Sébastien Soriano : l’homme de l’intégration Arcep-CSA ?

En fait. Le 3 janvier dernier, Jean-Ludovic Silicani a achevé son mandat de six ans à la présidence de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Le 23 décembre dernier, François Hollande a proposé Sébastien Soriano (X-Télécom et conseiller de Fleur Pellerin) comme successeur.

(Depuis la parution de cet article le 12 janvier 2015 dans le bimensuel EM@, Sébastien Soriano a été nommé président de l’Arcep par décret présidentiel du 14 janvier, après avoir été auditionné le 13 janvier à l’Assemblée nationale puis au Sénat)

Sébastien SorianoEn clair. Le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat ont été saisis de ce projet de nomination, afin que chacune de leur commission respectivement concernée se prononce : leur avis est attendu pour le 13 janvier.
Un décret présidentiel entérinera ensuite la nomination de Sébastien Soriano (photo). Sa première apparition publique en tant que président de l’Arcep aura lieu à l’occasion des vœux du régulateur prévus le 28 janvier.
Il est le plus jeune – il aura 40 ans en décembre prochain – de ceux dont les noms ont circulé pour succéder à Jean-Ludovic Silicani. Parmi les candidats potentiels, il y avait notamment Catherine Trautmann, Emmanuel Gabla ou encore Pierre Collin.

Vers une « intégration » des régulations télécoms et audiovisuelles
Ce n’est pas un hasard si François Hollande, qui a déjà affirmé à l’automne dernier son souhait d’une « intégration » entre les régulations des télécoms et de l’audiovisuel (1), a proposé Sébastien Soriano pour la présidence de l’Arcep.
Cet X-Télécom (2) a déjà montré qu’il est aussi bien à l’aise dans les télécoms et le numérique que dans la culture et l’audiovisuel. Actuel conseiller spécial de Fleur Pellerin au ministère de la Culture et de la Communication, il fut directeur de cabinet de Fleur Pellerin, lorsque celle-ci était ministre déléguée PME, Innovation et Economie numérique, puis secrétaire d’Etat au Commerce extérieur.
Par le passé, il fut durant trois ans rapporteur permanent à l’Autorité de la Concurrence (2001 à 2004), puis rapporteur général adjoint (2009 à 2012), où sa connaissance des enjeux de marché est un atout à l’heure où la France connaît un mouvement de concentration important avec le rachat de SFR et de Virgin Mobile par Altice-Numericable. Sa nomination marque aussi son « retour » chez le régulateur des télécoms puisqu’il y entra il y a dix ans comme chef de mission, pour être ensuite chef de l’unité Marché mobile (2005-2006), puis de l’unité Accès haut et très haut débit (2006-2007) et chef du service Collectivités et régulations des marchés hauts débits (2007-2009).

On le dit sensible aux préoccupations des opérateurs télécoms, lesquels ont pu reprocher à Jean-Ludovic Silicani d’être trop « consumériste » : selon eux, ce dernier aurait plus favoriser la concurrence et la guerre des prix, avec notamment l’arrivée de Free Mobile, au détriment de leurs marges financières et leurs capacités d’investissement dans le très haut débit. @

Montée en puissance des projets « smart city » : la question de la protection des données reste posée

Les projets smart city dans le secteur des communications électroniques sont
de plus en plus nombreux et illustrent une tendance qui ne paraît pas prête de s’inverser : la coopération entre le secteur public et le secteur privé, et l’utilisation partagée des différents réseaux et données.

Par Michel Matas, avocat associé, et Katia Duhamel (photo), avocat of counsel, cabinet Bird & Bird

Inspiré par une littérature abondante, dont le dernier livre
de Jeremy Rifkins (1), lequel a conseillé de nombreuses collectivités territoriales, institutions et gouvernements (2),
le concept de « smart city » s’est aujourd’hui étendu et globalisé. Il vise, par l’interopérabilité des réseaux et des données rendue possible grâce aux nouvelles technologies, à rendre les villes plus utiles et plus efficaces.

