Le livre se sent peu concerné par le rapport Lescure

En fait. Le 27 juin, en marge de l’assemblée générale du Syndicat national de l’édition (SNE), son président Vincent Montagne nous a dit ce qu’il pensait du rapport Lescure. Resté jusqu’alors silencieux depuis sa publication le 13 mai dernier, c’est la première fois qu’il livre une appréciation.

En clair. « Je dois encore voir avec le bureau [du SNE] pour savoir ce que nous pouvons dire d’une manière générale sur le rapport Lescure, qui est très vaste et nous concerne relativement peu. Ce que je note, c’est qu’il salue notre action pour avoir négocié avec
les auteurs [dont un volet numérique], obtenu la TVA [réduite pour le livre numérique] et mis en place l’exploitation numérique des oeuvres indisponibles », nous explique Vincent Montagne.
Deux propositions retiennent néanmoins son attention : la taxe sur les appareils connectés et la création d’un compte d’affectation spéciale pour les industries culturelles. « La question est de savoir s’il faut une taxe sur les appareils connectés. Là, on touche
à la problématique de la copie privée avec des mécanismes constitués surtout pour le cinéma et la musique. Sur les 180 à 200 millions de taxes par an de la copie privée, peu revient au livre qui est secteur non subventionné (à part le taux réduit de TVA) et qui résiste bien. Nous disons donc qu’il faut faire attention à rester dans une économie non administrée et de responsabilisation de la chaîne du livre. D’où l’importance du soutien
[de 7 millions d’euros versés par les éditeurs pour 2014, ndlr] que nous apportons à la librairie ». Par ailleurs, les éditeurs contribuent au financement du Centre national du
livre (CNL) aidant à la numérisation de la filière. Ainsi, contrairement au cinéma ou à
la musique, le livre ne demande pas de financements publics.
Le président du SNE préfère donc attendre de voir comment le livre numérique et le piratage (1) vont progresser. « Nous ne sommes pas contre cette taxe sur les terminaux connectés mais nous estimons aujourd’hui que le livre est marginalement concerné, peut-être le sommes-nous potentiellement, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. A ce stade, il convient de vérifier comment se destinent les usages sur les terminaux connectés. Si on s’apercevait que le numérique devenait extrêmement important pour le livre, actuellement en France de 3 % du chiffre d’affaires en 2012 [soit 81 millions d’euros de chiffre d’affaires de l’édition, ndlr], et s’il n’y avait aucune rémunération provenant du numérique ou si une très faible rémunération ne servait pas la création éditoriale, il serait logique qu’il y ait une répartition d’une taxe comme pour le ‘photocopillage’ ». @

Marc Héraud, délégué général du SNSII : « Vouloir taxer les terminaux connectés n’est pas la solution »

Le délégué général du Syndicat national des supports d’image et d’information (SNSII) revient pour EM@ sur les propositions du rapport Lescure qu’il juge – avec cinq autres organisations professionnelles (Fevad, Secimavi, Sfib, Simavelec et Gitep Tics) – « inacceptables ». Il met en garde les industries culturelles.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : C’était une revendication du Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) depuis 2009 : le rapport Lescure propose de taxer les terminaux connectés à hauteur de 1 % du prix de vente. Comment accueillez-vous cette nouvelle taxe et quel impact aurait-elle en France ?
Marc Héraud :
Nous ne pensons pas qu’une nouvelle taxe, en plus de celles existantes, ne soit la solution pour aider l’industrie culturelle à se réformer. Doit-on créer une nouvelle taxe sur l’essence pour aider l’industrie automobile française à se restructurer ? De plus, cette nouvelle taxe – sur les ordinateurs, smartphones, tablettes, téléviseurs connectés, consoles de jeux, etc. – vient se superposer à la rémunération pour copie privée (RCP), dont le périmètre serait élargi avec la prise en compte du cloud computing et aux droits déjà réglés aux ayants droit dans le cadre de l’offre légale. Cette nouvelle taxe est estimée, dans le rapport Lescure, à environ 85 millions d’euros par an, soit 1 % des
8,579 milliards d’euros qu’a généré le marché français des terminaux connectés en 2012.
En taxant localement toujours plus l’industrie numérique, il y a un vrai risque à freiner le développement de celle-ci, alors que tout le monde s’accorde à dire qu’elle constitue un des principaux relais de croissance de notre économie. Ce type de nouvelle taxe n’aidera sûrement pas notre pays à améliorer son classement dans la prochaine édition du rapport du World Economic Forum qui vient de situer la France à la 26e position mondiale, pour ses infrastructures numériques, perdant trois places par rapport à la même analyse menée en 2012…

