Révision de la directive « SMA » : vers un rééquilibrage des obligations dans l’audiovisuel

En vue de la révision en 2016 de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA), la Commission européenne mène une consultation publique jusqu’au 30 septembre sur les conséquences de la transformation numérique du paysage audiovisuel – notamment par les OTT.

Par Katia Duhamel, experte en droit et régulation des TICs, K. Duhamel Consulting

La consultation publique en cours (1) s’inscrit dans le droit fil de la consultation précédente sur le livre vert intitulé : « Se préparer à un monde audiovisuel totalement convergent : croissance, création et valeurs » (2). Ce qui a permis d’arrêter en 2013 les principaux enjeux du réexamen de
la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), sur fond du débat récurrent sur les moyens de contrer la puissance des plateformes numériques américaines et leur stratégie d’optimisation réglementaire
et fiscale.

Les maisons d’édition craignent un coup de frein des ventes de livres numériques si la TVA revenait à 20 %

Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici (photo), commissaire européen à la Fiscalité, que dépendra l’issue de l’affaire française de la TVA réduite sur les ebooks. La France échappe pour l’heure à une sanction, en attendant la révision de la directive européenne « TVA » prévue fin 2016.

« L’année prochaine sera une année décisive pour le développement du livre numérique en Europe suite au jugement
de la Cour de Justice de l’Union européenne [CJUE] sur le taux
de TVA applicable au livre numérique. Il sera en effet difficile de maintenir une croissance équivalente si la TVA du livre numérique téléchargeable revient au taux normal », a prévenu Gabriel Zafrani, chargé de mission Affaires économiques au Syndicat national de l’édition (SNE), dont l’assemblée générale s’est tenue le 25 juin.

Livre : contrat unique papier-numérique, TVA unique ?

En fait. Le 25 avril, Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication,
a présenté en conseil des ministres un projet de loi ratifiant l’ordonnance du 12 novembre 2014 instaurant un contrat d’édition prenant en compte les livres numériques. C’est l’aboutissement plus de deux ans de gestation.

En clair. Le livre numérique en France n’est pas au bout de ses peines. Il a fallu plus de deux ans – depuis les travaux de la mission Sirinelli lancée le 11 septembre 2012 – pour que soient inscrits dans la loi les principes d’un nouveau contrat d’édition « uni-que » entre le livre imprimée et le livre numérique. C’est la concrétisation de l’accord-cadre signé le 21 mars 2013 entre écrivains (CPE) et éditeurs (SNE) sur le contrat d’édition à l’ère numérique, entré en vigueur depuis le 1er décembre dernier. Il était temps que le ministère de la Culture et de la Communication présente – enfin – un texte législatif qui, pour accélérer la procédure d’adoption, a pris la forme d’une ordonnance. Ce nouveau contrat d’édition est censé rééquilibrer les relations entre les auteurs et les maisons d’édition qui ne faisaient pas toutes le nécessaire contractuel vis-à-vis du livre numérique.
L’ordonnance définit l’étendue de l’obligation qui pèse sur l’éditeur en matière
d’« exploitation permanente et suivie », ainsi qu’en ce qui concerne la reddition des comptes pour chacune des deux éditions – imprimée et numérique (1). Le texte de loi prévoit en outre la possibilité pour l’auteur (ou l’éditeur) de mettre fin au contrat d’édition en cas de constat d’un « défaut durable d’activité économique dans l’exploitation de l’oeuvre ». Il garantit également une « juste rémunération de l’auteur » (sans en fixer
le niveau) en cas d’exploitation numérique, tandis que les conditions économiques de
la cession des droits numériques feront l’objet d’un réexamen régulier (2).
Reste à savoir si le contrat d’édition numérique à la française est euro-compatible, au moment où la Commission européenne se penche sur la directive « DADVSI » en vue d’adapter et d’harmoniser le droit d’auteur à l’ère du numérique. Les initiatives avant-gardistes de Paris dans le livre ont déjà échaudé Bruxelles : le 5 mars, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé – donnant ainsi raison à l’exécutif européen – que la France ne pouvait appliquer aux ebooks le même taux de TVA réduit que celui des livres imprimés (5,5 % au lieu de 20 %). Face à ces incertitudes juridiques, le marché français du livre numérique peine à franchir le seuil des 5 % du marché global de l’édition en France en terme de chiffre d’affaires, pour se situer autour de seulement 135 millions d’euros en 2014. @

« Luxembourg Leaks » : un pavé dans le numérique

En fait. Le 6 novembre, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a publié une enquête menée par 80 reporters de 26 pays
sur les accords fiscaux (tax rulings) conclus entre 340 entreprises et le Luxembourg. Des entreprises du numérique, de médias et des télécoms
figurent en bonne place.

En clair. Selon nos constatations, plus d’une douzaine d’entreprises du numérique,
des médias ou des télécoms font partie des 340 sociétés – la plupart multinationales – ayant bénéficié du Luxembourg d’avantages fiscaux (tax rulings) considérées comme des « aides d’Etat » déguisées. Ce scandale a été révélé – via Le Monde notamment – sous le nom évocateur de « Luxembourg Leaks » ou « LuxLeaks » (1). Ainsi, dans la catégorie de entreprises de technologies, on y trouve la filiale iTunes d’Apple que l’on ne présente plus, le géant du e-commerce Amazon avec notamment sa filiale luxembourgeoise Amazon Media, l’opérateur mobile européen Vodafone, l’opérateur télécom historique suédois Tele2, l’opérateurs télécoms américain Verizon, le groupe de conseil informatique Accenture d’origine américaine (ex-Arthur Andersen) mais basé en Irlande et présidé par le Français Pierre Nanterme, ou encore Tele Columbus qui est le troisième câblo-opérateur en Allemagne.

Edwy Plenel en appelle à «une grande loi sur la liberté de l’information» pour la presse en pleine crise

Le fondateur du site de presse en ligne Mediapart et ancien directeur de la rédaction du quotidien Le Monde lance un appel aux parlementaires pour
« refonder l’écosystème des médias » dont la crise économique risque à
ses yeux d’accentuer « la double dépendance » (industrielle et étatique).

« Il devrait y avoir aujourd’hui une immense consultation faite par
le Parlement en vue d’une grande loi sur la liberté de l’information,
de même ambition que celle de 1881 (1), qui permette de refonder notre écosystème : le droit de savoir, notre métier, le droit de savoir des citoyens, l’accès aux informations, le droit de dire, la liberté d’expression, le droit des rédactions, leur protection, le droit du public, les sources, les lanceurs d’alertes, la neutralité du numérique, … », a expliqué Edwy Plenel, le 13 mars dernier, à l’occasion de la présentation des résultats annuels du site de presse en ligne Mediapart (2) qu’il a créé il
y a six ans et qu’il souhaiterait voir détenu par un « fonds de dotation » d’ici un an pour pérenniser son indépendance.