Bruno Chetaille, PDG de Médiamétrie : « Nous allons tester un audimètre individuel, miniature et mobile »

Médiamétrie vient d’avoir 30 ans. L’institut de mesure d’audiences, créé le 24 juin 1985, s’est imposé en France dans la télévision, la radio et Internet. Son PDG Bruno Chetaille explique comment l’audimètre devient aussi miniature et mobile. Et en fin d’année, la mesure globale TV et Net sera lancée.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Quel nouvel audimètre prépare Médiamétrie pour suivre le panéliste en mobilité ?
Et pour la version fixe, l’audimètre devient-il une tablette ? Quand ces deux modèles seront-ils installés et sont-ils pertinents à l’heure du multi-écrans et du multitasking ?
Bruno Chetaille :
Depuis 2007, nous avons fait le choix d’une technologie fondamentale pour la mesure d’audience de la télévision : le watermarking. Cette technologie est compatible avec tous les réseaux de diffusion et garantit notre indépendance à l’égard de leurs opérateurs. Surtout, elle permet de prendre en compte la consommation de
la télévision, qu’elle soit en linéaire ou délinéaire, à domicile ou en mobilité. Nous la faisons régulièrement évoluer. Elle intègre d’ores et déjà le multitasking puisqu’elle permet la synchronisation multi-écrans. De même, nos audimètres changent : le prochain modèle sera effectivement une « box » au format tablette, encore plus ergonomique pour nos panélistes. Il sera déployé dès 2016. Enfin, nous avons développé un audimètre miniature, au format d’une montre connectée, qui nous permet de mesurer l’audience de la radio et celle de la télévision en mobilité. Nous allons tester ce modèle d’audimétrie individuelle portée (AIP) en octobre prochain auprès d’un panel de 750 individus : 33 stations de radio et 28 chaînes de télévision vont participer à ce test. L’innovation technologique pour toujours mieux capter les signaux et collecter les données de comportement est pour nous une préoccupation essentielle.

EM@ : Depuis mai 2014, Médiamétrie et Google testent un panel single source multi-écrans : PaME. Quels en sont les premiers enseignements ?
B. C. :
PaME, notre panel « TV + Internet » coproduit avec Google, compte 3.400 foyers équipés de quatre écrans : téléviseur, ordinateur, tablette, smartphone.
Pour la télévision il utilise d’ailleurs notre technologie watermarking.
Ce dispositif ouvert à tous les acteurs du marché est utile pour comprendre les comportements multi-écrans à domicile. Sur un jour moyen, 18 % des Français regardent la télévision tout en surfant sur Internet. Ils y consacrent 38 minutes,
soit un peu plus de la moitié du temps qu’ils passent à naviguer sur Internet et
un peu plus de 15 % de celui qu’ils passent à regarder la télévision.

EM@ : A quand la mesure d’audience « TV 4 écrans » ?
B. C. :
La télévision reste d’abord regardée sur le téléviseur : près de 4 heures par jour. Mais elle l’est de plus en plus sur les trois autres écrans : 6 minutes par jour. Cela signifie par exemple que, sur une journée donnée, 2,8 millions de personnes ont passé 1 heure 51 devant un ou plusieurs de ces écrans. Cette tendance est encore plus forte sur les 15-24 ans qui regardent la télévision 1 heure 45 sur le téléviseur et 15 minutes sur les autres écrans. La mesure « TV 4 écrans » est donc une priorité. Elle reposera sur la fusion des résultats de Médiamat (1) qui reflète tous les usages d’un téléviseur
– en direct ou en rattrapage – et ceux de notre mesure « Internet Global » qui, disponible depuis avril, donne la vision de la consommation Internet sur les trois autres écrans : ordinateur, mobile, tablette. Cette mesure Internet Global réunit les données individuelles de nos trois panels (ordinateur, mobile, tablette), elles-mêmes enrichies par des données de trafic de type site centric ou log des opérateurs. Nous innovons
en conjuguant données panel et big data. Dès l’automne prochain, nous produirons
un volet spécifique de cet Internet Global : la « vidéo 3 écrans ». Puis, en fin d’année, nous le fusionnerons avec le Médiamat pour que la mesure « TV 4 écrans » soit disponible dès le début 2016.

