexte et perspective ». France Télévisions compte ainsi sur la TV connectée pour « solidifier les ‘’verticales’’ » (4).
Après le nouveau Francetv Info, ce sera au tour du lancement de Francetv Jeunesse
qui accompagnera la modification prochaine de France 4. « France 4 va changer graduellement. Le basculement est prévu en mars 2014 avec un nouvel habillage. Il n’y
a pas d’idée de Big Bang. On modifie juste le positionnement de cette chaîne », a-t-il indiqué. Pour France Télévisions, il s’agit de renforcer l’offre jeunesse au moment où
ses 34 % détenus dans la chaîne jeunesse Gulli vont être cédés d’ici la fin de l’année à Lagardère qui en détient 66 %. Les futures France 4 et plate-forme verticale Francetv Jeunesse permettront de renforcer l’offre à destination des Internet Natives. « Mais il est impossible d’être puissant sur tablettes si l’on est pas puissant sur une chaîne. Du moins au jour d’aujourd’hui. Dans cinq ans, les plates-formes de SVOD pourront être lancées sans être appuyées sur une chaîne ». En outre, côté création, les rendez-vous des
« Nuits 4.0 » (5) sur France 4 prendront de l’ampleur.

Réinventer la façon de faire de la télé
Mais France 4 ne doit pas être la seule chaîne du groupe à faire des expérimentations.
« France 4 n’est pas une chaîne laboratoire. Il faut que les chaînes prennent de temps en temps le risque de filer les clés du royaume à des gens qui réinventent aussi la façon de faire de la télé. Aujourd’hui, on ne trouve pas forcément ces gens-là dans les chaînes…
Il s’agit de faire de la télé, mais j’insiste : de la télé, car on va pas diffuser du web à la télé ! Le Web diffuse très bien le web lui-même et il n’a pas besoin de la télé pour se diffuser », a-t-il prévenu. Enfin, une refonte de toute la catch up TV est aussi prévue pour l’an prochain. @

Charles de Laubier

Libre-échange : les craintes sur l’exception culturelle n’interdisent pas de s’interroger sur les quotas

Les acteurs du monde culturel sont sur le pied de guerre dans l’attente du 14 juin prochain, date à laquelle le Conseil de l’Union européenne examinera le projet de mandat transmis par la Commission européenne en vue de négocier avec les Etats-Unis un accord de libre-échange.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée et Laurent Teyssandier, avocat, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

L’approbation par la Commission européenne, le 12 mars dernier, d’un projet de mandat pour la négociation d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis soulève d’importantes contestations dans les milieux culturels européens – français en tête.
En cause, une intégration des services audiovisuels
et culturels dans le périmètre des négociations qui porteraient atteinte à « l’exception culturelle » en Europe.

La culture « soustraite » aux marchés
L’accord en question, intitulé « Partenariat transatlantique
de commerce et d’investissement », est présenté comme
le plus important accord commercial bilatéral jamais négocié. Il devrait permettre – selon Barack Obama, président des Etats-Unis, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et Herman Van Rompuy, président du Conseil européen –
de développer le commerce et les investissements transatlantiques et de contribuer à l’élaboration de règles mondiales pouvant renforcer le système commercial multilatéral.
Cependant, l’ouverture des discussions avec les Etats- Unis reste conditionnée à l’approbation par le Conseil de l’Union européenne, institution dans laquelle siègent les ministres des Etats membres, du projet de mandat qui serait donné à la Commission européenne. Déclarant que l’exception culturelle n’est pas négociable, le gouvernement français a fait savoir qu’il opposerait son veto au mandat (1).
Quels sont les termes et enjeux du débat ? La notion d’exception culturelle peut se définir comme « la volonté de sauvegarder certaines valeurs ou certaines singularités culturelles en s’efforçant de les soustraire aux lois du marché, notamment à celles du commerce international » (2). Cette exception, dont l’objet est de préserver la diversité culturelle,
se traduit en pratique par l’exclusion des activités culturelles des accords commerciaux internationaux.
Au niveau international, c’est sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) que la diversité culturelle trouve protection. Aux termes de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005, l’Unesco érige la diversité culturelle en « un patrimoine commun de l’humanité » devant être « célébré et préservé au profit de tous » (3). Relevant que « les activités, biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale », l’Unesco incite les Etats à promouvoir et protéger leurs expressions culturelles. Signataire de la convention, l’Union européenne a toujours veillé à ce que les actes législatifs qu’elle adopte en respectent les principes et que les services audiovisuels soient exclus des négociations sur les accords commerciaux de service (4). L’an dernier, le Parlement européen a à nouveau rappelé l’importance de la diversité culturelle dans une résolution portant sur les relations commerciales et économiques
avec les Etats-Unis (5).
Que ce soit dans l’Union européenne ou en France, c’est principalement par la mise en place de quotas de promotion, de production et de diffusion que les autorités assurent la protection de la diversité culturelle.