Lors du Conseil des ministres du 15 mai dernier, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication,
a indiqué que « la contribution sur les terminaux connectés [que le rapport Lescure propose à “un taux très modéré (par ex. 1 %)”] fera l’objet d’un arbitrage dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2014 ». Reste à savoir si le président de la République, François Hollande, arbitrera en faveur de cette nouvelle taxe.

EM@ : Craignez-vous que cette nouvelle taxe censée « corriger un transfert de valeur » ne soit, comme le suggère le rapport, fusionnée à terme avec la taxe pour copie privée supposée « compenser le préjudice lié à la copie privée », les recettes de cette dernière étant amenée à diminuer au profit de l’accès en streaming ou en cloud aux œuvres ?
M. H. :
La fusion de la taxe des terminaux connectés avec celle de la copie privée
est sans doute ce qui va se passer à moyen terme… Il est cependant à craindre que,
d’ici là, une bonne partie des achats des consommateurs soient réalisés sur des sites Internet étrangers afin d’échapper aux différentes taxes (TVA, RCP, taxe équipements connectés,…). Seule une rapide harmonisation fiscale européenne permettra de limiter cette évolution.

EM@ : Quel est le montant total de la taxe copie privée perçue les terminaux de stockage ? Quelle est la taille de ce marché gris justement pour y échapper ?
M. H. :
En 2012, selon Copie France, la perception de la RCP en 2012 a été de
173,8 millions d’euros, dont 52,1 millions d’euros sur les smartphones (téléphone mobile multimédia), 32,4 millions sur les disques durs externes, 17,9 millions sur les clés USB non dédiées et 16,3 millions sur les DVD data. Quant aux tablettes tactiles multimédias, elles ont subi un prélèvement de 6,4 millions d’euros.
L’importance du marché gris est difficile à évaluer précisément (GfK ne le mesure pas) mais elle est directement proportionnelle à la part de la RCP dans le prix de vente au consommateur. Nous estimons le marché gris à plus de 70 % sur les DVD data (la RCP représente près de 50 % du prix de vente TTC de ce produit). Sur les disques durs externes, le marché gris est en pleine progression (plus de 30 % du marché total, sans doute) du fait de la baisse des prix et de l’augmentation des capacités. Ce marché gris
est particulièrement destructeur pour les distributeurs locaux avec une incidence directe sur l’emploi.

EM@ : Après la médiation Vitorino, la Commission européenne veut harmoniser les dispositifs de la RCP entre les différents Etats membres, notamment dans le cadre du réexamen en cours de la directive sur le droit d’auteur, ce qui pourrait remettre en cause du système français. Qu’attendez-vous du commissaire Michel Barnier ? M. H. : Nous souhaitons que les conclusions du rapport Vitorino soient le plus rapidement possible traduites dans des textes règlementaires européens. Ce qui permettra de mieux harmoniser les pratiques de RCP entre les Vingt-Sept, notamment la définition du préjudice qui est centrale pour imaginer des barèmes cohérents dans les différents pays.