 

Coopérations public-privé
Selon un rapport du think tank Institut de l’Entreprise, le potentiel en termes de marché des technologies est estimé à 15 milliards d’euros en 2020. Rien qu’à Paris, 36 %
des investissements internationaux en 2012 étaient concentrés sur le secteur des technologies de l’information et des télécommunications (3).
Au-delà des différences entre secteur public et secteur privé, il est une caractéristique invariante qui caractérise l’ensemble des projets smart city : une coopération systématique entre secteur public et secteur privé. Cette participation du secteur public est néanmoins plus ou moins marquée selon les projets. A son degré le plus élevé se situe la commande publique : il s’agit, pour une entité publique, d’utiliser ce levier afin de piloter elle-même un projet smart city. Si de très nombreux projets ont déjà vu le jour ou sont en préparation il paraît difficile de ne pas citer l’un des plus emblématiques : Vélib, lancé en 2007, dans le cadre d’un partenariat entre JCDecaux et la Ville de Paris et dont l’objet consiste à mettre à disposition des usagers environ 17.000 bicyclettes
sur plus de 1.200 stations réparties à Paris et dans la petite couronne, pour près de 100.000 trajets quotidiens. Son modèle économique est également remarquable : à l’instar de l’expérience lyonnaise sur laquelle Paris s’est appuyée, la municipalité a
en effet couplé l’attribution de l’affichage publicitaire urbain avec l’installation et l’exploitation de Vélib permettant non seulement à la ville de Paris de faire installer
et exploiter le réseau Vélib sans bourse délier, mais également de dégager des ressources issues de l’exploitation du mobilier urbain. Il est impossible de passer
en revue l’ensemble des projets liés à la commande publique dans la catégorie smart city, mais les projets peuvent aussi bien concerner le déploiement de réseaux de communications locaux, comme l’installation et l’exploitation de « data centers », l’éclairage public, la distribution d’eau, de gaz ou d’électricité, voire des projets liés à des services dans diverses villes (Bordeaux, Strasbourg, …), et permettant aux usagers disposer de services interactifs voire de souscrire et payer lesdits services au moyen de smartphone via la technologie sans contact NFC (Near Field Communication).

A un degré plus intermédiaire, le secteur public – sans être à l’initiative du projet lui-même mais grâce aux moyens mis à disposition des acteurs privés – permet l’émergence d’une série de projets smart city. Si traditionnellement la mise à disposition de moyens s’entend comme les aides ou subventions que la commune peut consentir, comme c’est par exemple le cas de divers incubateurs de start-up avec l’aide de partenaires privés, une partie essentielle de l’assistance fournie aux opérateurs privés consiste aujourd’hui dans la mise à disposition de données publiques dans le cadre de l’Open Data. Dans ce cadre, et au-delà des divers standards en vigueur en France tels que ODBL ou Etalab (4), la mise à disposition de dizaines de milliers de fichiers permet par exemple aujourd’hui d’extraire et d’utiliser les trajets de nombreux transports en commun, les horaires d’une multitude services, les quantités de plans et milliers d’autres données publiques (payantes ou non).

Multiples services, locaux ou nationaux
Cela permet au secteur privé d’offrir de multiples services, du plus local (les emplacements de stationnement libres à Nice) au plus national (les horaires des trains intégrés à des plateformes plus larges d’information).

A un degré plus faible, il est rare que les acteurs publics – même lorsqu’ils ne le sont pas directement – ne soient pas concernés en leur qualité de gestionnaire du domaine public, voire d’autorité délégante. En effet, l’interopérabilité des réseaux et des données aboutit à une collaboration croissante entre des acteurs privés dans laquelle la puissance publique aura son mot à dire in fine, lorsqu’elle n’est pas consultée en amont. Ainsi, par exemple, en sera-t-il dans le cas où un gestionnaire de mobilier urbain conclurait avec un opérateur mobile un accord visant à permettre à ce dernier de déployer sur son mobilier urbain des antennes WiFi de faible portée. Et ce, afin de permettre à l’opérateur mobile en question de sécuriser par redondances son réseau principal et d’améliorer le débit disponible dans une zone densément peuplée (5).

