VOD et catch up TV : vers une réglementation calquée sur celle de la télévision linéaire

Le projet de décret « SMAd » (vidéo à la demande, télévision de rattrapage, …)
et les autres projets de réglementation de ces services audiovisuels à la demande s’avèrent largement inspirés des services de télévision classiques.

Par Christophe Clarenc (photo) et Renaud Christol, avocats, cabinet Latham & Watkins

La directive européenne «Services de médias audiovisuels » du 11 décembre 2007 est le premier texte ayant qualifié juridiquement et défini les « services de médias audiovisuels
à la demande [SMAd] » (1), principalement la vidéo à la demande (VOD) et la télévision de rattrapage (catch up TV). Elle préconisait que ces services soient soumis à « une réglementation plus légère » que celle applicable aux autres services de médias, en raison du « choix, [du] contrôle que l’utilisateur peut exercer et [de] l’impact qu’ils ont sur la société » (2).

Eviter la délocalisation de la VOD
Dans le cadre des consultations menées par le gouvernement français sur le projet de loi de transposition de la directive « SMA », le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avait adopté une position similaire et recommandé que les SMAd « soient soumis à des obligations et à une régulation minimales, adoptées avec prudence, de façon progressive et qui tiennent compte de leurs caractéristiques ». Pour le CSA, il était en effet nécessaire de ne pas « menacer le développement de services innovants » ni « d’inciter les opérateurs français à délocaliser leurs services en ligne dans d’autres pays et de brider l’innovation et la diffusion de formats nouveaux correspondant aux attentes des téléspectateurs et des internautes » (3). La loi française de transposition du 5 mars 2009 (4) n’est pas allée au-delà des obligations minimales édictées à l’échelon communautaire par la directive « SMA ». Elle a renvoyé au décret le soin de préciser, pour les SMAd utilisant les réseaux xDSL, FTTx, câble et satellite, les règles applicables « à la publicité, au télé-achat et au parrainage », ainsi que « les dispositions propres à assurer le respect de la langue française et le rayonnement de la francophonie ». Ce décret devait également fixer pour l’ensemble des SMAd diffusant des films ou des œuvres audiovisuelles, les dispositions relatives à leur contribution
au « développement de la production, notamment indépendante, d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles » et celles « permettant de garantir l’offre et d’assurer la mise en valeur effective des œuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes et d’expression originale française » (5).
A l’examen du projet de décret, soumis à la consultation publique du 22 mars au 16 avril 2010, force est de constater que ces recommandations de la directive et du CSA n’ont pas été suivies à la lettre. La réglementation envisagée est en effet proche de celle applicable aux services linéaires. Cette proximité se retrouve dans le projet de délibération relatif à la protection du jeune public sur les SMAd et dans la proposition visant à modifier la loi « Léotard » pour étendre la compétence du CSA en matière de règlement de différends à ces services. Le projet de décret SMAd prévoit (titre III) que les éditeurs de ces services audiovisuels à la demande seront soumis à la majeure partie des dispositions du décret du 27 mars 1992 sur la publicité, le parrainage et le télé-chat (6), par ailleurs applicable aux éditeurs de services de télévision linéaires. Ainsi, les publicités insérées par les éditeurs de SMAd (par exemple dans les écrans d’accueil de leurs services) devront être conformes aux exigences de véracité,
de décence et de respect de la dignité de la personne humaine ; ne pas contenir d’éléments de discrimination en raison de la race, du sexe ou de la nationalité ; ne
pas être de nature à porter préjudice aux mineurs, etc.

Informer clairement le consommateur
De même, si les SMAd pourront être parrainés par des sociétés commerciales, le contenu des SMAd parrainés ne devra pas être influencé par le parrain. Le consommateur devra clairement être informé de l’accord de parrainage et le SMAd ne devra pas directement inciter à l’achat. Enfin, les émissions de télé-achat diffusées par les SMAd devront être clairement annoncées comme telles au public et ne pas contenir d’allégations de nature à induire le public en erreur. Le projet de décret prévoit également (titre II) des quotas de mise à disposition d’œuvres cinématographiques
et audiovisuelles européennes et d’expression originale française similaires à ceux applicables aux services de télévision linéaires.