EM@ : En test depuis février, Médiamétrie vient d’officialiser le lancement du
« GRP Vidéo » : qu’apporte ce nouvel indicateur et quelles chaînes et plateformes web l’utilisent ?
B. C. :
Le GRP (2) est un indicateur de performance publicitaire. Il représente le nombre de contacts d’une campagne publicitaire obtenu sur une cible et rapporté à la taille de la cible visée. Pour comparer et additionner TV et Internet, encore faut-il que les contacts soient comparables et additionnables ! C’est tout l’enjeu de ce GRP Vidéo sur Internet qui, à l’instar du GRP TV, intègre la surface visible de la publicité sur l’écran et la durée d’exposition de l’internaute. Nous y travaillons depuis près de deux ans
avec tous les acteurs du marché : chaînes de télévision, éditeurs Internet, agences, annonceurs. Et grâce à notre partenariat avec Integral Ad Science, le service est maintenant techniquement disponible depuis mi-juin. A l’heure du développement
des offres vidéo sur Internet et de la multiplication des campagnes TV + Internet,
ce nouveau standard constitue un facteur clé de confiance pour le marché. Ce GRP Vidéo est maintenant fourni en option de notre service de mesure d’efficacité des campagnes publicitaires Internet, baptisé « nOCR », utilisable sur près de 200 cibles.

EM@ : A l’heure des big data, les panels ont-ils toujours la même valeur ?
B. C. :
L’un et l’autre ne s’opposent pas. Ils se conjuguent. Le panel est un outil neutre garant d’une bonne individualisation des comportements. Mais ses données seront de plus en plus enrichies par des informations venant de sources extérieures. C’est pourquoi, depuis près de cinq ans, nous investissons beaucoup au niveau scientifique dans des méthodes d’hybridation qui marient données « panel » et données « voie de retour ». Notre mesure Internet est déjà hybride ; notre mesure TV est en passe de le devenir (3).

EM@ : Médiamétrie détient une certaine position dominante sur le marché français de la mesure d’audience audiovisuelle et Internet. Quelle est la raison
de cette position et quel est le niveau réel de concurrence ?
B. C. :
La concurrence au plan international comme en France existe sur beaucoup de services : web analytics, services d’efficacité publicitaire, recherches ad hoc, … Pour ce qui est de la mesure d’audience, vous constaterez que dans chaque pays il n’y a qu’un opérateur pour la télévision et la radio et que s’il peut y avoir encore compétition pour Internet, un acteur commence à s’imposer. La spécificité de Médiamétrie est d’être simultanément sur un même pays l’acteur de référence pour la télévision, la radio et Internet. C’est un atout qui nous permet d’aller plus vite dans l’anticipation et l’accompagnement des stratégies pluri-médias de nos clients. Cette position dominante nous donne plus de devoirs que de droits : transparence, tant en terme de méthodes que de tarification, équité de traitement de nos clients, audits externes réguliers du CESP (4)… Plus encore, elle est porteuse de trois exigences : la fiabilité, l’innovation
et l’écoute client. Si nous n’étions pas fidèles à ces trois valeurs, notre position serait rapidement remise en cause.

EM@ : Quels sont les chiffres-clé de Médiamétrie : chiffre d’affaires, taux de croissance, effectifs ?
B. C. : Nous avons réalisé 90 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014, enregistrant une croissance de près de 10 % tirée par le numérique, les activités pluri-médias et l’international. Nous avons notamment été retenus par l’Inde pour opérer un transfert
de nos technologies et nos méthodologies de mesure TV. Nous investissons chaque année en moyenne 7 millions d’euros pour faire évoluer nos dispositifs de mesure, développer de nouvelles technologies ou méthodes scientifiques. Médiamétrie emploie 650 personnes, dont près de 250 dans nos centres d’enquêtes à Amiens et Rouen. Cet effectif est en croissance, en raison notamment du recrutement d’ingénieurs, d’experts statisticiens et de data-scientists. @

Amazon fête ses 20 ans et devrait dépasser les 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2015

C’est le deuxième « A » de GAFA. Le géant mondial du e-commerce fête les 20 ans de l’ouverture d’Amazon.com le 16 juillet. Son fondateur et PDG Jeff Bezos a toujours préféré l’investissement et la diversification à la rentabilité. Mais jusqu’à quand ? Tandis que l’Europe enquête sur sa position dominante, notamment dans le livre, et sur sa fiscalité.

