Neelie Kroes, Commission européenne : « Avec la convergence, l’audiovisuel n’a plus besoin d’autant de régulation »

La vice-présidente de la Commission européenne, en charge de l’Agenda numérique, nous explique la raison d’un nouveau livre vert sur l’audiovisuel
et la télévision connectée, et dit ce qu’elle attend de la consultation publique.
Des décisions seront prises dès 2014 pour prendre en compte la convergence.

Propos recueillis par Charles de Laubier

NKEdition Multimédi@ : La Commission européenne lance
une consultation publique sur la convergence audiovisuelle.
En juillet 2011, elle mettait en route un précédent livre vert sur l’audiovisuel en ligne. En mars 2012, elle initiait une consultation publique sur les aides d’Etat au cinéma à l’heure de la VOD : ces sujets ne sont-ils pas liés et quand prendrez-vous des mesures ?

Neelie Kroes : Le livre vert de 2011 sur la distribution en ligne
d’œuvres audiovisuelles dans l’Union européenne (sous-titré
« Vers un marché unique du numérique : possibilités et obstacles ») portait sur le copyright et les droits de retransmission, dont les résultats devraient être publiés cette année.
En décembre 2012, la Commission européenne a réaffirmé ses engagements pour travailler à un cadre moderne du droit d’auteur dans l’économie du numérique. Il s’agit
de mener deux types d’actions parallèles : instaurer en 2013 un dialogue des parties prenantes et achever des études de marchés, des évaluations d’impact et des travaux d’élaboration juridique, en vue d’une décision en 2014 en fonction des propositions de réforme législative qui seront sur la table.
Le livre vert que nous avons adopté le 24 avril dernier concerne la convergence audiovisuelle mais pas le droit d’auteur ni les aides d’Etat au cinéma. Les travaux
sur ces différents sujets sont donc complémentaires.

« La convergence dans le secteur audiovisuel apporte
des opportunités pour tous les acteurs du marché.
(…) Face à d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles,
la Commission européenne pourra intervenir. »

EM@ : La TV connectée bouscule les paysages audiovisuels historiques nationaux et abolit les frontières entre Internet et la télévision : soumettre les nouveaux acteurs OTT aux mêmes exigences réglementaires (diversité, protection des enfants, publicité, …) que les chaînes nationales ne reviendrait-il pas à réguler Internet, ce qui semble impossible car mondial ?
N. K. : La directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) s’applique aux fournisseurs de services média, dont ceux distribuant des contenus sur Internet. Tant qu’un fournisseur a la responsabilité du choix du contenu et détermine la manière dont il est organisé, il tombe sous la juridiction de la directive SMA et doit respecter les règles audiovisuelles de l’Union européenne. Cette directive traite les services linéaires (les émissions de télévision) et ceux non-linéaires (les services à la demande) de différentes façons.
Le raisonnement est le suivant : puisque les consommateurs ont de plus en plus de choix et un contrôle plus grand sur ce qu’ils voient sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), il y a un besoin moindre de régulation dans les services à la demande. Cependant, la convergence et la TV connectée brouillent les lignes. Les consommateurs peuvent parfois avoir beaucoup de mal à faire la différence entre le linaire et le non-linéaire. Le livre vert sur « un monde audiovisuel totalement convergeant » cherche à savoir, et en demande la preuve, si le traitement différencié actuel ne provoque pas des distorsions de concurrence sur le marché de l’audiovisuel.

EM@ : Les fabricants de téléviseurs (Samsung, Toshiba, Philips, …) veulent
eux aussi conquérir l’écran de télévision et proposer des bouquets audiovisuels, mais ils sont confrontés aux éditeurs de chaînes de télévision qui veulent garder
– avec l’aide des ISP et de leur box IPTV – le contrôle de l’écran : les chaînes et les box IPTV sont-elles des freins à la concurrence ?
N. K. :
La convergence dans le secteur audiovisuel apporte des opportunités pour
tous les acteurs du marché. Pour les fabricants d’équipement et les développeurs technologiques, c’est l’occasion d’appréhender un marché en croissance avec des terminaux innovants, y compris avec des interfaces conviviales et des solutions d’accessibilité. Les opérateurs de réseau verront une demande accrue de bande passante avec un impact positif sur les investissements dans le très haut débit. Les créateurs de contenus peuvent trouver de nouvelles façons de maximiser leur audience, monétiser leurs œuvres et expériences avec des façons créatives de produire et de proposer les contenus. Les producteurs audiovisuels peuvent trouver plus de plates-formes pour distribuer leurs contenus et améliorer leurs offres interactives. Si certains facteurs gênent les possibilités de profiter de ces opportunités, alors nous espérons
en avoir un feedback durant la consultation publique.
Autrement, face à d’éventuelles pratiques anti-concurrentielles, la Commission européenne pourra intervenir, au besoin, en faisant usage des compétences que le
Traité de l’UE lui confère en matière de politique de la concurrence.

