Joël Ronez, groupe Radio France: « Devenir un média de référence sur smartphone et en radio filmée »

Le directeur des nouveaux médias et du Mouv’ à Radio France, Joël Ronez, explique à EM@ comment les sept stations du groupe public de radiodiffusion s’adaptent aux mutations numériques et à la mobilité des auditeurs. Cela passe par les smartphones, les réseaux sociaux et la radio filmée.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Joël RonezEdition Multimédi@ : Vous avez dit, aux rencontres Radio 2.0 du 15 octobre, que la radio avait une décennie d’écart dans le numérique sur la presse écrite : la radio peut-elle rattraper son retard dans les 3 révolutions digitales (écrit, vidéo et réseaux sociaux) ?
Joël Ronez :
Oui, bien sûr. Il ne s’agit pas d’un retard à proprement parler, mais d’un impact de la révolution numérique qui est plus tardif. Nous sommes aujourd’hui dans le grand mouvement de numérisation des médias broadcast, de la musique, et de l’avènement de l’Internet mobile et des smartphones. C’est pour l’écosystème de la radio un vrai défi, mais cela représente aussi de nombreuses opportunités.

EM@ : Quel budget consacrez-vous en 2012 et 2013 au numérique sur l’ensemble de Radio France ?
J. R. :
Environ 6 millions et demi d’euros hors taxes par an sont consacrés à la direction des nouveaux médias, pour le compte de l’ensemble du groupe Radio France, dans les domaines techniques, marketing, éditorial, etc.

EM@ : Votre direction Nouveaux médias et Le Mouv’ ne font plus qu’un : le nouveau Mouv’ prévu en janvier 2014 sera-t-il tout-online ?
J. R. :
Non, Le Mouv’ est et restera une radio. Simplement, son offre se déploiera simultanément sur le web et les mobiles.

EM@ : Radio France, c’est 10.249.000 podcasts téléchargés au mois de septembre (France Inter, France Info, France Bleu, France Culture, France Musique, Le Mouv’ et FIP) : allez-vous les monétiser ? Allez-vous par ailleurs lancer des webradios ?
J. R. :
Nous n’avons pas vocation, à court terme, à faire accompagner l’écoute de nos podcasts de publicité. Les revenus publicitaires sont importants pour Radio France, mais complémentaires, étant donné que nous sommes principalement financés par la redevance audiovisuelle [L’Etat a versé 610 millions d’euros en 2012 à Radio France,
qui a dégagé un bénéfice net de 3,1 millions, ndlr]. La stratégie numérique de Radio France consiste à proposer, dans le champ du web, des produits et offres respectant
les nouveaux modes de consommation des auditeurs, et en leur apportant une plus-value. Nous allons ainsi lancer en début d’année 2014 un nouveau site, RF8, qui permettra de découvrir la richesse musicale de Radio France. Il ne s’agira pas pour autant d’une webradio linéaire, mais de bien plus que cela.

EM@ : Vous suivez le « bruit twitter » généré par Radio France (Twitter.radiofrance.fr) : ce flux a-t-il vocation à être monétisé ?
J. R. :
Nous ne cherchons pas à monétiser le « bruit twitter », mais à faire en sorte que nos auditeurs et internautes puissent interagir avec nos programmes par ce biais, et assurer également leur diffusion.

EM@ : La radio ne peut pas parler de second écran comme la télé : aussi, comment les radios de Radio France se déploient sur les écrans compagnons ?
J. R. :
La radio ignore en effet la notion de second écran : nous démarrons avec notre premier écran ! L’objectif est d’être un média de référence dans l’univers du smartphone, sur les contenus audio, tout en proposant également une offre vidéo la plus riche possible, avec de la radio filmée, mais aussi des production vidéo propres.

EM@ : Europe 1 revendique 14 heures de direct vidéo par jour. Comment les stations de Radio France proposent de la vidéo, entre la radio filmée des programmes de flux, le reportage vidéo et les programmes vidéo proches de la TV ? La radio ne va-t-elle perdre son âme à concurrencer la télé et à être diffusée sur les plateformes vidéo ?
J. R. :
Nous diffusons des extraits de nos programmes sur YouTube et Dailymotion depuis plus de cinq ans, et nous avons vocation à accroître l’offre. Tout ne peut pas et
ne doit pas se filmer. Mais les programmes de talk et de flux sont susceptibles d’exister également sous une forme filmée.
A nous d’inventer « l’image de radio » qui respecte la radio ! Cette image de radio n’est pas une image que l’on regard, mais une image sur laquelle on jette un œil. C’est une dimension complémentaire à un programme, et c’est un axe de développement important.

