Voyage aux Data Centers de la Terre

En ce mois étouffant de juin 2020, une manifestation d’un nouveau genre passe sous mes fenêtres grandes ouvertes aux cris de « Rendez-nous nos données, elles nous appartiennent ! ». Des slogans descendus dans la rue après avoir inondé la Toile et qui marquent une prise de conscience initiée dix ans plus tôt. Le nouvel écosystème numérique fait la part belle à des terminaux très sophistiqués connectés en continu et utilisant de manière croissante les ressources du « cloud » : nos données personnelles, nos photos, nos factures, sans parler de nos traces laissées sur le Net, tout autant que la musique et les vidéos que nous avons cessé d’archiver puisqu’ils sont toujours disponibles à la demande quelque part. Et ce, grâce à la mise en place progressive d’une nouvelle infrastructure constituée d’un ensemble de data centers, véritable réseau de « fermes informatiques » au niveau mondial.

« le cloud computing induit donc une certaine décentralisation, les applications et les données tendant désormais à être séparées de leurs utilisateurs ».

Affaire « Louis Vuitton contre eBay » : la Cour de cassation redéfinit la notion d’hébergeur

Pour mettre fin aux hésitations de la jurisprudence sur la définition d’hébergeur,
à la responsabilité limitée, la Haute juridiction – dans son arrêt du 3 mai – en exclut les sociétés Internet ayant la connaissance ou le contrôle des contenus illicites qu’elles stockent.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, et Laurent Teyssandier avocat, cabinet Féral- Schuhl/Sainte-Marie.

Alliance pour la culture et le numérique : pourquoi

En fait. Le 30 mai, Dahlia Kownator nous a précisé les objectifs de l’« Alliance pour la culture et pour le numérique », dont elle est représentante. Cette « plate-forme
de concertation » va participer aux « Etats généraux relatifs au financement de la création » annoncés le 17 mai par Aurélie Filippetti.

En clair. Les trois groupes de travail que l’Alliance pour la culture et pour le numérique
a constitués – financement des industries culturelles et réforme de la fiscalité à l’ère numérique ; développement de l’offre légale numérique ; lutte contre la contrefaçon numérique – donnent un aperçu des défis que devront relever ses membres. « Il s’agit d’une alliance historique dans la mesure où cette plate-forme fédère à la fois des ‘pure players numériques’ et des acteurs des industries culturelles. L’objectif est de construire et formuler des propositions communes pour l’ensemble des acteurs des différentes filières, au niveau national et communautaire », explique Dahlia Kownator (1), représentante de l’alliance constituée le 16 mai.
Les premières propositions devraient être connues « courant juillet », dans la perspective des « Etats généraux relatifs au financement de la création » que Aurélie Filippetti a annoncés le 17 mai, lors de la passation de pouvoirs avec l’ancien ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand. « Je vais réunir des Etats généraux sur le financement de la création », en vue de « passer à l’acte II de l’exception culturelle et d’assumer un protectionnisme européen ». L’Alliance pour la culture et pour le numérique ne s’est pas constituée sous forme d’association (il n’y a pas d’AG) mais comme « plate-forme de concertation » pilotée par un comité de direction – dont le président devrait être désigné en juin. Les membres fondateurs sont actuellement une dizaine. Il a des opérateurs télécoms : France Télécom, SFR et Bouygues Telecom. Les producteurs
de films et de télévision sont présents avec Mandarin Cinéma – dirigé par Eric Altmayer, ancien président de l’Association des producteurs de cinéma (APC) – et Robin & Co (dirigée par Jean- Yves Robin, qui produit Caméra Café et Kaamelott). Sont également fondateurs : Jacques Peskine, ex-délégué général de l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), le fabricant français de liseuses numériques Bookeen (créé à l’origine par Erik Orsenna et Jacques Attali sous le nom de Cytale), le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste), Les Editions de l’Octet (société de Xavier Filliol, président de la commission musique en ligne du Geste qu’il va représenter au Centre national de la musique) et la régie Ads Radios fondée par Arnaud Beaussier et Xavier Filliol. @

Louis Pouzin, co-inventeur d’Internet : « Les Etats-Unis sont déterminés à maintenir leur contrôle »

Directeur scientifique du colloque « Internet du futur » qui s’est tenu le 7 juin, Louis Pouzin – coinventeur avec Vinton Cerf d’Internet, et directeur de projets d’Eurolinc – explique à Edition Multimédi@ ses préoccupations sur l’évolution du réseau et de sa gestion « étasunienne ».