EM@ : Le 14 juin, le Conseil de l’Union européenne doit examiner le projet de mandat de négociation que la Commission européenne a adopté le 12 mars pour
un accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis : faut-il vraiment en exclure, comme le demande la France, les services audiovisuels, alors que l’audiovisuel en ligne s’affranchit des frontières ?
N. K. :
La culture n’est pas une marchandise, loin de là. Elle bénéficie d’un statut spécial dans la loi de l’Union européenne. La Commission est garante de ce principe et est même légalement obligée de défendre ce statut, conformément aux Traités européens. L’Europe ne mettra pas son exception culturelle en danger par des négociations commerciales.
Je suis d’accord avec les commentaires récents de mon collègue Karel De Gucht [commissaire européen en charge du Commerce, dans « L’exception culturelle ne sera pas négociée ! », le 22 avril (lire page suivante), ndlr].

EM@ : Le retard pris dans la révision de la directive IPRED sur les droits de propriété intellectuelle n’est-il pas un frein au développement de l’audiovisuel
en ligne sur le « marché unique numérique » que vous souhaitez rapidement ? Comment la chronologie des médias, qui accorde une exclusivité de plusieurs
mois à la salle au détriment de la VOD, doit-elle être réformée ?
N. K. :
La Commission européenne avait pris la décision d’ouvrir la procédure de la consultation publique pendant quatre mois, afin de permettre aux différents acteurs de donner leurs avis dans ce domaine qui est très sensible d’un point de vue politique. La décision sur l’éventuelle révision de la directive IPRED requiert une réflexion approfondie de la part du législateur européen. Quant à la question des fenêtres de diffusion dans
la chronologie des médias, elle est toujours en réflexion en interne à la Commission européenne et n’est donc pas explicitement reprise dans le livre vert. Cependant, nous sommes conscients qu’il y a différentes voix dans l’industrie. Par exemple, à la table ronde « Financement et distribution de films européens sur le marché numérique
européen : distribution transfrontalière et chronologie des médias » qui s’est tenue à Cannes le 9 octobre 2012 [à l’occasion du Mipcom, ndlr], plusieurs participants ont mentionné que le maintien rigide de l’actuel système de « fenêtrage » met l’innovation
en danger, et ils ont apporté leur soutien à des expérimentations de sorties simultanées
ou quasisimultanées de films – en salle de cinéma et en vidéo à la demande (VOD) –
qui ont lieu dans quelques pays. Avec ma collègue Androulla Vassiliou [commissaire européenne en charge Education et Culture, ndlr], nous avons pris ce jour-là une position communication. @

 

Les “Mip” disqualifient la réglementation audiovisuelle

En fait. Le 11 octobre s’est achevé le 28e Marché international des programmes audiovisuels (Mipcom) qui s’est tenu à Cannes durant quatre jours (12 000 professionnels et 4.000 sociétés). YouTube en a profité pour voler la vedette
aux chaînes traditionnelles nationales, en lançant des chaînes mondiales.

