La publicité en ligne est menacée par les règles anti-cookies et la fiscalité numérique

Alors que le marché français de la publicité en ligne enregistre un ralentissement de sa croissance au 1er semestre 2012 et que ses prévisions pour l’ensemble de l’année sont revues à la baisse, son avenir s’assombrit avec la protection des données personnelles et la fiscalité numérique.

Par Charles de Laubier

Selon les prévisions du Syndicat
des régies Internet (SRI), le marché français de la publicité en ligne n’atteindra pas en 2012 les 8 %
de croissance qu’il espérait il y a
six mois. Cela devrait être finalement 6 %, pour atteindre 2,726 milliards d’euros d’investissements publicitaires sur Internet. Ce taux
de croissance est presque la moitié des 11 % de croissance entre 2010 et 2011 (voir tableau ci-contre). La conjoncture économique (1) y est pour beaucoup. « Le digital n’échappe pas au tassement voire au gel des budgets chez certains annonceurs », constate le SRI (2) pour le 1er semestre.

En faveur des internautes et de l’Etat ?
Mais deux autres facteurs pourraient assombrir un peu plus les perspectives de croissance de l’e-pub en France, déjà bien en retard par rapport aux Etats-Unis et
au Royaume-Uni : le projet de loi fiscalité numérique, d’une part, et l’obligation de consentement sur les cookies, d’autre part. En matière de fiscalité numérique, le sénateur Philippe Marini prévoit – dans sa proposition de loi déposée le 19 juillet – de taxer non pas les annonceurs basés en France, comme il avait tenté en vain de le faire lors de la première « taxe Google » en 2011, mais les régies publicitaires où qu’elles soient dans le monde. « De ce fait, Google Ireland sera redevable de la taxe au regard du milliard d’euros de chiffre d’affaires (…) sur le marché français en qualité de régie publicitaire. Cette taxe sera également due par tout acteur français ou étranger en fonction de seuils d’activités minimales (3). (…) Cette taxe serait calculée en appliquant un taux de 0,5 % à la fraction comprise entre 20 millions d’euros [de chiffre d’affaires, ndlr] et 250 millions d’euros et de 1% au-delà », détaille-t-il dans les motifs.
Elle pourrait rapporter à l’Etat 20 millions d’euros cette année, dont la moitié acquittée par Google… Ce montant est à comparer à la taxe qui existe déjà par ailleurs sur la publicité télévisée : 54 millions d’euros en 2012.

Le SRI s’est prononcé contre cette « taxe Google 2.0 » qui, selon lui, représente « un réel danger pour l’équilibre de l’écosystème numérique en France ». L’Association des services Internet communautaires (Asic), qui réunit Google, Facebook, Microsoft, Yahoo, eBay ou encore Dailymotion (4), dénonce elle aussi « une mesure dangereuse pour tout un écosystème ». Quant à l’Union des annonceurs (UDA), elle s’y oppose aussi.
Autre épine dans le pied de l’e-pub, celle du consentement préalable pour les cookies sur lesquels s’appuient les annonceurs et les régies du Net pour mesurer et valoriser leurs campagnes publicitaires en ligne. Cela fera un an le 26 août qu’est parue au Journal Officiel l’ordonnance de transposition du Paquet télécom, lequel prévoit notamment l’accord préalable des internautes avant de recevoir toute prospection directe, cookies compris. Mais la France a ménagé la profession en laissant l’internaute ou le mobinaute activer ou pas – s’il est technophile… – les paramètres de son terminal (5). La part belle est encore laissée à l’auto-régulation, l’Interactive Advertising Bureau (IAB) incitant – avec plus ou moins de succès depuis le 30 juin (6) – les publicitaires, régies et annonceurs à estampiller leurs publicités sur Internet d’une icône « Adchoice ». Cette icône redirige l’utilisateur vers le site paneuropéen Youronlinechoices.eu, qui informe sur les cookies et permet de les gérer en ligne (option optout). Mais les réformes législatives sur la protection des données personnelles que la commissaire européenne Viviane Reding a lancées en début d’année – examinées les 11 et 12
juillet derniers par le Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) – sont bien plus contraignantes : le consentement explicite des utilisateurs devra être obligatoire
avant de déposer des cookies. Est-ce la mort programmée de ces « témoins » ou « mouchards » ? Selon l’OJD (7), les cookies ont déjà une durée de vie limitée car
le taux de leur effacement par les utilisateurs eux-mêmes est de 30 % ou 35 %
par mois. @

Comment Amazon s’impose comme « géant culturel »

Le 25 juin, Amazon a annoncé le lancement de sa troisième plate-forme logistique en France, sur 40.000 m2 à Chalon-sur-Saône (après Orléans et Montélimar). Mais au-delà du « brick and mortar », le groupe américain veut aussi se faire une méga place au sein des industries culturelles françaises.

