Doublement empêtré en Italie, Vivendi espère un dénouement rapide pour lancer son « Netflix latin »

Président du directoire de Vivendi et président de Telecom Italia, dont Vivendi est le premier actionnaire, Arnaud de Puyfontaine cherche à sortir de deux conflits en Italie pour lancer « un géant latin des contenus » autour d’une alliance « Canal+Tim » et concurrencer ainsi Netflix et Amazon Video.

La présence du groupe français Vivendi dans le capital de Telecom Italia (Tim), dont il est le premier actionnaire à hauteur de 24 %, tourne à l’imbroglio politico-industriel. C’est même devenu une affaire d’Etat en Italie, où le gouvernement a ouvert une procédure contre l’opérateur télécoms historique italien Tim et indirectement contre son premier actionnaire le groupe français Vivendi, lequel est accusé de ne pas avoir notifié aux autorités italiennes qu’il en détenait le contrôle de fait.
Pour le gouvernement italien, cette omission est d’autant plus fâcheuse et contestable qu’il considère Tim et son réseau – qu’il exige d’être mis dans une entité séparée – comme un actif stratégique, et que l’Etat italien estime avoir été floué en dépit de ses pouvoirs spéciaux (golden power). Reste à savoir quel sera le montant de l’amende dont va écoper Vivendi. Bref, difficile de démêler l’écheveau de
ce conflit et Arnaud de Puyfontaine (photo), à la fois président du directoire de Vivendi et président de Telecom Italia, n’est pas au bout de ses peines.

Vivendi, actionnaire contesté de Tim et de Mediaset
A cela s’ajoute la bataille judiciaire que se livrent, toujours dans « La botte », Mediaset
et Vivendi sur une affaire connexe où le français s’était engagé à racheter 100 % du « Canal+ » italien, Mediaset Premium (1) avec participations croisées de 3,5 % entre Vivendi et Mediaset. L’objectif affiché était alors de concurrencer Netflix dans la vidéo à la demande par abonnement (SVOD). C’est empêtré dans ces deux affaires italiennes que Arnaud de Puyfontaine doit se démener pour tenter de faire émerger une stratégie européenne digne de ce nom, afin de faire contrepoids aux deux géants américains de la SVOD que sont Netflix et Amazon, ainsi qu’au poids lourd de la vidéo YouTube.
Car tel est bien le but de Vivendi depuis que Vincent Bolloré en a pris le contrôle et en assure la présidence du conseil de surveillance. Il y a près de deux ans, le 8 avril 2016, le patron milliardaire annonçait « un partenariat stratégique et industriel » avec le groupe Mediaset appartenant à la holding Fininvest du non moins milliardaire Silvio Berlusconi. L’ambition était clairement de donner naissance à un nouveau géant « latin » des contenus et des médias. Le projet a immédiatement été interprété comme étant un
« Netflix latin » destiné à concurrencer le numéro un mondial américain.