En clair. Quel contraste entre le Mipcom, qui est une place de marché mondiale des programmes audiovisuels sur fond de diversité culturelle, et le PAF, qui s’inquiète pour
le financement de sa création audiovisuelle sur fond d’« exception culturelle ». D’un côté, le business international se règle à coup de contrats commerciaux. De l’autre,
la politique nationale édite des obligations de (pré)financement.
Le paradoxe de la France est que Cannes – ville mythique du Septième Art – est justement l’endroit de la planète où l’industrie de l’audiovisuel se donne aussi rendez-vous, et à deux reprises, pour y faire jouer à plein les lois du marché autour des créations et productions audiovisuelles, voire cinématographiques. Le Mipcom de l’automne est aux « pilotes » (nouveautés), ce qu’est le MipTV au printemps (1) pour les « formats » (déclinables dans différents pays). Ces deux grand-messes de la télévision, résolument numériques et transfrontalières, sont « dites » par le groupe anglo-néerlando-américain Reed Elsevier. Alors que pour l’industrie du cinéma, c’est l’Association française du Festival international du film (AFFIF) qui organise le Festival de Cannes (2) et le Marché du film. Lors des deux « Mip », il n’est pas question de taxes, ni d’obligations réglementaires, encore moins d’exception culturelle : place aux contrats de (re)diffusion audiovisuelle, aux accords d’exclusivités, etc. Les Anglo-saxons marchent sur la Croisette et, partant, les Français s’inquiètent.
En invitant Robert Kyncl (ex-Netflix), vice-président des contenus de YouTube, à faire l’éloge de ses 60 nouvelles « chaînes de télévision » (3), dont 13 en France (lire EM@65), le Mipcom fait figure pour certains de Cheval de Troie de la déréglementation audiovisuelle. « Si (…) des contenus (…) d’outre-Atlantique sont accessibles de la
même façon en ayant contribué en rien au financement de la création, je pense que
notre système va prendre l’eau », a prévenu le 24 septembre Emmanuel Gabla, membre du CSA. Il fait écho à Michel Boyon, qui, le 13 mars (4), a posé la question de réguler YouTube et Dailymotion. @

La publicité en ligne est menacée par les règles anti-cookies et la fiscalité numérique

Alors que le marché français de la publicité en ligne enregistre un ralentissement de sa croissance au 1er semestre 2012 et que ses prévisions pour l’ensemble de l’année sont revues à la baisse, son avenir s’assombrit avec la protection des données personnelles et la fiscalité numérique.

Par Charles de Laubier

Selon les prévisions du Syndicat
des régies Internet (SRI), le marché français de la publicité en ligne n’atteindra pas en 2012 les 8 %
de croissance qu’il espérait il y a
six mois. Cela devrait être finalement 6 %, pour atteindre 2,726 milliards d’euros d’investissements publicitaires sur Internet. Ce taux
de croissance est presque la moitié des 11 % de croissance entre 2010 et 2011 (voir tableau ci-contre). La conjoncture économique (1) y est pour beaucoup. « Le digital n’échappe pas au tassement voire au gel des budgets chez certains annonceurs », constate le SRI (2) pour le 1er semestre.

En faveur des internautes et de l’Etat ?
Mais deux autres facteurs pourraient assombrir un peu plus les perspectives de croissance de l’e-pub en France, déjà bien en retard par rapport aux Etats-Unis et
au Royaume-Uni : le projet de loi fiscalité numérique, d’une part, et l’obligation de consentement sur les cookies, d’autre part. En matière de fiscalité numérique, le sénateur Philippe Marini prévoit – dans sa proposition de loi déposée le 19 juillet – de taxer non pas les annonceurs basés en France, comme il avait tenté en vain de le faire lors de la première « taxe Google » en 2011, mais les régies publicitaires où qu’elles soient dans le monde. « De ce fait, Google Ireland sera redevable de la taxe au regard du milliard d’euros de chiffre d’affaires (…) sur le marché français en qualité de régie publicitaire. Cette taxe sera également due par tout acteur français ou étranger en fonction de seuils d’activités minimales (3). (…) Cette taxe serait calculée en appliquant un taux de 0,5 % à la fraction comprise entre 20 millions d’euros [de chiffre d’affaires, ndlr] et 250 millions d’euros et de 1% au-delà », détaille-t-il dans les motifs.
Elle pourrait rapporter à l’Etat 20 millions d’euros cette année, dont la moitié acquittée par Google… Ce montant est à comparer à la taxe qui existe déjà par ailleurs sur la publicité télévisée : 54 millions d’euros en 2012.

