Joe Biden (78 ans), 46e président des Etats-Unis, pourrait être celui qui mettra au pas les GAFA

Donald Trump est mort, vive Joe Biden ! A 78 ans, l’ancien vice-président de Barack Obama (2009-2017) et ancien sénateur du Delaware (1973-2009) a été investi 46e président des Etats-Unis le 20 janvier. Membre du Parti démocrate depuis 1969, Joseph Robinette Biden Junior est attendu au tournant par les Big Tech et la Silicon Valley.

Joe Biden (photo) et Kamala Harris ont donc prêté serment le 20 janvier 2021 en tant que respectivement président et vice-présidente des Etats-Unis. Battu de justesse et ayant eu du mal à admettre sa défaite, Donald Trump a boudé la cérémonie. Maintenant, la fête est finie et le 46e président des Etats-Unis se retrouve avec une pile de dossiers à traiter dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, sa résidence officielle jusqu’en janvier 2025 – son mandat étant de quatre ans, sauf décès ou destitution, renouvelable une fois. Située plutôt en haut de la pile des urgences se trouve la régulation de l’Internet, tant les problèmes se sont accumulés sous l’administration Trump : les enquêtes antitrust lancées à l’encontre des GAFA menacés de démantèlement pour en finir avec les abus de positions dominantes dans l’économie numérique et le e-commerce ; la protection des données personnelles en ligne et de la vie privée numérique, notamment mises à mal par les réseaux sociaux ; l’explosion des contenus controversés voire illicites sur Internet tels que publicités politiques, cyberhaine, cyberviolence ou encore désinformation ; la liste noire d’une dizaine d’entreprises technologiques chinoises devenues indésirables aux yeux de son prédécesseur sur le sol américain ; l’augmentation envisagée des droits de douanes sur des produits provenant des pays, dont la France, instaurant des taxes « GAFA ».

Biden et Trump, bonnet blanc et blanc bonnet ?
Ainsi, Joe Biden hérite d’au moins une demi-douzaine de problématiques digitales qui marqueront son mandat présidentiel. Ce à quoi s’ajoutent d’autres préoccupations des Big Tech depuis l’administration Trump : les décrets limitant les visas américains pour les salariés étrangers diplômés qui souhaiteraient travailler aux Etats-Unis, Silicon Valley comprise ; la neutralité de l’Internet annulée en 2018 par la FCC (1), laquelle décision fut confortée par un jugement mais laissant le dernier mot aux Etats fédérés (2) (*) (**). Plus globalement, le président démocrate est réputé plus favorable au renforcement du pouvoir fédéral, voire à un renforcement des lois antitrust que l’ancien président républicain. Ce dernier aspirait à moins de réglementation. Biden rime avec « plus de concurrence ». Alors que Trump rimait plus avec « positions dominantes ». Mais que l’on ne s’y trompe pas : Biden pourrait faire vis-à-vis des Big Tech dans le « Je t’aime… moi non plus » (3), et même nommer un « Monsieur antitrust » à la Maison-Blanche (4). De nombreuses Big Tech ont d’emblée misé sur le nouveau président en cofinançant ses cérémonies d’investiture, la plupart virtualisée en raison des risques de pandémie et d’émeutes. Le comité d’organisation mentionne comme donateurs : Google (Alphabet), Amazon, Microsoft, Verizon, Comcast (maison mère de NBC Universal), Qualcomm, Uber ou encore Yelp, ainsi que parmi les quelque 5.000 supporteurs Boeing. Mais qui trop embrasse mal étreint…