EM@ : Que doivent faire les éditeurs de radios en France pour avoir un même référentiel, afin de lancer un « Radio Player » commun comme en Grande-
Bretagne ?
J. R. :
Il faut se parler, et évoquer le sujet ensemble. Nous sommes favorables à ce genre d’initiative, que j’ai découverte via l’UER [Union européenne de radio-télévision, ndlr] et son groupe de travail « new radio » dont je suis membre.

EM@ : Il y a un peu plus d’un an, le gouvernement décidait de ne pas préempter de fréquences RNT pour Radio France et RFI. Pourtant, Radio France est favorable à
la RNT, contrairement aux radios privées NRJ, RTL, Europe 1 et RMC : pourquoi ?
J. R. :
En terme de média et de loisirs culturels, tout ce qui peut se numériser se numérisera, la radio aussi. Radio France est favorable à un futur numérique, et n’est pas promoteur d’une technologie en particulier (RNT, DAB+, etc.). La radio numérique n’est pas une question technologique, c’est une question stratégique.
Nous avons besoin pour cela d’un consensus entre les acteurs du marché, consensus qui n’existe pas à l’heure actuelle. Mais nous sommes attentifs à la situation, notamment européenne, où la plupart des grands pays ont déployé des multiplex en DAB+.

EM@ : Maintenant que l’arrêté DAB+ a été publié le 28 août, le gouvernement
doit-il changer d’avis ? Croyez-vous en outre à la 4G pour diffuser en broadcast
la radio numérique en mobilité ?
J. R. :
Il appartient au gouvernement de prendre les décisions qu’il juge utile, au regard de la situation qui est complexe. Nous sommes à sa disposition, ainsi qu’à celle de tous les acteurs français de la radio pour en parler. Et quand on parle de l’avenir numérique de la radio, ce n’est pas pour supporter une technologie en particulier mais, à ce stade, d’être attentif à toutes les pistes.

EM@ : Les Assises de la radio – organisées par le ministère de la Culture et de
la Communication et la DGMIC (Premier ministre) – auront lieu le 25 novembre : qu’en attendez-vous ? Le plafond de concentration radio a-t-il un sens à l’heure du numérique ? Par ailleurs, le Sirti réclame 1.000 fréquences FM et celles du Mouv’ : qu’en pensez-vous ?
J. R. :
Tout ce qui fait que les acteurs de la radio discutent ensemble de l’avenir est bon, et les Assises de la radio arrivent à point nommé pour cela. Mais de mon point de vue,
il vaut mieux réfléchir ensemble à un avenir numérique, plutôt que de s’opposer sur un dividende analogique… @

ZOOM

Entre numérique et politique : Radio France en pleine transition
Alors que le mandat du PDG de Radio France, Jean-Luc Hees, se termine en mai 2014,
le groupe de radios publiques est en peine réorganisation du numérique pour adapter les 700 journalistes de la maison ronde au multimédia. Ce n’est pas une mince affaire pour la direction des Nouveaux médias de Joël Ronez. Mais cette évolution vers les nouveaux médias et « l’image de radio » – en plus de l’antenne (1) – se fait non sans mal avec les organisations syndicales, surtout dans cette période de transition (la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public doit être adoptée définitivement le 31 octobre). Parmi les noms de successeurs à Jean-Luc Hees, celui de Bruno Patinot, actuel directeur général délégué aux programmes, aux antennes et aux développements numériques de France Télévisions (à moins que la parité ne plaide en faveur d’une femme, comme Catherine Sueur). En attendant, France Inter et France Info font face à une érosion de leur audience, passant respectivement selon Médiamétrie de 11 % à 9,9 % et de 9 % à 8,2 % sur un an en avril-juin (voir p.10). @

 

RTL conteste à Europe 1 la place de n°1 du numérique

En fait. Le 7 novembre, Christopher Baldelli, président du directoire de RTL Radio depuis trois ans, était l’invité de l’Association des journalistes médias (AJM). Alors que son audience à l’antenne est menacée d’érosion, la première radio hertzienne de France entend « faire mieux » dans le numérique.