Données et anonymisation : risques
Dans la mesure où les projets smart city impliquent à la fois des acteurs publics et
le secteur privé, l’une des premières caractéristiques de ce type de projet est qu’ils associent en général le droit public au droit privé et que bien souvent – mêmes s’ils relèvent intégralement du droit privé lorsque seuls des acteurs privés sont concernés
– une connaissance approfondie des règles applicables aux contrats publics ou aux occupations du domaine public est nécessaire.
Au-delà de cet aspect « organique », la question de la protection des données constitue en général l’une des problématiques les plus fréquentes, que cela soit pour la protection des données publiques utilisées pour fournir le service basé sur l’Open Data, et pour la protection des données personnelles des utilisateurs du service. En effet, bien souvent la collecte des données des utilisateurs est faite aux fins d’amélioration du service (par exemple, pour déterminer les heures de pointe ou non, les embouteillages, les temps de trajet, etc). Dans d’autres cas, les utilisateurs peuvent avoir à rentrer eux-mêmes leurs informations ou leurs données afin de renseigner les autres utilisateurs ou le fournisseur du service concerné, à moins d’être amenés à enrichir le service en tant que tel.
Outre les limites physiques liées au stockage de ces données collectées, demeure l’obstacle de leur anonymisation. Suite à une consultation menée au début de l’année 2014 et intitulée « Open Data et données personnelles », la Commission nationale de l’Informatique et des Libertés (Cnil) révèle que près de 50 % des gestionnaires de données publiques ont indiqué avoir déjà fait part de leur opposition à l’ouverture de certaines données au motif d’un risque d’identification de personnes physiques (6). Ainsi, les solutions pratiques permettant l’anonymisation des données étant parfois sommaires, elles sont un enjeu important face au risque d’identification des données amplifié par les possibilités de croisement des informations.

La sécurité est également une problématique inhérente au développement de certains services tels que l’utilisation de la technologie NFC. La Cnil a déjà émis des réserves concernant la sécurité des paiements par cartes bancaires sans contact : l’accessibilité à certaines données bancaire et l’existence d’un « risque de piratage » sont préoccupantes. La Cnil préconise un « chiffrement des échanges » et une meilleure information des utilisateurs, ainsi que la possibilité pour ceux-ci d’activer ou désactiver le service (7). L’intégration de cette technologie à la téléphonie mobile crée de nouveaux défis en matière de sécurité des moyens de paiements.
Lors de l’expérimentation à Nice de la ville Cityzi, développant une multitude de services sans contact (achats, validation de titres de transports, accès à des informations contextuelles, etc), la Cnil a pu constater que les communications entre la puce NFC et les « valideurs » sont sécurisées par un chiffrement apportant une sécurité particulière lors des transactions effectuées via cette technologie. Elle veille à ce qu’il y ait une attribution d’un alias différent pour chaque fournisseur de services, de façon à ce que le recoupement d’informations sur les services utilisés ne puisse être effectué. En outre, dès lors que les réseaux et services fournis au public sont concernés, plusieurs réglementations viennent en général s’ajouter les unes aux autres. Ainsi, par exemple dans le cas de l’installation d’un réseau télécoms sur un autre réseau public (électrique, éclairage, mobilier urbain, …), il conviendra de concilier les obligations de continuité et les contraintes techniques et réglementaires de part et d’autre.

Complexité accrue et inéluctable
Aussi complexe soient-elle, l’utilisation mutualisée des données et des réseaux n’en
est aujourd’hui qu’à ses prémisses et il semble que les années à venir marqueront une nette accélération des projets smart city. Il paraît en effet inéluctable que l’ensemble des infrastructures, équipements et données publiques soient, à terme, interconnectés les uns aux autres, interactifs et utilisables par le plus grand nombre. @

Arnaud Montebourg, nouveau régulateur des télécoms et nouvelle autorité de la concurrence numérique

Le ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique est depuis plus de deux ans l’un des membres du gouvernement (Ayrault puis Valls) le plus actif. Bien avant d’ajouter « Numérique » à sa fonction, il a pris des allures de régulateur des télécoms et même d’autorité de la concurrence !