Antitrust, ePrivacy, data, fake news, …
La nouvelle administration « Biden » a maintenant les coudées franches pour légiférer autour d’Internet et du e-commerce dans la mesure où les démocrates américains ont la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat.
Sur le front « antitrust », les GAFA ne s’attendent à aucun revirement politique à leur égard. Les enquêtes lancées l’an dernier par le pouvoir fédéral américain – notamment du ministère de la Justice, ou DoJ (5) – vont se poursuivre sous la houlette de son nouveau ministre, Merrick Garland, dans le but d’essayer de mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles des géants du numérique surnommés les « winner-take-all ». Google (Alphabet) répond déjà devant la justice américaine depuis octobre dernier à propos de son moteur de recherche monopolistique (6). Le DoJ pourrait demander aussi des comptes à Apple, contesté pour ses pratiques sur son écosystème App Store, ainsi qu’à Facebook. Le réseau social de Mark Zuckerberg est déjà dans le collimateur du gendarme américain de la concurrence, la FTC (7), laquelle se mord les doigts d’avoir laissé Facebook racheter en 2012 Instagram et en 2014 WhatsApp (8) Les auteurs parlementaires du rapport du groupe spécial antitrust de la commission des Affaires judiciaires de la Chambre des représentants des Etats-Unis, publié le 6 octobre dernier (9), a appelé le Congrès américain à légiférer rapidement, sans attendre des années de procès. Depuis ce pavé dans la mare des GAFA, des Etats américains se sont coalisés pour poursuivre en justice Google et Facebook (10).
Sur le front « ePrivacy », les Etats-Unis ont pris conscience de l’importance de la protection des données personnelles en ligne et de la vie privée numérique, notamment mises à mal par Facebook avec l’affaire retentissante « Cambridge Analytica » qui a valu à la firme de « Zuck » 5milliards de dollars d’amende infligés en juillet 2019 par la FTC. Ce scandale avait porté sur l’utilisation illégale de 50 millions de comptes de Facebook aux Etats-Unis pour influencer en 2016 l’élection présidentielle américaine (11). Joe Biden pourrait s’inspirer du règlement européen sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis mai 2018, pour pousser une loi fédérale de même portée, alors que le « California Consumer Privacy Act » l’est depuis juin de la même année. La vice-présidente des Etats- Unis, Kamala Harris (première femme et première noire à occuper ce poste), pourrait accélérer dans cette voie, elle qui fut sénatrice et procureure de Californie, la Mecque des Big Tech et des start-up. Elle est même proche familialement du directeur juridique d’Uber. Mais Washington et Silicon Valley ne font pas bon ménage sur cette question.
Sur le front « fake news », la question de la régulation de l’Internet se pose d’autant plus que la cyberhaine déversée lors de la dernière campagne présidentielle, suivie des émeutes mortelles des partisans de Donald Trump le 6 janvier au Capitole, a laissé des traces profondes dans l’opinion américaine et internationale.
Les publicités politiques financées, puis interdites, sur les réseaux sociaux et la guerre de la désinformation (fake news) ont porté atteinte aux valeurs démocratiques. Joe Biden a déjà fait savoir qu’il allait réviser la section 230 du « Communications Decency Act » de 1996, lequel accorde une « immunité » judiciaire aux plateformes numériques quant aux contenus mis en ligne par leurs utilisateurs. Mais ce bouclier (12) est aujourd’hui contesté car les médias sociaux ne sont plus seulement hébergeurs. Facebook, Twitter et autres Google ont joué tant bien que mal les « modérateurs », supprimant des contenus qui n’auraient pas dû l’être, ou inversement avec la cyberviolence ou des contenus d’extrême droite ou complotistes.

… Huawei, TikTok, Xiaomi, taxes GAFA
Sur le front « Chine », une dizaine d’entreprises technologiques chinoises – à commencer par Huwei, le numéro un mondial des réseaux 5G, mais aussi ZTE – ont été placées sur une liste noire, accusées sans preuve de cyberespionnage et d’atteinte à la sécurité nationale du pays, le tout sur fond de bras de fer commercial sinoétatsunien. L’été dernier, Donald Trump avait signé des « Executive Order » pour interdire TikTok et WeChat aux Etats-Unis, sauf à être cédées par leur maison mère respectives, ByteDance et Tencent. A six jours de la fin du mandat, l’ancien président Trump a rajouté Xiaomi, devenu troisième fabricant mondial de smartphones devant Apple, à sa liste des chinois indésirables. Joe Biden, lui, enterra-t-il la hache de guerre pour fumer le calumet de la paix avec la Chine ?
Sur le front « taxe GAFA », la taxe que Paris a appliquée en 2019 aux grandes plateformes numériques – d’où son surnom de « taxe GAFA » – avait amené les Etats-Unis à envisager des représailles via une hausse des droits de douanes sur certains produits français. Or le 8 janvier dernier, le gouvernement fédéral américain a suspendu ce projet, le temps d’examiner les taxes GAFA similaires dans une dizaine d’autres pays (Grande-Bretagne, Italie, Inde, …). La future secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, s’est dite le 19 janvier plutôt favorable à une telle taxe pour « percevoir une juste part » des géants du Net. Avec Joe Biden, les Etats-Unis changent de pied. @

Charles de Laubier

Rémunérer les internautes – pour l’utilisation de leurs données personnelles – fait son chemin

Si c’est gratuit, c’est vous le produit ! Mais les internautes ne sont plus dupes : leurs données personnelles sont « l’or noir du XXIe siècle » et ils comptent bien se faire rémunérer pour leur exploitation ou pour visualiser de la publicité. Les start-up de la monétisation des données se multiplient.

La start-up française Tadata va avoir deux ans en fin d’année. Cet été, la Cnil (1) a clôturé l’enquête qu’elle avait lancée au printemps à son encontre après avoir été « alertée » par l’Internet Society France (Isoc France) en février dernier. Cette association qui représente les internautes dans les instances de la gouvernance de l’Internet en France et dans le monde, a décrété un postulat : les données personnelles procèdent d’un droit fondamental et, à ce titre, elles ne peuvent être vendues ou faire l’objet d’une monétisation.