En clair. Christopher Baldelli ne supporte pas qu’Europe 1 se déclare « radio leader sur
le numérique ». Pour le président du directoire de RTL Radio en France, « Europe 1 n’est pas le leader du numérique ». « Si l’on regarde le nombre de podcasts et l’audience du site web, c’est nous qui sommes leader du numérique. (…) Nous allons communiquer pour le dire », a-t-il affirmé. S’il ne conteste pas que sa concurrente de Lagardère Active est la numéro 1 en nombre de podcasts téléchargés par mois, comme au mois d’octobre avec plus de 6,3 millions, contre 4,7 millions pour RTL (voir Indicateur p. 10), il estime que c’est en revanche loin d’être toujours le cas tous les mois pour le site europe.fr. Bien que ce dernier soit arrivé en tête des sites web de radio sur les mois de novembre (grâce à un bond de 48 % à 9,8 millions de visites (1), contre 8,3 millions pour rtl.fr qui décline de 2 %), le rapport est en effet inversé sur le mois précédent. En octobre, rtl.fr reprend la tête avec plus de 8,5 millions de visites (+ 2%), contre 6,6 millions pour europe1.fr (- 23 %), ce dernier ayant dépassé sa rivale au mois de septembre. Bref, pour Christopher Baldelli qui dirige la première radio hertzienne de France, Europe 1 – la quatrième radio hertzienne – ferait dans l’abus de langage. « Nous avons un meilleure classement, non seulement en podcast, où nous sommes passés de quatrième à second, mais aussi sur Internet », insiste le patron de RTL, qui édite aussi Fun Radio (4,9 millions de visites sur le site web en novembre) et RTL2 (1 million de visites).
Malgré cette polémique, Christopher Baldelli reconnaît que les podcasts et le streaming live (2) est « une écoute en plus ». C’est une aubaine pour les radios généralistes dont l’audience globale a perdu 1 point de part de marché sur un an, pendant que les radios musicales gagnaient 1 point. Surtout, c’est une source de rajeunissement de l’auditoire dont l’âge moyen pour une généraliste est de 57 ans. Or les 25-34 ans sont les plus nombreux à recourir à la catch-up radio. « Le podcast est un plus formidable, comme
la télévision de rattrapage que j’ai vécue avec M6 Replay (3). Mais la catch up est partie plus vite en télé ; elle progresse en radio », s’est-il félicité. Il a en outre annoncé que
M6 Publicité Digital sera la régie des sites web de RTL, RTL2 et Fun Radio dès
janvier 2013. @

Denis Olivennes, Lagardère Active : « Nous allons continuer à nous diversifier dans le e-commerce »

Président du directoire de Lagardère Active (Elle, Europe 1, Paris Match, JDD, MCM, …) depuis un an, Denis Olivennes (notre photo) veut accélérer dans le numérique qui représente moins de 85 millions d’euros sur 1 milliard de chiffre d’affaires. Ainsi, Elle va passer de la boutique à une « place de marché ».

Par Charles de Laubier

Lagardère Active a beau être le premier éditeur de presse magazine en France, numéro un de la presse féminine avec Elle, premier groupe de média sur Internet et premier groupe français en production audiovisuel, il n’en reste pas moins encore lilliputien dans le numérique.
Sur le milliard de chiffre d’affaires généré par Lagardère Active, le digital pèse en effet tout juste 8,5 %. Le problème est que ce taux n’a pas vraiment progressé depuis les 7 % constatés en 2010 puis en 2011, malgré l’objectif fixé à l’époque par Didier Quillot d’atteindre les 10 % des revenus avec le numérique (1).