(Cet article est paru le lundi 21 juillet 2014 dans Edition Multimédi@ n°106. Le lundi 25 août au matin, Manuel Valls a présenté la démission de son gouvernement. Arnaud Montebourg a annoncé qu’il ne participera pas au gouvernement ‘Valls 2’).

Par Charles de Laubier

Arnaud Montebourg« Nous souhaitons réformer l’Arcep, réduire ses pouvoirs et la remettre à sa place », lui reprochant à mots couverts le lancement de Free Mobile. Ainsi peut s’exprimer, sans langue de bois, Arnaud Montebourg (photo). Peut-être, lors de ses voeux à la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) le 31 janvier dernier, le ministre de l’Economie, du Redressement productif
et du Numérique voulait-il faire plaisir à Orange, SFR et surtout Bouygues Telecom en parlant ainsi ?
N’envisageait-il pas déjà en 2012 de rapprocher l’Arcep et le CSA en vue de « rationaliser » la régulation des communications électroniques et de l’audiovisuel ?
Une chose est sûre, Arnaud Montebourg assume pleinement ses fonctions ministérielles qui ont été élargies le 2 avril au Numérique, au point de donner l’impression de marcher sur les plates-bandes de l’Arcep ou de l’Autorité de la concurrence, voire sur celles du CSA.

Montebourg veut unir la VOD française face à Netflix
Si les autorités administratives indépendantes sont tenues à un devoir de réserve,
ce n’est pas le cas du ministre de Bercy qui dit haut et fort ce qu’il souhaite pour les marchés des télécoms, du numérique et de l’audiovisuel.
Sa dernière intervention en date dans ce domaine fut lors de son discours fleuve du
10 juillet, à l’occasion de la présentation de la « la feuille de route du redressement économique de la France ».
Ainsi, Arnaud Montebourg n’hésite pas à outrepasser le pouvoir régalien de l’Etat en s’immisçant quelque peu dans la stratégie même des entreprises. « Avec Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture et de la Communication, nous avons demandé aux opérateurs audiovisuels et numériques français de s’unir pour offrir des plateformes alternatives aux offensives anglo-saxonnes dans la culture et le cinéma [comprenez face à l’arrivée en France de l’américain Netflix programmée pour le 15 septembre, ndlr] », a déclaré le ministre du Numérique.

Et d’ajouter : « Je m’apprête à écrire au président d’Orange, comme actionnaire, une lettre de mission lui demandant d’être le vaisseau amiral porteur de notre révolution numérique et souveraine. (…) Et nous ne répugnerons pas à nouer des alliances européennes dans ce domaine ». Arnaud Montebourg verrait-il Orange et sa filiale Dailymotion devenir les portes-drapeaux de la vidéo à la demande (VOD) française ? Sur le marché de la vidéo sur Internet en général et de la VOD en particulier, c’est
en tout cas la seconde fois en un peu plus d’un an que le ministre du Redressement productif invoque la participation de l’Etat au capital d’Orange pour intervenir dans
sa stratégie (1).