Par Charles de Laubier

Jeff BezosAmazon.com a ouvert le 16 juillet 1995. « Fluid Concepts and Creative Analogies », de Douglas Hofstadter, fut le premier livre vendu en ligne. Devenu le numéro un mondial du commerce électronique – avec le livre pour commencer, rejoint ensuite par la musique et l’électronique grand public –, la société Amazon a été créée en juillet 1994 par PDG actuel, Jeffrey Preston Bezos, alias Jeff Bezos (photo), puis introduite en Bourse en juin 1997.
Sa capitalisation boursière dépasse aujourd’hui les 200 milliards de dollars. Selon nos calculs, le chiffre d’affaires du groupe Amazon devrait franchir cette année la barre des 100 milliards d’euros, si la croissance de 20 % observée entre les deux années précédentes se maintenait. Et ce, au moment de fêter ses 20 ans. Le géant du e-commerce a réalisé en 88,9 milliards de dollars de revenus en 2014.

Pertes, échecs et diversifications
Pourtant, la firme créée à Seattle (Etat de Washington aux Etats-Unis) n’a jamais été vraiment profitable depuis sa création. La perte nette a été de 241 millions de dollars l’an dernier, malgré une année précédente bénéficiaire à 274 millions de dollars.
Ce sont les investissements frénétiques engagés par Jeff Bezos qui pèsent sur la rentabilité : e-commerce diversifié, fabrication de tablettes, liseuses, smartphones, mini-décodeurs, services de vidéo et de musique en ligne, livres numériques en accès illimité, stockage illimité de photos, etc. Depuis 2010, où le bénéfice net avait fait un bond de 28 % à 1,15 milliard de dollars pour un chiffre d’affaires plus que moitié moindre que celui d’aujourd’hui, les actionnaires et les investisseurs n’ont cessé d’être déçus par le manque de rentabilité du groupe. Plus le géant du ecommerce encaisse de l’argent, plus il en perd ! Sans parler des « échecs » que Jeff Bezos a reconnus et
a même chiffrés en « milliards de dollars » (1). Par exemple, si ses liseuses Kindle et tablettes Fire sont bien accueillies par les utilisateurs, il n’en est pas allé de même du smartphone Fire Phone lancé il y a un an maintenant. Amazon a même dû sérieusement déprécier les stocks, ce qui lui a coûté quelque 170 millions de dollars (charge enregistrée au troisième trimestre 2014). Mais les affaires continuent. Il y a près d’un an, en août 2014, Amazon rachetait pour 970 millions de dollars Twitch, première plateforme mondiale dans le domaine des jeux vidéo en réseaux sociaux. Plus de 100 millions de membres de la communauté des gamers se réunissent chaque mois pour regarder des jeux vidéo et en discuter avec plus de 1,5 million de diffuseurs en live. Et c’est en octobre 2014 qu’Amazon a ajouté une corde à son arc : le mini-décodeur Fire TV Stick, pour rivaliser avec le Chromecast de Google. D’abord disponible aux Etats-Unis, il l’est en Europe depuis mars dernier. De la taille d’une
clé USB, il se branche sur le port HDMI du téléviseur pour y visionner des vidéos en streaming (pas de téléchargement) ou aussi y afficher les vidéos regardées à partir
d’un smartphone ou d’une tablette. En fait, le Fire TV Stick est une version plus petite
et moins chère de Fire TV, le premier décodeur pour téléviseur d’Amazon.
Quant au service par abonnement Prime, lancé il y a dix ans, il rencontre un réel succès tant aux Etats-Unis qu’à l’international. Pour 99 dollars par an, Prime donne accès en ligne à des contenus numériques et à des livraisons gratuites en deux jours. Les membres d’Amazon Prime ont accès en streaming à des milliers de films et d’épisodes TV, y compris les « Amazon Original Series » produites par le géant du
Net et disponibles sur Prime Instant Video (lancé en 2011) sans frais supplémentaires pour ses membres. La série « Transparent » est par exemple multi-lauréate au Golden Globe (meilleure série comique et meilleure série musicale). Une prochaine série est attendue avec le réalisateur Woody Allen.

