Ciné : la polémique fait l’impasse sur le numérique

En fait. Le 28 décembre dernier, la parution dans Le Monde de la tribune de Vincent Maraval intitulée « Les acteurs français sont trop payés ! », a jeté un pavé dans la mare du cinéma français. Les Assises du cinéma, le 23 janvier prochain, élargiront-elles le débat au numérique ?

En clair. Ce qui frappe dans la polémique déclenchée par la prise de position du fondateur de la société de distribution de films Wild Bunch (1), c’est l’absence de toute référence à la révolution numérique à laquelle est confrontée toute l’industrie du cinéma. Comme si les salaires bien « trop » élevés pour bon nombre d’acteurs étaient le premier problème du 7e Art français. Comme si son « économie de plus en plus subventionnée » résumait à elle seule les travers de cette filière culturelle. Comme si
le « miracle du système du financement du cinéma français (…) qui protège l’exception culturelle » et « ne profite qu’à une minorité de parvenus » se limitait à « la subvention directe dont jouit le cinéma français (chaînes publiques, avances sur recettes, aides régionales) », d’une part, et à « la subvention indirecte (l’obligation d’investissement des chaînes privées) », d’autre part.
Pas un mot non plus sur le numérique dans les nombreuses réponses à ce pavé dans
la mare, tout juste le président de l’Association des producteurs de cinéma (APC),
Marc Missonnier, a-t-il évoqué l’« intégration des acteurs du numérique ». Pourtant,
le numérique remet en questions tout l’écosystème du cinéma. Cela commence dans les salles de cinéma de l’Hexagone, qui seront d’ailleurs toutes en 2013 équipées
d’une projection numérique. Elles sont plus de 5.000 en France : record mondial. La chronologie des médias leur accorde toujours une exclusivité de diffusion pour tous
les nouveaux films durant quatre mois. La VOD, laquelle ne demande qu’à décoller, continue ainsi d’être privée comme le DVD et le Bluray du lancement des films. La Commission européenne en est consciente, qui s’apprête à présenter un recommandation « Cinéma en ligne » incitant les Etats membres à expérimenter la (quasi) simultanéité de diffusion des films en salle et en VOD (2). En outre, la pauvreté des catalogues de films français en ligne (moins de 10.000 titres malgré la promesse
du CNC (3)) encourage le piratage sur Internet : les déboires de la musique n’ont pas servi. Quant aux sources « numériques » de financement du cinéma français (taxe VOD, taxe des opérateurs télécoms/FAI, demain les fabricants de terminaux et de téléviseurs), ils sont aussi passés sous silence. Tout comme le souhait des auteurs d’être rémunérés, en plus, lors de l’exploitation en ligne de leurs films (4). @

La rémunération pour copie privée appliquée au « cloud » n’est pas pour demain

Le 23 octobre dernier, le très contesté Conseil supérieur de la propriété littéraire
et artistique (CSPLA), a publié un avis selon lequel la redevance pour copie privée devrait s’appliquer aux services en nuage (cloud). Les sociétés d’auteurs sont satisfaites, les acteurs du numérique ulcérés.

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

Selon CSPLA, la redevance pour copie privée doit s’étendre aux services de stockage en ligne qu’il s’agisse de services de stockage personnel de type Dropbox, Hubic ou Skydrive, ou bien ceux liés à une plateforme de téléchargement légal,
ou encore ceux proposant des fichiers de substitution comme iTunes Match. A contrario, la Commission européenne semble aujourd’hui privilégier une analyse de la question sous l’angle du droit exclusif et non sur la base de l’exception pour copie privée.

RTL conteste à Europe 1 la place de n°1 du numérique

En fait. Le 7 novembre, Christopher Baldelli, président du directoire de RTL Radio depuis trois ans, était l’invité de l’Association des journalistes médias (AJM). Alors que son audience à l’antenne est menacée d’érosion, la première radio hertzienne de France entend « faire mieux » dans le numérique.

En clair. Christopher Baldelli ne supporte pas qu’Europe 1 se déclare « radio leader sur
le numérique ». Pour le président du directoire de RTL Radio en France, « Europe 1 n’est pas le leader du numérique ». « Si l’on regarde le nombre de podcasts et l’audience du site web, c’est nous qui sommes leader du numérique. (…) Nous allons communiquer pour le dire », a-t-il affirmé. S’il ne conteste pas que sa concurrente de Lagardère Active est la numéro 1 en nombre de podcasts téléchargés par mois, comme au mois d’octobre avec plus de 6,3 millions, contre 4,7 millions pour RTL (voir Indicateur p. 10), il estime que c’est en revanche loin d’être toujours le cas tous les mois pour le site europe.fr. Bien que ce dernier soit arrivé en tête des sites web de radio sur les mois de novembre (grâce à un bond de 48 % à 9,8 millions de visites (1), contre 8,3 millions pour rtl.fr qui décline de 2 %), le rapport est en effet inversé sur le mois précédent. En octobre, rtl.fr reprend la tête avec plus de 8,5 millions de visites (+ 2%), contre 6,6 millions pour europe1.fr (- 23 %), ce dernier ayant dépassé sa rivale au mois de septembre. Bref, pour Christopher Baldelli qui dirige la première radio hertzienne de France, Europe 1 – la quatrième radio hertzienne – ferait dans l’abus de langage. « Nous avons un meilleure classement, non seulement en podcast, où nous sommes passés de quatrième à second, mais aussi sur Internet », insiste le patron de RTL, qui édite aussi Fun Radio (4,9 millions de visites sur le site web en novembre) et RTL2 (1 million de visites).
Malgré cette polémique, Christopher Baldelli reconnaît que les podcasts et le streaming live (2) est « une écoute en plus ». C’est une aubaine pour les radios généralistes dont l’audience globale a perdu 1 point de part de marché sur un an, pendant que les radios musicales gagnaient 1 point. Surtout, c’est une source de rajeunissement de l’auditoire dont l’âge moyen pour une généraliste est de 57 ans. Or les 25-34 ans sont les plus nombreux à recourir à la catch-up radio. « Le podcast est un plus formidable, comme
la télévision de rattrapage que j’ai vécue avec M6 Replay (3). Mais la catch up est partie plus vite en télé ; elle progresse en radio », s’est-il félicité. Il a en outre annoncé que
M6 Publicité Digital sera la régie des sites web de RTL, RTL2 et Fun Radio dès
janvier 2013. @