Depuis l’affaire Yahoo/Dailymotion
Déjà, au printemps 2013, le ministre du Redressement productif s’était interposé entre l’ex-France Télécom et l’américain Yahoo pour refuser que ce dernier ne prenne une participation de 75 % dans le capital de Dailymotion – détenu à 100 % par Orange.
Tout s’était joué à Bercy le 12 avril de l’an dernier, lors d’une réunion entre Henrique de Castro (Yahoo), Stéphane Richard (PDG d’Orange) et Arnaud Montebourg, ce dernier n’acceptant qu’un « partenariat équilibré » (à 50/50), sinon rien.
Conséquence : Yahoo renonçait à prendre le contrôle de la plateforme française de partage vidéo concurrente de YouTube (2). Pour garder bonne figure dans cette affaire, qui restera dans les annales de l’interventionnisme controversé de l’Etat, Stéphane Richard avait ensuite déclaré : « Dailymotion est une filiale d’Orange et non de l’Etat. C’est le groupe, sa direction et son conseil d’administration qui gèrent ce dossier. (…) Ce n’est pas à la demande de l’Etat que nous avons investi » (3).
Toujours à la recherche d’un partenaire capable de renforcer la présence de Dailymotion aux Etats-Unis, Orange s’était ensuite tourné vers Microsoft intéressé mais à condition qu’il y ait un troisième partenaire dans le tour de table. Cela aurait pu être Canal+, qui était en discussion avec Orange depuis le début de l’année, mais la filiale de télévision de Vivendi souhaitait la majorité du capital de Dailymotion. Ce que Stéphane Richard, l’homme lige de l’Etat actionnaire, n’a pas voulu concéder. Résultat, les négociations entre Canal+ et Orange ont échoué début juin. Ce qui pourrait amener à une impasse les négociations avec Microsoft.
Jusqu’où ira la « lettre de mission » adressée à Stéphane Richard pour orienter le
« vaisseau amiral » ? Arnaud Montebourg aurait déjà demandé à Orange de lancer une offre de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) concurrente de celle de Netflix
à partir du catalogue d’Orange Cinéma Séries (4), filiale commune avec Canal+. C’est aussi au nom de l’Etat actionnaire que le ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique aurait pressé Stéphane Richard d’étudier le rachat de Bouygues Telecom mis à mal par la concurrence de Free et par l’échec de sa tentative de s’emparer de SFR – finalement tombé dans l’escarcelle d’Altice- Numericable contrairement au souhait d’Arnaud Montebourg. Mais le 2 juillet, Orange jetait l’éponge en le faisant savoir par un communiqué on ne peut plus laconique : « Orange a exploré les possibilités de participer à une opération de consolidation du marché français des télécoms, et juge que les conditions que le groupe avait fixées ne sont pas réunies aujourd’hui pour y donner suite. ». En clair : « Les demandes de Bouygues étaient trop élevées et Iliad ne voulait pas aller suffisamment loin dans sa participation à une opération », a expliqué Stéphane Richard à La Tribune (5). De quoi contrarier une nouvelle fois le ministre dans sa volonté de ramener à trois au lieu de quatre le nombre d’opérateurs télécoms en France.
A moins qu’Arnaud Montebourg ait à nouveau convaincu Stéphane Richard de ne pas laisser tomber Bouygues Telecom. Car, le 5 juillet, lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, le PDG d’Orange revenait sur sa décision : « D’un point de vue concurrentiel, nous ne prendrons pas le risque de repartir sur ce dossier. Mais si quelqu’un d’autre décide de le faire et nous sollicite (…) pour, peut-être, permettre d’élaborer une offre qui peut satisfaire Bouygues, bien sûr qu’on regardera ». Autant dire qu’Arnaud Montebourg est à la manoeuvre, lui qui a fait du passage à trois opérateurs télécoms son cheval de bataille depuis plusieurs mois : « Si on revient à trois, on est plus fort que si on subsiste à quatre. (…) La concurrence par la destruction s’arrêtera si nous revenons à trois opérateurs mobiles tout en maintenant des prix bas » (6). Avec sa nouvelle casquette de régulateur, le ministre a aussi taclé au passage l’Autorité de la concurrence, dont le président Bruno Lasserre avait dit (7) qu’il avait besoin de neuf mois pour donner son feu vert au repreneur de SFR : « S’il faut neuf mois à une autorité indépendante pour prendre une décision, ça posera un problème ».

Trois opérateurs, dont un « Maverick »
D’autant que l’autorité indépendante de la rue de l’Echelle et le ministre de Bercy sont au fond d’accord, ce dernier ayant lancé lors d’une conférence des Echos le 12 juin :
« Le passage de quatre à trois opérateurs mobiles est inéluctable (…), surtout si Free
– le ‘’Maverick’’, le ‘’vilain petit canard’’ – se maintient », faisant siens les propos tenus la veille par Bruno Lasserre (8) devant l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF). L’Autorité de la concurrence, elle, a promis sa décision sur Altice- Numericable/SFR/Virgin Mobile à l’automne… @

Le transfert de valeur des télécommunications traditionnelles vers l’Internet s’accélère

Les services Internet, dont les revenus devraient atteindre 400 milliards d’euros en 2017 grâce à une croissance annuelle à deux chiffres, n’ont pas fini de donner du souci aux secteurs historiques des télécoms, de l’informatique et de la télévision, où la croissance se le dispute au déclin.