EM@ : Les six organisations professionnelles, que sont le SNSII, la Fevad,
le Secimavi, le Sfib, le Simavelec et le Gitep Tics, ont souligné que le rapport Lescure ne reprend aucune de leurs sept pistes de réformes proposées lors
de différentes auditions : quelles sont ces sept propositions ?
M. H. :
Une refonte de la RCP en France est nécessaire aussi bien sur le plan juridique qu’économique. Ces objectifs ne pourront être remplis que si le nouveau système répond aux conditions suivantes :
1) Le préjudice, rien que le préjudice, tout le préjudice. Conformément à la directive européenne du 22 mai 2001 [sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ndlr] et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le système de copie privé doit correspondre uniquement au préjudice subi par les ayants droit – pour les actes de copie privée qui échappent à une autorisation préalable. Ce préjudice devra être déterminé dans le cadre d’une expertise juridique et économique neutre.
2) Réévaluation régulière du montant du préjudice. Nous proposons qu’elle ait
lieu tous les deux ans pour tenir compte de l’évolution des nouveaux usages et du développement des nouveaux services numériques.
3) Offre légale. Le nouveau système doit être moteur, et non frein, pour le déploiement
de l’offre légale d’œuvres numériques en s’assurant que les ayants droit bénéficient directement des revenus issus de l’innovation numérique : plates-formes de téléchargement direct d’œuvres musicales, services en streaming, télévision de rattrapage et vidéo à la demande (VOD)
4) Exclusion des usages professionnels. La directive du 22 mai 2001 indique que le système de copie privée n’est applicable qu’aux seules personnes physiques pour un usage privé et non aux personnes morales, ce qui a été rappelé par l’arrêt Padawan
rendu par la CJUE. Il ne s’agit pas de faire payer une personne morale et/ou une personne achetant à des fins professionnelles. De ce fait, le système de remboursement doit être aboli.
5) Harmonisation européenne. L’évaluation du préjudice doit se faire selon des critères harmonisés au sein de l’Union européenne, seul marché pertinent à prendre en compte. Le nouveau système permettra ainsi la décroissance du marché gris et la réduction de la distorsion des prix de vente des supports au sein du marché européen, causés par une RCP irréaliste et exorbitante en France.
6) Traitement légitime des 25 % pour les manifestations culturelles. Nous préconisons la dissociation de la RCP, destinée uniquement à la compensation
d’un préjudice, et de la contribution aux événements culturels en France.
7) Transparence. La transparence doit être assurée non seulement par la gouvernance équilibrée, au travers d’une représentativité identique entre ayants droit, consommateurs et industriels (1/3 chacun), mais aussi par la méthodologie utilisée, le calcul du préjudice et les tarifs appliqués en compensation de ce préjudice. @

 

Licence Internet et copie privée : l’Europe ne veut pas que les consommateurs paient deux fois

Le médiateur António Vitorino a remis au commissaire européen Michel Barnier
ses recommandations pour réformer les systèmes de taxes pour copie privée
au sein des Vingt-sept. En tête de ses recommandations : limiter le recours à
ce système de rémunération, au profit des contrats de licence.

« Je recommande de clarifier que les copies qui sont faites par les utilisateurs pour un usage privé, à partir d’un service en ligne bénéficiant de licences de la part des ayants droits, ne portent aucune atteinte qui exigerait la rémunération supplémentaire sous forme d’une redevance pour copie privée », écrit le médiateur António Vitorino (notre photo), dans son rapport (1) remise le 31 janvier à
la Commission européenne (2).

Limiter le recours à la taxe « copie privée »
Objectif : inciter les acteurs du Web à contractualisation des licences avec les titulaires droits de la musique, du cinéma ou encore de l’édition. Selon le médiateur, certains opérateurs Internet seraient tentés « d’élargir l’interprétation de l’exception de copie
privée, en vue de contourner la nécessité de conclure des licences avec les ayants
droits ». Selon lui, les plates-formes de services en ligne devraient « normalement » s’appuyer sur des accords de licence permettant aux détenteurs de droits d’« être rémunérés directement pour toutes les formes de consommation de leur contenu créatif ». Autrement dit : dès lors que les ayants droits sont rétribués directement par des contrats de diffusion sur Internet, le médiateur ne trouve « pas justifié pour les consommateurs de payer une seconde fois, sous la forme d’une taxe [pour copie privée] ». La Commission européenne fait sienne cette volonté de limiter le recours aux régimes indirects de redevances, en faisant en sorte que le droit de copie privée exercé dans le cercle restreint familial soit compris dans les contrats de diffusion Internet. Et ce, afin de ne pas donner lieu des rémunérations supplémentaires. « Je veillerai à ce que les recommandations faites par [António] Vitorino soient prises en compte dans le cadre des prochaines étapes dans ce dossier des redevances pour copie et reproduction privées, et notamment dans le contexte du réexamen en cours du cadre juridique européen sur le droit d’auteur »,
a en effet aussitôt déclaré Michel Barnier, commissaire européen en charge du Marché intérieur. Ce dernier a cependant reporté à 2014 toute décision quant à la révision de la directive de 2004 sur la protection de la propriété intellectuelle (3).
Conjugué au fait que le recours à la copie privée baisse au fur et à mesure de l’augmentation du streaming au détriment du téléchargement (4), le médiateur se dit conscient que les redevances pour copie privée diminuent elles aussi. Internet permet
aux internautes et aux mobinautes de créer des playlists qu’ils peuvent partager avec d’autres, de stocker leurs musiques, films ou toutes autres œuvres, voire de les mettre
en équivalence via un service de « matching » pour les rendre accessibles dans leur bibliothèque personnelle en ligne à partir de n’importe quel de leurs terminaux. Le stockage à distance des œuvres dans le « cloud » d’un prestataire tend en plus à rendre obsolète la notion de copie privée. « Ces nouveaux services complexes ont en commun le fait qu’ils doivent être basés sur des accords de licence avec les titulaires de droits, puisque très peu d’éléments du service sont potentiellement couverts par une exception [au droit d’auteur] », affirme António Vitorino.
Encore faut-il que les contrats de licence prévoient que les consommateurs puissent continuer à faire des copies. « Une personne s’abonnant à un service musique en streaming ne doit pas seulement payer pour le streaming online à destination de ses terminaux, mais aussi pour créer des playlists qui peuvent être écoutées même une
fois déconnecté », explique encore le médiateur. Son rapport rappelle au passage que
le système de redevance pour copie privée avait été créé dans un environnement
offline analogique qui ne permettait pas à l’époque aux ayants droit d’être dédommagés autrement des copies faites par les utilisateurs. Alors qu’aujourd’hui, les services numériques online (5) offrent cette possibilité de maîtriser la diffusion en ligne des
œuvres et de rémunérer les auteurs en fonction du succès et des copies de leurs
création sur Internet.

