Chronologie des médias toujours contestée : Disney continue de faire pression sur la France

Après la réunion du 4 octobre organisée par le CNC sur la chronologie des médias, Disney a finalement décidé de sortir son nouveau film « Black Panther » dans les salles de cinéma en France. Comme Netflix, la major américaine veut une réforme des fenêtres de diffusion dès 2023.

(Depuis sa sortie dans les salles de cinéma en France le 9 novembre, le deuxième « Black Panther » de Disney domine toujours le box-office, comme aux Etats-Unis)

« Les pouvoirs publics [français] ont clairement reconnu la nécessité de moderniser la chronologie des médias et un calendrier précis a été arrêté pour en discuter, The Walt Disney Company a donc décidé de confirmer la sortie au cinéma de “Black Panther : Wakanda Forever”, le nouveau film de Marvel Studios, le 9 novembre prochain », a lancé le 17 octobre sur Twitter Hélène Etzi (photo), la présidente de Disney France. Et ce, au moment où les signataires de la chronologie des médias – dont la dernière mouture est datée du 24 janvier 2022 – ont commencé à se retrouver autour de la table des négociations et de ses bras de fer.

Disney appelle à une « co-exploitation »
« Comme nous l’avons déjà déclaré, la chronologie des médias actuelle n’est pas adaptée aux comportements et attentes des spectateurs ; elle est contre-productive et expose tous les producteurs et artistes à un risque accru de piratage », a-t-elle poursuivi, en déclarant vouloir « continuer de manière constructive aux réflexions et débats lors des prochaines réunions avec tous les acteurs de la filière, organisées sous l’égide du CNC (1), afin de définir dès février 2023 un nouveau cadre que nous souhaitons équitable, flexible et incitatif à la sortie des films en salles de cinéma » (2). Ce que la major presque centenaire du cinéma reproche à cette chronologie des médias à la française, c’est le fait que cette dernière lui impose de retirer un film de Disney+ en France au bout de cinq mois d’exploitation, laquelle intervient en tant que plateforme de SVOD du 17e au 22e mois après la sortie du film en salle de cinéma. Ce retrait intervient pour laisser la place aux chaînes de télévision en clair, dont la fenêtre s’ouvre du 22e au 36e mois après la sortie du film en salle de cinéma.
Pour la Walt Disney Company, cette interruption est inacceptable et demande au contraire qu’elle puisse continuer à exploiter le film en ligne simultanément avec les chaînes gratuites selon un mode de « co-exploitation ». Ce sujet a été au cœur des discussions de la réunion du 4 octobre organisée par le CNC dans le cadre de la renégociation de la chronologie des médias qui doit aboutir d’ici janvier 2023. Disney reproche donc à l’actuelle chronologie des médias de lui imposer le retrait d’un film de sa plateforme au profit des seules chaînes gratuites. C’est la raison pour laquelle la firme de Burbank – où se trouve son siège social, à dix minutes en voiture d’Hollywood – a fait savoir début juin qu’elle ne sortira finalement pas dans les salles de cinéma françaises son long métrage d’animation de Noël 2022, « Avalonia, l’étrange voyage », mais en exclusivité sur Disney+. Une situation unique au monde pour cette grosse production. Ce fut la douche froide pour les salles obscures françaises pour lesquelles un tel blockbuster hollywoodien, en plus déjà programmé par Disney (pour une sortie en France sur les écrans le 30 novembre 2022, maintenant annulée), représente un manque à gagner considérable de fin d’année. « Cette décision est la conséquence de la nouvelle chronologie des médias que The Walt Disney Company juge inéquitable, très contraignante et inadaptée aux attentes du public et à l’évolution des modes de consommation des films », avait justifié la firme américaine. Elle trouve « frustrante » la situation alors qu’elle estime soutenir le cinéma français avec ses sorties en salles, et investir de plus en plus dans la création originale française. La maison mère de Disney avait prévenu avant l’été qu’elle décidera « film par film (…) dans chaque pays ».
Cette déprogrammation d’« Avalonia » avait mis en colère la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) qui a accusé Disney de « porter atteinte gravement à l’économie des salles de cinéma [« instrumentalisées »] et du secteur tout entier » (3). Le film « Black Panther : Wakanda Forever » allait-il subir le même sort ? Depuis le 17 octobre, les exploitants de salles adeptes des Disney et des Marvel sont rassurés pour celui-ci. La FNCF n’a rien dit. La major américaine dispose en tout cas d’un fort moyen de pression dans les négociations en cours. Fin juin, devant l’Association des journalistes médias (AJM), Netflix avait aussi tiré à boulets rouges sur la chronologie française que la filiale française avait pourtant signée en janvier (4).