Vous avez aimé Apple et iTunes Store, vous adorerez Amazon et Kindle Store. Le géant du e-commerce va lancer en France – cet été ou à la fin de l’année – sa tablette multimédia baptisée Kindle Fire. Cela fera d’ailleurs un an, en octobre prochain, que
le géant du e-commerce a lancé sur l’Hexagone sa liseuse Kindle dédiée aux livres numériques. En attendant un smartphone Amazon, que la rumeur prédit pour la fin
de l’année… Une chose est sûre, le patron fondateur Jeff Bezos entend s’imposer rapidement sur le marché français des industries culturelles. Dans la musique, AmazonMP3 défie la concurrence en proposant – à l’instar d’Apple – des nouveautés
à 6,99 euros, soit 30 % moins cher grâce à l’optimisation fiscale du Luxembourg. Son catalogue musical dépasse les 17 millions de titres (1). Dans la vidéo à la demande (VOD), Amazon a pris le contrôle en janvier 2011 de la plate-forme de streaming LoveFilm qui compte plus de 2 millions d’abonnés dans cinq pays européens (2).
La France serait le prochain. Mais c’est surtout le service par abonnement Amazon Prime Instant Video, riche de 17.000 séries et films, qui est attendu sur ordinateurs et consoles de jeux dans l’Hexagone. Si Amazon noue des partenariats avec des studios de cinéma américains (20th Century, NNC Universal, Warner Bros. Pictures, …), il entend aussi produire ses propres films via Amazon Studios : quelque 7.500 scripts
ont été à ce jour soumis sur Studios.amazon.com et près de 20 films sont en cours de développement. Ce qui inquiète en particulier Canal+, dont le DG Rodolphe Belmer craint la concurrence dans la télévision payante de ces nouveaux entrants (Amazon, Netflix, Google, …) non soumis aux mêmes règles (EM@59, p. 4). Dans le livre, Amazon a déjà posé des jalons en France. Sa liseuse Kindle donne maintenant accès
à plus d’un million d’ouvrages – dont plus de 54.000 en français. Flammarion et Albin Michel ont déjà signé avec le géant de Seattle. Amazon, qui serait à l’origine de l’enquête ouverte début décembre dernier par la Commission européenne à l’encontre de ces cinq éditeurs (dont Hachette Livre) et d’Apple sur une éventuelle entente sur les prix des ebooks (3), aimerait pratiquer des ristournes de – 50 % par rapport au livre papier comme il le fait aux Etats-Unis. Mais en France, il est limité à -5 %. Cela n’empêche pas Amazon de s’imposer dans l’exception culturelle française. @

Timeline

6 juillet
• Le CSA annonce avoir autorisé les six nouvelles chaînes HD gratuites de la TNT (Chérie HD, L’Equipe HD, HD 1, RMC Découverte, Tvous La Télédiversité, 6ter) à émettre à partir du 12 décembre.

5 juillet
• Michel Boyon (CSA) : « Je ne trouverais pas anormal d’étendre (…) l’assiette de la contribution Cosip à la charge des [FAI] qui, jusqu’à présent, repose sur 45 % seulement du produit des abonnements ».
• M6 lance une nouvelle version de M6 Replay plus interactive avec Internet comme
« voie de retour » pour le« 2e écran ».
• La FNCCR (collectivités) veut un « établissement public national » pour le très haut débit.
• Google noue un partenariat avec l’institut Luce-Cinecittà (Italie) pour numériser d’anciens films et les diffuser une chaîne de YouTube.
• Les membre du CNN (Centre national du numérique) remettent leur démission au gouvernement, ce dernier ayant engagé « une réflexion sur le rôle » de cet organe consultatif.
• Le Spiil prépare pour octobre un livre blanc de la presse en ligne.
• GfK publie un sondage : 91 % des Français continuent d’acheter des biens culturels physiques (livres, CD audio, DVD vidéo, jeux, …), et 58 % des biens dématérialisés.
• Jérôme Cahuzac, ministre délégué au Budget, rejette sur « RTL » l’idée d’étendre la redevance audiovisuelle aux ordinateurs.
• Eutelsat lance un forfait d’entrée de gamme à 19,90 euros par mois d’accès à Internet par satellite Ka-Sat (2 Mbits/s-1 Mbit/s).