Abonnement Prime : l’offre s’étoffe
Amazon va même produire des films pour les salles de cinéma, dont le premier sortira à la fin de l’année. Ces « Amazon Original Movies », produits par Amazon Studios, seront ensuite disponibles en ligne deux mois après leur sortie. Premier titre : « Elvis & Nixon », dont les droits viennent d’être acquis par le géant du e-commerce. En plus de dizaines de milliers de films et épisodes, l’abonnement Amazon Prime offre – avec Prime Music – 1 million de chansons et des centaines de play-lists. A noter qu’Amazon possède en outre IMDb, la base d’information de référence mondiale sur les films et les artistes.

A l’assaut de la maison connectée
La diversification passe par l’innovation. Depuis mars dernier, il est proposé gratuitement aux abonnés de Prime le « Dash Button », un petit boîtier doté d’un gros bouton et d’une étiquette indiquant la marque d’un produit ménager à acheter (255 références, du papier-toilette au sacs poubelle, en passant par les dosettes de café).
Il se colle ou s’accroche n’importe où dans la maison afin de faciliter la prise de commande en cas de besoin. Décidé à s’imposer dans la maison connectée, Amazon
a lancé le 23 juin dernier un petit cylindre – baptisé « Echo » – qui fait office de service d’assistance vocale pour contrôler les objets connectés à domicile (éclairage, hi-fi, chauffage, …). En mars dernier, Amazon s’est encore un peu plus diversifié avec le lancement d’un service pour les particuliers baptisé « Amazon Home Services » sur Amazon.com (électricité, plomberie, ménage, jardinage, décoration intérieure, etc). Audelà de la livraison en un jour avec « Prime Now », Jeff Bezos compte en outre lancer « Prime Air », pour livrer par drone de petits paquets en 30 minutes maximum ! Dans le livre numérique, Amazon a lancé Kindle Unlimited pour proposer un abonnement d’accès illimité à des ebooks en streaming : 9,99 euros par mois pour 800.000 livres. Amazon est aussi une maison d’édition avec Amazon Publishing, dont l’activité a aussi été lancée en début d’année en France.
Plus ancienne, la plateforme Kindle Direct Publishing (KDP) favorise l’auto-édition
des auteurs désireux d’atteindre directement leur public : 600.000 auteurs y sont présents aujourd’hui. Et à partir du 1er juillet, les auteurs de livres auto-édités seront rémunérés à la page lue et non plus sur le nombre de téléchargements d’ebooks lus
à plus de 10 %.

Autre activité : Amazon Web Services (AWS), filiale de services de cloud, propose
ses services d’informatique dématérialisée et accessibles à distance. C’est l’une des activités du groupe qui enregistre la plus forte croissance et pèse déjà 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Le nuage informatique serait une vache à lait pour Amazon. En janvier 2015, Amazon a en outre lancé WorkMail, un service de messagerie professionnelle d’AWS. En avril 2015, Amazon a annoncé le lancement d’Amazon Business, une place de marché aux Etats-Unis destinée aux achats des entreprises. Sans oublier « Amazon Lending », service de prêts aux PME qui vient d’être lancé
au Royaume- Uni (après les Etats-Unis et le Japon). Cette boulimie dans les investissement et la diversification tous azimuts ne semble pas prendre fin. Jeff Bezos vise maintenant la Chine, pour affronter son grand rival asiatique Alibaba. L’Europe profite bien sûr de l’expansion internationale du géant du e-commerce, qui emploie 32.000 salariés dans l’Union européenne (centres de logistique, développement de logiciels, services clients, …). Cela ne l’empêche pas d’être dans le collimateur de la Commission européenne qui, mi-juin, l’a mis en garde contre tout abus de position dominante. Une enquête – dite « procédure formelle d’examen » – a notamment été ouverte le 11 juin sur les pratiques d’Amazon dans la distribution de livres numériques. Amazon est actuellement le plus grand distributeur de livres numériques en Europe. Bruxelles soupçonne d’obliger contractuellement les maisons d’édition à l’informer
de l’offre de conditions plus favorables faite à ses concurrents et de lui accorder les conditions comparables. La Commission européenne craint qu’avec ces clauses, il ne soit plus difficile pour les autres distributeurs de livres numériques de concurrencer Amazon grâce au développement de nouveaux produits et services innovants.

