Next Gen Regulation

Ce mois-ci, la décision vient de tomber dans les rédactions : les régulateurs états-unien et européen se sont mis d’accord pour que soit étudiée la disparition à terme des coûts du roaming entre les nations de ces deux continents. Ce précédent ouvre la voie, pour le reste de la planète, à la fin de la surtaxe des appels passés de son portable depuis l’étranger. A l’heure de l’universalité des services mobiles,
il s’agissait de l’un des symboles fort de la matérialisation d’un marché enfin unique des télécoms souhaité par les Européens. Réalisé avant 2020, la fin du roaming à l’échelle de l’Union européenne n’a cependant pas été obtenue sans d’âpres négociations. C’est la parfaite illustration de l’équilibre complexe auquel les régulateurs en charge des industries de communication doivent parvenir : obtenir le maximum d’avantages pour les consommateurs, tout en préservant de grands objectifs collectifs à long terme comme la capacité à investir dans les technologies du futur. Mais comme la gouvernance du monde est un vieux rêve de l’humanité, avant d’être une belle utopie en construction se heurtant aux mille-feuilles des nations, la règlementation de l’économie numérique est un chantier permanent et sujet à toutes les controverses. Le commun des mortels, lui, a du mal à s’intéresser aux subtilités byzantines d’autorités administratives dont les prérogatives sont souvent mal connues.

« Les régulateurs se retrouvèrent
à la remorque d’une industrie numérique
soumise à une accélération sans précédent. »

Il est vrai que le jeu combiné des lois du marché et de la régulation donne lieu, selon les domaines et les secteurs où il s’applique, à de bien surprenants résultats. Pourquoi trois, quatre ou cinq opérateurs télécoms par pays ? Quelle logique pour dire que telle ou telle chaîne est gratuite ou payante sur la TNT ? Quelles forces président à ce qu’il n’y ait pas de place pour plus de trois OS dominants ou qu’il y ait moins de dix géants du Net ? Qui
le décide ? D’autant qu’à travers les âges et selon les latitudes, l’exercice de la régulation varie énormément. Et la séparation des pouvoirs délégués à des autorités indépendantes est relativement récente.
Les pouvoirs de réglementation, d’investigation, d’injonction ou de sanction sont autant de prérogatives qui signent la maturité d’une démocratie acceptant de se doter d’institutions autonomes pour réguler des pans entiers de l’industrie. Pour l’Europe, cela relevait d’un vrai casse-tête : arriver à harmoniser des politiques nationales très diverses. Rien qu’en France, le numérique pouvait être administré par de nombreuses agences, selon qu’il s’agissait de télécoms, de télévision, de fréquences, ou de surveillance de l’Internet.
Mais après l’électrochoc numérique qui fragilisa les champions européens des télécoms, les maîtres mots de ces dix dernières années ont été allègement et simplification de la régulation. L’un des déficits de la réglementation, et plus largement des politiques publiques, fut d’avoir trop tardivement pris en compte l’extraordinaire transformation qui s’imposait aux opérateurs – eux-mêmes tardant à se remettre en question. Finalement, sur le moyen terme, l’intérêt des consommateurs et des fournisseurs pour l’innovation aurait dû compter tout autant que les exigences de baisse des prix – imposée aux opérateurs comme sur le roaming ou orchestrée par ces derniers comme sur le triple play.
Les régulateurs, qui furent à la manœuvre durant la décennie précédente, se retrouvèrent à la remorque d’une industrie numérique qui connaît une accélération sans précédent des usages connectés grâce à l’Internet, et une restructuration profonde des industries des télécoms et des médias. La course poursuite effrénée dure encore entre les entreprises européennes et leurs « prédateurs » venus d’ailleurs, les pouvoirs publics en quête d’une reprise en main de leur stratégie industrielle et les régulateurs contraints, eux aussi, à la réorganisation forcée par la convergence. Le régulateur européen, tant attendu, préside aujourd’hui à une Europe des télécoms et des médias enfin entrée dans une phase de développement continentale, les régulateurs nationaux étant focalisés sur des problématiques plus locales. Un accouchement douloureux qui a fait mentir Stephen Hawking pour qui « il n’est pas clair qu’à long terme l’intelligence soit une valeur de
survie ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : La gouvernance du Net
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 » (http://lc.cx/en2025).
Sur le même thème, lire « Grandes manœuvres
dans les télécoms ? », par Yves Gassot (http://lc.cx/YG).