Cnil pour, gouvernement et CNNum contre
L’Isoc France, présidée par Nicolas Chagny depuis cinq ans, a reproché à la jeune pousse parisienne, fondée fin 2018 par Alexandre Vanadia et Laurent Pomies, de justement proposer à un public de jeunes internautes de gagner de l’argent contre le partage de leurs données personnelles. Et l’association de « regretter l’approche simpliste et opaque du gain d’argent facile et rapide (…) ciblant un public vulnérable ». Tadata se présente comme « la première plateforme de monétisation des données personnelles ». Le sang de l’Isoc France n’avait fait qu’un tour, tout en affirmant constater « des non-conformités » au regard notamment du règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD), avait donc « alerté immédiatement la Cnil selon un principe de précaution, avant la montée en puissance d’un tel service » (2). Mais après quelques mois d’investigation, la Cnil a informé en juillet dernier la société qu’elle avait finalement classé sans suite cette affaire, en clôturant la procédure sans aucune sanction (3), la société s’étant mise en conformité avec le RGPD entre autres aspects juridiques. « La Cnil nous a même invité à participer à des échanges et débats sur la thématique de la monétisation des données personnelles avec ses équipes », indique Christel Monge (photo de gauche), présidente de Tadata, à Edition Multimédi@. Le gendarme des données valide donc un nouveau modèle économique des données, là où le gouvernement est plutôt contre la vente des données personnelles. En mars 2018, à la suite d’un rapport « Mes data sont à moi » du think tank libéral Génération Libre prônant la « patrimonialité des données numériques » et leur rémunération (4), Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d’Etat au Numérique, avait déclaré lors d’un débat du Syntec Informatique : « Je suis contre toute propriété et vente des données personnelles ». Quant au Conseil national du numérique (CNNum), dans un rapport de 2017, il avait déjà jugé ce « système patrimonial pour les données à caractère personnel » comme « une proposition dangereuse » (5). Avec ce feu vert explicite de la Cnil, la plateforme Tadata met désormais les bouchées double : elle propose donc aux 15- 25 ans de lui faire part d’informations personnelles de leur choix : centres d’intérêt, habitudes de consommation, besoins actuels, … L’internaute est invité à remplir des formulaires. Ensuite, les annonceurs auxquels sont transmis ces données pourront retenir des profils pour utiliser leurs données, contre de l’argent. L’internaute consentant accepte ainsi de « céder l’exploitation » de ses données personnelles « pour une durée de deux ans, dans le cadre d’une licence d’utilisation concédée aux annonceurs ». L’utilisateur a le choix entre être payé par virement sur un compte bancaire (Iban à renseigner à l’inscription), soit par carte cadeau où seront crédités chaque mois les gains obtenus. Tadata a passé un partenariat avec la société Wedoogift, qui permet aux bénéficiaires de dépenser leurs « cartes cadeaux » – valables chacun un an – dans plus de 500 enseignes physiques, dont des cinémas, et plus de 150 sites Internet. Tadata se positionne implicitement comme un anti- GAFAM qui s’arrogent des droits d’exploitation massive de données en échange de la gratuité de leurs services souvent incontournables et en position dominante. « Tous les jours, les acteurs d’Internet utilisent tes données personnelles à ton insu et se font de l’argent sur ton dos ! Avec Tadata, dis “Stop” : reprends le contrôle de tes données perso et gagne de l’argent avec ! », lance la plateforme de monétisation.

Start-up Tadata, My Data, Polymate, …
En contrepartie de son autorisation, le jeune internaute perçoit une quote-part de la redevance perçue par Tadata en vertu des licences d’utilisation conclues auprès de clients (dont les annonceurs), quote-part qui sera comprise « entre 3 et 5 euros » à chaque licence concédée pour l’utilisation par le client d’une base de données contenant des données à caractère personnel (DCP) du jeune concerné. Tadata n’est pas la seule jeune pousse, loin de là, à vouloir monétiser les données personnelles. Toujours en France, à La Rochelle cette fois, My Data – alias « My Data is Rich » (MDiR) – propose de « transformer vos données en royalties » en se présentant comme un tiers de confiance « pour la collecte, la gestion, la protection et la valorisation de données personnelles », indépendant des GAFAM, qui fait le lien entre les « auteurs de données » (essentiellement les particuliers) et les « consommateurs de données personnelles », à savoir les entreprises et tout organisme. MDiR, qui compte « plusieurs milliers de personnes », redistribue à ces « contributeurs » 50 % des gains engendrés par la valorisation de leurs données. « Nous ne sommes pas vendeur de données mais tiers de confiance. Les données sont pseudonymisées et ne sont identifiées auprès d’une entreprise tierce qu’après un droit d’usage accordé par la personne concernée », explique son président Eric Zeyl à Edition Multimédi@. Il l’assure : cette approche permet à chacun d’être « enfin un acteur éclairé et consentant de l’utilisation de ses données », tandis que les entreprises disposent ainsi de solutions « RGPD by design » pour développer des parcours clients ou prospects « data responsables ». La jeune pousse rocheloise a annoncé miseptembre son rapprochement avec le groupe Doxsa (6).

