Le milliardaire Pierre-Edouard Stérin, catholique identitaire, construit son groupe de médias numériques

Il rêve de rentrer dans le club des dix milliardaires qui possèdent des pans entiers de la presse française, mais – à défaut d’avoir pu s’emparer de médias traditionnels (écarté il y a un an par Marianne puis par La Croix) – l’évangélisateur Pierre-Edouard Stérin lance sa croisade médiatique dans le monde digital.

Il y a un an, en juillet 2024, la filiale française CMI France du magnat tchèque Daniel Kretinsky – l’un des dix milliardaires détenant des pans entiers des médias français (1) – cessait toute discussion avec un parvenu milliardaire en quête lui aussi d’influence médiatique, Pierre-Edouard Stérin (photo), qui voulait s’emparer de Marianne. Pour un catholique identitaire bien à droite voire à l’extrême droite, conservateur limite traditionnaliste, tenter de s’approprier l’hebdomadaire laïc et anti-néolibéral cofondé par feu Jean-François Khan (intellectuel de gauche devenu centriste), c’était osé mais voué à l’échec. La rédaction de Marianne, devenue « souverainiste », avait dans un premier temps (le 21 juin 2024) voté pour « la poursuite des négociations sur les garanties d’indépendance » (2) avec Pierre-Edouard Stérin via son family office Otium Capital. Mais la Société des rédacteurs de Marianne (SRM) avait in extremis changé d’avis, à la suite de révélations dans la presse sur les liens étroits de ce prétendant avec l’extrême droite, et vote (le 27 juin 2024) « à l’unanimité contre le rachat du magazine par Pierre-Edouard Stérin » (3). C’est notamment une enquête parue la veille dans Le Monde, et intitulée « “Versailles connection” : comment le milliardaire Pierre-Edouard Stérin place ses pions au RN » (4), qui jettent un froid sur les négociations menées avec ce libertarien conservateur par Daniel Kretinsky et son représentant en France Denis Olivennes (pourtant réputé de gauche, devenu lui aussi centriste).

Echecs de Stérin sur Marianne et La Croix
Pourtant, ce n’est pas faute pour Pierre-Edouard Stérin (51 ans) de ne pas connaître Daniel Kretinsky (50 ans), puisque les deux milliardaires avaient – avec Stéphane Courbit (« élevé dans une culture athée de “bouffeurs de curés” » puis « devenu catholique pratiquant », d’après Paris Match) – fait une offre début 2023 pour tenter de racheter le numéro deux français de l’édition Editis à Vincent Bolloré. Mais l’inquiétude suscitée par Pierre-Edouard Stérin dissuade celui-ci de poursuivre dans ce trio, tandis que Stéphane Courbit le quitte aussi pour d’autres raisons, laissant le Tchèque s’emparer seul d’Editis (5) en juin 2023. Gros-Jean comme devant après la déconvenue que lui a infligée Marianne un an après, voici que ce chrétien militant a continué à croire en sa bonne étoile médiatique en tentant de mettre un pied dans la porte entrouverte de Bayard Presse, l’éditeur du quotidien catholique (de gauche) La Croix, propriété de la congrégation des Augustins de l’Assomption (appelée aussi congrégation des Assomptionnistes). Ce groupe confessionnel publie aussi Continuer la lecture

Parmi les dix milliardaires qui possèdent des médias en France, Daniel Kretinsky est le seul non-Français

Sur la dizaine de milliardaires qui font la pluie et le beau temps sur les médias en France, en tant qu’actionnaires – situation unique au monde –, un seul n’est pas Français : le Tchèque Daniel Kretinsky. Ce pro-Macron, conservateur, libéral et Européen, investit tous azimuts sur le marché français.

