Projet de règlement « Continent connecté » : étape difficile vers le marché unique des télécoms

Le projet de règlement « Continent connecté », étape ultime vers le marché unique des télécoms, vise de nombreux objectifs pour le moins ambitieux constituant autant de sujets sensibles qui peinent à trouver le consensus nécessaire entre opérateurs, OTT, Etats membres et institutions européennes.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Le Parlement européen a adopté, lors de la première lecture en avril 2014, d’importants amendements au projet de règlement présenté par la Commission (1). Après cette révision, ce projet de texte reste perçu plus que jamais comme une épée de Damoclès par les opérateurs télécoms qui dénoncent ses conséquences négatives sur les innovations et investissements. C’est donc maintenant au tour du Conseil de l’Union européenne (UE) de se prononcer sur le projet et d’arbitrer entre les différents groupes d’intérêt.

Le gouvernement veut faire de SFR une affaire d’Etat

En fait. Le 20 mars, la Caisse des dépôts (CDC) – bras armé financier de
l’Etat et actionnaire de Vivendi à hauteur de 3,52 % avec le Fonds stratégique d’investissement (FSI) – fait son entrée dans la danse des prétendants au
rachat de SFR, en apportant son soutien à Bouygues qui a relevé son offre.

En clair. Bien que Vivendi et Altice, en négociations exclusives jusqu’au 4 avril pour le rachat de SFR par le second, soient des entreprises privées, l’Etat français est quand même décidé à jouer les stratèges. Dès le 14 mars, le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg déclarait sur France 2 que le rachat de SFR par Altice-Numericable n’était pas encore acquis. « Je crois que le débat continue. (…) Je ne suis pas certain (…) que les banques aient envie de s’exposer (…) outre mesure ». Deux jours après, c’était au tour de la Caisse des dépôts (CDC), de se dire prête, dans Les Echos (1), à « accompagner en capital un rapprochement entre Vivendi, SFR et Bouygues ». C’est donc chose faite depuis le 20 mars, puisque la CDC – actionnaire minoritaire non seulement de Vivendi mais aussi du groupe Bouygues – fait partie des
« actionnaires industriels et financiers de long terme » réunis par ce dernier pour relever son offre sur SFR (2).

Concentration des télécoms : pas une bonne nouvelle

En fait. Le 5 mars à 20 heures était la limite fixée par Vivendi à laquelle les
candidats au rachat de sa filiale SFR devaient présenter une offre préliminaire. Altice (Numericable) et le groupe Bouygues (Bouygues Telecom) sont officiellement en lice. SFR vaudrait entre plus de 10 et 15 milliards d’euros.

En clair. C’est le retour annoncé de l’oligopole ! La France a mis en place au cours
des quinze dernières années une concurrence dans les télécoms, après avoir aboli le monopole d’Etat de France Télécom. Et voilà que le marché s’apprête à détricoter, en deux temps trois mouvements, ce que les pouvoirs publics – gouvernements successifs et les régulateurs, l’Arcep et l’Autorité de la concurrence – ont élaboré depuis 1er janvier 1998 (date officielle de l’ouverture du marché français de la téléphonie à la concurrence). La fusion absorption de SFR avec Numericable ou Bouygues Telecom
– la holding Altice et le groupe Bouygues étant les deux candidats officiels – serait un mauvais signal pour les consommateurs qui bénéficient depuis le début des années 2000 de tarifs attractifs dans le fixe (autour des fameux 29,90 euros par mois). De plus, depuis l’arrivée de Free Mobile début 2012, les tarifs mobiles sont à leur tour devenus
« meilleur marché ». Mais depuis quelques temps, les opérateurs télécoms historiques (Orange, SFR, Bouygues Telecom) se plaignent du « trop de concurrence » que leur imposerait l’Arcep et la Commission européenne accusées de mener une politique
« consumériste ».