Brave rémunère en cryptomonnaie
Autre start-up française du « données contre royalties » : Polymate, basée à Bailly Romainvilliers (en région parisienne) et présidée par Armel Satchivi (photo de droite), qui revendique être le « premier réseau social géolocalisé qui rémunère ses utilisateurs ». Alors que YouTube (Google) ou, plus récemment, TikTok (ByteDance) sont des mégaplateformes qui rémunèrent leurs créateurs et influenceurs en fonction d’un grand nombre d’abonnés à « leur chaîne » ou de volume d’heures diffusées sur le réseau social, Polymate monnaye la data géolocalisée de ses utilisateurs devenus d’office « influenceurs ». « Un tag est une vidéo, une image ou un texte, qui a pour particularité d’être géolocalisé et de n’être visible que dans un rayon de 100 mètres autour de son emplacement. Seuls les autres “Polymaters” situés à proximité pourront ainsi voir, commenter et partager les tags, et contacter leurs auteurs », explique Armel Satchivi à Edition Multimédi@. Seuls les autres Polymaters situés à proximité pourront ainsi voir, commenter et partager les tags, et contacter leurs auteurs. Du côté des navigateurs web cette fois, Brave permet aux utilisateurs de récupérer les tokens – des jetons – générés en l’utilisant et d’obtenir ainsi une rémunération pour les publicités dont ils autorisent l’affichage. La start-up Brave Software a été créée il y a cinq ans maintenant par Brendan Eich, qui fut cofondateur de Mozilla (Firefox) et créateur du JavaScript. Aujourd’hui, le navigateur Brave revendique près de 20 millions de « braves » par mois dans le monde (19 millions en octobre précisément, contre 12 millions en mai dernier). « Votre attention est précieuse. Gagnez de l’argent en visualisant des publicités qui respectent la vie privée, puis donnez à votre tour pour soutenir les créateurs de contenu que vous aimez », explique l’éditeur de ce navigateur open source construit à partir de Chromium de Google. Fini les publicités envahissantes en naviguant sur le Web et fini la vente des données confidentielles à des annonceurs, la plupart du temps sans le consentement explicite de l’internaute. « Avec votre ancien navigateur, vous payiez pour naviguer sur le Web de la manière suivante : votre attention était utilisée pour visualiser des publicités », rappelle la start-up californienne (basée à San Francisco). Avec le système «Brave Rewards », l’attention de l’internaute – « le temps de cerveau disponible », diraient certains – est valorisée sous la forme de jetons baptisés « Basic Attention Token » (BAT), « une nouvelle façon de valoriser l’attention en unissant les utilisateurs, les créateurs de contenu et les annonceurs ». Les jetons BAT constituent une cryptomonnaie qui s’appuie sur une plateforme décentralisée publicitaire – Ad Exchange – basée, elle, sur la blockchain open source Ethereum. Une fois inscrit, le navigateur commence à comptabilité « la quantité d’attention » accordée par l’internaute aux sites web qu’il visite. Explication du mode de fonctionnement : « Vous pouvez supprimer les sites (web) que vous ne souhaitez pas soutenir et offrir des pourboires directement à des créateurs. Toutes ces opérations sont anonymes : personne (pas même l’équipe de Brave) ne peut voir qui soutient quel site (web) », assure la plateforme.
En octobre, Brave Software a indiqué avoir reversé à ce jour quelque 12 millions de dollars à des créateurs de contenus (7) et compte plus d’un demi-million de sites web référents certifiés. Et de préciser : « Des publicités privées sont activées par défaut dans Brave Rewards, et cela vous permet de gagner des jetons BAT à chaque fois que vous visualisez une publicité. (…) Vous pouvez contrôler le nombre de publicités privées que vous souhaitez voir et gagner 70 % du revenu de la publicité que nous recevons de nos annonceurs ». C’est un peu comme accumuler des miles aériens, mais au lieu de voler l’utilisateur navigue ! « En échange de votre attention, vous accumulez des jetons pendant votre navigation. (…) Vous pouvez choisir de visualiser des publicités privées une à cinq fois par heure. Vous pouvez bien sûr aussi désactiver les publicités privées à tout moment ».

La Californie prône la « Data Dividend Tax »
En février 2019, le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, a proposé « un “dividende de données” pour partager la richesse générée par les données personnelles avec les utilisateurs qui y ont contribué » (8). Ce projet prône une taxe numérique baptisée Data Dividend Tax (DDT), dont le modèle est présenté dans un rapport écrit par un groupe de travail indépendant. Ce document de 42 pages a été mis à jour le 6 Août dernier (9). Le fait que cet appel soit lancé par l’Etat américain des GAFAM et des Big Tech de la Silicon Valley donne une portée particulière à cette initiative. @

Charles de Laubier

Cambridge Analytica n’en finit pas de révéler ses secrets et Facebook d’en payer les pots cassés

Depuis deux ans, depuis ce lundi noir du 19 mars 2018 pour Facebook, la firme de Mark Zuckerberg – qui avait reconnu ce jour-là la collecte de plus de 50 millions d’utilisateurs du réseau social par la société Cambridge Analytica à des fins électorales aux Etats-Unis – continue d’être sanctionnée.

L’ a f faire « Cambridge Analytica » a été révélée le samedi 17 mars 2018 par le quotidien américain The New York Times aux Etats-Unis et par l’hebdomadaire dominicale britannique The Observer en Grande-Bretagne – ce dernier ayant le même propriétaire que le quotidien The Guardian, lui aussi contributeur. Ces trois journaux se sont appuyés sur les informations d’un Canadien, Christopher Wylie (photo de gauche), qui se présente depuis comme le « lanceur d’alerte » de l’affaire.

