Projet de règlement « Continent connecté » : étape difficile vers le marché unique des télécoms

Le projet de règlement « Continent connecté », étape ultime vers le marché unique des télécoms, vise de nombreux objectifs pour le moins ambitieux constituant autant de sujets sensibles qui peinent à trouver le consensus nécessaire entre opérateurs, OTT, Etats membres et institutions européennes.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Le Parlement européen a adopté, lors de la première lecture en avril 2014, d’importants amendements au projet de règlement présenté par la Commission (1). Après cette révision, ce projet de texte reste perçu plus que jamais comme une épée de Damoclès par les opérateurs télécoms qui dénoncent ses conséquences négatives sur les innovations et investissements. C’est donc maintenant au tour du Conseil de l’Union européenne (UE) de se prononcer sur le projet et d’arbitrer entre les différents groupes d’intérêt.

Itinérance : « utilisation raisonnable » ?
Pour mémoire, les règlements sur les frais d’itinérance (2) ont permis d’ores et déjà une baisse significative des tarifs au public par l’instauration progressive de plafonds (dits
« eurotarifs ») pour les appels vocaux et les SMS. Jugeant ces mesures insuffisantes, la Commission européenne a proposé que les opérateurs mobiles aménagent leur accords d’itinérance internationale afin d’internaliser les coûts de gros liés au roaming et de ramener progressivement les tarifs des communications en itinérance au niveau des prix nationaux. Et ce, d’ici juillet 2016 (3).
Largement favorable à la suppression de frais d’itinérance, le Parlement européen en
a cependant durci les modalités d’application. Tout d’abord, les eurodéputés ont opté pour un délai plus court – la suppression progressive devrait ainsi intervenir le 15 décembre 2015 au plus tard. En plus des communications voix et SMS, les services
de donnée mobiles (Internet) seraient également concernés par cette obligation.
A cette occasion, le Parlement européen a précisé le dispositif, jusque-là brièvement évoqué par la proposition de la Commission qui permettrait aux opérateurs de restreindre l’application de la mesure. En effet, les opérateurs seraient autorisés à imposer aux consommateurs des « clauses d’utilisation raisonnable » des services d’itinérance facturés au tarif national à condition de les en informer clairement. Soumises au contrôle des autorités réglementaires nationales, ces restrictions seraient fixées en référence à des critères à définir par l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE). La notion d’« utilisation raisonnable » reste assez vague mais l’idée serait de permettre aux utilisateurs de conserver, en itinérance dans l’UE, leurs habitudes de consommation nationale. Toujours est-il que cette bonne nouvelle pour les consommateurs n’enchante pas les opérateurs mobiles qui craignent une baisse significative des recettes destinées potentiellement à financer le déploiement du très haut débit.

Concernant cette fois la mise en oeuvre d’une autorisation unique européenne pour
les opérateurs, préconisée par la Commission, le Parlement qui juge cette solution irréaliste a préféré s’en tenir au régime d’autorisation générale actuellement en vigueur, mais en prévoyant des mesures supplémentaires d’harmonisation et de simplification, et en impliquant dans certains cas l’ORECE.
Pour les opérateurs paneuropéens, le régime d’autorisation unique proposé par la Commission européenne consistait à ne notifier l’exercice d’activités de communications électroniques que dans un seul Etat membre dit l’Etat d’origine
où se trouve l’établissement principal de l’entreprise.

Difficulté de l’autorisation unique
Or, la mise en oeuvre de ce dispositif mécanisme aurait pu rencontrer des difficultés dans la mesure où la déclaration préalable de l’activité d’opérateur n’est pas obligatoire dans tous les Etats membres – à la différence de la France qui a opté pour la déclaration préalable (4).
Pour contourner cette difficulté et dans un souci de pragmatisme, les députés européens ont proposé plutôt d’uniformiser le régime de l’autorisation générale dans tous les pays de l’UE en limitant strictement l’exigence d’une déclaration préalable. Concrètement, lorsqu’un Etat membres estime justifié d’imposer une obligation de déclaration préalable, il ne peut qu’exiger des entreprises de se déclarer auprès de l’ORECE (5). Par ailleurs, la Commission et le Parlement européens ont considéré que l’utilisation du spectre dans le cadre d’une autorisation générale ne devait pas emporter des conditions supplémentaires portant atteinte au régime d’autorisation harmonisé.
La mise en oeuvre de cette dernière disposition et son articulation avec les dispositions des directives en vigueur pourraient se révéler difficiles.