4 juillet
• L’ACTA est rejeté en session plénière par le Parlement européen : 39 pour, 478 contre, 165 abstentions.
• La Commission européenne a envoyé des griefs sur le rachat de EMI Music par Universal Music, indique le « New York Times ».

3 juillet
• Karel De Gucht, commissaire européen chargé du Commerce : « Un vote contre ACTA sera un revers pour la protection de la propriété intellectuelle partout dans le monde ».
• La Commission européenne indique avoir mis en demeure la
France et le Luxembourg pour leur faire renoncer taux de TVA réduit sur les livres numériques.
• Jean-Marc Ayrault, Premier ministre : « Avant la fin de l’année 2012, une loi relative à l’audiovisuel (…) » et « au 1er semestre 2013 un nouveau cadre » pour l’acte II de l’exception culturelle.
• Le Sirti : « Radio France va-t-il rejoindre le cartel des groupes privés contre la
RNT ? », l’Etat ne préemptant pas de fréquence RNT.
• Mozilla Foundation lance Firefox OS pour smartphones afin de redonner un second souffre aux Web face aux « applis ».
• Microsoft France, perquisitionné par 67 agents du fisc le 28 juin, est soupçonné de fraude fiscale, selon « Le Canard Enchaîné ».
• La Scam « félicite Aurélie Filippetti de remettre à l’ordre du jour » la question de la redevance audiovisuelle sur les ordinateurs.
• France Télévisions lance Salto avec TDF pour TV connectée (relancer un programme en cours) et refond Pluzz (bientôt disponible sur TV connectée Samsung et sur Dailymotion).
• SFR et Bouygues Telecom suppriment des emplois.
• L’Idate publie son rapport « Next Gen TV 2020 » : le marché mondial de l’audiovisuel pèsera 355 milliards d’euros en 2020, contre 233 milliards en 2011 (+ 4,7 % par an).
• NPD Group affirme que les ventes de tablettes vont dépasser celles des ordinateurs portables d’ici 2016.

2 juillet
• Google répond à la Commission européenne qui le soupçonne d’abus de position dominante, au détriment de 16 plaignants (dont Microsoft) regroupés au sein de la coalition FairSearch.
• Google lance « Google Flux d’actu » pour les médias en ligne.
• L’INA lance un appel à la « mémoire collective » des Français et les invite à lui confier leurs vidéos qui seront sur Dailymotion.

30 juin
• Le Minitel est débranché, 30 ans après son lancement. A son apogée en 1998 : il a généré près de 1 milliard d’euros !
• Aurélie Filippetti annonce, sur « RTL », l’examen en 2013 de l’extension de la redevance audiovisuelle aux ordinateur (EM@59, p. 3).

29 juin
• Microsoft France (1.400 salariés) présente un plan de départs volontaires portant sur 30 postes de la division « Publicité et Online ».
• Xerfi publie une étude sur le livre numérique : « Les ventes d’ebooks progresseront [d’environ 115 % en France] d’ici à 2015 pour atteindre 260 millions d’euros ».

28 juin
• Vivendi officialise le départ de Jean-Bernard Lévy pour « divergence stratégique » (il est opposé à un démantèlement du groupe).
• NewsCorp décide un spin-off entre audiovisuel et édition.
• L’AFMM (multimédia mobile) et l’association SMS+ fusionnent.

27 juin
• Philippe Marini (Sénat) fait des propositions pour une fiscalité numérique, dont une
« taxe Google 2.0 ».
• Yahoo et Spotify annoncent un partenariat musical.

26 juin
• Michel Boyon s’interroge sur la coexistence de l’Arcep et du CSA.
• L’Ofcom (britannique) dit préparer une « réponse graduée » pour 2014.