5 Mds $ d’amendes, pour l’instant
Mais il n’est pas le seul ancien collaborateur de Cambridge Analytica à avoir parlé puisque l’Américaine Brittany Kaiser (photo de droite) se présente elle aussi comme « lanceuse d’alerte » de ce même scandale. Les révélations faites ce samedi-là font l’effet d’une bombe, dont l’image de Facebook et la confiance envers le numéro un mondial des réseaux sociaux portent encore les séquelles : la société londonienne, spécialisée dans la collecte et l’exploitation massive de données plus ou moins personnelles à des fins de ciblage politique (en faveur du Parti républicain américain), est accusée d’avoir siphonné les données de plus de 50 millions d’utilisateurs de Facebook à leur insu. Elles ont servi à influencer la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016, Cambridge Analytica ayant en outre été financé par le milliardaire américain Robert Mercer via son fonds spéculatif (hedge fund) Renaissance Technologies.
The Observer a affirmé il y a deux ans que Steve Bannon, alors conseiller technique de Donald Trump (dont il a été le directeur de campagne présidentielle) jusqu’à son éviction de la Maison Blanche à l’été 2017, a été l’un des dirigeants de Cambridge Analytica et par ailleurs patron du site web ultra-conservateur proche de l’extrême droite Breitbart News. Les révélations citent les propos de Christopher Wylie, lequel a travaillé pour la société londonienne incriminée et sa maison mère SCL Group où il est identifié dès mai 2017 par The Guardian comme « directeur de recherche » (1). Il vient de publier « Mindf*ck » chez Penguin Random House (2), tandis que Brittany Kaiser, elle, l’a devancé en faisant paraître en janvier « L’affaire Cambridge Analytica » chez HarperCollins (3). C’est donc le lundi suivant ce breaking news retentissant, soit le 19 mars 2018, que la firme de Mark Zuckerberg accuse le coup en Bourse : son action a chuté lourdement de près de 7% en une séance à Wall Street, et elle a continué de plonger de 15 % au total jusqu’au pire de la sanction boursière le 6 avril 2018. C’est que les régulateurs américain FTC (4) et britannique Information Commissionner’s Office (ICO) avaient ouvert chacun une enquête dès le 20 mars 2018. On connaît la suite : Facebook a été condamné au début de l’été 2019 par la FTC au paiement d’une amende record de 5 milliards de dollars, pour n’avoir pas géré ni protégé correctement les données personnelles de ses utilisateurs, tandis que la « Cnil » britannique (ICO) l’a condamné au maximum que lui permettait la loi britannique pour violation sur la protection des données, soit 500.000 livres (plus de 565.000 euros). « La société Cambridge Analytica s’est livrée à des pratiques trompeuses pour recueillir des informations personnelles auprès de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook à des fins de profilage et de ciblage des électeurs. Il ressort également qu’elle s’est livrée à des pratiques trompeuses dans le cadre du Privacy Shield (5) entre l’Union européenne et les Etats- Unis », a conclu la FTC à l’issue de sa vaste enquête bouclée en décembre dernier (6).
Mais la firme de « Zuck », dont finalement 87 millions de ses utilisateurs (américains mais aussi ailleurs dans le monde) ont été victimes des pratiques illégales de Cambridge Analytica, reste encore aujourd’hui enlisée dans des procès et mise à l’amende pour ce scandale planétaire à la hauteur du tentaculaire réseau social de 2,5 milliards d’utilisateurs. Dernière plainte en date : le 9 mars dernier, après deux ans d’enquête, la « Cnil » australienne – l’OAIC (7) – a lancé une action judiciaire contre Facebook pour avoir transmis Cambridge Analytica les données personnelles de 311.127 Australiens transmises (8). Un mois auparavant, le 6 février, c’était le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (OPC) qui a saisi la justice canadienne contre Facebook pour là aussi transmission de données privées à Cambridge Analytica (9).

Répercutions : Italie, Espagne, Brésil, …
En Italie cette fois, le gendarme de la concurrence AGCM a mis en garde la firme de Mark Zuckerberg qui, a-t-il constaté, continue à collecter de façon non transparente des données personnelles et à ne pas respecter ses engagements de novembre 2018 – assortis à l’époque de deux amendes pour un total de 10 millions d’euros (10). En Espagne et au Brésil, Facebook a dû aussi mettre la main au portefeuille, passant d’« ami » à « ennemi » des données personnelles. @

Charles de Laubier

Responsabilité et données : le « Je t’aime moi non plus » des éditeurs en ligne vis-à-vis de Facebook

La pluralité de responsables dans le traitement des données personnelles n’implique pas forcément une responsabilité conjointe. C’est le raisonnement que devrait avoir la Cour de justice européenne dans l’affaire « Fashion ID ».
Or, son avocat général n’en prend pas le chemin. Erreur !

Par Etienne Drouard et Joséphine Beaufour, avocats associés, cabinet K&L Gates

L’éditeur d’un service en ligne – site web et/ou application mobile – peut-il être coresponsable de la collecte, par Facebook, des données personnelles des visiteurs de son service en raison de l’intégration d’un bouton « J’aime » de Facebook au sein de son service ? Selon l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), lequel a présenté le 19 décembre 2018 ses conclusions dans l’affaire « Fashion ID » (1), la réponse devrait être « oui ».