« Nous cherchons des acquisitions futures de plates-formes à forte audience ou de petits sites comme tv-replay.fr, du moment qu’ils soient en croissance et rentables, et vendus
à des prix raisonnables … »

 

De l’éditorial au commercial
Aujourd’hui, Denis Olivennes, son successeur depuis un an, veut accélérer le rythme
et l’a expliqué le 30 novembre dernier lors d’un déjeuner de l’Association des journalistes médias (AJM) : « Nous allons diversifier nos offres et nos contenus avec
le e-commerce. Internet nous permet d’obtenir des données quantitatives sur les consommateurs et clients, ce qui nous donne des perspectives fabuleuses », s’est enthousiasmé le président du directoire de Lagardère Active.
L’hebdomadaire Elle, qui est édité en France par la filiale Hachette Filipacchi Presse à plus de 500.000 exemplaires pour plus de 380.00 payés (chiffre OJD), va pousser les feux dans ce sens. « Nous allons générer de nouveaux revenus avec des sites de shopping, à commencer avec le magazine Be [passé en octobre d’hebdomadaire à mensuel, ndlr], puis avec Elle. Il s’agira d’y développer une place de marché, qui vendra en ligne des vêtements par exemple », a-t-il expliqué.

Monétisation de l’audience
Monétiser les 18,9 millions de visiteurs par mois Le site elle.fr, dont Denis Olivennes n’a pas voulu dire s’il était enfin rentable, enregistre au mois d’octobre (d’après l’OJD) plus
de 4,7 millions de visites sur le web et 2 millions de visites sur l’application mobile, a déjà mis un pied dans le e-commerce : ellepassions.fr y vend vêtements, chaussures, sacs, accessoires ou encore lingerie. Et be.com n’est-il pas à lui seul une boutique en ligne avec son « panier », plutôt qu’un journal avec des articles ?
Cette stratégie éditoriale et commerciale, que d’aucuns pourraient considérer comme mercantile et antinomique avec le coeur éditorial des journaux, va être généralisé à d’autres titres de Lagardère Active afin de « monétiser l’audience Internet ». Selon les derniers chiffres en date de Médiamétrie, l’ensemble du groupe Lagardère Active totalise avec ses différents sites web plus de 18,9 millions de visiteurs uniques en septembre 2012 (Médiamétrie).

Les tablettes pour les « consommateurs »
Ainsi, au cours du déjeuner de l’AJM, Denis Olivennes a plus parlé de « clients » et de
« consommateurs » que de lecteurs ou d’auditeurs. Il a même glissé dans ses propos
le terme de « commercialité ». C’est une tendance de fond pour les « marques » de médias qui, à l’instar de Lagardère Active, ont décidé de diversifier leurs activités autour de leurs titres emblématiques. D’autres médias se sont déjà engagés dans cette voie, comme le groupe Le Figaro que Francis Morel a diversifié dans des sites web commerciaux (petites annonces, billetterie, assurance, santé-bien être, immobilier, locations de vacances, construction de maisons, golf, …) avant de diriger le groupe Les Echos. Le site web du quotidien économique fait lui aussi dans le e-commerce avec par exemple le Wine Club (vente de vins).
Après être avoir été de 2003 à 2008 PDG de la Fnac, Denis Olivennes devrait mettre à profit dans le groupe de médias Lagardère son expérience acquise dans la distribution commerciale. « Il nous faut fabriquer des audiences et des communications, et les monétiser », explique celui qui cumule depuis un an les fonctions de président du directoire de Lagardère Active et PDG d’Europe 1. « Grâce aux tablettes telle l’iPad
pour lesquelles il y a un appétit croissant des clients, nous pouvons atteindre directement le consommateur final.
Cela nous donne de nouvelles perspectives, alors que le coût de fabrication-distribution [des versions imprimées] et la disparition progressive des points de ventes posent problème », a-t-il justifié. Lagardère Active est en outre présent depuis avril dernier
sur le News-stand d’Apple et, révèle Denis Olivennes, sur le point de rejoindre « sans exclusivité » le kiosque numérique ePresse. A noter en outre que l’hebdo Elle est déjà vendue sur lekiosk.fr, l’un des concurrents de ce dernier, ainsi que sur relay.com, le kiosque numérique maison géré par Lagardère Services. Télé 7, Public et Gulli, Paris Match ou encore Elle à Table ont leur applications pour tablettes.
Pour le Journal du Dimanche (JDD), qui a difficultés à être vendu en kiosque le dimanche justement, les tablettes sont aussi considérées par Denis Olivennes comme « un support d’avenir ». Pour l’heure, deux marques du groupe sont inscrites dans la mesure des applications pour tablettes par Médiamétrie. Ainsi sur le mois d’octobre, Télé 7 Jours enregistre 266 602 visiteurs uniques (pour plus de 2,2 millions de visite)
et la chaîne Gulli (dont France Télévisions détient 34 % du capital) 82.176 visiteurs uniques (pour près de 409.000 visites). Denis Olivennes veut capitaliser sur les marques-phares de Lagardère Active pour conquérir directement des consommateurs sur leurs tablettes. Le « second écran » que représente justement la tablette n’aurait-il pas été un bon vecteur de télé-shopping si le projet de Elle TV sur la TNT gratuite n’avait pas été rejeté par le CSA en mars dernier ? « La décision du CSA [qui reproche à Lagardère d’avoir revendu Virgin 17 à Bolloré, ndlr] m’a laissé fort marri », a regretté Denis Olivennes.
Si les ambitions de brand factory revendiquées par le groupe coté Lagardère jusque
dans son document de référence, semblent contrariées sur la TNT, elles vont se renforcer sur Internet à coup d’acquisitions. Après les rachats de Newsweb en 2006 (sports.fr, football.fr, …) et de doctissimo.fr en 2008 (36 millions de visites en octobre dernier et une chaîne YouTube depuis le 15 octobre), Lagardère Active s’est emparé cette année de leguide.com, « leader européen des comparateurs de shopping ».
Et ce n’est pas fini : « Nous cherchons des acquisitions futures de plates-formes à forte audience ou de petits sites comme tv-replay.fr [site de télévision de rattrapage racheté
en janvier 2012, ndlr], du moment qu’ils soient en croissance et rentables, et vendus à
des prix raisonnables… », a-t-il indiqué. Cette croissance externe pourrait permettre à Lagardère Active d’atteindre enfin son objectif de 10 % de ses revenus dans le numérique. Cela suffira-t-il à compenser le recul des recettes publicitaires ? @