(Le 2 juillet 2024, soit huit jours après la parution de cet article dans Edition Multimédi@ n°324, l’armateur CMA CGM du milliardaire Rodolphe Saadé a finalisé l’acquisition d’Altice Media)

Plus que jamais, des pans entiers du paysage médiatique français sont aux mains de dix milliardaires (1), qui bénéficient en outre des aides d’Etat à la presse. Tous ont la nationalité française, sauf un : Le milliardaire Vincent Bolloré (groupe Bolloré) est Français et possède Vivendi/Canal+ /C8/CNews, Havas, Prisma Media/Voici/ Capital/Femme actuelle, et Lagardère/Europe 1/JDD/Hachette Livre. Le milliardaire Rodolphe Saadé (groupe CMA CGM) est FrancoLibanais et détient La Provence/Corse Matin, M6, Brut, et La Tribune/La Tribune Dimanche, et rachète Altice Media/BMFTV/RMC. Le milliardaire Bernard Arnault (groupe LVMH) est Français et contrôle Le Parisien/Aujourd’hui en France, Les Echos, Radio Classique, Challenges/Sciences et Avenir, OpinionWay et bientôt Paris Match. Le milliardaire Patrick Drahi (groupe Altice) est Franco-Israélo-Portugais et possède Altice Média/BFMTV/RMC qu’il est en train de vendre au milliardaire Rodolphe Saadé, après avoir vendu L’Express à Alain Weill (ex-PDG de Next RadioTV/BFMTV/ RMC) et Libération cédé à Presse Indépendante. Le milliardaire Xavier Niel (groupe Iliad-Free) est Français et est copropriétaire du groupe Le Monde/Le Monde/Télérama/ Le Nouvel Obs/Télérama/La Vie/Le Monde diplomatique/Courrier international/ LeHuffPost.fr, du groupe Nice-Matin/Nice-Matin/Var-Matin et Bestimage.

Bolloré, CMA CGM, LVMH, Bouygues, Fiducial, …
La famille milliardaire Dassault (groupe Dassault/GIMD) est Française (Olivier Dassault est décédé en mars 2021) et possède le groupe Le Figaro/Le Figaro/Le Figaro Magazine/Le Figaro TV, Le Journal du Net/L’Internaute, Gala, TV Magazine. Le milliardaire Martin Bouygues (groupe Bouygues) est Français et possède TF1/TMC/TFX/TF1 Séries Films/LCI/Ushuaia TV/Histoire TV/TV Breizh, TF1+ (ex-MyTF1) et TFou Max. Le milliardaire François Pinault (holding Artémis dirigé par son fils François-Henri Pinault et détenteur de Kering/Yves Saint Laurent/Gucci et Christie’s) est Français et possède Le Point, Point de Vue, Le 1 hebdo et Tallandier Editions. Le milliardaire Christian Latouche (groupe Fiducial) est Français et possède Sud Radio, Lyon Capitale, Lyon TV (2). Quant au milliardaire Daniel Kretinsky (groupe EP/CMI), il est le seul de nationalité étrangère, à savoir Tchèque. Européen convaincu, il fêtera ses 49 ans le 9 juillet prochain, soit une semaine avant qu’« il » ne soit auditionné – le 16 juillet – par l’Arcom dans le cadre de l’appel aux candidatures pour l’édition de services nationaux de la TNT, et pour lesquels le régulateur entendra les 25 « candidats recevables » du 8 juillet au 17 juillet (3).

Kretinsky lorgne la TNT, L’Opinion et Delcourt
La filiale CMI France a en effet déposé un dossier pour espérer lancer une chaîne nationale – « RéelsTV » – sur l’une des 15 fréquences de la TNT remises en jeu. Contacté par Edition Multimédi@ pour savoir s’il sera aux côtés de Denis Olivennes, président de CMI France, pour défendre ce projet, Daniel Kretinsky (photo de Une) ne nous a pas répondu. Dernier arrivé dans le désormais « Club des Dix » milliardaires des médias en France, l’homme d’affaire tchèque est le plus actif du moment. Il s’apprête à prendre 49 % du capital de la société Bey Médias, éditeur de L’Opinion et de L’Agefi, fondée par Nicolas Beytout. C’est ce dernier qui a annoncé le 13 juin être entré en négociation exclusive avec CMI France. Le quotidien « libéral, pro-business et européen » (4) a été créé en tant que « bimédia » en 2013 par l’ex-directeur de la rédaction du quotidien économique Les Echos et ancien PDG du groupe Les Echos au début de l’ère « Bernard Arnault/LVMH » actuelle. Tandis que L’Agefi, site financier et bi-hebdo papier, a été racheté en 2019 par Bey Médias auprès du milliardaire François Pinault (Artémis).