Limiter le recours à la taxe « copie privée »
« Les services en ligne permettent de prendre des mesures beaucoup plus ciblée vers
les utilisateurs pour protéger les droits d’auteur, y compris pour les copies faites dans
le cadre privé. Les contenus peuvent être délivrés exactement de la manière à laquelle l’utilisateur s’y attend. Les contrats de licence reflètent ces nouvelles façons de distribuer les contenus aux consommateurs et de rémunérer les ayants droits en juste proportion de l’exploitation en ligne de leurs œuvres », poursuit le rapport. Michel Barnier a maintenant toutes les cartes en main pour engager les réformes qui s’imposent. @

Charles de Laubier

Les industriels attaquent la copie privée : saison 2

En fait. Le 1er janvier 2013 est entrée en vigueur la décision n°15 de la commission pour la rémunération de la copie privée fixant les nouvelles taxes à payer lors de l’achat de supports de stockage, mémoires et disques durs. Cette décision, datée du 14 décembre, est parue le 26 au Journal Officiel (1).

En clair. Rendez-vous devant le Conseil d’Etat ! Les industriels s’apprêtent en effet à saisir la Haute juridiction administrative (2) pour demander l’annulation cette décision instaurant – « de façon illégale », affirment-ils – de nouveaux barèmes de rémunération
de la copie privée pour remplacer ceux annulés par le Conseil d’Etat en juin 2011. Aucun support de stockage numérique, ou presque, n’échappe à ces nouvelles taxes que doivent payer les consommateurs lors de l’achat de supports de stockages. Et ce,
en contrepartie du droit de faire des copies à usage privée de musiques, de films ou d’œuvres audiovisuelles, écrites ou graphiques. A part le cloud computing qui n’y est pas encore soumis (3) et les disques durs internes des ordinateurs toujours curieusement épargnés, tout y passe : CD/DVD, décodeurs, « box », enregistreurs numériques, appareils de salon, clés USB, supports de stockage multimédias, disques durs externes, smartphones, tablettes, baladeurs, autoradios, navigateurs GPS, … Selon les organisations des ayants droits (auteurs, artistes-interprètes, producteurs et éditeurs réunis au sein de Copie France), les nouveaux tarifs sont « globalement inférieurs » aux précédents et promettent une « légère diminution des rémunérations perçues au cours
de l’année 2013 ». Mais en réalité, il en coûtera plus cher pour les tablettes, baladeurs
ou GPS. Cette décision n’est pas du goût des industriels d’appareils électroniques, dont les organisations (Simavelec, Sfib, Secimaci, Gitep Tics, SNSII) avaient le 15 novembre claqué la porte de cette commission présidée par Raphaël Hadas-Lebel et placée sous
la tutelle des ministères de la Culture, de l’Industrie et de la Consommation.
Cela n’a pas empêché l’adoption de la décision n°15 à une écrasante majorité : 15 voix pour (4) et 3 voix contre (Unaf, CLCV et Familles rurales). Deux membres se sont abstenus : l’Association droit électronique et communication (Adec) et de la Fédération française des télécoms (FFT). Cette dernière s’est pour la première fois désolidarisée
des industriels en ne votant pas contre « afin de marquer les avancées obtenues ces dernières semaines lors des négociations sur les nouvelles grilles [notamment sur les
« box », ndlr] » mais en s’abstenant « afin de signifier qu’elle n’adhère pas au dispositif actuel de gouvernance et d’élaboration des décisions ». @