Dans trois ans, les services Internet pèseront 400 milliards d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial grâce à une croissance d’environ… 20 % par an ! Vous avez dit « crise économique » ?
En 2017, les revenus générés par cette nouvelle économie numérique – basée sur l’intermédiation en ligne (moteurs de recherche, publicité en ligne, commerce électronique, …) ou l’agrégation de contenus (vidéo en partage ou à la demande, boutiques d’applications, médias numériques, …) – représenteront ainsi pour la première fois 10 % du poids cumulé des industries télécoms, informatiques et télévision dites « historiques ».
Découplage entre réseaux et services
C’est ce qui ressort de l’étude annuelle DigiWorld Yearbook 2014 de l’Idate. Alors que
ces services Internet ont franchi l’an dernier la barre des 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires (voir tableau ci-contre), soit 6,3 % du total, c’est donc à un doublement de ces nouveaux revenus numériques auquel le monde doit s’attendre dans les trois ans qui viennent. Un véritable pied-de-nez à la morosité ambiante. Les réseaux sociaux, les applications mobiles et la vidéo en ligne sont les segments du Net les plus dynamiques, avec des croissances records situées entre 30 % et 50 % par an ! Ce tiercé gagnant
est suivi de près par le cloud, les moteurs de recherche et le e-commerce (1).
« La très grande majorité des acteurs de ces nouveaux marchés sont américains, et cinq parmi les premiers (GAFAM, pour Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) pèsent pour plus de la moitié des revenus globaux », relève Didier Pouillot (photo), directeur (2) à l’Idate. L’Amérique du Nord reste aussi la région la plus productive en termes de revenus OTT (3) par internaute, avec près de 271 euros par internaute en 2013 contre 215 en Asie-Pacifique (avec des acteurs aux ambitions internationales comme Alibaba, Sina, Baidu, Tencent, Rakuten, …) et 123 en Europe (où les champions européens du Net font défaut). « L’e-commerce et les moteurs de recherche sont les “vaches à lait” de l’Internet, des segments majeurs mais avec une forte maturité et donc des taux de croissance. Le cloud computing – déjà le plus gros marché Internet – reste en revanche une véritable locomotive. Les perspectives restent également très positives pour les applications et contenus mobiles », ajoute Vincent Bonneau (4). Et ce dynamisme exceptionnel, malgré « un léger ralentissement à… 16 % » prévu par l’Idate, se fera en partie au détriment des secteurs traditionnels qui voient augmenter sur eux la pression venant de ces « nouveaux entrants ». D’autant que, à côté de ce nouvel eldorado du Net, les acteurs traditionnels des télécoms, de l’informatique et de la télévision voient leur croissance annuelle à la peine autour de 3 %. « La téléphonie fixe poursuit depuis 2002 un déclin inéluctable, par des effets de substitution (fixe vers mobile) ou de transfert (vers l’IP via la VoIP et l’IM (5)). La généralisation de l’Internet contribue à favoriser des offres concurrentes de services télécoms par les réseaux sociaux et les acteurs OTT, qui captent de plus en plus de valeur », souligne l’institut d’études. Le marché mondial des services télécoms, qui a généré 1.187 milliards d’euros en 2013 (dont 60 % issus des services mobiles), est désormais le terrain de jeu des acteurs de l’Internet qui poussent de plus en plus à un découplage entre réseaux d’accès et offre de services. A cela s’ajoute une régulation européenne plus favorable jusque-là aux consommateurs qu’aux opérateurs télécoms (6). @

Charles de Laubier

Après leur « coup de foudre », Xavier et Martin vont-ils faire dans le « Je t’aime… moi non plus » ?

Alors que Vivendi est en négociations exclusives jusqu’au 4 avril avec Altice-Numericable pour lui vendre SFR, Bouygues a relevé son offre sur ce dernier
le 20 mars en rappelant l’accord signé avec Free le 9 mars. Grâce à Xavier Niel, Martin Bouygues espère l’emporter. Sinon, seraient-ils capables de faire un mariage de raison ?