La ministre contre « un bloc de marbre figé »
La SACD (5), qui n’avait pas signé l’accord de janvier 2022 sur la chronologie des médias (6) en raison de sa durée de trois ans (jusqu’en février 2025) jugée trop longue au regard de l’évolution des usages numériques (7), a fustigé le 11 octobre les « effets paradoxaux et contre-productifs » de ces fenêtres de diffusion « premium » et « non-premium ». Pour la Scam (8), qui fait au contraire partie des signataires, il faut « déroger » plus souvent à la chronologie des médias. Quant à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle a fait savoir le 18 octobre que cette chronologie « ne peut pas être un bloc de marbre figé »… @

Charles de Laubier

La réforme de l’audiovisuel passera aussi par une énième renégociation de la chronologie des médias

Les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel viennent d’être prévenus par le ministre de la Culture, Franck Riester : comme les plateformes Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ devront financer des films et des séries français, il faudra aussi que la chronologie des médias leur soit plus favorable.

« J’ai dit aux différents acteurs du secteur [du cinéma et de l’audiovisuel français] qu’ils ont eux aussi intérêt à ce que cela se passe bien avec les plateformes [numériques]. Et qu’il faut réfléchir à une modernisation de la chronologie des médias. Car si l’on demande beaucoup à ces plateformes, il faut qu’elles puissent en avoir un retour », a fait savoir le ministre de la Culture, Franck Riester (photo), lors d’un déjeuner avec l’Association des journalistes médias (AJM) le 3 septembre. Le matin-même, il venait de rencontrer des responsables de Netflix. La veille, il avait présenté le projet de réforme de l’audiovisuel aux producteurs français. « L’idée, bien évidemment, est d’inciter les acteurs du secteur à renégocier la chronologie des médias. Car à partir du moment où l’on oblige des acteurs nouveaux à investir, à exposer (les œuvres) et à payer une fiscalité au CNC (1), il faut leur donner aussi la possibilité de pouvoir mettre à disposition de leur public leurs oeuvres plus rapidement », a prévenu Franck Riester. La chronologie des médias actuellement en vigueur, qui fut laborieusement modifiée en partie il y a tout juste un an (2), réserve toujours l’exclusivité des nouveaux films aux salles de cinéma durant quatre mois, avant que la VOD à l’acte ou à la location ne puisse s’en emparer, et bien avant la SVOD par abonnement (Netflix, Amazon Prime Video, …) ramenée à dix-sept mois au lieu de trente-six mois auparavant – voire à quinze mois s’il y a un accord d’investissement avec le cinéma.

Clause de revoyure : renégociations à l’été 2020
Pour arriver au bout d’un an de tergiversations à cet accord de fin 2018, il avait fallu céder à la fois à la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) exigeant la sanctuarisation des quatre mois des salles de cinéma, et à la chaîne cryptée Canal+ du groupe Vivendi/Bolloré obtenant de son côté que sa fenêtre de diffusion soit avancée à huit mois après la salle au lieu de dix ou douze mois auparavant. Mais ni le Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (SEVAD) ni le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) n’ont voulu signer une telle chronologie des médias jugée obsolète et favorisant le piratage (3). « L’accord sur la chronologie des médias est d’abord un accord entre professionnels, a rappelé Franck Riester. Il y a une clause de revoyure qui a été prévue à dix-huit mois [après la signature de l’avenant du 21 décembre 2018, ndlr], soit à l’été 2020. Prenons le temps dans les mois qui viennent pour voir comment les choses peuvent évoluer, pas forcément dès l’été 2020 mais peut-être dix-huit mois plus tard ».