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : L’organisation américaine Icann
va révéler le 13 juin les nouvelles extensions génériques de noms de domaines qu’elle a mises en vente – au prix de 185.000 dollars chaque. Le colloque du 7 juin, que vous avez dirigé avec le Forum Atena, en a fait un slogan : « Nouveaux riches, nouveaux pauvres, des mots, des maux ». Pourquoi ?
Louis Pouzin :
La politique de l’Icann (1) est d’accroître
ses revenus en mettant sur le marché des extensions génériques de noms de domaine, dites TLD (2), dont le coût est considérablement plus élevé que dans le système actuel. Le principe est celui des plaques d’immatriculation de voiture personnalisées (vanity plate) pratiqué dans certains pays. Actuellement, les noms de domaine se terminent par un TLD prédéfini : .com, .info, .net, … Dans le nouveau système, un « vani-TLD » pourrait être : .canon, .sony, .bank, .food, .taxi, etc. Disposer d’une telle extension sera un signe de richesse, de puissance, de notoriété, car il est cher et rare. L’Icann prévoit d’en allouer environ 500 chaque année (3). Ces captages auront pour effet de marginaliser et rendre peu visibles les marques attachées aux anciens TLD, donc de réduire leur valeur de marketing. On peut s’attendre à une reconstruction de l’écosystème des noms de domaine. Aux Etats-Unis, cette perspective a suscité une levée de boucliers des gestionnaires de marques. Le nom d’un vani-TLD est soumis à
de nombreuses restrictions définies par l’Icann, dans bien des cas subjectives : décence, géographie, politique, religion, sexe, similarité, etc. De plus, tous les scripts linguistiques (4) s’appliquent, ce qui sera source inépuisable de contestations et d’incohérences. Des confusions faciles seront exploitables par des escrocs.

Remise en cause par le gouvernement et critiquée en interne pour sa communication, l’Hadopi résiste

Selon nos informations, l’Hadopi écarte toute démission de sa présidente malgré les rumeurs et les pressions. Elle a demandé un entretien avec la ministre Aurélie Filippetti. Quant à sa réunion du 23 mai, elle fut « houleuse ». Grief invoqué : l’Hadopi s’est trop exprimée sur ses premiers résultats.

Marie-Françoise Marais, la présidente de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) vat- elle démissionner ? Même s’il n’en a pas été question lors de la réunion « plénière » (1) de l’Hadopi, qui s’est tenue le 23 mai en présence des membres du collège et de ceux de la commission de protection des droits (CPD), cette éventualité est évoquée en interne. « La question de sa démission n’est pas à l’ordre du jour mais elle se pose avec le nouveau gouvernement », explique un de ses membres sous le secret des sources, tout en nous indiquant que « la réunion a été houleuse ». Contactée par Edition Multimédi@, l’Hadopi nous répond : « La question de sa démission ne se pose pas, contrairement à ce que laisseraient entendre des rumeurs ». Pourtant, le gouvernement pousserait vers la sortie Marie-Françoise Marais qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Le 21 mai, la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, et le 20 mai, la ministre déléguée (2) en charge de l’Economie numérique, Fleur Pellerin, annonçaient en effet « la révision de l’Hadopi » après une phase de « concertation de moins de six mois » qui démarrera « avant l’été ». Cette concertation sera pilotée par Pierre Lescure (3), pas par l’Hadopi elle-même. Autrement dit, ses jours sont bien comptés.