Films : quotas et contribution financière
Les catalogues d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, proposées par les éditeurs de SMAd, devront ainsi compter au minimum 60 % d’œuvres européennes
et 40 % d’œuvres d’expression originale française.
Le projet de décret prévoit enfin (titre I) que les éditeurs de SMAd, à l’instar des éditeurs de services de télévision linéaires, devront contribuer au financement de la production cinématographique et audiovisuelle d’œuvres européennes ou d’expression originale française. Cette contribution concernera les éditeurs de VOD qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 15 millions d’euros et s’élèvera, au maximum, à 29 % du chiffre d’affaires annuel net pour les services de VOD par abonnement et à 15 % de ce chiffre d’affaires pour les services de VOD à l’acte. La part du chiffre d’affaires versée pour la télévision de rattrapage sera « identique à celle à laquelle l’éditeur de services est soumis au titre de l’exploitation versée par l’éditeur au titre de l’exploitation de son service de télévision dont le service de télévision de rattrapage est issu ». Cette contribution obligatoire des SMAd a été vivement critiquée par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), les opérateurs VOD et les associations représentatives du cinéma (7) (*) (**) (***). En particulier, la Fédération française des télécoms (FFT) a souligné que
le secteur de la VOD, aujourd’hui libre d’exclusivités, pourrait connaître une évolution analogue à celle connue par la télévision linéaire. A savoir : le préfinancement des œuvres a pour corollaire l’acquisition de droits exclusifs par les éditeurs. De telles pratiques « favoriserai[en]t largement les éditeurs de service de télévision historiques, qui seraient en mesure de se réserver l’exclusivité des programmes les plus attractifs en VOD, et pénaliserai[en]t lourdement les éditeurs de VOD indépendants, du fait de l’inflation des prix » (8). Cette critique a été écartée par le ministre de la Culture et de la Communication au motif, peu convaincant, que la distinction effectuée entre la VOD par abonnement et la VOD à l’acte serait de nature à « éviter que ne se développent des pratiques d’exclusivité » (9). La contribution obligatoire figurera donc dans le texte définitif.
Le décret est annoncé pour la rentrée 2010 afin d’être applicable à compter du 1er janvier 2011. Par ailleurs, le CSA a lancé une consultation publique du 14 au 28 juin 2010 sur un projet de délibération relative à la protection du jeune public, à la déontologie et à l’accessibilité des programmes sur les SMAd. Ce projet prévoit notamment que la classification en vigueur pour les programmes diffusés en linéaire soit appliquée pour les SMAd. Par voie de conséquence, les signalétiques –10 ans,
–12 ans, –16 ans et –18 ans devront être apposées sur les programmes diffusés par les SMAd en fonction de leur catégorie. Les signalétiques devront également être portées à la connaissance du public à chaque mention du programme, notamment sur les images et les descriptifs du catalogue ainsi que sur les bandes-annonces, extraits ou messages promotionnels. La version définitive de cette délibération est annoncée pour la fin de l’année 2010.

Règlement des différends par le CSA
Enfin, le CSA a publié le 20 avril 2010 la synthèse de la consultation publique qu’il avait lancée en juin 2009 afin de « préciser les éléments de régulation applicables » aux SMAd. Dans ce document, le CSA propose notamment d’autoriser la diffusion par les services de télévision de rattrapage de programmes en « avant première » (c’est-à-dire avant leur diffusion en linéaire) et prend acte de la volonté de la majorité des opérateurs de limiter la durée pendant laquelle les programmes sont mis à disposition en télévision de rattrapage. Le CSA propose également que la compétence en matière de règlement de différends dont il dispose pour les services de télévision linéaires soit étendue aux SMAd avec, le cas échéant, recueil de l’avis de l’Arcep. Cette proposition, issue du rapport « Zelnik–Toubon–Cerruti » – appelé aussi « Création & Internet » (10), vise à lutter contre les « refus d’accès discriminatoires » qui pourraient être opposés aux éditeurs de SMAd par les fournisseurs d’accès aux réseaux. Grâce à une telle compétence étendue, le CSA serait en effet en mesure de statuer sur le « le caractère objectif, équitable et non discriminatoire » (11) des conditions d’accès aux réseaux des éditeurs de SMAd. @