25 juin
• Microsoft rachète Yammer (réseaux sociaux professionnels) pour 1,2 milliards de dollars.
• Gilles Babinet est désigné par Fleur Pellerin « Digital Champion » auprès de la Commission européenne.

20 juin
• LG Electronics et TP Vision (Philips TV) fondent la Smart TV Alliance, pour promouvoir une TV connectée ouverte (HTML5).

Yves Le Mouël, FFTélécoms : « Il faut rapidement étendre l’assiette fiscale à tous les acteurs d’Internet »

Le DG de la Fédération française des télécoms, qui réunit les opérateurs (sauf Free et Numericable), répond aux questions de Edition Multimédi@ sur ce qu’il attend du nouveau gouvernement. Même s’il y a des signaux positifs, la FFTélécoms reste vigilante– notamment en matière fiscale.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Pensez-vous que la proposition de loi de fiscalité numérique – que dépose en juillet le sénateur Philippe Marini en vue d’imposer les acteurs du Web sur la base des déclarations de leur référent fiscal – sera suffisante pour retrouver une équité fiscale avant le passage de la TVA au pays de consommation entre 2015 et 2019 ?
Yves Le Mouël : Les opérateurs télécoms, qui subissent en tant qu’ « objets taxables bien identifiés » en France, une fiscalité spécifique de l’ordre de 1,2 milliard d’euros par an, sont également en butte à une situation de concurrence déséquilibrée de la part des OTT (1). Ces derniers bénéficient légalement des niches fiscales européennes (Irlande et Luxembourg) et offrent des services concurrents de ceux des opérateurs (téléphonie, messagerie, visio, accès aux contenus, …) en utilisant leurs réseaux. La concurrence en elle-même est positive. Encore faut-il qu’elle s’exerce dans des conditions de régulation et de fiscalité équitables. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui en France. Pour étendre l’assiette fiscale aux OTT, il est nécessaire de procéder rapidement, tant au niveau français qu’au niveau européen. C’est le sens de l’action menée par le sénateur Philippe Marini.
C’est aussi l’axe de travail annoncé par le président François Hollande et par son gouvernement. Le délai de l’harmonisation fiscale européenne, qui devrait être achevée en 2019, n’est en aucun cas adapté aux enjeux nationaux pour les acteurs européens. Cela handicape notre secteur mais également la transformation et la croissance de l’économie et de la société française. Nous faisons donc de la lutte pour la baisse de la pression fiscale et contre la dissymétrie fiscale et règlementaire un axe majeur de notre action. Ce sont les messages que nous portons à tous nos interlocuteurs, français et européens, et en particulier aux membres du nouveau gouvernement. Nous partageons en effet des intérêts convergents : sur le déploiement des réseaux très haut débit, sur le plan fiscal versus les acteurs internationaux, sur l’accès à la culture, sur l’attractivité des territoires, ou sur la confiance numérique.

EM@ : La proposition de loi « fiscalité numérique » prévoit en outre deux taxations : une taxe sur la publicité en ligne et sur le commerce électronique, et l’extension aux acteurs du Net de la taxe sur les services de télévision et de VOD. Cela participe-t-il aussi de l’équité fiscale ?
Y. L. M. :
l’objectif de la Fédération n’est pas de pousser à la création de nouvelles taxes, mais de faire partager aux pouvoirs publics l’idée qu’il est de l’intérêt général d’alléger la pression fiscale sur les opérateurs de communications électroniques. L’élargissement de l’assiette fiscale à tous les acteurs du numérique qui profitent aujourd’hui d’une situation nuisant à l’exercice d’une concurrence loyale va naturellement dans le bon sens.

EM@ : Il y a un an, la Commission européenne a donné suite à la plainte de la FFTélécoms en 2009 contre la taxe pour le financement de l’audiovisuel public. Cette taxe coûterait aux opérateurs quelque 300 millions d’euros par an…
Y. L. M. :
Les opérateurs remplissent scrupuleusement leurs obligations fiscales depuis
le vote de la loi en 2009, instaurant la taxe pour le financement de l’audiovisuel public. L’action en manquement d’Etat contre la France, engagée par la Commission européenne devant la Cour de justice européenne en septembre 2011, est en cours d’instruction. La décision de la CJUE devrait être rendue dans les douze mois qui viennent. Si l’Etat est condamné, il devrait rembourser un montant de l’ordre de 1 milliard d’euros aux opérateurs télécoms.

