Neelie Kroes, Commission européenne : « Avec la convergence, l’audiovisuel n’a plus besoin d’autant de régulation »

La vice-présidente de la Commission européenne, en charge de l’Agenda numérique, nous explique la raison d’un nouveau livre vert sur l’audiovisuel
et la télévision connectée, et dit ce qu’elle attend de la consultation publique.
Des décisions seront prises dès 2014 pour prendre en compte la convergence.

Propos recueillis par Charles de Laubier

NKEdition Multimédi@ : La Commission européenne lance
une consultation publique sur la convergence audiovisuelle.
En juillet 2011, elle mettait en route un précédent livre vert sur l’audiovisuel en ligne. En mars 2012, elle initiait une consultation publique sur les aides d’Etat au cinéma à l’heure de la VOD : ces sujets ne sont-ils pas liés et quand prendrez-vous des mesures ?

Neelie Kroes : Le livre vert de 2011 sur la distribution en ligne
d’œuvres audiovisuelles dans l’Union européenne (sous-titré
« Vers un marché unique du numérique : possibilités et obstacles ») portait sur le copyright et les droits de retransmission, dont les résultats devraient être publiés cette année.
En décembre 2012, la Commission européenne a réaffirmé ses engagements pour travailler à un cadre moderne du droit d’auteur dans l’économie du numérique. Il s’agit
de mener deux types d’actions parallèles : instaurer en 2013 un dialogue des parties prenantes et achever des études de marchés, des évaluations d’impact et des travaux d’élaboration juridique, en vue d’une décision en 2014 en fonction des propositions de réforme législative qui seront sur la table.
Le livre vert que nous avons adopté le 24 avril dernier concerne la convergence audiovisuelle mais pas le droit d’auteur ni les aides d’Etat au cinéma. Les travaux
sur ces différents sujets sont donc complémentaires.

« La convergence dans le secteur audiovisuel apporte
des opportunités pour tous les acteurs du marché.
(…) Face à d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles,
la Commission européenne pourra intervenir. »

EM@ : La TV connectée bouscule les paysages audiovisuels historiques nationaux et abolit les frontières entre Internet et la télévision : soumettre les nouveaux acteurs OTT aux mêmes exigences réglementaires (diversité, protection des enfants, publicité, …) que les chaînes nationales ne reviendrait-il pas à réguler Internet, ce qui semble impossible car mondial ?
N. K. : La directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) s’applique aux fournisseurs de services média, dont ceux distribuant des contenus sur Internet. Tant qu’un fournisseur a la responsabilité du choix du contenu et détermine la manière dont il est organisé, il tombe sous la juridiction de la directive SMA et doit respecter les règles audiovisuelles de l’Union européenne. Cette directive traite les services linéaires (les émissions de télévision) et ceux non-linéaires (les services à la demande) de différentes façons.
Le raisonnement est le suivant : puisque les consommateurs ont de plus en plus de choix et un contrôle plus grand sur ce qu’ils voient sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), il y a un besoin moindre de régulation dans les services à la demande. Cependant, la convergence et la TV connectée brouillent les lignes. Les consommateurs peuvent parfois avoir beaucoup de mal à faire la différence entre le linaire et le non-linéaire. Le livre vert sur « un monde audiovisuel totalement convergeant » cherche à savoir, et en demande la preuve, si le traitement différencié actuel ne provoque pas des distorsions de concurrence sur le marché de l’audiovisuel.

EM@ : Les fabricants de téléviseurs (Samsung, Toshiba, Philips, …) veulent
eux aussi conquérir l’écran de télévision et proposer des bouquets audiovisuels, mais ils sont confrontés aux éditeurs de chaînes de télévision qui veulent garder
– avec l’aide des ISP et de leur box IPTV – le contrôle de l’écran : les chaînes et les box IPTV sont-elles des freins à la concurrence ?
N. K. :
La convergence dans le secteur audiovisuel apporte des opportunités pour
tous les acteurs du marché. Pour les fabricants d’équipement et les développeurs technologiques, c’est l’occasion d’appréhender un marché en croissance avec des terminaux innovants, y compris avec des interfaces conviviales et des solutions d’accessibilité. Les opérateurs de réseau verront une demande accrue de bande passante avec un impact positif sur les investissements dans le très haut débit. Les créateurs de contenus peuvent trouver de nouvelles façons de maximiser leur audience, monétiser leurs œuvres et expériences avec des façons créatives de produire et de proposer les contenus. Les producteurs audiovisuels peuvent trouver plus de plates-formes pour distribuer leurs contenus et améliorer leurs offres interactives. Si certains facteurs gênent les possibilités de profiter de ces opportunités, alors nous espérons
en avoir un feedback durant la consultation publique.
Autrement, face à d’éventuelles pratiques anti-concurrentielles, la Commission européenne pourra intervenir, au besoin, en faisant usage des compétences que le
Traité de l’UE lui confère en matière de politique de la concurrence.

EM@ : Le 14 juin, le Conseil de l’Union européenne doit examiner le projet de mandat de négociation que la Commission européenne a adopté le 12 mars pour
un accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis : faut-il vraiment en exclure, comme le demande la France, les services audiovisuels, alors que l’audiovisuel en ligne s’affranchit des frontières ?
N. K. :
La culture n’est pas une marchandise, loin de là. Elle bénéficie d’un statut spécial dans la loi de l’Union européenne. La Commission est garante de ce principe et est même légalement obligée de défendre ce statut, conformément aux Traités européens. L’Europe ne mettra pas son exception culturelle en danger par des négociations commerciales.
Je suis d’accord avec les commentaires récents de mon collègue Karel De Gucht [commissaire européen en charge du Commerce, dans « L’exception culturelle ne sera pas négociée ! », le 22 avril (lire page suivante), ndlr].

EM@ : Le retard pris dans la révision de la directive IPRED sur les droits de propriété intellectuelle n’est-il pas un frein au développement de l’audiovisuel
en ligne sur le « marché unique numérique » que vous souhaitez rapidement ? Comment la chronologie des médias, qui accorde une exclusivité de plusieurs
mois à la salle au détriment de la VOD, doit-elle être réformée ?
N. K. :
La Commission européenne avait pris la décision d’ouvrir la procédure de la consultation publique pendant quatre mois, afin de permettre aux différents acteurs de donner leurs avis dans ce domaine qui est très sensible d’un point de vue politique. La décision sur l’éventuelle révision de la directive IPRED requiert une réflexion approfondie de la part du législateur européen. Quant à la question des fenêtres de diffusion dans
la chronologie des médias, elle est toujours en réflexion en interne à la Commission européenne et n’est donc pas explicitement reprise dans le livre vert. Cependant, nous sommes conscients qu’il y a différentes voix dans l’industrie. Par exemple, à la table ronde « Financement et distribution de films européens sur le marché numérique
européen : distribution transfrontalière et chronologie des médias » qui s’est tenue à Cannes le 9 octobre 2012 [à l’occasion du Mipcom, ndlr], plusieurs participants ont mentionné que le maintien rigide de l’actuel système de « fenêtrage » met l’innovation
en danger, et ils ont apporté leur soutien à des expérimentations de sorties simultanées
ou quasisimultanées de films – en salle de cinéma et en vidéo à la demande (VOD) –
qui ont lieu dans quelques pays. Avec ma collègue Androulla Vassiliou [commissaire européenne en charge Education et Culture, ndlr], nous avons pris ce jour-là une position communication. @

 

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