La rémunération pour copie privée appliquée au « cloud » n’est pas pour demain

Le 23 octobre dernier, le très contesté Conseil supérieur de la propriété littéraire
et artistique (CSPLA), a publié un avis selon lequel la redevance pour copie privée devrait s’appliquer aux services en nuage (cloud). Les sociétés d’auteurs sont satisfaites, les acteurs du numérique ulcérés.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Selon CSPLA, la redevance pour copie privée doit s’étendre aux services de stockage en ligne qu’il s’agisse de services de stockage personnel de type Dropbox, Hubic ou Skydrive, ou bien ceux liés à une plateforme de téléchargement légal,
ou encore ceux proposant des fichiers de substitution comme iTunes Match. A contrario, la Commission européenne semble aujourd’hui privilégier une analyse de la question sous l’angle du droit exclusif et non sur la base de l’exception pour copie privée.

Vingt-sept ans d’exception
En l’absence de texte tranchant expressément cette question, il convient de rester vigilant quant à l’évolution des règlementations en projet, afin de surveiller la direction qui sera prise par le législateur sur l’éventuel assujettissement du cloud computing aux contraintes liées aux droits d’auteurs et aux droits voisins.
Le principe de rémunération pour copie privée, introduit en 1985 dans notre droit d’auteur national, est la contrepartie de l’exception au monopole de l’auteur sur le droit de reproduction de son oeuvre – dès lors que cette exception est limitée à l’usage privé du
« copiste ». Repris dans 25 des 27 pays l’Union européenne (1), il a été consacré par la directive européenne 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Cette exception
au droit exclusif de l’auteur sur la reproduction de son oeuvre a pour conséquence le paiement d’une somme forfaitaire, laquelle permet d’assurer aux ayants droits une rémunération sans limiter la diffusion de leurs oeuvres via des copies destinées à un usage privé. Or la rémunération pour copie privée est aujourd’hui bousculée sous l’effet d’un triple mouvement technique, juridique et juridictionnel, comme l’a indiqué un rapport de la commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale (2).
Ainsi, du point de vue juridique, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé en 2010 la portée de l’exception pour copie privée dans la célèbre affaire Padawan (3), en indiquant qu’il doit exister un « lien nécessaire » entre l’application de
la redevance et « l’usage présumé [des supports] à des fins de reproduction privée » et que, par voie de conséquence « l’application sans distinction de la redevance pour copie privée, notamment à l’égard [de supports] non mis à la disposition d’utilisateurs privés
et manifestement réservés à des usages autres que la réalisation des copies à usage privé » n’est pas conforme à la directive 2001/29 précitée. La prise en compte de cette décision au sein du système français a alors partagé les experts entre les partisans
d’une interprétation restrictive selon laquelle la formule « non mis à disposition d’utilisateurs privés » devait être entendue comme l’équivalent de « non offerts à l’achat d’utilisateurs privés », et les tenants d’une interprétation plus extensive selon laquelle la rédaction communautaire devait être comprise comme « non vendus à des utilisateurs privés ». Dans ce cas, le droit communautaire exigerait que tous les supports soient exclus de l’assiette de la rémunération dès lors qu’ils sont vendus à des professionnels.
Sollicité par Canal + Distribution pour annuler la décision n°11 du CSPLA (4), le Conseil d’Etat (5) a retenu la seconde interprétation en considérant que la décision attaquée était illégale au regard de l’article L. 311-8 du code de la propriété intellectuelle (CPI) et de la directive communautaire 2001/29/CE « en décidant que l’ensemble des supports (…) seraient soumis à la rémunération, sans prévoir la possibilité d’exonérer ceux des supports acquis, notamment à des fins professionnelles, (…) la commission (CSPLA) avait méconnu les principes ainsi énoncés ».