Le SRI s’est prononcé contre cette « taxe Google 2.0 » qui, selon lui, représente « un réel danger pour l’équilibre de l’écosystème numérique en France ». L’Association des services Internet communautaires (Asic), qui réunit Google, Facebook, Microsoft, Yahoo, eBay ou encore Dailymotion (4), dénonce elle aussi « une mesure dangereuse pour tout un écosystème ». Quant à l’Union des annonceurs (UDA), elle s’y oppose aussi.
Autre épine dans le pied de l’e-pub, celle du consentement préalable pour les cookies sur lesquels s’appuient les annonceurs et les régies du Net pour mesurer et valoriser leurs campagnes publicitaires en ligne. Cela fera un an le 26 août qu’est parue au Journal Officiel l’ordonnance de transposition du Paquet télécom, lequel prévoit notamment l’accord préalable des internautes avant de recevoir toute prospection directe, cookies compris. Mais la France a ménagé la profession en laissant l’internaute ou le mobinaute activer ou pas – s’il est technophile… – les paramètres de son terminal (5). La part belle est encore laissée à l’auto-régulation, l’Interactive Advertising Bureau (IAB) incitant – avec plus ou moins de succès depuis le 30 juin (6) – les publicitaires, régies et annonceurs à estampiller leurs publicités sur Internet d’une icône « Adchoice ». Cette icône redirige l’utilisateur vers le site paneuropéen Youronlinechoices.eu, qui informe sur les cookies et permet de les gérer en ligne (option optout). Mais les réformes législatives sur la protection des données personnelles que la commissaire européenne Viviane Reding a lancées en début d’année – examinées les 11 et 12
juillet derniers par le Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) – sont bien plus contraignantes : le consentement explicite des utilisateurs devra être obligatoire
avant de déposer des cookies. Est-ce la mort programmée de ces « témoins » ou « mouchards » ? Selon l’OJD (7), les cookies ont déjà une durée de vie limitée car
le taux de leur effacement par les utilisateurs eux-mêmes est de 30 % ou 35 %
par mois. @

Commission « TV connectée » du CSA… sans Apple

Le 16 février, le CSA a installé la Commission de suivi des usages de la télévision connectée, dont c’était la première réunion plénière en présence de 70 membres représentant chaînes, FAI, fabricants, ayants droits, opérateurs consommateurs et pouvoirs publics. Mais un seul être vous manque…

… et tout est dépeuplé. Apple – redevenu le 13 février la première capitalisation boursière mondiale (1) – s’apprête, d’ici à cet été, à repartir à l’offensive avec son Apple TV (ou iTV). La Commission de suivi des usages de la télévision connectée peut-elle faire l’impasse la marque à la pomme ? « Nous ne faisons pas l’impasse sur Apple. On arrive jamais à les faire venir. Apple interdit à ses bureaux à l’étranger d’y participer. Déjà, lors du colloque sur la TV connectée que nous avions organisé [le 28 avril 2011, ndlr], ils n’avaient pas été là. Mais la politique de la chaise vide n’a jamais profité à celui qui la pratique ! », a répondu Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), à Edition Multimédi@, en marge de l’installation de la commission. Nous avons voulu demander à Stéphane Thirion, le dirigeant d’Apple France, les raisons de cet absentéisme récurant. « Stéphane Thirion n’est pas porte-parole pour la presse. (…) Nous ne communiquons pas et necommentons pas sur les points que vous abordez », nous a-t-on répondu. Les auteurs du rapport TV connectée, remis fin novembre, n’avaient pas non plus réussi à auditionner Apple (2). L’absence et le silence d’Apple sont d’autant plus fâcheux que la firme de Cupertino prépare pour le second ou troisième trimestre (3) un vrai téléviseur connecté et à commande vocale – iTV – pour tenter de réussir là où son décodeur Apple TV n’a pas donné les résultats escomptés. Google est aussi très attendu dans le PAF avec sa Google TV. Le géant du Web était-il parmi les 70 membres de la première plénière de la commission TV connectée présidée par Emmanuel Gabla ? Non plus ! Pas plus que les autres acteurs du Web (Yahoo, Dailymotion, Facebook, …), pourtant très attendus sur le petit écran. « Les représentants du Web sont présents à travers l’Association de services Internet communautaires (Asic), laquelle est membre de la commission, même s’ils n’ont pas pu être présents aujourd’hui », a assuré Michel Boyon, en se tournant vers le carton « Asic » isolé sur la table. Contacté, le co-président de l’Asic, Giuseppe de Martino (Dailymotion), nous a répondu : « Nous avons apparemment été invités mais n’avons pas pris de décision quant à une éventuelle participation ». En cours de réunion, Michel Boyon a parlé de « télévision contestée » avant de corriger pour « connectée ». Un lapsus révélateur ? @

La TV connectée constitue un défi pour la réglementation audiovisuelle

L’un des thèmes majeurs cette année de la grande foire de l’électronique grand public, l’IFA à Berlin, fut la télévision connectée. Elle devrait représenter jusqu’à
30 % des téléviseurs cette année. Un développement rapide, mais en l’absence
de réglementation.