Par Charles de Laubier

Xavier Niel et Martin BouyguesXavier Niel et Martin Bouygues (photo) ont eu début mars un « coup de foudre », alors qu’ils étaient auparavant des ennemis jurés. Mais les deux milliardaires des télécoms se retrouvent Gros-Jean comme devant, depuis que Vivendi a préféré Altice – maison mère de Numericable – comme repreneur potentiel de sa filiale SFR. Du coup, le « petit poucet » (Bouygues Telecom) et le « trublion » (Free) se retrouvent isolés chacun
de leur côté face à ce qui deviendrait un duopole dominant sur le marché français des télécoms : Orange et Numericable-SFR.
A moins qu’en relevant son offre sur SFR à 13,15 milliards d’euros, Bouygues ne réussisse à convaincre Vivendi. C’est ce qui pourrait lui arriver de mieux… Car difficile, face à un Numericable-SFR, d’imaginer que Xavier Niel et Martin Bouygues, aux personnalités antinomiques et aux relations épidermiques, puissent enterrer la hache
de guerre et faire leur vie ensemble, même dans le cadre d’un mariage de raison.

Querelles du « coucou » et du « parasite »
Rappelons que les deux protagonistes ont encore croisé le fer pas plus tard qu’en février dernier : Bouygues Telecom a en effet lancé un pavé dans la marre avec une offre triple play à 19,99 euros par mois. « Dans l’Internet fixe, la fête est finie. Nous allons faire faire 150 euros d’économie par an aux abonnés du fixe qui choisiront ce service, ce qui fait une économie de 12,5 euros par mois. Qui dit mieux ? Que Xavier Niel fasse la même chose s’il en est capable ! », avait prévenu Martin Bouygues dès le mois de décembre.
Une véritable déclaration de guerre au patron de Free (1). Bouygues Telecom, déjà mis à mal depuis l’arrivée de Free Mobile début 2012, n’avait pas supporté que ce dernier se mettent à offrir à partir de Noël la 4G sans augmentation de ses forfaits mobiles. Mais Iliad a aussitôt répliqué en lançant sous la marque Alice une offre triple play à… 19,98 euros par mois, soit un centime de moins que l’offre de Bouygues Telecom !