L’édition tourne la page

Dans son lot habituel, la rentrée littéraire nous a apporté cette année la révélation d’un auteur étonnant. Il est à l’origine d’une génération de nouveaux romans contemporains qui aurait su toucher le grand public. Mais il n’aura jamais son nom imprimé sur la couverture d’un livre. Et pour cause : en ce milieu du XXIe siècle, les auteurs n’écrivent que rarement ! Ils sont les héros d’une nouvelle littérature, symbole d’une culture redevenue orale et visuelle. La vidéo s’est en effet imposée aujourd’hui comme la nouvelle forme d’écriture – dominante, universelle et sans frontières – par la magie de
la traduction simultanée, retranscrivant même la couleur et l’intonation de la voix des auteurs. Après des siècles de montée en puissance progressive de l’écrit, la technologie de l’image apparue au siècle dernier a ainsi fait progressivement son oeuvre de transformation… Bon d’accord, n’exagérons pas ! Cette scène ne se déroulera sans doute pas avant 50 ans, c’est-à-dire vers 2070. Mais, j’en suis persuadé, nous sommes tous engagés dans cette voie, celle d’une nouvelle culture portée par de nouveaux médias. Le livre et plus largement l’écrit alimentent les souvenirs nostalgiques d’une
réalité en cours de substitution. Après cette introduction en forme d’anticipation presque prophétique, il faut bien reconnaître que le monde de l’édition est encore loin d’avoir
rendu les armes. Mais nous sommes au tout début de ce processus extraordinaire
et les éléments de cette transition se mettent en place.

« Par écrit ou en vidéo, la littérature numérique dispose d’une palette complète de distribution, de l’auto-édition à l’intervention de grandes maisons toujours indispensables »

Dix mille films en VOD fin 2012 : un enjeu inatteignable

En fait. Le 19 novembre, le CNC a réunit son « Groupe d’experts d’aide à
la numérisation des œuvres cinématographiques de patrimoine ». Objectif :
enrichir notamment l’offre légale de films sur les plateformes de VOD. De quoi atteindre le total 10.000 films en ligne français et/ou européens promis fin 2012 ?

En clair. Selon nos informations, les 10.000 films mis en ligne par les plates-formes
de vidéo à la demande (VOD) en France ne sont pas atteints en fin d’année. Le Bureau
de liaison des organisations du cinéma (Bloc) et le Bureau de liaison des industries cinématographiques (Blic) s’étaient pourtant réjouis il y a huit mois de cet objectif fixé comme une promesse par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et
les éditeurs de VOD. Et ce, à l’occasion du renouvellement le 5 avril 2012 de l’accord interprofessionnel sur la chronologie des médias (1) (*) (**) (***).
Quelque 8.000 films français et, pour un tiers d’entre eux, d’autres pays européens, devraient cependant être dépassés en fin d’année. Le groupe d’experts d’aide à la numérisation des films du patrimoine s’est réuni pour la troisième fois le 19 novembre :
le CNC va aider à numériser cette année 21 longs métrages et 21 courts métrages, ce
qui porte le total à 76 films aidés pour près de 3 millions d’euros. Mais le plus gros reste
à faire : jusqu’à 15.000 films doivent encore être numérisés, rien que pour les œuvres datant du XXe siècle. Total des aides sur 5 ans (subventions ou avances) : 500 millions d’euros. Tandis qu’un seul, Gaumont, bénéficie par ailleurs du Grand emprunt. Les plateformes de VOD se retrouvent ainsi doublement pénalisées : d’une part, elles n’ont pas le droit de proposer des films récents car la chronologie des médias leur impose d’attendre quatre mois pour la VOD à l’acte et trente-six mois pour la VOD par abonnement ; d’autre part, elles ne peuvent proposer de catalogues étoffés d’anciens
films car ces derniers n’ont pas encore été pour la plupart numérisés.
Comment expliquer ce retard : un problème de ressources pour ces aides financières
à la numérisation ? «Même si les 150 millions d’euros ponction – nés sur notre budget vont impacter ce plan de numérisation, nous désirons le poursuivre », a déclaré Eric Garandeau, le président du CNC, lors de la réunion du 19 novembre (2). Le gouvernement a en effet prévu, dans le cadre du projet de loi de Finance 2013 de prélever « exceptionnellement » 150 millions d’euros sur le fonds de roulement du CNC, afin de contribuer à la réduction des déficits publics. A cela s’ajoute le risque d’un rejet par la Commission européenne de la TST, la taxe sur les services TV des FAI, soit 140 millions d’euros de manque à gagner pour le CNC. @