Communauté d’intérêt et responsabilité
Cet avocat général (2) cherche à construire, en matière de protection des données personnelles comme en matière de propriété intellectuelle, un régime de responsabilité liée à l’insertion d’un lien hypertexte vers les services d’un tiers. En matière de propriété intellectuelle, il aura fallu 14 années de controverses avant de juger au niveau européen qu’un lien hypertexte peut être un acte de représentation d’une oeuvre nécessitant, pour celui qui intègre un lien au sein de son service, de recueillir l’autorisation du titulaire des droits attachés à l’oeuvre accessible via ce lien (3). En matière de protection des données personnelles, cette fois, quelle est la responsabilité pour l’éditeur d’un service en ligne résultant de l’insertion d’un lien hypertexte d’un tiers – en l’occurrence le bouton « J’aime » de Facebook – sur son site web, permettant à ce tiers de collecter des données personnelles des visiteurs du site web concerné ? Comme en matière de propriété intellectuelle, l’avocat général de la CJUE se demande si le critère décisif pour déclencher une telle responsabilité ne serait pas celui d’une communauté d’intérêts entre celui qui intègre le lien sur son site web et celui qui a conçu seul les fonctionnalités que ce lien déclenche. Dans cette affaire « Fashion ID » – du nom de la société allemande de vente en ligne de prêt-à-porter – il est établi que l’adresse IP et l’identifiant du logiciel de navigation du visiteur du site web de Fashion ID sont transmis à Facebook du fait de l’intégration d’un bouton « J’aime » sur ce site, même si le visiteur ne clique pas sur ce bouton « J’aime », et même s’il ne dispose pas d’un compte Facebook. La « Verbraucherzentrale NRW eV », une association allemande de protection des consommateurs a introduit une action en cessation à l’encontre de Fashion ID au motif que l’utilisation du bouton « J’aime » de Facebook sur ce site web était contraire aux lois allemandes sur la protection des données personnelles, lois transposant la directive européenne «Protection des données personnelles » de 1995. Puisque cette action ayant été introduite avant l’entrée en vigueur du RGPD (4), la CJUE rendra donc sa décision en application de cette directive de 1995 et des lois de transposition allemandes (5). L’association reproche ainsi à Fashion ID de n’avoir fourni aucune information à ses visiteurs sur l’existence d’une telle collecte par Facebook. Le régime de responsabilité entre Facebook et Fashion ID reste en suspens : est-elle conjointe, solidaire, ou distincte ? Pour obtenir une réponse fiable, l’association allemande a saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin de savoir si Fashion ID peut être considéré comme « responsable du traitement » au sens de la directive de 1995, alors même qu’elle ne peut avoir elle-même aucune influence sur ce processus de traitement des données par Facebook ?
L’avocat général de la CJUE fait référence, dans ses conclusions, à l’arrêt
« Unabhängiges » (6) du 5 juin 2018 dont l’affaire serait similaire à celle de Fashion ID, au motif que : l’éditeur de site web intègre dans son site une fonctionnalité développée et mise à disposition par Facebook, permettant ainsi la collecte de données personnelles par Facebook, résultant de l’enregistrement par Facebook de cookies
sur les terminaux des visiteurs de sa page web. L’occasion de faire cette analogie ayant été trop belle, il en a conclu que le gestionnaire d’un site web qui y intègre un lien hypertexte installant le « plugiciel » (ou plugin en anglais) d’un tiers – en l’espèce,
le bouton « J’aime » de Facebook – permettant la collecte par ce tiers de données personnelles, devrait être considéré comme un « coresponsable » de cette collecte avec ledit tiers ayant conçu ce plugiciel.

« Unité de finalités et de moyens » : vague
Inventer des similitudes peut parfois tourner à la conversation de comptoir. L’avocat général a cherché à découvrir, coûte que coûte, « une identité de finalités et de
moyens » dans l’opération de collecte et de transfert des données personnelles pour que Facebook et Fashion ID soient jugés coresponsables. Selon lui, la détermination commune des moyens serait caractérisée par la décision prise par Fashion ID d’utiliser le plugiciel fourni par Facebook, outil permettant la collecte et la transmission des données personnelles à Facebook. Ainsi, tant Facebook que Fashion ID « paraissent donc avoir délibérément été à l’origine de la phase de collecte et de transmission du processus de traitement des données ».