Un chemin semé d’embûches
Mais le partenariat des deux tycoons a tourné court, Vivendi étant revenu sur cet accord avec Mediaset – dans le capital duquel il est en même temps monté de manière hostile (2). La holding de Silvio Berlusconi, Fininvest, premier actionnaire de Mediaset, ne l’a pas entendu de cette oreille et a porté l’affaire devant la justice en réclamant au groupe de Vincent Bolloré un total d’environ 3 milliards d’euros de dommages et intérêts. Une audience est prévue le 27 février prochain devant le tribunal de Milan.
A moins que la querelle et les invectives ne se terminent par un accord à l’amiable
qui pourrait être trouvé in extremis, comme l’espérait encore le 31 janvier Arnaud de Puyfontaine. Depuis octobre dernier, Vivendi propose en effet un compromis à Mediaset qui consisterait en une somme bien moindre mais assorties d’actions, avec la possibilité pour Mediaset de rejoindre le projet de coentreprise dans les contenus annoncé il y a quatre mois entre, cette fois, Telecom Italia (contrôlé par Vivendi) et Canal+ (filiale de Vivendi). Autrement dit, si Bolloré et Berlusconi enterraient la hache de guerre dans un compromis susceptible d’annuler la procédure judiciaire, cela donnerait des chances pour Vivendi de pouvoir enfin lancer son projet de « champion latin des contenus ». D’autant que si les deux magnats se réconciliaient, Mediaset pourrait fournir des contenus audiovisuels à la future entité commune de Tim et Canal+ pour un montant
de 400 millions d’euros sur six ans (3). En contrepartie, Vivendi pourrait verser une compensation à Mediaset pour la rupture du contrat initial et réduire sa participation controversée. Avant l’audience du 27 février, il y a aussi la présentation des résultats annuels de Vivendi le 15 février. Le dénouement semble proche…
Cette joint-venture entre Canal+ et Tim avait été annoncée en juillet dernier dans le but d’acquérir des droits audiovisuels, dont sportifs, et d’investir dans la production ou la coproduction de films et séries (4), alors que Netflix – fort de ses 117 millions d’utilisateurs (dont 110 millions d’abonnés payants) – vient d’annoncer, le 23 janvier, qu’il va investir entre 7,5 et 8 milliards de dollars en 2018 dans des productions. Mais les mois passent et l’accord de principe signé avec Canal+ a expiré le 18 janvier dernier, donc devenu caduc, sans qu’il y ait eu d’accord définitif sur la création de cette coentreprise « Canal+Tim ». Mais la veille de cette échéance, Tim s’est fendu d’un communiqué pour tenter de rassurer sur l’avenir de ce projet dont « les négociations vont reprendre immédiatement afin de parvenir rapidement à une conclusion ». Et l’opérateur télécoms historique italien d’ajouter : « L’offre convergente de contenus vidéo est un des éléments clés du plan stratégique 2018-2020 de Tim ». Mais la procédure même engagée par ce dernier pour autoriser la cocréation de l’entité avec Canal+ est contestée en Italie, notamment par le gendarme de la Bourse italienne (Consob). De son côté, l’« Arcep » italienne (Agcom) avait – en avril 2017 – donné
un an à Vivendi pour se mettre en conformité avec la loi de la péninsule sur les concentrations, à savoir de réduire sa participation soit dans Telecom Italia, soit dans Mediaset. Vivendi avait contesté cette mise en demeure devant le tribunal administratif, où une audience avait été fixée au 7 février dernier avant d’être reportée au 4 juillet prochain. Le projet de Vivendi de faire de l’Italie sa tête de pont pour lancer en Europe, voire dans le monde, un « Netflix latin » devient un vrai sac de nœuds.
Autant dire que la crédibilité d’Arnaud de Puyfontaine se joue dans la péninsule. Il est épaulé par Amos Genish, un transfuge de Vivendi dont l’opérateur brésilien Global Village Telecom (GVT) – que ce dernier avait fondé et dirigé – fut une filiale jusqu’à sa vente en 2014. Il est directeur général de Tim depuis septembre 2017. Mais Vivendi n’est pas le seul maître à bord puisque l’Etat italien, fort de son golden power, veut couper en deux l’opérateur historique italien. Le 7 février dernier, Amos Genish a présenté au ministre italien en charge du Développement économique, Carlo Calenda, le projet – concocté avec l’Agcom – d’entité séparée sous contrôle italien pour accueillir le réseau que le conseil d’administration de Tim doit approuver le 6 mars. L’objectif est de soustraire cet actif stratégique de l’emprise de l’actionnaire Vivendi (5), à qui l’Etat reproche la mainmise sans autorisation sur Tim.

Amende et pression de l’Italie
Le ministre a aussi précisé que si Tim accédait à ses demandes, l’amende qui sera infligée à son premier actionnaire serait revue à la baisse. Encore faut-il que le Conseil d’Etat italien l’y autorise… Rome est actuellement en droit de sanctionner Vivendi à hauteur de 1 % du chiffre d’affaires, soit 300 millions d’euros selon la presse italienne, laquelle parle d’une décision qui pourrait être prise avant les élections législatives italiennes du 4 mars. La pression sur Amos Genish est telle que, fin janvier, Arnaud
de Puyfontaine a dû démentir la rumeur selon laquelle le directeur général de Tim était sur le départ. @

Charles de Laubier

Etats-Unis : Internet bouscule le paysage audiovisuel

En fait. Le 11 décembre, le câblo-opérateur américain Comcast – propriétaire de NBCUniversal – a dit ne plus être intéressé par une partie de 21st Century Fox (famille Murdoch). Disney s’en est aussitôt emparé le 14. AT&T et Time Warner, eux, seront fixés au printemps 2018 pour savoir s’ils peuvent fusionner.