Fin de l’optimisation fiscale
Autre pratique d’Amazon dans le viseur de Bruxelles : la fiscalité avantageuse dont bénéficie la firme de Seattle au Luxembourg (aides d’Etat). Une enquête a, là aussi,
été ouverte en octobre 2014 et est actuellement en cours. Par exemple, la principale filiale allemande d’Amazon ne s’est acquittée que de 11,9 millions d’euros d’impôts en 2014, alors qu’elle a enregistrée un chiffre d’affaires record de 11,9 milliards de dollars. Sentant le vent tourner à son désavantage (risque de redressement fiscal), le géant du Net a commencé en mai à déclarer ses revenus pays par pays – à commencer par le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, en attendant l’ouverture prochaine d’une filiale en France. @

Charles de Laubier

FOCUS

Audience en France : Amazon fait moins bien que LeBonCoin
Amazon est le neuvième site web le plus visité en France avec, selon Médiamétrie,
un peu plus de 16,7 millions de visiteurs uniques sur le mois de mai (plus 1,7 million
de visiteurs uniques par jour). Mais le géant américain du e-commerce se retrouve
juste derrière LeBonCoin du groupe norvégien Schibsted (lequel enregistre plus de
17,6 millions de visiteurs uniques dans le même mois).
Les mobinautes, eux, sont plus de 6,1 millions de visiteurs uniques, toujours sur le mois de mai (sites optimisés ou pas pour les mobiles), ce qui place Amazon en huitième position : toujours juste derrière LeBonCoin et ses 6,9 millions de mobinautes uniques dans le mois. @

Musique en ligne et rémunération des artistes : l’été sera chaud pour le médiateur Schwartz

Le conseiller maître à la Cour des comptes Marc Schwartz ne sera pas vraiment en vacances cet été. Il doit rendre mi-juillet, à la ministre Fleur Pellerin, son pré-rapport sur le partage de la valeur dans la musique en ligne. Et sa version finale d’ici fin septembre. Pas de consensus en vue, pour l’instant.

Marc Schwartz n’est pas au bout de ses peines.
Il doit soumettre à la ministre de la Culture et de la Communication des propositions sur la répartition de
la valeur créée par l’exploitation de la musique en ligne,
en prévision de la loi « Liberté de création, architecture
et patrimoine » qui devrait commencer à être débattu au Parlement après l’été. Deux ans après le rapport Phéline, qui préconisait une gestion collective obligatoire pour le streaming, le médiateur Schwartz – missionné le 21 mai dernier par Fleur Pellerin – doit tenter l’impossible.