ZOOM

Les « accords Olivennes » ont 5 ans, mais pas de filtrage du Net en vue…
Sans doute pour remercier Denis Olivennes de l’avoir soutenu via le mouvement des Gracques (de gauche) lors de sa campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy
lui avait confié une mission de lutte contre le piratage en ligne. Ces travaux ont abouti
aux accords de l’Elysée – alias accords Olivennes – signés près d’une cinquantaine d’organisations professionnelles le 27 novembre 2007. Ils sont à l’origine des deux lois Hadopi de 2009. On connaît la suite. Seule une « mesure Olivennes » tarde encore à être mise en oeuvre : le filtrage des réseaux, que l’ancien président de la République appelait pourtant de ses voeux (lire EM@47). Orange, SFR, Free ou encore Numericable s’y étaient engagés. @

Augmented Journalism

« Eh ! Viens voir ce numéro du Monde ! Et celui-ci du Financial Times ! ». Cette amie, qui me tire par la manche pour me montrer journaux et magazines, n’est pas devant un kiosque d’un autre temps. Non, ce matin nous sommes allés chiner aux puces. Et ce sont des exemplaires d’une presse papier déjà un peu jaunis qu’elle me montre avec les yeux brillants du collectionneur averti. C’est presque en la portant que je la ramène chez moi, à moitié évanouie d’émotion à la vue d’une Remington portative bien fatiguée ! Ce sont des symboles d’une aventure extraordinaire, celle de journalistes du quotidien ou enquêteurs au long cours, qui nous informèrent ou nous firent rêver, à l’aide d’une feuille, d’un stylo
ou d’un simple clavier. Cette nostalgie de la presse d’antan ne dure qu’un instant car un nouvel âge d’or du journalisme se dessine. Si, durant cette longue transition numérique, les rédactions ont perdu des dizaines de milliers de journalistes, peu à peu ce journalisme « diminué » par la crise se transforme en un journalisme « augmenté ». Ce journaliste
d’un nouveau genre est, comme ses anciens, toujours sur le terrain. Un terrain lui aussi augmenté, tout à la fois monde physique et monde numérique. Pour en arriver là, il a bien fallu que les professionnels de l’info prennent en main ces nouveaux outils qui leur firent d’abord si peur. D’autant que Monsieur Tout-le-monde remettait en cause leur statut en blogant, en tweetant, en commentant en ligne l’actualité ou en envoyant aux rédactions des photos ou des vidéos prises dans l’instant.