En clair. Ce qui se joue en ce moment aux Etats-Unis : le futur de la télévision. Les câblo-opérateurs comme Comcast et les opérateurs télécoms comme AT&T sentent le vent tourner à leur désavantage. De plus en plus d’Américains coupent le cordon du câble ou du satellite qui jusque-là leur était indispensable – mais coûteux – pour accéder aux chaînes, aux films et aux séries. Ce phénomène de cord-cutting profite à plein aux plateformes sur Internet telles que Netflix, Amazon Prime Video ou encore YouTube de Google, tandis que Facebook et Apple sont en embuscade et décidés
à proposer eux aussi leurs propres contenus audiovisuels à coup d’exclusivités sur Internet – dont la FCC a décrété le 14 décembre la fin de la neutralité.
Aussi, les opérateurs de réseaux sont condamnés à partir à la conquête de grands groupes de télévision et de cinéma comme Time Warner (pour AT&T) ou 21st Century Fox (pour Comcast avant de jeter l’éponge). Et ce, afin de jouer l’intégration verticale face aux Over-The-Top (OTT). D’autant que les géants de la télévision, du cinéma et du divertissement sont à la peine eux aussi, leur audience payante étant étroitement liée au nombre d’abonnés déclinant des « cablos » et des « telcos ». Le groupe 21st Century Fox de Rupert Murdoch (86 ans) – comprenant des studios de ciné et de télé, des chaînes thématiques comme FX et National Geographic, ainsi que 36 % de la plateforme Hulu ou encore 39 % du capital du groupe européen de télévision Sky – aurait été un bon parti pour Comcast qui possède NBCUniversal, DreamWorks et aussi une partie de Hulu (32 % via NBCUniversal). Mais le premier câblo-opérateur américain n’a finalement pas fait d’offre, craignant d’être confronté aux mêmes réticences des autorités antitrust que pour la tentative d’acquisition de Time Warner par AT&T. Verizon avait aussi regardé 21st Century Fox.
C’est finalement Disney qui rachète le lot d’actifs cédés pour 52,4 milliards de dollars, Murdoch ne gardant que des grandes chaînes (1) dans un « nouveau Fox ». Cette intégration horizontale d’une partie de Fox dans Disney ne devrait pas poser de problème vis-à-vis du droit de la concurrence. A noter qu’ensemble, ils détiennent
68 % du capital d’Hulu (2). De même, Time Warner – qui pourrait devoir céder CNN (à Altice ?) – serait aussi un bon parti pour AT&T qui, en octobre 2016, a mis sur la table 85 milliards de dollars pour s’en emparer (3). A suivre. @

Altice lâche la marque SFR pour tenter de redorer son blason en France et faire bonne figure face aux GAFA

Altice devient la marque unique du groupe de Patrick Drahi dans le monde. Les trois lettres SFR, héritées de la « Société française du radiotéléphone » créée il
y a 30 ans, passent par pertes et profits. Son image a été « abîmée ». Selon nos calculs, SFR a perdu 3,5 millions d’abonnés depuis son rachat en 2014.

Par Charles de Laubier

« La marque SFR a été un peu abîmée en France au cours des années qui viennent de s’écouler parce que l’on a été déceptifs vis-à-vis de nos clients. De plus, le groupe a évolué depuis quelques années dans sa stratégie en passant d’un opérateur de télécoms à un opérateur global : télécoms, médias, publicité. Et il n’intervient plus uniquement en France mais dans de multiples pays », a expliqué Michel Combes (photo), directeur général d’Altice, la maison mère de l’opérateur télécoms SFR dont il est le PDG, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef), le 17 mai dernier, soit six jours avant que Patrick Drahi n’officialise de New York l’abandon de la marque SFR pour Altice assorti d’un nouveau logo. A noter que Michel Combes s’était refusé
à confirmer ce jour-là l’information selon laquelle Altice devenait la marque unique du groupe. « Je ne vous ai pas dit de nom…, quel qu’il soit. Et si l’on devait en changer, nous le ferions avec beaucoup de délicatesse. J’ai fait beaucoup de changement de marques dans ma vie antérieure (Orange, Vodafone, …) », s’était-il contenté de dire devant l’Ajef. Altice sera donc bien cette marque unique, qui était avancée comme « logique » dans Les Echos dès avril (1) et qui a bien été annoncée en mai comme l’avait indiqué Satellifax (2). SFR va être rebaptisé Altice France, comme il existe déjà Altice Portugal, Altice Caribbean ou encore Altice Africa.