Gestion collective : point de blocage
Le conseiller maître à la Cour des comptes, ancien directeur financier de France Télévisions, n’a plus que quelques semaines pour mettre d’accord les représentants des artistes-interprètes, les producteurs de musique et les plateformes de musique en ligne, ainsi que les sociétés de perception et de répartition des droits. Cela semble à ce stade mission impossible. « Il y a absence de consensus partagé sur l’état des lieux et le diagnostic. Aujourd’hui, sur un contrat stream, quelle est la part revenant à l’artiste, à l’artiste interprète, sur les droits voisins… Il y a beaucoup d’avis divergents », a encore dit la ministre lors de la 49e édition du Midem (1) qui s’est tenu début juin à Cannes. Quelque peu pessimiste, Fleur Pellerin a alors laissé entendre qu’elle « prendrai[t] ses responsabilités à défaut d’accord ». Comprenez : s’il n’y a pas d’accord interprofessionnel, la ministre prévient qu’elle en passera par la loi. Ce que redoute l’ensemble de la filière musicale : c’est le seul sujet de consensus ! Il faut dire que les rapports sur la musique en ligne se sont succédés sans résultat depuis 2010 : à l’instar du rapport Zelnik (EM@5, p. 2), de la mission Hoog (EM@28, p. 4), du rapport Lescure (EM@80, p. 3), et du rapport Phéline (EM@93, p. 5), le prochain rapport Schwartz penchera-t-il lui aussi pour la gestion collective des droits de la musique en streaming ? Si ce mode de rémunération existe déjà avec la SCPP (2) et la SPPF (3) pour les producteurs, avec la Sacem (4) pour les musiciens, avec l’Adami et la Spedidam pour les artistes-interprètes, les producteurs de musique sont, eux, vent debout contre la perspective d’une gestion collective obligatoire au détriment des contrats individuels qu’ils signent avec les artistes-interprètes et les distributeurs. C’est la pierre d’achoppement la plus sérieuse entre les professionnels de la musique enregistrée. Bien que la lettre de mission – signée le 21 mai par Fleur Pellerin et adressée à Marc Schwartz – se garde bien de mettre de l’huile sur le feu, elle fait quant même clairement référence au rapport Phéline, « notamment l’instauration d’un système de gestion collective obligatoire pour le streaming, qui fait débat parmi les acteurs ». L’Adami, société de gestion collective des droits des artistes et musiciens interprètes, qui a fêté ses 60 ans cette année, prône la gestion collective obligatoire. « Le rapport Phéline a validé l’analyse et les propositions de l’Adami. (…) Après cinq rapports successifs, il est temps de légiférer », avait déclaré son directeur général, Bruno Boutleux, dans Edition Multimédi@ (5). Selon une rumeur, l’Adami serait prête à renoncer à être le gestionnaire pour que la gestion collective puisse être acceptée…

A l’autre bout de la table des négociations, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) dénonce depuis cinq ans – depuis le rapport Zelnik – la menace du « collectivisme » et de « kolkhoze » pour l’industrie musicale. Entre ces deux positions opposées, le médiateur pourrait tenter de proposer une rémunération garantie pour les artistes-interprètes. Il y a ceux qui souhaitent que des engagements soient pris et un code de bonne conduite mis en place selon le principe d’une auto-régulation. C’est le cas par exemple du syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML). De son côté, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) souhaite depuis 2010 une taxe sur les acteurs du Net (6). Quant aux plateformes numériques, telles que Spotify, Deezer ou encore iTunes d’Apple (en plein lancement d’Apple Music), elles estiment qu’elles reversent suffisamment de revenus aux ayants droits.

Moins payé en streaming
Mais les musiciens et artistes-interprètes affirment qu’ils sont moins bien rémunérés en streaming qu’en téléchargement. En France, selon le Snep sur 2014, le streaming a généré 72,5 millions d’euros de chiffre d’affaires (en hausse de 34,3 % sur un an), contre 53,8 millions d’euros pour le téléchargement (en chute de 14,2 %). Et au niveau mondial, En 2014, selon l’IFPI (7), les ventes mondiales de musique numérique ont égalé les ventes physiques. @

Charles de Laubier

Les maisons d’édition craignent un coup de frein des ventes de livres numériques si la TVA revenait à 20 %

Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici (photo), commissaire européen à la Fiscalité, que dépendra l’issue de l’affaire française de la TVA réduite sur les ebooks. La France échappe pour l’heure à une sanction, en attendant la révision de la directive européenne « TVA » prévue fin 2016.

« L’année prochaine sera une année décisive pour le développement du livre numérique en Europe suite au jugement
de la Cour de Justice de l’Union européenne [CJUE] sur le taux
de TVA applicable au livre numérique. Il sera en effet difficile de maintenir une croissance équivalente si la TVA du livre numérique téléchargeable revient au taux normal », a prévenu Gabriel Zafrani, chargé de mission Affaires économiques au Syndicat national de l’édition (SNE), dont l’assemblée générale s’est tenue le 25 juin.