Chaque plateforme devra signer une convention
Pour le locataire de la rue de Valois, la réforme de l’audiovisuel voulue par Emmanuel Macron est une « formidable opportunité » pour les producteurs français et européens de saisir de nouveaux débouchés pour leurs créations, « à condition que cela soit dans une logique gagnant-gagnant pour les acteurs privés, les acteurs publics, les chaînes et les plateformes ». Le projet de loi – que Franck Riester transmet mi-septembre au CSA et à l’Hadopi, puis fin septembre au Conseil d’Etat, avant de le présenter début novembre en conseil des ministres en vue de sa discussion à l’Assemblée nationale en janvier 2020 – aura trois parties. L’une d’entre elles est justement consacrée au financement de la création. « Le cœur du projet de loi » (dixit le ministre de la Culture) consiste à imposer aux plateformes numériques et aux nouveaux acteurs de l’Internet des obligations d’investissement dans la production pour qu’« eux aussi » contribuent au financement de la création, à l’exposition des œuvres, ainsi qu’à la fiscalité du CNC. « C’est pour cela que l’on s’est battu, ma prédécesseure et nos prédécesseures (4) pour qu’il y ait une directive SMA (5), une directive “Droit d’auteur” et une directive “CabSat”transposables très rapidement », a rappelé Franck Riester.
Concernant les taux d’investissement dans la création, un décret fixera les planchers et – « cela reste à définir » – les marges de négociation données à la future « autorité de régulation des communications audiovisuelles et des communications numériques » (ex-CSA-Hadopi) et aux acteurs du secteur (éditeurs de chaîne, plateformes numériques). Ces taux d’investissement seront fixés dans le cadre de conventions signées avec le nouveau régulateur. « On a constaté que grosso modo le minimum donné en taux d’investissement à une chaîne de télévision était de 15,7 % de son chiffre d’affaires en France, cinéma et audiovisuel confondus. On veut que ce taux ne soit pas en-dessous de 16 % – en souhaitant que cela soit largement au-dessus en fonction du modèle éditorial de la chaîne ou de celui de la plateforme. La chaîne, ou la plateforme, signera donc une convention avec le [régulateur] », a expliqué le ministre de la Culture (6).
Il précise que ces conventions distingueront une ligne spécifique d’investissement dans les productions cinématographiques (films) et une ligne dans les productions audiovisuelles (séries) – comme l’exigeait le 7e Art français. « Il n’y aura pas une seule ligne globale, car on veut continuer d’avoir une ambition forte pour le cinéma. C’est un point très important », a-t-il souligné. Mais de préciser : « Une chaîne qui ne met pas de films à l’écran n’aura pas d’obligation de financer le cinéma. Une plateforme (de SVOD) dont le visionnage se fait en grande majorité sur des fictions ou des productions audiovisuelles en ligne aura une obligation d’investir majoritairement dans des fictions audiovisuelles ».
Il s’agit pour la France de préserver le modèle de production indépendante – « car on y est très attaché », insiste le ministre –, de préserver le modèle du droit d’auteur à la française, du modèle de production déléguée plutôt que de production exécutive, « tout en permettant aux chaînes de télévision de mieux valoriser leurs investissements en capitalisant sur des programmes représentant leur marque ». Cela passera par le renforcement de la part « indépendante », à savoir : pas de participation capitalistique des chaînes dans les entreprises, pas de mandat de distribution, des durées de droit limitées, … « Concernant les règles de répartition entre production indépendante et dépendante, il faudra un accord avant tout, en incitant les acteurs à négocier et en commençant à y travailler rapidement. Cet accord sera homologué par l’Etat, pour s’assurer qu’il n’y ait pas une rupture d’égalité ou d’abus de position dominante d’un acteur par rapport à un autre », a encore prévu Franck Riester. Mais si les professionnels du secteur ne parvenaient pas à un accord, il y aurait alors un « décret faute d’accord », lequel sera rédigé dans les semaines ou mois à venir après des discutions avec les éditeurs de chaînes, les plateformes, les producteurs, ainsi que les auteurs et les artistes-interprètes. Pour éviter d’en arriver là, cela incitera les producteurs et les éditeurs de télévision à négocier un accord plus adapté aux spécificités de tel éditeur de télévision ou de telles plateforme (numérique) », espère-t-il.