En finir avec le patchwork de marque et bénéficier d’économies d’échelle
Cette transformation sur tout le groupe sera menée d’ici à fin juin 2018. C’est que le groupe Altice, à force d’acquisitions tous azimuts, se retrouve avec une multitude de marques. Outre SFR en France, il y a Hot en Israël, Meo et M4O au Portugal, Tricom dans la République Dominicaine, ou encore Suddenlink et Optimum depuis les acquisitions aux Etats-Unis de Suddenlink et Cablevision (3), sans parler des marques secondaires dans tous ces pays. A ce patchwork s’ajoute le fait qu’en République Dominicaine, Altice utilise la marque Orange dans le cadre d’un accord de licence avec son premier concurrent en France. Les marques Numericable et Virgin Mobile, elles, ont disparu. « Ce que nous observons, avait poursuivi Michel Combes, c’est que beaucoup de nos concurrents sont issus du monde digital et sont allés vers des marques uniques au niveau mondial pour pouvoir bénéficier d’effets d’échelle ». Cependant, demeureront les marques médias telles que BFM, RMC, Libération, L’Express ou encore i24News, ainsi que d’autres commerciales comme Teads dans la publicité vidéo et Red dans le mobile en France. Alors qu’Altice Media avait été rebaptisé SFR Presse en octobre 2016, ce sera bientôt l’inverse ! Alain Weill en restera le dirigeant.

Il y a urgence à redorer le blason
Dans son rapport annuel 2016 publié le 10 avril dernier, le groupe avait indiqué qu’il
« évaluait les bénéfices supplémentaires que pourrait générer l’adoption d’une marque globale, laquelle permettrait de communiquer plus clairement sur la stratégie globale d’Altice comme acteur innovant, disruptif et fournisseur de meilleurs services de nouvelle génération à ses clients ». Cette stratégie monomarque va donc passer par
« une harmonisation et un changement de marques existantes dans les pays où le groupe opère pour partager une nouvelle identité globale ». La marque Altice a l’avantage de ne pas être entachée de discrédit auprès d’une partie des clients français et de bénéficier d’une notoriété internationale. Certes, le siège social du groupe du milliardaire franco-israélien Patrick Drahi n’est pas en France mais basé aux Pays-Bas (après l’avoir été au Luxembourg). L’entreprise est cotée en Bourse à Amsterdam (4), pas à Paris, et il est prévu que des actifs soient cotés aux Etats-Unis.
Mais Altice permettrait de tourner la page des années peu reluisantes de SFR en matière de relation clientèle et d’investissement dans son réseau, notamment lorsque l’opérateur télécoms était la pleine propriété de Vivendi de 2011 jusqu’à son rachat par Altice en avril 2014. Selon les calculs de Edition Multimédi@, le nouveau propriétaire
a été confronté à la perte de plus de 3,5 millions d’abonnés cumulés depuis trois ans
– dont 84,8 % dans le mobile et 15,2 % dans le fixe. Même si l’érosion de la base de clientèle a été freinée depuis le début de l’année, le parc total de clients a encore baissé sur un an au premier trimestre 2017, à 20,043 millions dans le mobile (14,513 million de particuliers et 5,529 millions de professionnels) et à 6,078 millions dans le fixe (voir tableau ci-dessous). A ce train-là, le groupe de Patrick Drahi pourrait repasser en France sous la barre des 20 millions de clients dans le fixe et sous les 6 millions dans le mobile – si ce n’est pas déjà fait à l’heure où nous publions. Selon l’Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt), plus de la moitié des plaintes sont émises en 2016 par les clients de trois marques du groupe : SFR, Red et Numericable. Il y a donc en effet urgence à redorer le blason. Le rebranding est toujours une opération à risque et la filiale française d’Altice, à l’instar de toutes les autres entités du groupe concernées par ce changement d’image, va devoir investir
des dizaines de millions d’euros pour asseoir la nouvelle identité. Cette uniformisation génèrera aussi des économies d’échelle. C’est Publicis aux Etats-Unis qui a conçu le nouveau logo d’Altice.
La marque SFR, créée il y a 30 ans – en février 1987 sous le nom de Société française du radiotéléphone – par la Compagnie générale des eaux (devenue en 1998 Vivendi),
a vécu. La disparition de la marque au carré rouge aura aussi l’avantage de faire oublier les sanctions que lui a infligées l’Autorité de la concurrence telles que l’amende de 40 millions d’euros prononcée le 8 mars dernier pour non-respect de ses engagements pris lors du rapprochement Numericable- SFR  et atteinte à la concurrence (5). L’an dernier, SFR avait aussi écopé le 19 avril d’une amende de 15 millions d’euros engagements pris à La Réunion et à Mayotte.