Quotas de production et de diffusion
Sur le plan communautaire, ces quotas – véritables armes de défense de la diversité culturelle qui soulèvent des questions à l’heure d’Internet (voir encadré) – ont été instaurés par la directive « Télévision sans frontière » (TVSF) du 3 octobre 1989, abrogée et remplacée par la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) du 10 mars 2010. Qualifiée de « pierre angulaire de la politique audiovisuelle communautaire », la directive SMA opère une distinction entre la radiodiffusion télévisuelle et les services
de médias audiovisuels à la demande.
Pour la radiodiffusion télévisuelle, service linéaire, les Etats membres sont tenus de veiller à ce que les radiodiffuseurs réservent une proportion majoritaire de leur temps de diffusion à des œuvres européennes et au moins 10 % de leur temps d’antenne ou 10 % de leur budget de programmation à des œuvres européennes émanant de producteurs indépendants.
Pour les services de médias audiovisuels à la demande, services non linéaires, les obligations sont moins fortes, les Etats membres devant seulement veiller à ce que ces services promeuvent la production d’œuvres européennes et l’accès à ces dernières.
Et ce, notamment en contribuant financièrement à la production de ces œuvres ou en
leur réservant une part importante dans le catalogue de programmes proposé par ces services.

La France aux avant-postes
En France, les textes législatifs et règlementaires imposent également aux services de télévision et aux services de médias audiovisuels à la demande des quotas de promotion, de diffusion et de production des œuvres européennes et/ou d’expression originale française. Ainsi, les services de médias à la demande – qu’il s’agisse des services de télévision par rattrapage, des services de vidéo à la demande par abonnement ou par
acte – sont tenus, en application d’un décret du 12 novembre 2010, de consacrer
chaque année une part de leur chiffre d’affaires annuel net de l’exercice précédent à des dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes, d’une part, et d’œuvres d’expression originale française, d’autre part. Ces services doivent également garantir l’offre d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes et d’expression originale française en respectant des quotas « catalogue ».
Le projet de mandat approuvé par la Commission européenne le 12 mars 2013 n’exclut pas expressément les services audiovisuels et culturels du périmètre des discussions. Cette absence d’exclusion (6) a soulevé l’ire des acteurs du secteur de la culture en France et en Europe. Craignant la suppression de l’exception culturelle, plusieurs réalisateurs européens ont lancé une pétition appelant les chefs d’Etat européens à
se prononcer en faveur de l’exclusion des services audiovisuels et cinématographiques des négociations entre l’Europe et les Etats-Unis. Cette initiative a trouvé écho auprès des pouvoirs publics. Aux termes d’une proposition de résolution du 29 mars 2013 déclarant que « la culture ne peut être acceptée comme une marchandise comme les autres, sauf à accepter la disposition de la diversité culturelle », l’Assemblée nationale
a demandé à ce que les services audiovisuels soient expressément exclus du mandat
de négociation de la Commission européenne et, à défaut, à ce que le gouvernement s’oppose à ce mandat lors de son examen par le Conseil de l’Union européenne prévu le 14 juin 2013, si nécessaire en utilisant le droit de veto qui lui est conféré par le Traité sur
le fonctionnement de l’Union européenne. Se félicitant de cette initiative, Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, et Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, ont indiqué le 9 avril que « l’exception culturelle n’est pas négociable »
et que « le mandat de négociations du projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement qui sera donné par les Etats membres à la Commission devra faire pleinement état de cette ligne rouge ».
Le 24 avril dernier, la commission du Commerce international du Parlement européen
a annoncé qu’un amendement visant à exclure du mandat de négociation les services culturels et audiovisuels, notamment ceux en ligne, avait été adopté (7). Face à cette opposition, Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce – sans dire que les services culturels seraient exclus de l’accord – a indiqué que l’exception culturelle ne serait pas négociée et que les Etats membres qui le souhaitent « resteront libres de maintenir les mesures existantes, et la France en particulier restera parfaitement libre
de maintenir ses mécanismes de subvention et de quotas. »  @

* Christiane Féral-Schuhl
est Bâtonnier du barreau de Paris.

ZOOM

S’interroger sur l’effectivité des quotas à l’heure du Net
Si la diversité culturelle doit être protégée en France et en Europe, il faut s’interroger
sur l’effectivité des mécanismes de quotas qui ont été instaurés à une époque où les services culturels étaient assurés par les acteurs nationaux sur les réseaux hertziens. Avec Internet, la diffusion des œuvres culturelles en France n’est plus le monopole de
ces acteurs et il faut compter avec des géants américains qui eux, ne sont pas soumis
à ces législations. L’évolution du marché et des techniques impose donc, si l’on veut sauvegarder la diversité culturelle, de réfléchir à de nouveaux mécanismes pour éviter les distorsions de concurrence entre les acteurs nationaux et leurs compétiteurs étrangers. C’est l’une des pistes envisagées par le rapport Lescure, remis au Président de la République lundi 13 mai, lorsqu’il propose d’expertiser la faisabilité technique d’une taxation des services gratuits financés par la publicité et d’étendre cette taxation aux distributeurs de services de médias que sont les plates-formes vidéo, les constructeurs de terminaux connectés ou encore les magasins d’applications. @