Fermer Netflix en cas de non-respect
Si d’aventure Netflix ne respectait pas loi française, la plateforme de SVOD ne pourrait plus mettre à disposition du public français son service. « S’il n’y a pas le respect des obligations, on pourra en arriver là », a prévenu le ministre de la Culture. Aujourd’hui, une chaîne de télévision ne peut plus émettre si elle ne respecte pas les règles fixées dans sa convention. Pour les plateformes, cela relèvera aussi d’une décision du juge administratif, c’est-à-dire de l’autorité de régulation des communications audiovisuelles et des communications numériques. @

Charles de Laubier

Lagardère cède pour au 1 milliard d’euros d’actifs, mais préserve son pôle News – dont Europe 1 mal-en-point

Alors que l’assemblée générale du groupe Lagardère se tient le 10 mai, les actionnaires surveillent comme le lait sur le feu la stratégie de recentrage engagée il y a un an par Arnaud Lagardère. La sortie progressive des médias – hormis le pôle News (Europe 1, Paris Match, Le JDD, …) –, de la télévision et de la production devrait rapporter 1 milliard d’euros.

Europe 1 a vu au cours des deux dernières années ses audiences chuter de façon spectaculaire, passant de plus de 10 % il y a dix ans à moins de 6 % aujourd’hui – reculs qualifiés d’ « accidents industriels ». La radio-phare du groupe Lagardère fait partie, avec RFM et Virgin Radio, du pôle News où l’on retrouve aussi Paris Match, Le Journal du Dimanche, la régie publicitaire et l’activité de gestion de licences de la marque Elle. Ce pôle News est l’un des cinq pôles (avec le pôle Presse, le pôle TV, le pôle Production et distribution audiovisuelles, le pôle Pure Players et BtoB) issus de Lagardère Active que dirigeait entièrement Denis Olivennes, jusqu’au jour où Arnaud Lagardère (photo) a lui-même repris  les rênes du pôle News en juin 2018 avant de les donner à Constance Benqué en décembre. A part ce pôle News, les quatre autres pôles sont en cours de cession, ou vont l’être, dans le cadre du « recentrage stratégique du groupe sur Lagardère Publishing et Lagardère Travel Retail » engagé depuis un an maintenant.

De nouvelles cessions en vue cette année, dont Gulli à M6
La cession du pôle presse au groupe CMI du milliardaire tchèque Daniel Kretínsky (1) est intervenue le 14 février (2). Billetreduc.com a été cédé le 28 février au groupe Fnac Darty et Plurimedia à Media Press Group. Des actifs radios en Afrique du Sud (3), l’ont été en début d’année. Et ce n’est pas fini : la production audiovisuelle de Lagardère est aussi en vente : « La cession devrait intervenir dans l’année 2019 ». Concernant les chaînes de télévision à l’exception de Mezzo, à savoir Gulli et ses déclinaisons internationales, Canal J, TiJi, Elle Girl TV, MCM, MCM Top, RFM TV et les régies publicitaires associées, « le groupe est entré en négociations exclusives avec le groupe M6 le 31 janvier 2019 ». Arnaud Lagardère en espère 200 à 230 millions d’euros. L’an dernier, Marie Claire, MonDocteur, Doctissimo, ainsi que des radios en République tchèque, Pologne, Slovaquie, Roumanie et au Cambodge avaient déjà quitté le giron de Lagardère. « Nous allons avoir 1 milliard d’euros grâce aux cessions », a indiqué Arnaud Lagardère le 13 mars lors Continuer la lecture