54 milliards d’euros de dettes
Par ailleurs, SFR est synonyme de suppression d’emplois (6) et de grèves dans les boutiques SFR (en mars dernier). La multinationale Altice, créée en 2001 au Luxembourg, a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 20,7 milliards d’euros pour une perte nette de 1,8 milliard d’euros et un effectif de 49.732 personnes. Son endettement atteint près de 54 milliards d’euros. @

Charles de Laubier

Pourquoi Mediawan adopte une stratégie « 3C » : convergence, consolidation et complémentarité

Qu’est-ce qui motive vraiment le nouveau trio Niel-Pigasse-Capton en lançant Mediawan à la conquête de sociétés de médias et de contenus traditionnels et/ou numériques en Europe ? La sous-évaluation de nombreux actifs, susceptibles d’être rachetés à bon prix et d’entrer dans leur triangle stratégique.

Le gourou japonais en stratégie d’entreprise, Kenichi Ohmae, a théorisé
le modèle « 3C » qui devrait permettre à toute activité commerciale de rencontrer le succès : l’entreprise, le client et la concurrence. Les cofondateurs de Mediawan (ex-Media One) – Xavier
Niel, Matthieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton (photos) – ambitionnent de
mettre en oeuvre leur propre triangle stratégique : convergence, consolidation et complémentarité.

« La fragmentation croissante de l’audience augmente le besoin de consolidation autour de fortes marques médias ».

Presse, radio, télé, films et/ou digital
Selon eux, « la convergence dans les médias et les industries du divertissement mène à une consolidation d’acteurs existants leur permettant de combiner leurs activités complémentaires ». Et ce, dans un contexte où les médias – fragilisés par la destruction créatrice du numérique – ont leur vu leur valorisation sérieusement revue à la baisse. C’est donc le moment d’acheter ! Mediawan compte investir – d’ici à vingt-quatre mois – dans un groupe de médias à forte valeur ajoutée dans les contenus de divertissement et les médias : la presse, la radio, la télévision, les films et/ou le numérique) pour au moins 75 % des montant levés : soit pour au moins 187,50 millions d’euros sur les
250 millions d’euros levés. En mettant en oeuvre cette stratégie « 3C », le trio entend «maximiser la valeur des actionnaires en menant la transformation dans des médias européens ». En matière de convergence, ils tablent sur le fait que « la révolution numérique et la consommation mobile en croissance créent des opportunités ».
Ils constatent que « l’accès aux médias par des terminaux mobiles est le segment connaissant la plus forte croissance dans les dépenses médias mondiales et devrait devenir la plateforme numérique principale de la prochaine décennie ».