L’avis contestable du CSPLA
A la suite de ces deux affaires, l’article L 311-8 du CPI a été modifié par la loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 sur la rémunération pour copie privée afin d’étendre l’exonération de cette rémunération aux supports d’enregistrement « acquis notamment à des fins professionnelles dont les conditions d’utilisation ne permettent pas de présumer un usage à des fins de copie privée ». Victime de la diminution des recettes de la copie privée causée par le délitement de la notion même de reproduction sur un support physique au profit du stockage temporaire des données sur des serveurs distants, le CSPLA a donc rendu un avis pour le moins contestable. De surcroît, ce Conseil ne ferait pas l’unanimité en son propre sein.
Ainsi, selon le CSPLA, deux constats justifient l’application de l’exception de copie privée aux reproductions multiples de contenus faites à l’initiative de l’utilisateur sur ses terminaux personnels, grâce à certaines fonctionnalités de l’informatique en nuage :
1 • Le fait que l’exercice du droit d’auteur exclusif et sa contrepartie en matière de rémunération au cas par cas est rendu impossible par le statut « d’hébergeur » des fournisseurs de mémoire distante ;
2 • Le fait que certains services de cloud offrent des fonctionnalités « dont les effets
sont identiques à des méthodes de synchronisation préexistantes dans un environnement matériel personnel ».

L’Europe aura le dernier mot
Or, si les prestataires de services de cloud computing ont le statut d’hébergeur, ils bénéficient d’un régime de responsabilité allégé (article 6.I.2 de la LCEN et 13 de la Directive ecommerce 2000/31/CE) qui leur permet d’échapper, dans une certaine limite,
à toute responsabilité sur les contenus en termes de droit d’auteur. Ils ne sont donc soumis ni au régime de l’autorisation expresse préalable, ni au régime dérogatoire de
la copie privée qui relève lui aussi du droit d’auteur.
Dans l’hypothèse contraire, il n’est pas exclu que certains prestataires de services de stockage et d’accès à distance de contenus culturels, également éditeurs, agissent en application d’accords préalables pleinement négociés avec les titulaires de droits. Or,
le cumul des prélèvements est illégal et en tout état ne peut être répercuté sur le consommateur final.
Par ailleurs, si la Commission européenne persistait à inviter les acteurs à négocier sur le terrain du droit exclusif plutôt que celui de l’exception « copie privée » et à s’assurer que les services de cloud computing sont basés sur la rémunération directe des ayants droits au lieu des prélèvements indirects, alors l’avis du CSPLA serait en contrariété avec le cadre communautaire et toute décision prise sur cette base serait illégale.
Enfin, comment le CSPLA pourrait-il prétendre par avance que toutes les copies faites
par un utilisateur sur un terminal personnel de contenus stockées à distance auraient un usage strictement privé ? En résumé, la taxation pour copie privée du cloud computing
est loin d’être acquise. @

FOCUS

Le Conseil Constitutionnel va-t-il revoir « la copie » ?
A la suite de SFR, le Syndicat de l’industrie des technologies de l’information (SFIB) a déposé le 5 novembre 2012 une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant la loi du 20 décembre 2011 – à propos de la nonexonération effective des usages professionnels en matière de copie privée.
Le 18 octobre dernier, la Cour de cassation avait déjà transmis au Conseil Constitutionnel une QPC à l’initiative de SFR, qui remet en cause deux articles de cette loi. En effet, alors que les entreprises ne doivent pas payer la taxe copie privée pour un usage professionnel, elles s’en acquittent pourtant aujourd’hui et ne peuvent être remboursées qu’au prix de démarches administratives complexes pour obtenir in fine le remboursement de quelques euros seulement. « Payez d’abord … voyons après ! Un an plus tard c’est mission impossible pour les entreprises », déplore Xavier Autexier, Délégué général du SFIB, qui parle aussi de « sentiment d’impuissance » face à ce « mur administratif ». L’exaspération grandissante du secteur gagne ainsi les plus hautes sphères de l’Etat. @