EM@ : La ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, a affirmé le 26 juin que le CNM (2) n’était pas « budgété » et la taxation des FAI « pas sécurisée d’un point de vue juridique » : elle réunira la filière de la musique le 11 juillet. La FFTélécoms est-elle conviée ?
Y. L. M. :
Nous avons clairement exprimé notre position dès janvier sur le sujet. Les opérateurs télécoms contribuent déjà fortement au financement de la culture à travers leurs multiples partenariats, tant dans la musique que dans le cinéma (chaînes et plates-formes de VOD), mais également au travers des taxes et redevances dont ils s’acquittent. Leur contribution au Cosip (3) a notamment connu une augmentation de l’ordre de 60 % ces dernières années (4). Si nous sommes invités à la réunion du 11 juillet nous rappellerons notre position. Nous espérons bien trouver une compréhension réciproque sur la globalité des enjeux auprès de la ministre et du nouveau gouvernement.

EM@ : Le « cloud computing » devient un enjeu majeur des opérateurs télécoms. SFR s’est associé à Bull face à Orange avec Thalès comme partenaire. Les opérateurs doivent-ils aller au-delà de leur réseau pour ne pas être court-circuités par les GAFA (Google-Apple-Facebook- Amazon) qui déploient des nuages mondiaux ?
Y. L. M. :
Clairement, le cloud computing constitue un enjeu important, tant en termes d’offre de services (jeux, musique, vidéo, …), que de modèle économique (déplacement de la valeur vers les contenus, la protection, le stockage, le partage, l’envoi, …). L’émergence des services cloud souligne le caractère essentiel des réseaux des opérateurs. Ces réseaux, dont il faut souligner la qualité en France, sont un levier essentiel pour la croissance économique et l’emploi dans les années à venir et nécessitent, rappelons le, des investissements récurrents, lourds et nécessaires au déploiement, à l’entretien et à l’exploitation des infrastructures : plus de 6 milliards d’euros chaque année, plus que les autoroutes et le rail réunis. L’accès à ces réseaux haut et très haut débit performants est aussi déterminant pour la compétitivité des entreprises et l’attractivité de nos territoires. Les opérateurs ont également un enjeu en matière de responsabilité vis-à-vis de leurs clients. C’est pourquoi, ils placent la confiance des utilisateurs dans les usages du numérique en priorité dans leurs plans d’actions : sécurité des données dans le cloud computing, mais aussi, de manière générale, protection des données personnelles, identification, authentification, lutte contre les spams, SMS et vocaux, ainsi que sécurité des paiements en ligne.

EM@ : Le CSPLA (5) réfléchit au statut juridique des cloud comme l’iCloud d’Apple ou les nuages des FAI (SFR, Orange, Free, …) au regard des droits d’auteur. Une taxation des cloud est envisagée lorsqu’ils sortent du cadre de
la copie privée. Quelle est la position de la FFTélécoms ?
Y. L. M. :
Nous participons aux travaux du CSPLA, mais la Fédération n’a pas encore de position sur la taxation du cloud. Elle reste toutefois très hostile à toute idée de taxation nouvelle qui entraînerait une augmentation de la pression fiscale sur les opérateurs. Concernant la redevance pour copie privée, nous souhaitons que ses modalités de calcul soient transparentes et uniquement fondées sur la compensation
de la copie privée et pas au-delà.

EM@ : N’est-ce pas un handicap pour la FFTélécoms de ne pas avoir les opérateurs majeurs Iliad/Free et Numericable/Completel parmi ses membres ?
Y. L. M. :
La Fédération a été créée il y a un peu plus de quatre ans maintenant
pour promouvoir une industrie responsable et innovante au regard de la société,
de l’environnement, des personnes et des entreprises et défendre les intérêts économiques du secteur dans un monde qui bouge très vite. Elle est plus que
jamais ouverte à tous les acteurs du secteur. @