Au sein de cette convergence numérique, les trois investisseurs prennent acte des nouveaux comportements de consommation et de l’émergence de nouveau modèles économiques : « Des acquisitions physiques et des services de téléchargement, les utilisateurs sont passés aux modèles d’abonnement et de streaming (…), ce qui a permis l’émergence d’entreprises telles que Spotify ou Deezer », soulignent les cofondateurs de Mediawan. Mais cette convergence des contenus et des plateformes conduit à une concurrence accrue entre les différents acteurs. « La demande croissante de contenus médias, accessibles “n’importe quand, n’importe où”, et la quantité croissante de données, de traitement numérique et de diffusion a mené à une prolifération de plateformes de distribution dans un environnement compétitif pour lequel la qualité du contenu et l’exclusivité restent des facteurs de différenciation-clés ». Au-delà de la convergence, c’est la consolidation entre acteurs de contenus médias, traditionnels et numériques, et les industries du divertissement, qui motive les stratèges de Mediawan. « La fragmentation croissante de l’audience augmente le besoin de consolidation autour de fortes marques médias. Les acteurs industriels doivent atteindre une taille critique pour être en position de développer et de distribuer des contenus à travers des plateformes variées », estiment les dirigeants de Mediawan.
Et de poursuivre : « Les opportunités [de cibles à racheter, ndlr] sous-évaluées et le potentiel de croissance significatif existent dans le contenu médiatique traditionnel et numérique, et les industries du divertissement. La présence d’actionnaires historiques dans des entreprises de médias, désireux soit de disposer soit de transférer leurs actifs ou leurs actions, offre de nouvelles occasions pour les fondateurs et l’entreprise dans les contenus médias et les industries culturelles ».
En troisième et dernier lieu, le trio Niel-Pigasse-Capton mise sur la combinaison d’activités complémentaires dans les contenus médias traditionnels et numériques, et les industries du spectacle, afin de « maximiser la nouvelle création de valeur ». Les synergies de marques, de médias et de contenus permettent d’atteindre cette objectif.
« La fragmentation des audiences a poussé des sociétés de médias à développer des technologies de plus en plus sophistiquées pour atteindre des publics ciblés, lesquels peuvent être atteints en démultipliant les contenus simultanément et de façon complémentaire des contenus, de la distribution et des technologies », est-il expliqué.

Investissements et acquisitions
Cotée à la Bourse de Paris, mais uniquement réservée aux investisseurs professionnels, la société Mediawan a le statut de Spac (Special Purpose Acquisition Company) pour procéder à des acquisitions. A fin avril, Xavier Niel, le patron fondateur de Free via NJJ Presse, le banquier Matthieu Pigasse via Les Nouvelles Editions Indépendantes, et Pierre-Antoine Capton, via Troisième OEil, détiennent chacun 6,69 % du capital et des droits de vote de ce véhicule financier. @

Charles de Laubier

 

Entre le bilan 2015 et les perspectives 2016, les télécoms et les médias amorcent un nouveau cycle

Le nouveau cycle qui s’annonce, sur fond de convergence télécoms-médias, donnera-t-il naissance à des champions européens d’envergure internationale ? Tout dépend notamment des nouvelles règles édictées par les pouvoirs publics, notamment en termes de concurrence, de neutralité du Net et de cybersécurité.

Par Rémy Fekete, avocat associé, cabinet Jones Day

La fin de l’année 2015 a porté en elle l’achèvement du cycle de
la libéralisation de la téléphonie mobile, à peu près partout dans
le monde. La Birmanie, un des derniers pays en monopole est désormais ouvert à la concurrence de plusieurs opérateurs télécoms. L’Ethiopie est sans doute le dernier marché significatif dans lequel seul l’opérateur historique intervient dans la fourniture du téléphone et d’Internet. En France, le passage en 2012 de trois à quatre opérateurs mobile, d’une part, et la régulation visant pour l’essentiel la satisfaction du consommateur, d’autre part, ont abouti à une popularisation complète des services de téléphonie et l’amorce d’un Internet pour tous.