Par Winston Maxwell (photo) et Aude Spinasse, avocats, Hogan Lovells

La rapidité de son développement (1), la richesse et la variété potentielle de son contenu, et la multiplication des modèles économiques envisageables sont autant d’éléments qui caractérisent aujourd’hui la TV connectée. Comme son nom l’indique, la TV connectée – parfait symbole de la convergence des médias – est un téléviseur qui diffuse du contenu issu directement d’Internet, via une connexion WiFi ou réseau.

Partenariats ou cloisonnements ?
Comme sur les smartphones, ces contenus sont accessibles via des icônes, appelées widgets, qui apparaissent directement sur l’écran du téléviseur et que le téléspectateur peut sélectionner au moyen d’une télécommande, qui sera dans certains cas le téléphone mobile. La TV connectée permettra ainsi de proposer, simultanément sur un même écran de téléviseur, de multiples contenus aux natures variées tels que la météo, les cours de la Bourse, l’actualité, le partage de photos et tous types de vidéos à la demande (VOD). Il devrait également être possible de chatter (discuter en ligne et en temps réel) avec ses amis ou de mettre à jour son profil Facebook ou Twitter, tout en regardant la dernière saison d’une série américaine en vogue. La TV connectée est à l’origine de nouveaux partenariats stratégiques entre des fabricants traditionnels de téléviseurs (2) et des fournisseurs de contenu tels que Yahoo, Google, Flickr, Picasa, TomTom, eBay, VideoFutur, seLoger.com, etc. Des partenariats entre les fabricants de téléviseurs eux-mêmes sont également à prévoir : un consortium entre Sharp, Loewe et Philips a déjà été annoncé (Net TV). Enfin, les fabricants de téléviseurs vont également se lier avec des chaînes « traditionnelles » de télévision afin d’offrir, entre autres, aux téléspectateurs le contenu de leur catch up TV (3). La finalité première des ces partenariats est d’offrir un catalogue d’applications et de programmes toujours plus riche aux téléspectateurs. Cependant, il semblerait que la plupart de ces partenariats soit établie sur une base d’exclusivité contractuelle. Il est alors à craindre qu’il soit impossible pour un téléspectateur d’avoir accès sur un même téléviseur au contenu proposé par deux concurrents. Même s’ils sont aujourd’hui un gage de richesse du contenu et, potentiellement de qualité, ces partenariats risquent à terme de cloisonner le marché et seront observés étroitement par les autorités de concurrence. Le débat sur la neutralité de l’Internet n’est pas loin !
Une évolution de la publicité, source si importante de revenus dans l’économie globale
de l’audiovisuel, est également envisageable. En effet, le format même des « spots » publicitaires évoluera probablement ; ils ne constitueront probablement plus des coupures au milieu des programmes audiovisuels mais – à l’instar des icônes (widgets) – pourront apparaître pendant la diffusion d’autres programmes audiovisuels ou l’utilisation d’autres applications. Cependant, les spots publicitaires ne seront peut-être pas pour autant plus discrets et une ouverture intempestive de publicités, dans un esprit des pages dites pop-up sur Internet, pourrait voir le jour en contradiction avec les règles de publicité applicables aux services de télévision. En outre, la télévision connectée permettra aux fabricants de téléviseurs et à leurs partenariales de suivre et d’analyser le comportement des téléspectateurs ainsi connectés au moyen de leur télécommande. Les annonceurs pourront ainsi proposer aux téléspectateurs des publicités pour des produits ou services adaptés à leurs goûts. La problématique de protection des données à caractère personnel des téléspectateurs (lire plus loin) devra d’ailleurs être une préoccupation majeure des annonceurs faisant de la publicité comportementale,
ou publicité ciblée.