Le dernier des Minitels

Accéder à des services en ligne à partir de tous mes terminaux, fixes ou mobiles, c’est bien la moindre des choses aujourd’hui. Ce service extraordinaire, dont nous
ne pourrions plus nous passer, est apparu en France en 1982, sous une marque qui est devenu aujourd’hui un nom commun : le Minitel. L’innovation de l’opérateur historique France Télécom a rapidement conquis 25 millions d’utilisateurs en 1982 et permis la mise en place d’un écosystème de développeurs et de prestataires de services, autour de ce qu’on appelait alors la télématique. Ce succès planétaire, qui nous surprend encore, tient à une série de conjonctions favorables que nul n’aurait pu prédire. Car dans la foulée, d’autres opérateurs européens ont adopté ce qui est devenu un standard pour toute la communauté. D’autres pays ont été conquis comme le Japon et, plus récemment, les Etats-Unis qui n’ont jamais réussi à développer hors de leur frontière le réseau Arpanet… L’accélération s’est produite à l’occasion de la transposition réussie du modèle Minitel aux mobiles en bénéficiant de la domination internationale de la norme GSM… L’Europe des télécoms, puissante à la fin du XXe siècle, a ainsi non seulement maintenu ses positions mais les a aussi renforcées en entrant dans le XXIe…

« L’écosystème d’Apple est très proche de cet ancêtre
par son modèle fermé, sa maîtrise complète de la chaîne,
du développement jusqu’à la facturation. »

Je ne vais pas maintenir plus longtemps cette fiction, qui ferait une très belle « uchronie » mais qui est, comme vous le savez bien, tellement éloignée de la réalité. Malgré son succès national, le Minitel n’a pas pu mener la bataille de l’Internet. Il a pourtant vaillamment résisté en passant sur la fin à la couleur ou en affichant des images au
format Jpeg. Mais son modèle centralisé, accessible par un terminal sans ressource propre, n’a finalement pas fait le poids face à la promesse d’un Internet ouvert utilisant le potentiel d’ordinateurs de plus en plus puissants. Il a rejoint le cimetière des merveilles technologiques, en avance sur leur temps et difficile à exporter, comme le Concorde,
ou ailleurs le MiniDisc, Second Life ou la navette spatiale. Les armes ont finalement été rendues le 30 juin 2012, date de l’arrêt officiel, malgré l’existence d’encore 400.000 minitélistes. Pourtant, si le Minitel est bien mort, le modèle kiosque à l’origine de son succès lui assure, d’une certaine manière, une postérité prestigieuse. Takeshi Natsuno, responsable du développement chez NTT DoCoMo déclarait s’être directement inspiré du Minitel pour définir les principes de l’i-Mode, qui, lancé dès 1999 au Japon, fit du mobile un terminal incontournable pour accéder à des milliers de services. L’écosystème gagnant d’Apple est également très proche de cet ancêtre par son modèle fermé, sa maîtrise complète de la chaîne, du développement jusqu’à la facturation. C’est d’ailleurs cette redistribution des rôles, favorable au monde de l’Internet, qui a poussé les opérateurs télécoms, sur la défensive, à tenter d’exporter les recettes du Minitel sur Internet. Au Japon, NTT DoCoMo, pour tenter de contrer le succès de l’iPhone qui profitait à son concurrent Softbank, lança un portail de téléchargement d’applications pour sa plateforme i-Mode. En France, les opérateurs lancèrent en 2011, des offres de type kiosque. Connues sous les noms d’Internet+, de SMS+ et de MMS+, ces solutions permettaient aux éditeurs et annonceurs de proposer à leurs clients des contenus et services par Internet, SMS ou MMS via un numéro court à 5 chiffres. Ces plates-formes techniques géraient en temps réel les transactions des commerçants pour des montants de moins de 30 euros, l’identification des internautes, les achats, la facturation et les reversements, comme au bon vieux temps du Minitel. Seuls quelques opérateurs télécoms puissants ont pu mettre en place de telles stratégies, proposant des offres de services avec système de facturation intégré. Cette évolution s’inscrit dans une tendance de fond d’un Internet qui évolue vers un modèle de plus en plus contrôlé, non pas par l’Etat, mais par les opérateurs pris au sens large. Et seuls une certaine nostalgie et un goût immodéré du « vintage » me permettent d’accéder à ma boutique sur Facebook via une fenêtre reprenant l’aspect pixélisé de notre bon vieux Minitel. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : OFNI contre OFPI