Pascal Rogard, SACD : « Les auteurs doivent être rémunérés en plus, lors de la mise en ligne de leurs films »

A la veille du Festival de Cannes, le DG de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) plaide en faveur d’une rémunération des créateurs proportionnelle aux recettes d’exploitation lorsque leurs films sont exploités
via Internet, et pour une gestion collective obligatoire au niveau européen.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Dans le cinéma et l’audiovisuel, les auteurs souhaiteraient une rémunération supplémentaire (à celle provenant des producteurs), lorsque leurs films sont diffusées en ligne. Pourquoi la SACD soutient ce droit « inaliénable » des auteurs au niveau de l’Europe ?
Pascal Rogard :
La situation des auteurs de l’audiovisuel en Europe nécessite une intervention législative afin de permettre une application effective du droit exclusif de communication au public (incluant le droit de mise à disposition du public) reconnu par la directive du 22 mai 2001 sur « l’harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (1). Malgré cette reconnaissance au profit des auteurs, dans la majorité des Etats membres de l’Union européenne, la rémunération des créateurs (2) se limite au versement d’un forfait (ou buy out) et ces derniers ne reçoivent pas de rémunération supplémentaire proportionnelle à l’exploitation de leurs œuvres en ligne. En France, pays dans lequel ce mécanisme existe, la dénonciation par certains syndicats de producteurs du protocole d’accord de 1999 sur la vidéo à la demande (VOD) et la télévision payante (PPV) a freiné, voire empêché, la rémunération des auteurs sur ce mode d’exploitation. Il est donc indispensable, afin que le droit exclusif prévu par le droit européen au profit des auteurs ne reste pas lettre morte, de l’accompagner d’un droit inaliénable à une rémunération proportionnelle aux revenus générés par l’exploitation de leurs oeuvres en ligne, même en cas de cession de leurs droits aux producteurs. Cette demande d’évolution du droit européen sonne comme une évidence à l’heure du numérique. Alors que les exploitations en ligne se développent et que tous appellent à la lutte contre la contrefaçon numérique, il est inconcevable de laisser les créateurs à l’origine des œuvres cinématographiques et audiovisuelles hors du cercle des bénéficiaires des nouvelles ressources générées par Internet.

EM@ : Comment ce supplément serait-il prélevé auprès des plates-formes en ligne et des FAI ?
P. R. : La pratique française a montré que la gestion collective permettait d’assurer la rémunération des auteurs. En ce qui concerne la VOD à l’acte et le PPV, cette capacité d’intervention des sociétés de gestion collective est inscrite dans le Code de la propriété intellectuelle (3), lequel prévoit que, lorsque l’exploitation d’une oeuvre donne lieu à un paiement à l’acte, les droits sont versés par le producteur sur la base du prix public. C’est une des raisons qui a conduit la SACD à convenir avec les producteurs des conditions de son intervention auprès des services de médias audiovisuels concernés (VOD, PPV, Catch up TV) pour percevoir une rémunération proportionnelle au prix public de l’oeuvre au bénéfice des auteurs. En revanche, pour les autres modes d’exploitation à la demande, les sociétés de gestion collective, sont, comme en matière de radiodiffusion, habilitées à assurer la perception et la rémunération des auteurs. Des accords ont ainsi été conclus par la SACD et la Scam (4) avec les plateformes de vidéos en ligne Dailymotion (2008) et YouTube (2010) afin de permettre, sous réserve des droits des producteurs, la rémunération des auteurs pour la mise à disposition de leurs œuvres en ligne. Outre la mention de la gestion collective, il conviendrait de préciser au niveau européen, d’une part, le caractère obligatoire du recours à ce mécanisme et, d’autre part, que cette rémunération sera acquittée par le distributeur final (5) : le service de média audiovisuel (plateformes de VOD, FAI, …).

EM@ : Dailymotion et Google/YouTube ont en effet signé avec trois sociétés de gestion collective (SACD, Scam et ADAGP). Les producteurs français (Bloc, APC, UPFI, …) revendiquent, eux, leur droit exclusif et affirment que leur autorisation est indispensable avant de mettre en ligne des films français : ce flou artistique entre ayants droits est-il un frein au développement du cinéma à la demande ?
P. R. :
La SACD, la Scam et l’ADAGP (6) ont conclu avec Dailymotion et YouTube des accords autorisant la diffusion des œuvres de leur répertoire, permettant ainsi la rémunération des auteurs. Ces accords sont de nature identique à ceux passés avec les diffuseurs traditionnels, il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil hormis le fait qu’il s’agit de nouveaux acteurs qui interviennent par l’intermédiaire du réseau Internet. Contrairement aux affirmations mensongères de certains syndicats de producteurs, la SACD n’a jamais validé d’activités illicites puisque ces accords concernent uniquement les œuvres dont la mise en ligne a été autorisée par les producteurs, et non celles mises en ligne par des particuliers qui ne détiennent aucun de droit d’exploitation. Cela aurait d’ailleurs été contraire au combat constant que mène la SACD pour lutter contre la contrefaçon numérique et faire respecter les droits d’auteur. Il n’y a donc aucun flou artistique. Ce qui freine le développement de la VOD, c’est l’attitude frileuse des producteurs français qui se sont encore récemment opposés à la demande de France Télévisions de mettre en ligne, dans son service de télévision de rattrapage, des films
de cinéma.