Des conclusions dénuées de tout fondement
Par ailleurs, l’avocat général, a estimé que la finalité pour laquelle Fashion ID a intégré le bouton « J’aime » sur son site web serait d’améliorer la visibilité de ses produits par le biais du réseau social. S’il admet que cette finalité ne correspond pas à celle poursuivie par Facebook (à savoir le profilage des visiteurs à des fins de publicités ciblées), il affirme cependant que les deux parties « paraissent globalement poursuivre la même finalité d’une manière qui semble mutuellement assez complémentaire ». Le critère retenu ici ne serait donc pas l’identité de la finalité poursuivie, mais « une unité de la finalité : commerciale et publicitaire », critère beaucoup plus large, vague et sujet à interprétation que le premier. La conclusion à laquelle parvient l’avocat général est dénuée de tout fondement juridique connu ou prévu par les textes en vigueur hier ou aujourd’hui. D’une part, ni la directive de 1995, ni le RGPD, ni la CJUE jusqu’à présent, ne se fondent sur une « identité de finalités » ou encore une « unité de finalités », mais bien sur la détermination commune de finalités par les deux responsables de traitement, c’est-à-dire une (ou plusieurs) finalité(s) déterminée(s) d’un commun accord.
D’autre part, la détermination conjointe de moyens ne fonde pas la décision prise par un éditeur de site web d’intégrer un plugiciel d’un tiers sur sa page web. Il serait, au contraire, grand temps d’admettre qu’un seul et même moyen de traitement de données, peut servir des finalités et des intérêts différents, voire divergents, déclenchant des responsabilités distinctes pour des traitements de données qui peuvent être étrangers l’un de l’autre ou propres à un acteur, et échappant à la connaissance, au contrôle ou au bénéfice d’un autre acteur. C’est au prix de cette distinction des intérêts et des finalités, qu’on peut réguler l’économie numérique en évitant de confondre David et Goliath et de rendre un éditeur européen de services coresponsable de l’activité d’un vendeur américain de profils publicitaires. Fashion ID
et Facebook ne sont pas coresponsables de traitement ; Fashion ID n’a pas déterminé conjointement avec Facebook les finalités et les moyens qu’aura Facebook de traiter des données. La pluralité de responsables de traitement n’implique pas forcément une responsabilité conjointe. Autrement dit, quand on est plusieurs, on ne forme pas qu’un. Selon la directive de 1995, un responsable de traitement est « la personne physique ou morale qui, seule ou conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel » (7). Cette définition a été reprise à l’identique dans le RGPD (8) : elle admet qu’il peut y avoir plusieurs coresponsables décidant conjointement de la finalité du traitement et des moyens à mettre en oeuvre pour la réaliser (9). S’il peut exister différents niveaux de responsabilité conjointe, pour tout ou partie d’un traitement de données, la question posée désormais à la CJUE est celle avant tout de savoir comment caractériser une telle responsabilité conjointe et non de la décréter par paresse lorsqu’on se trouve en présence de plusieurs acteurs autour d’un même moyen de traitement de données. Tant la directive de 1995 que le RGPD
de 2018 posent un critère repris par la CJUE, celui de la « détermination conjointe des finalités et des moyens » du traitement opéré par les personnes physiques ou morales. Or, l’avocat général ne reprend pas ce critère d’appréciation puisque, selon lui, pour qu’il y ait responsabilité conjointe, il est nécessaire que les deux opérateurs poursuivent une unité de finalité et non pas qu’ils déterminent conjointement la finalité de traitement. Or les finalités poursuivies par Fashion ID et par Facebook sont divergentes.
Il est faux d’affirmer en l’espèce que les deux parties auraient déterminé de façon commune la finalité de l’opération de traitement consistant en la collecte des données personnelles des visiteurs du site web de Fashion ID. En effet, Facebook n’est convenu de rien avec personne lorsqu’il a conçu son plugiciel lui permettant à lui – et à lui seul – de collecter les données de personnes visitant un site web tiers. Facebook n’a pas davantage discuté avec quiconque de sa stratégie « data », consistant à collecter et traiter des données à des fins de profilage et de ciblage publicitaire, y compris lorsque les personnes concernées ne se sont jamais inscrites sur Facebook. Fashion ID a simplement décidé, a posteriori, d’intégrer ce plugiciel dans sa page web afin de bénéficier de la diffusion qu’un bouton « J’aime » lui procure au sein des membres
de la communauté Facebook d’un de ses visiteurs, si ce dernier a un compte Facebook et s’il clique « J’aime ». La société Fashion ID n’a en aucun cas déterminé les moyens essentiels à la collecte par Facebook des données car elle n’a pas participé à la conception du plugiciel, de ses fonctionnalités, de ses finalités et de leur participation
à la stratégie « data » de Facebook.

Ce qu’en disent les « Cnil » européennes
Ainsi, Fashion ID et Facebook ne peuvent être qualifiés de responsables conjoints d’un tel traitement, non pas parce que ce serait une erreur d’appréciation discutable, mais parce que les régulateurs européens et le RGPD disent le contraire. Comme l’a relevé le G29 des « Cnil » européennes, « la coopération dans le traitement ne signifie pas qu’il y a forcément coresponsabilité. En effet, un échange de données entre deux parties, sans partage des finalités ou des moyens dans un ensemble d’opération, doit être considéré uniquement comme un transfert de données entre des responsables distincts » (10). Il faudra être encore un peu patient avant d’avoir la position finale de
la CJUE, en espérant, d’ici là, que celle-ci ne se trompera pas de question ni de raisonnement. @

Publicité en ligne : les GAFA américains n’ont pas réussi à tuer l’ex-licorne française Criteo

Alors qu’il sera redevable de la taxe « GAFA » de 3 % applicable dès cette année,
le spécialiste mondial du (re)ciblage publicitaire en ligne – le français Criteo – a frôlé la catastrophe industrielle après avoir été déstabilisé par Apple et Facebook. Son chiffre d’affaires a stagné en 2018, à 2,3 milliards de dollars. Et son résultat net a reculé, à 96 millions de dollars.