Incertitude fiscale jusqu’à fin 2016
La CJUE a en effet décidé le 5 mars dernier que l’application par la France (1) d’un taux réduit de TVA aux livres numériques téléchargeables était illégal. Depuis janvier 2012, la France applique l’alignement du taux de TVA pour les livres numériques sur celui du livre papier : 5,5 %. Or, selon la Commission européenne, le livre numérique est un service de téléchargement qui doit donc être assujetti au taux normal de 20 %. La France s’attendait à être condamnée pour infraction au droit communautaire et sera
a priori contrainte de revenir l’an prochain au taux normal de TVA pour les ebooks.
Mais l’exécutif européen a tout de même reconnu qu’il lui fallait, dans le cadre d’une réforme générale de la TVA qu’il dévoilera fin 2016, aligner le taux de TVA des livres numériques. Car, pour l’heure, la directive européenne « TVA » ne permet d’appliquer le taux de TVA réduit qu’aux biens et services cités dans son annexe III, laquelle ne
cite que les livres sur support physique. De plus, la CJUE constate que la législation communautaire exclut explicitement la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA
aux « services fournis par voie électronique » (2). Ce qui est le cas de la vente de livres numériques.

Selon le monde de l’édition française, le retour à une TVA à 20 % au lieu de 5,5 % donnera un sérieux coup de frein au marché du livre numérique dont le démarrage reste déjà lent. « La transition vers le numérique est en cours pour les éditeurs et les incertitudes qui pèsent sur le taux de TVA à appliquer pour les livres numériques téléchargeables mettent tous les acteurs de la filière du livre dans une situation compliquée. (…) L’équilibre financier reste délicat à atteindre pour les éditeurs et la lecture sur support numérique a besoin de conditions favorables pour se développer », a expliqué Gabriel Zafrani. En 2014, le marché de l’édition numérique – tous supports et catégories éditoriales confondus – a généré un chiffre d’affaires de 161,4 millions d’euros, en progression de 53,3 % sur un an. Cela représente, toujours en valeur, 6,4% des ventes de livres des éditeurs. Cette progression a été principalement portée par le marché professionnel qui représente 64 % des ventes en numérique (contre 58 % l’an dernier). Quant à l’édition numérique grand public, elle atteint désormais 2,9 % des ventes de livres (contre 2,3 % l’an dernier). Mais les maisons d’édition françaises peuvent s’estimer épargnées pour l’instant par le verdict de la CJUE : la Commission européenne – qui est souveraine sur ce sujet – a décidé de ne pas poursuivre la France où un changement de TVA pour les livres numériques n’interviendra pas avant le 1er janvier 2016 (loi de Finances 2016). Tandis que la réforme de la TVA sera présentée
fin 2016 par la Commission européenne. « Il est possible que le passage au taux plein de TVA soit suspendu d’ici là », espère le SNE. Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici, ancien ministre de l’Economie et des Finances, actuel commissaire européen à la Fiscalité (3), que dépendra l’issue politique de cette épineuse affaire.
La décision doit être prise à l’unanimité par les Etats-membres. Ce n’est pas gagné :
les ministres de la Culture croient plutôt à cet alignement de TVA, alors que les ministres des Finances sont plus réservés.

Les Vingt-huit sont très divisés
« Une dizaine d’Etats demeurent encore opposés à cette réforme : le Royaume-Uni
en particulier, qui craint une remise en cause de son taux zéro sur le livre papier, le Danemark et la Bulgarie qui pratiquent des taux normaux sur le livre papier, mais
aussi l’Estonie, l’Irlande, Malte, la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et l’Autriche. D’un autre côté, l’Italie a adopté une loi sur le taux réduit de TVA pour les livres physiques et numériques, y compris en ligne (4 % au lieu de 22 %), en vigueur depuis le 1er janvier 2015 », détaille le SNE dans son rapport d’activité 2014-2015 dévoilé lors de son AG. Le syndicat avait lancé en mars dernier une vaste campagne virale baptisée #ThatIsNotABook, afin d’interpeller les instances communautaires et sensibiliser les lecteurs français et européens à la nécessité de préserver un taux de TVA réduit sur le livre numérique. @

Charles de Laubier