Querelles du « coucou » et du « parasite »
Le patron du groupe Bouygues ne supporte pas non plus l’arrogance de Xavier Niel qui déclarait en décembre dans Le Journal du Dimanche : « J’admire rarement les héritiers, mais Martin Bouygues a souvent un vrai bon sens paysan et c’est un très bon dirigeant. Mais il fait un travail de lobbying exceptionnel, n’hésitant pas à utiliser le 20 Heures sur TF1 comme un outil [de communication en faveur de Bouygues Telecom]. Sur ce point,
j’ai bien évidemment une conception différente de la liberté de la presse… ». Et de traiter au passage ses concurrents avec une certaine insolence qui se le dispute au mépris : « Ils étaient très riches, ils le sont un tout petit peu moins. J’ai beaucoup de peine pour eux, je vais pleurer » (2). Ce que Martin Bouygues n’avait pas apprécié du tout. La réponse du berger à la bergère ne s’était pas faite attendre, toujours courant décembre, avec ce sens de l’à-propos : « S’agissant de TF1, il cherche à me diffamer. En 26 ans, jamais le CSA ne m’a fait de tels reproches. Ce n’est pas moi, mais Xavier Niel qui dit ‘’quand les journalistes m’emmerdent je prends une participation dans leur canard et après ils me foutent la paix’’. (…) Il n’a aucune leçon de liberté de la presse
à donner à qui que ce soit ». Les relations houleuses entre Xavier Niel et Martin Bouygues ne datent pas d’hier. En mars 2012, après le lancement de Free Mobile, le patron du groupe de BTP affirme que « Free fait le coucou sur le réseau d’Orange ». Le sang de Xavier Niel ne fait qu’un tour et poursuit même le journal ayant laissé dire cela pour diffamation (3). Il faut dire que Martin Bouygues avait fait des pieds et des mains – notamment du temps de son ami Nicolas Sarkozy, alors chef de l’Etat – pour empêcher l’arrivée d’un quatrième opérateur mobile en France. Depuis les deux rivaux n’ont eu de cesse d’avoir régulièrement des prises de becs, allant jusqu’à être chacun condamné le 22 février 2013 par le tribunal de commerce de Paris pour « dénigrement et concurrence déloyale ». Xavier Niel, qui aurait fait appel, avait été « violent et injurieux ». Free a été condamné à verser 25 millions d’euros de dommages et intérêts à Bouygues Telecom et à payer 100.000 euros d’astreinte pour chaque allégation de type « pigeons » et « vaches à lait » pour qualifier les clients des opérateurs télécoms concurrents, ainsi que « arnaque », « racket » et « escroquerie ». Quant à Bouygues Télécom, il a été condamné à 5 millions d’euros pour avoir notamment traité Free de
« coucou » n’ayant pas son propre réseau. Le quatrième opérateur mobile bénéficie jusqu’en 2018 d’un accord d’itinérance avec Orange dans la 2G et la 3G. Les deux petits derniers du marché français avaient déjà ferraillé en justice fin 2010 lorsque Martin Bouygues avait attaqué, toujours devant le tribunal de commerce de Paris, Xavier Niel pour propos injurieux tenus sur BFM TV : « Malheureusement, nos concurrents ne sont pas capables d’inventer. (…) Je qualifie ces acteurs de parasites » ! Le patron de Free n’avait jamais apprécié que Martin Bouygues déclare dès décembre 2008 : « Déployer un réseau 3G pour 1 milliard d’euros, comme l’affirme Free, me paraît impossible, sauf à faire le coucou sur le réseau des opérateurs en place » (4). Cela s’était terminé en août 2011 par une condamnation des deux à se verser chacun
1 euro de dommages et intérêts… Après avoir fragilisé Bouygues Telecom en lançant Free Mobile début 2012, Iliad aurait bien souhaité la mort de Bouygues Telecom en songeant à s’emparer de SFR mis en vente par Vivendi. Mais le « trublion » en a été dissuadé.
« L’Autorité de la concurrence nous a dit en privé en novembre 2012 et l’a redit il y a quelques jours que ce n’était pas possible. Si nous rachetions SFR, c’était la disparition de Bouygues Telecom », a relaté Xavier Niel le 10 mars dernier.

Difficile dans ces conditions, après ces passes d’armes et ces noms d’oiseaux, de croire que le « coup de foudre » de début mars soit sincère. En fait, Xavier Niel et Martin Bouygues sont tombés sous le charme par conseils interposés ! « Maxime [Lombardini, directeur général d’Iliad] a passé un coup de fil à un avocat et cela a déclenché un certain nombre de choses… », a relaté Xavier Niel, lors de la présentation des résultats annuels du groupe Iliad. Maintenant que Bouygues Telecom n’a plus de raison de vendre son réseau mobile et ses fréquences à Free, ce dernier
se retrouve le plus isolé. « Si Altice rachetait SFR, on se retrouverait dans un scénario dans lequel Numericable, SFR et Bouygues Telecom – grâce à l’accord de mutualisation entre les deux derniers – feraient une seule et même entité », avait mis en garde Xavier Niel. C’est en effet le 28 février que SFR et Bouygues Telecom avaient annoncé un accord de mutualisation d’une partie de leurs réseaux mobiles via la création d’une co-entreprise, afin de couvrir ensemble 57 % de la population française d’ici 2017.

Quatre opérateurs mobile : un de trop ?
Que Vivendi décide dans quelques jours de céder SFR à Altice-Numericable ou d’introduire SFR en Bourse, le résultat pour Martin Bouygues et Xavier Niel sera le même : il y aura toujours quatre opérateurs mobile en France. « Et au final, soit Free soit Bouygues, sera à ramasser à la petite cuillère avec des milliers d’emplois perdus »,
selon les propos d’Arnaud Montebourg dans Le Parisien dès le 9 mars. A moins que le coup de poker de Martin Bouygues, associé à la Caisse des dépôts (lire p. 3), JCDecaux et Pinault, sur fond d’accord avec Free, ne rafle la mise… @

Charles de Laubier