Licence Internet et copie privée : l’Europe ne veut pas que les consommateurs paient deux fois

Le médiateur António Vitorino a remis au commissaire européen Michel Barnier
ses recommandations pour réformer les systèmes de taxes pour copie privée
au sein des Vingt-sept. En tête de ses recommandations : limiter le recours à
ce système de rémunération, au profit des contrats de licence.

« Je recommande de clarifier que les copies qui sont faites par les utilisateurs pour un usage privé, à partir d’un service en ligne bénéficiant de licences de la part des ayants droits, ne portent aucune atteinte qui exigerait la rémunération supplémentaire sous forme d’une redevance pour copie privée », écrit le médiateur António Vitorino (notre photo), dans son rapport (1) remise le 31 janvier à
la Commission européenne (2).

Limiter le recours à la taxe « copie privée »
Objectif : inciter les acteurs du Web à contractualisation des licences avec les titulaires droits de la musique, du cinéma ou encore de l’édition. Selon le médiateur, certains opérateurs Internet seraient tentés « d’élargir l’interprétation de l’exception de copie
privée, en vue de contourner la nécessité de conclure des licences avec les ayants
droits ». Selon lui, les plates-formes de services en ligne devraient « normalement » s’appuyer sur des accords de licence permettant aux détenteurs de droits d’« être rémunérés directement pour toutes les formes de consommation de leur contenu créatif ». Autrement dit : dès lors que les ayants droits sont rétribués directement par des contrats de diffusion sur Internet, le médiateur ne trouve « pas justifié pour les consommateurs de payer une seconde fois, sous la forme d’une taxe [pour copie privée] ». La Commission européenne fait sienne cette volonté de limiter le recours aux régimes indirects de redevances, en faisant en sorte que le droit de copie privée exercé dans le cercle restreint familial soit compris dans les contrats de diffusion Internet. Et ce, afin de ne pas donner lieu des rémunérations supplémentaires. « Je veillerai à ce que les recommandations faites par [António] Vitorino soient prises en compte dans le cadre des prochaines étapes dans ce dossier des redevances pour copie et reproduction privées, et notamment dans le contexte du réexamen en cours du cadre juridique européen sur le droit d’auteur »,
a en effet aussitôt déclaré Michel Barnier, commissaire européen en charge du Marché intérieur. Ce dernier a cependant reporté à 2014 toute décision quant à la révision de la directive de 2004 sur la protection de la propriété intellectuelle (3).
Conjugué au fait que le recours à la copie privée baisse au fur et à mesure de l’augmentation du streaming au détriment du téléchargement (4), le médiateur se dit conscient que les redevances pour copie privée diminuent elles aussi. Internet permet
aux internautes et aux mobinautes de créer des playlists qu’ils peuvent partager avec d’autres, de stocker leurs musiques, films ou toutes autres œuvres, voire de les mettre
en équivalence via un service de « matching » pour les rendre accessibles dans leur bibliothèque personnelle en ligne à partir de n’importe quel de leurs terminaux. Le stockage à distance des œuvres dans le « cloud » d’un prestataire tend en plus à rendre obsolète la notion de copie privée. « Ces nouveaux services complexes ont en commun le fait qu’ils doivent être basés sur des accords de licence avec les titulaires de droits, puisque très peu d’éléments du service sont potentiellement couverts par une exception [au droit d’auteur] », affirme António Vitorino.
Encore faut-il que les contrats de licence prévoient que les consommateurs puissent continuer à faire des copies. « Une personne s’abonnant à un service musique en streaming ne doit pas seulement payer pour le streaming online à destination de ses terminaux, mais aussi pour créer des playlists qui peuvent être écoutées même une
fois déconnecté », explique encore le médiateur. Son rapport rappelle au passage que
le système de redevance pour copie privée avait été créé dans un environnement
offline analogique qui ne permettait pas à l’époque aux ayants droit d’être dédommagés autrement des copies faites par les utilisateurs. Alors qu’aujourd’hui, les services numériques online (5) offrent cette possibilité de maîtriser la diffusion en ligne des
œuvres et de rémunérer les auteurs en fonction du succès et des copies de leurs
création sur Internet.

Limiter le recours à la taxe « copie privée »
« Les services en ligne permettent de prendre des mesures beaucoup plus ciblée vers
les utilisateurs pour protéger les droits d’auteur, y compris pour les copies faites dans
le cadre privé. Les contenus peuvent être délivrés exactement de la manière à laquelle l’utilisateur s’y attend. Les contrats de licence reflètent ces nouvelles façons de distribuer les contenus aux consommateurs et de rémunérer les ayants droits en juste proportion de l’exploitation en ligne de leurs œuvres », poursuit le rapport. Michel Barnier a maintenant toutes les cartes en main pour engager les réformes qui s’imposent. @

Charles de Laubier