Impactée coup sur coup, d’une année à l’autre, par deux décisions successives prises de façon unilatérale par les américains Apple et Facebook, l’ex-licorne française Criteo – valorisée 1,8 milliard au Nasdaq (1) où elle est cotée depuis 2013 – aurait pu mettre la clé sous la porte si elle n’avait pas « pivoté » à temps vers le ciblage mobile (2). Son PDG cofondateur Jean-Baptiste Rudelle (photo) a même parlé de « choc exogène très violent ».

Bataille larvée entre App et Web
La première déstabilisation de l’écosystème de Criteo – vulnérable aux choix technologiques des GAFA – est venue en décembre 2017 d’Apple, qui a fait des changements dans son système d’exploitation et son navigateur Safari – à partir de
sa version 11. Le but de la marque à la pomme : rendre plus difficile et limité le pistage des utilisateurs par des cookies – ces petits fichiers de suivi logé dans le terminal de
ce dernier à des fins de ciblage publicitaire. Apple interdit depuis toute utilisation de cookies plus de vingt-quatre heures, conformément à son Intelligent Tracking Prevention (ITP). Et au bout de trente jours, ils sont automatiquement supprimés !
Ces changements sont intervenus avec le système d’exploitation iOS 11.2 pour mobile. « Maintenant on comprend mieux pourquoi Apple a fait ça : ils veulent basculer un maximum les gens dans le monde des “app” [applications mobile, ndlr], qu’ils contrôlent mieux que le monde des navigateurs [sur le Web] », avait expliqué Jean- Baptiste Rudelle lors d’une conférence téléphonique avec des analystes financiers le 1er août 2018.
Apple, de son côté, justifie cette restriction pour éviter les pratiques dites de retargeting jugées abusives. Ces reciblages publicitaires – grande spécialité de Criteo – consistent à recourir à des cookies pour traquer les internautes dans leur navigation sur différents sites web – notamment de e-commerce – afin de leur envoyer ensuite des publicités digitales (bannières ou vidéos) en rapport avec leurs centres d’intérêt détectés. Le retargeting peut aussi se faire par mots-clés sur les liens commerciaux affichés par
les moteurs de recherche. Google a d’ailleurs dû mettre en place un nouveau cookie
« Google Analytics » et une nouvelle balise de conversion « AdWords » spécifiques
à Safari pour être conforme à l’ITP. Reste à savoir si Google limitera à son tour les cookies sur son navigateur Google Chrome (3). La marque à la pomme a ainsi souhaité reprendre la main sur les annonceurs publicitaires et les prestataires techniques comme Criteo qui font du cross-tracking (suivi d’un internaute d’un site web à l’autre
à l’insu de ce dernier et souvent au mépris du respect de sa vie privée). La firme de Cupertino mise surtout sur le monde fermé des « apps » de son App Store qu’elle contrôle, contrairement au Web ouvert. Résultat, dès mi-décembre 2017, Criteo a vu son cours de Bourse au Nasdaq s’effondrer de près de 30 % à l’annonce de l’ITP d’Apple. La pépite de la « French Tech » avait alors dû revoir à la baisse ses prévisions de croissance et d’objectifs de chiffre d’affaires, tout en rappelant Jean-Baptiste Rudelle à la rescousse en avril 2018 (après que celui-ci se soit mis en retrait en 2016). La vulnérabilité de Criteo était déjà apparue face aux logiciels anti-pub, les ad-blocks (4). Cette fois, les GAFA mettent le français à rude épreuve. Après Apple, ce fut au tour
de Facebook de s’en prendre l’an dernier à l’ex-licorne française en mettant un terme au partenariat avec elle à partir de juillet 2018. La perte de l’accréditation « Facebook Marketing Partner » empêche Criteo d’accéder aux outils de ciblage publicitaire proposés en version bêta par le premier réseau social mondial. Cette rétrogradation
fut révélée par Goldman Sachs début septembre, entraînant un recul jusqu’à 16 % de l’action Criteo en Bourse. Selon la banque américaine, le géant français du retargeting a été décertifié parce que « son intégration personnalisée ne correspondait plus aux priorités de Facebook ». Une autre analyse financière affirme que la firme de Mark Zuckerberg a décidé de pousser ses propres solutions de reciblage publicitaire et d’avoir des relations directes avec ses clients. C’est désormais plus difficile pour Criteo d’acheter auprès de Facebook des inventaires publicitaires.

Entre la fraude aux clics et le RGPD
Aux Etats-Unis, il se dit même que Facebook a eu des doutes sur la viabilité de Criteo après que Gotham City Research ait évalué à la moitié du chiffre d’affaires du français la part provenant de « sources douteuses » (clics frauduleux, robots virtuels à clics, clickbots, …) ou de sites web de « faible qualité » (5) (*) (**). A cela s’ajoutent les règles contraignantes depuis mai 2018 du RGDP en Europe, avec le consentement préalable des internautes avant le dépôt de cookies. Qu’il est loin le temps où Amazon (en 2012) et Publicis (en 2014) voulaient racheter Criteo… @

Charles de Laubier