Convergence télécoms-médias
Les nouvelles tendances semblent étrangement bien connues : l’actualité rappelle l’ère Messier, marquée par la convergence télécoms-médias et des opérations d’acquisitions significatives financées pour l’essentiel par l’endettement (1). Faut-il s’attendre à une issue comparable marquée par la chute vertigineuse de ceux qui s’annonçaient comme de nouveaux géants ? Rien n’est moins sûr, car dans le secteur du multimédia, plus que jamais, « timing is of essence » et le marché est peut-être, cette fois-ci, prêt à fournir la croissance significative nécessaire à l’atterrissement sans heurt des opérations de LBO (2). L’année 2016 s’annonce comme celle visant le haut et très haut débit, dont la distinction fixe ou mobile a perdu de sa pertinence. L’ère nouvelle peut en effet capitaliser sur le succès de l’attribution des fréquences dans la bande des 700 Mhz, qui se mesure à l’aune des 2,8 milliards d’euros payés par les opérateurs mobile, et sur les acquis dans le déploiement des réseaux très haut débits fixe : 5 millions de logements sont éligibles au FTTH au troisième trimestre 2015 (3). Au-delà des réseaux, ce sont aussi les quatre principaux opérateurs français qui sont désormais convergents en étant présents et en montant en gamme dans le très haut débit fixe et mobile.
Quant à la concurrence des autres acteurs du numérique, elle se renforce jour après jour, en particulier dans les secteurs des médias (Netflix, Molotov) et celui des communications communications (interventions dans les réseaux telecoms et les médias de Facebook, Google ou encore Microsoft/Skype). A l’intérieur même des frontières traditionnelles des communications électroniques, de nouvelles formes de réseaux permettent l’émergence des communications Machine-to-Machine (M2M) et
la matérialisation d’un l’Internet des objets (Sigfox, Qowisio ou encore LoRa Alliance), tout en nourrissant le développement de nouveaux services (objets connectés, Big Data, etc.).
Le nouveau cycle devra composer avec les nouvelles dispositions européennes en matière de neutralité de l’Internet, consacrées après de longs atermoiements par le règlement adopté par le Parlement européen le 25 novembre 2015 (4). Si ce règlement préfère les termes « Internet ouvert » à « neutralité de l’Internet », il n’en pose pas moins les fondements du principe de neutralité des réseaux que devront respecter les opérateurs et les acteurs du numérique. Directement applicables dans chaque Etat membre (5), ces dispositions devront néanmoins être précisées à l’échelle nationale,
en particulier pour assurer la mise en oeuvre des principes qui demeurent encore généraux (6), ainsi que pour permettre à l’Arcep de contrôler le respect par les opérateurs de leurs obligations. A cet égard, le projet de loi « République numérique », porté par la secrétaire d’Etat au Numérique Axelle Lemaire et élaboré à l’issue d’une période de contribution citoyenne, prévoit l’élargissement des pouvoirs de sanction et de règlement de différend de l’Arcep. Et ce, afin d’adapter ces pouvoirs aux nouvelles dispositions du règlement européen « Neutralité de l’Internet ».

Nouvelles formes de régulation
On note également que la régulation en matière de communications électroniques inspire de nouvelles formes de régulation hors du champ où elle évolue traditionnellement, notamment en ce qui concerne le principe de loyauté des plateformes numériques, reconnu par le projet de loi « République numérique », ou encore en matière de portabilité des données. Ces nouvelles formes de régulation, symétriques et moins lourdes, pourraient être amenées à se généraliser pour rétablir une certaine égalité entre les opérateurs télécoms et les acteurs du numérique.

Concernant cette fois la question de la concentration des opérateurs de communications électroniques en France, elle demeure plus que jamais à l’ordre du jour au moment où Orange négocie le rachat de tout ou partie de Bouygues Telecom, mais on ignore encore les modalités d’une telle opération – si elle aboutissait. Jusqu’à l’officialisation le 5 janvier dernier de « discussions préliminaires » entre les deux opérateurs télécoms, il était difficile pour Orange de continuer à avancer en franc-tireur sur un dossier aussi épineux, tandis que SFR et Free entendent bien y trouver leur compte. Bouygues Telecom conservera-t-il, d’une façon ou d’une autre, une présence dans le secteur télécoms ?