L’ex-secrétaire d’Etat au Numérique Cédric O fait toujours polémique avec son « Mistral gagnant »

Le lobbying dans l’IA de l’ancien secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, continue de faire polémique sur fond de soupçons de conflits d’intérêts. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) avait exprimé des réserves en juin 2022. Et depuis ?

(Le 11 juin 2024, soit le jour suivant la publication de cet article dans le n°323 de Edition Multimédi@, Mistral AI annonçait une levée de fonds de 600 millions d’euros, et, le 17 juillet, la HATVP nous a indiqué qu’elle venait de « procéder au contrôle du respect des réserves » formulées en 2022 et qu’ « aucun élément ne permet de conclure que ces réserves auraient été méconnues », mais aucune communication officielle n’est prévue)

Cédric O, cofondateur et actionnaire de la start-up Mistral AI via sa propre société de conseil Neopunteo, estil juge et partie – voire en conflits d’intérêts – vis-à-vis du gouvernement dont il fut secrétaire d’Etat au Numérique (mars 2019 à mai 2022) ? La question est lancinante mais légitime puisque cela concerne l’ancien secrétaire d’Etat au Numérique. Contactée par Edition Multimédi@, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), présidée par Didier Migaud, nous a assuré qu’elle s’était bien prononcée dans sa délibération du 14 juin 2022 sur la demande que lui avait soumise Cédric O (photo) concernant notamment sa société Neopunteo.

Neopunteo, société de conseil au bras long
« Cédric O a créé le 11 juillet 2022 Neopunteo, qui a notamment pour objet social la prise de participation, directe ou indirecte, dans toutes opérations financières, immobilières ou mobilières ou entreprises commerciales ou industrielles pouvant se rattacher à l’objet social, notamment par voie de création de sociétés nouvelles, le tout directement ou indirectement, pour son compte ou pour le compte de tiers », nous a précisé un porte-parole de la HATVP. Et celui-ci de nous confirmer en outre : « C’est la société Neopunteo qui a souscrit des parts au capital de la société Mistral AI ». C’est ainsi que l’ancien secrétaire d’Etat au Numérique a pu affirmer auprès de l’AFP en décembre dernier qu’« [il] respect[ait] toutes les obligations demandées par la HATVP ». Cédric O a investi dans la start-up Mistral AI, créée le 28 avril 2023, dont il est coactionnaire et « conseiller-cofondateur » via sa société Nopeunteo qui était encore à l’état de projet au moment du rendu de l’avis contraignant du gendarme de la transparence de la vie publique.
Comme Cédric O a occupé ses fonctions ministérielles du 31 mars 2019 au 20 mai 2022, il avait en effet l’obligation – dans les trois ans suivant la cessation de ses fonctions à Bercy, soit jusqu’en mai 2025 – de saisir la HATVP avant de s’engager professionnellement. La haute autorité se prononce sur la compatibilité ou pas de l’exercice d’une activité rémunérée au sein d’une entreprise avec les fonctions de membre du gouvernement exercées au cours des trois années précédant le début de l’activité. Objectif : éviter le risque de prise illégale d’intérêts, laquelle relève d’une infraction pénale passible de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 200.000 euros. Il s’agit aussi de lutter contre tout conflit d’intérêt et d’édicter éventuellement des mesures à respecter pour prévenir les risques déontologiques. Depuis que Cédric O a quitté Bercy, la HATVP a publié quatre délibérations le concernant. La première délibération est celle datée de juin 2022 et concerne France Asie et Sista, ainsi que le projet de « créer une entreprise afin de réaliser des prestations de conseil » (1), Nopeunteo. Dans ses « réserves », la haute autorité a demandé à Cédric O de « respecter les règles déontologiques », de ne pas « faire usage ou de divulguer des documents ou renseignements non publics dont il aurait eu connaissance », et lui « suggère » de la saisir « avant de prendre pour client un organisme ou de prendre une participation dans une entreprise appartenant au secteur du numérique ».