EM@ : Que représentent en 2011, au niveau de la SACD, les sommes perçues – mais modestes – pour l’exploitation des œuvres par les plates-formes en ligne ?
P. R. :
Il est exact que les sommes collectées demeurent modestes en raison du niveau de développement insuffisant de ce type de services. Internet représente moins de 1 % des 204 millions d’euros que nous avons perçus en 2011.

EM@ : Le commissaire européen Michel Barnier va présenter une révision de la directive sur les droits de propriété intellectuelle : licence multi-territoriale en faveur du Net, gestion collective des droits numériques, principe du pays d’origine, code européen global du droit d’auteur … : pour quelles mesures êtes-vous favorable ?
P. R. :
Le livre vert de la Commission sur la distribution en ligne des œuvres audiovisuelles de l’Union européenne, publié le 13 juillet 2011, énonce, lui, un certain nombre de pistes visant à dynamiser le marché en ligne des œuvres audiovisuelles.
Dans sa réponse à la consultation, la SACD s’est exprimé en faveur du développement de licences paneuropéennes, en soulignant que cela peut constituer l’une des pistes à explorer sans constituer pour autant la panacée évoquée par la Commission européenne. Des solutions visant à limiter le fractionnement territorial des droits opéré par les producteurs peuvent être envisagées. Ainsi, l’acquisition de droits pour différents Etats membres pourrait être facilitée par la mise en place de platesformes d’informations sur les détenteurs de droits (producteurs/distributeurs). Ce qui rendrait la tâche plus aisée pour les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) d’envergure paneuropéenne. De même, des services d’agrégation de droits opérés par certains distributeurs au niveau européen pourraient éviter aux SMAd d’avoir à accomplir ce travail. Enfin, la solution pourrait être pour les services de médias audiovisuels souhaitant opérer sur une base européenne (7) de participer au financement des films et ainsi d’acquérir les droits sur l’ensemble des territoires qui les intéressent. En ce qui concerne la création d’un code européen global du droit d’auteur, la SACD considère que cette idée ne correspond pas à un objectif réaliste à court terme. Quel que soit le projet d’harmonisation entrepris par la Commission (projet global ou plus limité comme l’application du principe du pays d’origine en matière de droits en ligne), nous mettons en garde contre le nivellement par le bas des droits des auteurs en Europe et recommandons, à l’inverse, le développement de règles européennes favorisant une meilleure reconnaissance et un renforcement de leurs droits dans tous les Etats membres – notamment la rémunération proportionnelle des créateurs lorsque leurs œuvres sont mises en ligne. A l’ère numérique, la gestion collective constitue un moyen de simplifier et de fluidifier les cessions de droits et d’améliorer ainsi l’accessibilité aux œuvres pour tous. Aux côtés d’autres sociétés de gestion collective européennes, conscientes des atouts d’un tel système, la SACD travaille à la mise en place d’un guichet unique pour la rémunération des auteurs sur les exploitations en ligne de leurs œuvres, dans le respect absolu des droits des producteurs (8).

EM@ : Le 5 avril dernier, le cinéma a reconduit l’accord « chronologie des médias » de juillet 2009. La SVOD à 36 mois est-elle mort-née ? Les 4 mois pénalisent-ils la VOD à l’acte ? Faut-il assouplir la dérogation des 3 mois ? Quand débuteront les expérimentations ?
P. R. :
L’accord sur la chronologie des médias est contraire à la jurisprudence européenne et à une exploitation rationnelle des films en ce sens qu’il ne prévoit aucune dérogation pour ceux d’entre eux dont la carrière en salles a été limitée ou qui n’ont pas bénéficié
de contrats de diffusions par les chaînes de télévision. Pour la vidéo à l’acte, le délai de
4 mois fixé par le Parlement français nous parait adapté, mais nous estimons que les conditions de la dérogation à 3 mois sont excessives. Résultat : un seul film a demandé cette dérogation. Pour le moment les professionnels ont aussi refusé toute expérimentation permettant de mieux tester le comportement du public à l’égard de ce type d’offre. Nous militons pour un véritable assouplissement des règles actuelles et certains des signataires de l’accord – le Blic (9), Canal+, Orange, Arte – sont aussi sur cette ligne. Mais pour le moment l’immobilisme l’emporte ce qui freine le développement
de ces services en France et pourrait favoriser des délocalisations contraires aux intérêts du cinéma français et des créateurs. @