Vers des « champions internationaux » ?
En filigrane, c’est la question-clé de la taille critique des opérateurs télécoms qui se pose et fait réapparaître le serpent de mer de la concentration des acteurs européens, indispensable pour assurer l’émergence de véritables « champions internationaux ». Les velléités des opérateurs télécoms européens se heurtent cependant aux foudres de la Commission européenne, notamment au Danemark (7) ou encore au Royaume-Uni (8). Certains signes sont encourageants (Altice a pu prendre le contrôle de Portugal Telecom et Vivendi ainsi que Xavier Niel placent leurs pions chez Telecom Italia), mais on ne peut que souhaiter, en cette époque de voeux, un aggiornamento de la doctrine européenne pour qu’elle vise enfin en priorité à laisser émerger des acteurs européens de taille à rivaliser à l’international plutôt que de poursuivre une logique trop consumériste qui maintient l’émiettement d’opérateurs dans chaque marché national.
À l’échelle nationale, l’opération SFR-Numericable a indéniablement introduit une nouvelle dynamique qui ne se limite pas au secteur des communications électroniques, comme l’a montré le coup de tonnerre de l’acquisition des droits sportifs du football anglais Premier League par Altice Media (groupe Altice, lequel détient SFR-Numericable) pour 300 millions d’euros, ou encore l’acquisition des droits télévisés
du FC Porto par Altice pour plus de 450 millions d’euros. Il n’est pas anodin que ces incursions dans le monde des médias soient l’oeuvre d’opérateurs fixe et mobile convergents, et on peut penser que ce modèle de développement pourrait se généraliser dans les prochaines années.
L’acquisition coup sur coup par Altice de Suddenlink Communications et de Cablevision, deux câblo-opérateurs présents aux Etats-Unis, semble d’ailleurs confirmer que la stratégie d’Altice repose sur la convergence entre les réseaux et les contenus. Soutenues par la dette et dopées par les taux bas, ces opérations permettront de mesurer la pertinence de cette stratégie à l’échelle internationale. L’univers des médias a commencé sa mue avec la profonde restructuration de Canal+ par Vivendi sous l’ère Bolloré, alors qu’Altice réussit peu à peu à constituer un groupe diversifié de médias (presse écrite, magazines, radio et télévision). La radio est, quant à elle, encore demeurée un peu à l’écart de ces grands bouleversements. Et la migration vers la radio numérique terrestre, dont l’horizon se rapproche, soulève encore de nombreuses interrogations sur l’avenir de ce média. Son audience demeure stratégique mais sa rentabilité à moyen-terme plus problématique. On ne saurait parler de l’année 2015 sans faire référence aux attentats terroristes et à l’extrême attention désormais apportée aux enjeux sécuritaires. Les outils nécessaires à la mise en oeuvre des textes législatifs et réglementaires en matière de cybersécurité manquent encore d’efficacité : les GAFA n’ont pas encore pris toute la mesure de leur nécessaire intégration dans les enquêtes et procédures administratives et criminelles. Alors que l’état d’urgence sur le territoire français permet des atteintes aux libertés individuelles comme le pays n’en a probablement pas connu depuis la Deuxième Guerre mondiale, l’extranéité des géants du numérique leur permet encore d’échapper, pour partie du moins, aux mesures de police et de justice. Il n’est cependant pas dit que ces difficultés subsisteront longtemps. En effet, après l’adoption de la loi de programmation militaire en décembre 2013 (9), de la loi relative au renseignement en juillet 2015 (10) et de la loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales en novembre 2015 (11), les autorités peuvent désormais s’appuyer sur des dispositions plus claires et disposent de pouvoirs élargis afin d’accéder aux données nécessaires à la réalisation d’enquêtes et à la poursuite des infractions. En outre, ces dispositions s’appliquent de plus en plus aux acteurs du numérique de façon générale, et non seulement aux « opérateurs de communications électroniques ». La gestion des données personnelles, à l’heure du
Big Data, est à la fois le sésame permettant de monétiser le trafic Internet, un enjeu sécuritaire- clé et encore aujourd’hui un indicateur déterminant qui illustre la différence des systèmes juridiques. Ainsi, 2015 a vu l’Union européenne mettre un terme à l’accord de « Safe Harbor » avec les Etats-Unis (12), et les membres des pays émergents s’éveiller à la valeur de la gestion des données personnelles.

Accélérations en 2016
Tout annonce que l’évolution rapide des communications électroniques et des médias continuera de s’accélérer en 2016, avec un retour en grâce confirmée de l’intervention de l’Etat et des collectivités locales, notamment dans le déploiement du très haut débit, et la poursuite du déplacement de la valeur vers les contenus à forte valeur ajoutée,
en espérant qu’entre la montée en gamme des équipementiers chinois et la suprématie des éditeurs de sites Internet américains, les acteurs privés européens sauront trouver leur place dans un écosystème en constante évolution. @