Quelles réglementation et normalisation ?
La directive européenne sur les services de média audiovisuels (SMA) divise les services audiovisuels en trois catégories: les services de télévision soumis à une réglementation stricte, les services de médias audiovisuels à la demande soumis à
une réglementation allégée mais néanmoins relativement contraignante, et les autres services traités comme des services de communication au public en ligne avec une quasi-absence d’obligation réglementaire (par exemple Dailymotion).
Les télévisions hybrides vont permettre aux téléspectateurs de surfer entre ces trois catégories de services, voire de les combiner. Par exemple : permettre des « chats »
sur Facebook en même temps que le visionnage d’un service de télévision classique.
Du coup, les télévisions hybrides pourraient provoquer le chaos dans le monde bien ordonné de la réglementation audiovisuelle.

La TV connectée soulève des problématiques techniques et juridiques potentielles
Quant à la normalisation, elle est en cours. En juillet dernier, la spécification HbbTV (Hybrid Broadcast broadband TV) en version 1.1.1 a été approuvée par l’agence de normalisation européenne ETSI (4), sous la référence ETSI TS 102 796. La HbbTV repose sur trois piliers existants : le DVB (la TNT ou la diffusion satellite), l’OIPF (Open IPTV Forum) et le W3C (standard du Web). Cette spécification a été développée par le consortium HbbTV qui compte à ce jour plus de 60 sociétés – les chaînes de télévision, les fabricants de téléviseurs et de décodeurs, les éditeurs de logiciels, etc. –, son objectif est d’harmoniser la diffusion de services interactifs sur la TV connectée et de devenir un standard de diffusion des contenus sur téléviseur en ligne. Cet été, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a également approuvé cette spécification.

• Des problèmes de distorsion de concurrence par rapport aux chaînes de télévision linéaire.
Comme l’a fait remarquer le ministre de la Culture et de la Communication lors du colloque de NPA Conseil en juin dernier, les phénomènes de distorsion et de déséquilibre avec les chaînes traditionnelles peuvent être dus au développement de la TV connectée. En effet, les chaînes traditionnelles sont soumises à une réglementation stricte et contraignante à laquelle certains services accessibles par la TV connectée ne seront pas soumis. Ceci risque, d’engendrer des discordances avec les acteurs de la télévision linéaire et de biaiser le libre jeu de la concurrence.
• Atteinte à la protection des données à caractère personnel.
L’analyse comportementale que les acteurs de la TV connectée seront tentés de faire,
afin d’offrir des programmes/contenus/publicités “sur mesure” aux téléspectateurs, soulève la problématique de la protection des données à caractère personnel de ces derniers. En effet, les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 modifiée sur la protection
des données à caractère personnel devront bien entendu être strictement respectées, notamment en termes d’information, d’obtention du consentement, de droit d’accès et
de droit de suppression des téléspectateurs.
• Risques d’actes de concurrence déloyale ou de parasitisme et de recherche de responsabilité.
Des cas de concurrence déloyale pourraient également être constitués. Quid par exemple de la diffusion d’un bandeau publicitaire pour une marque de montre diffusé au cours de la diffusion sur le téléviseur d’un James Bond, film dans lequel une autre marque de montre aura placé un de ces produits sur le poignet du héros ? Sans parler de la violation du droit moral des auteurs du film créée par les publicités intempestives éventuelles.
• Le principe de la territorialité des droits d’auteur dans l’Union européenne
A ce jour, les licences territoriales exclusives sont très répandues dans le monde de l’audiovisuel. Ces contrats limitent grandement l’exploitation des œuvres et seraient,
dans le cas de la TV connectée, un frein non négligeable à un libre développement de
son contenu. Cependant, cette pratique répandue risque d’être remise en cause par
la Cour de justice des Communautés européennes – dont la réponse à une question préjudicielle posée par la High Court of Justice anglaise dans les affaires jointes
dites Premier League (5) est impatiemment attendue. La question de la légalité des traditionnelles exclusivités territoriales aura un impact sur le type de contenus accessibles à travers les téléviseurs connectés, et les types d’outils qui seront mis en oeuvre par les ayants droits pour garantir le respect des licences territoriales.

Il semblerait que la plupart de ces problématiques entrent dans le périmètre de la mission confiée, par le ministre de la Culture et de la Communication, à Dominique Richard sur l’audiovisuel en 2015. D’ici là, nous ne pouvons que constater encore une fois que la technologie et le goût des consommateurs mettront à l’épreuve les “cases réglementaires” savamment construites par le législateur. @