Coordination de gestion des fréquences
L’objectif de la Commission européenne était de mettre en place une coordination accrue en termes de calendrier, de durée et d’autres conditions concernant l’assignation des radiofréquences pour que les opérateurs de réseau mobile puissent élaborer des plans d’investissement transfrontaliers plus efficients. Le Parlement européen a accueilli favorablement le projet de la Commission tout en renforçant les dispositions visant une utilisation coordonnée du spectre au niveau européen.
Ainsi, la durée minimale de l’utilisation des bandes harmonisées qui restent à définir précisément (6) ne devrait pas être inférieure à 25 ans et suffisamment longue, voire indéterminée, pour encourager l’investissement, l’innovation et la concurrence. Les députés européens ont également introduit un amendement permettant aux Etats membres d’octroyer des autorisations d’utilisation des fréquences selon des procédures conjointes préalablement élaborées en coopération avec la Commission : calendrier commun, conditions et d’utilisation similaires. La procédure commune serait à tout moment ouverte aux autres Etats membres. On peut toutefois s’interroger sur le fait de savoir si la création de ces nouvelles procédures portera les fruits espérés alors que des instruments déjà disponibles en matière de planification coordonnée de l’utilisation restent largement lettre morte.

Les dispositions concernant la mise en oeuvre de la neutralité du Net sont probablement celles pour lesquelles le consensus sera le plus difficile à trouver.
La tentative de la Commission européenne de concilier au mieux les intérêts des différentes parties prenantes avait déjà essuyé de vives critiques de la part des défenseurs de la neutralité « absolue ». Tout en reconnaissant le principe de la neutralité de l’Internet à travers l’obligation imposée aux fournisseurs d’accès de garantir aux utilisateurs une connexion sans restriction à tous les contenus, la Commission admettait certaines mesures de gestion du trafic et la commercialisation
de « services spécialisés » autrement dit des services « premium ». A ce titre, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) étaient autorisés à conclure des contrats accordant des conditions de trafic privilégiés vers les services en ligne. Il était néanmoins entendu que la mise en oeuvre de ces offres « premium » ne devait pas avoir pour objet ou pour effet de dégrader la qualité de service des offres « standards ».

Partageant largement la position équilibrée de la Commission européenne, le Parlement y a cependant apporté quelques retouches. La neutralité du Net a enfin été définie comme « le principe selon lequel l’ensemble du trafic Internet est traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, indépendamment de l’expéditeur, du destinataire, du type, du contenu, de l’appareil, du service ou de l’application ». Dans le même sens, les députés européens ont substitué à la « liberté d’accéder aux contenus » posée comme principe par la Commission européenne le principe plus fort du « droit des utilisateurs d’accéder aux contenus ».
La liberté d’offrir des services « premium » a été également d’avantage encadrée dans la mesure où ils ne peuvent être proposés que si la capacité du réseau est suffisante pour les fournir en plus des services standards.

Neutralité du Net, le talon d’Achille
Les opérateurs télécoms se désolent toutefois que ces dispositions ne concernent toujours pas les plateformes de contenus, principaux défenseurs de la neutralité
« absolue » et qui peuvent gérer leurs services sans contrainte, alors que – selon le leitmotiv maintenant parfaitement connu des opérateurs – lesdits acteurs génèrent des bénéfices sans contribuer aux investissements nécessaires sur les réseaux, à l’emploi, l’innovation et la compétitivité européenne. Le Conseil de l’UE entendra- il leur voix ?

A ce stade, il souligne l’importance de clarifier plus encore les textes (notamment
la nécessité de définir ou redéfinir « l’accès au service Internet » et « le service spécialisé ») et de faire en sorte qu’ils résistent à l’épreuve du temps, autrement dit
aux évolutions du secteur. De leur côté, les Etats membres sont d’accord sur le fait
de parvenir à un équilibre entre neutralité et gestion raisonnable du trafic. Malheureusement, les opinions divergent quant aux moyens pour y parvenir. @