Next Gen Regulation

Ce mois-ci, la décision vient de tomber dans les rédactions : les régulateurs états-unien et européen se sont mis d’accord pour que soit étudiée la disparition à terme des coûts du roaming entre les nations de ces deux continents. Ce précédent ouvre la voie, pour le reste de la planète, à la fin de la surtaxe des appels passés de son portable depuis l’étranger. A l’heure de l’universalité des services mobiles,
il s’agissait de l’un des symboles fort de la matérialisation d’un marché enfin unique des télécoms souhaité par les Européens. Réalisé avant 2020, la fin du roaming à l’échelle de l’Union européenne n’a cependant pas été obtenue sans d’âpres négociations. C’est la parfaite illustration de l’équilibre complexe auquel les régulateurs en charge des industries de communication doivent parvenir : obtenir le maximum d’avantages pour les consommateurs, tout en préservant de grands objectifs collectifs à long terme comme la capacité à investir dans les technologies du futur. Mais comme la gouvernance du monde est un vieux rêve de l’humanité, avant d’être une belle utopie en construction se heurtant aux mille-feuilles des nations, la règlementation de l’économie numérique est un chantier permanent et sujet à toutes les controverses. Le commun des mortels, lui, a du mal à s’intéresser aux subtilités byzantines d’autorités administratives dont les prérogatives sont souvent mal connues.

« Les régulateurs se retrouvèrent
à la remorque d’une industrie numérique
soumise à une accélération sans précédent. »

La culture pèse presque autant que les télécoms

En fait. Le 7 novembre, France Créative – soit treize organisations professionnelles représentant neuf industries culturelles (musique, cinéma, presse, livre, jeux vidéo, arts graphiques et plastiques, spectacle vivant, télévision, radio) – et EY (ex-Ernst & Young) publient leur 1er Panorama économique.

En clair. Ce premier « Panorama économique des industries culturelles et créatives »
a été commandé par le collectif France Créative (1) auprès du cabinet d’études EY et réalisé sous le haut patronage de François Hollande. A ce titre, l’étude a été présentée
à l’Elysée et à Matignon. Elle a le mérite de démontrer que la culture et la création sont devenues des « industries » à part entière. Les neuf analysées pèsent ensemble 61,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires direct sur l’année 2011 considérée, soit presque autant que l’industrie des télécoms et ses 62,2 milliards. Bien que l’étude ne s’y attarde pas, cette comparaison est plutôt saisissante dans la mesure où elle révèle que ces
deux grandes industries – culture et télécoms – sont deux géants économiques de tailles comparables. Mais si elles se regardent en chiens de faïence, c’est que le numérique a quelque peu bouleversé leurs modèles économiques respectifs sur le mode de destruction créatrice.
Ce premier panorama de France Créative confirme, si besoin était, que les industries culturelles ne sont pas le Petit Poucet menacé par l’ogre des télécoms. L’économie numérique est loin d’avoir spolié les industries culturelles. « Les nouvelles formes de création et de distribution de biens et services culturels constituent des relais de croissance importants pour les industries culturelles et créatives françaises », constate l’étude. Rien ne dit qu’il y a ou pas transfert de valeur entre les industries culturelles et
les télécoms, alors que le Snep et l’UPFI estiment « nécessaire de rééquilibrer le partage de la valeur » (lire page 3).
Dans leur avant-propos, les cinq dirigeants (2) de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et de compositeurs (Cisac), comme la Sacem en France, préviennent : « Tout recul [de l’Europe] sur le soutien à la diversité culturelle, sur le combat pour la juste rémunération des créateurs et des artistes, sur les questions de partage de la valeur, aurait un impact direct et défavorable sur les millions de créateurs » (3). Avec Universal Music (Vivendi), Hachette (Lagardère), TF1 (Bouygues), Ubisoft ou Deezer, la France a ses grands acteurs. Reste que l’étude d’EY est quelque peu biaisée car elle considère comme « chiffre d’affaires » les subventions, dont bénéficient certaines industries culturelles en France. Dans ce cas, les télécoms ne peuvent plus soutenir la comparaison. @