« Cette nostalgie de la presse d’antan ne dure qu’un
instant car un nouvel âge d’or du journalisme se
dessine, à la fois physique et numérique »

Le premier direct sur smartphone diffusé en 2014, à la fois sur une chaîne de télévision
et sur un site de partage vidéo, est encore dans toutes les mémoires. C’est aujourd’hui banal, depuis que des rédactions pionnières, comme celle du New York Times, choisirent dès 2012, d’équiper leurs journalistes de smartphones et de tablettes. La BBC, elle, dota ses envoyés spéciaux d’une application leur permettant de transférer les vidéos, clichés et sons directement vers le système interne de la chaîne mais également en direct à l’antenne. Bel et bien sinistrée, cette profession a finalement réussi à sortir par le haut en puisant aux sources de ce qui est l’essence et la noblesse de ce métier : même bardés
de ces nouveaux outils, la mission ultime de nos journalistes reste bien de trier parmi des informations pléthoriques, d’authentifier, de hiérarchiser et d’analyser l’actualité. Et en plus de la banalisation d’un accès à une information libre et gratuite, il leur fallait également se positionner par rapport à ce nouvel avatar de la technologie qu’est le data journalism.
Des algorithmes transforment des données brutes en articles et alimentent en flux continus journaux et sites Internet, notamment dans les domaines du sport (à partir de statistiques) ou des affaires (à partir de bilans comptables). Des pionniers pouvaient, dès 2012, générer des articles dans différents tons, comme Automated Insights qui fournissait des clients aussi prestigieux que Forbes ou que Narrative Science produisant une avalanche d’articles sur 370.000 matchs de base-ball de ligues mineures.
Cernés par la banalisation d’un côté et l’automatisation de l’autre, nos journalistes n’ont dû leur salut qu’à l’avènement d’un nouveau type de rédactions capables de repenser de fond en comble la ligne éditoriale et la mise en rubriques de leurs articles, dans un contexte de diffusion résolument multimédia. Les rédactions travaillent désormais en trois dimensions, déclinant chaque info en fonction du support, de la rubrique et du moment de la journée. Les breaking news ne sont-elles pas d’abord attendues sur les smartphones ? Dans
cette presse, désormais plus numérique que papier, coexistent plus que jamais de grands groupes de médias et une myriade de nouveaux titres qui explorent les potentialités de
ce nouveau journalisme exigeant. Le papier n’a pas disparu mais il est réservé à des publications de niches, de haut de gamme ou encore de titres au lectorat vieillissant encore attaché au papier. Sans oublier les collectionneurs qui sont à l’affût de ce qui pourrait être le dernier numéro papier d’un grand quotidien du soir. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’exception culturelle française
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Programme du prochain DigiWorldSummit :
www.digiworldsummit.com

L’AFP n’exclut pas une offre de dépêches sur Internet

En fait. Le 26 juin, en marge du colloque NPA-Le Figaro sur les médias et le numérique, Edition Multimédi@ a demandé à Emmanuel Hoog, PDG de l’AFP, s’il prévoyait de diffuser les dépêches sur Internet et les mobiles pour concurrencer
les autres agences mondiales (Reuters, AP, Bloomberg, …) qui le font déjà.

En clair. « Je ne sais pas… », a répondu le patron de l’Agence France-Presse (AFP). Autant dire qu’il n’exclut toujours pas cette perspective de proposer au grand public des dépêches directement sur Internet, les mobiles et les tablettes. C’est du moins ce qu’il envisage depuis qu’il a été nommé il y a plus de deux ans (1) à la tête de la troisième agence de presse mondiale, malgré l’opposition des éditeurs de presse. « Je n’ai jamais dit que nous mettrions les dépêches AFP sur Internet », nous a-t-il cependant assuré.Pourtant, lors de la présentation le 27 janvier 2011 de ses priorités 2010-2020, il avait déclaré : « La présence de l’AFP sur Internet est une question légitime et notre marque doit se développer à l’extérieur sur les modèles de croissance comme l’iPad, l’iPhone et Internet ». Sans faire comme l’agence italienne ANSA et ses 450 dépêches en ligne par jour, il avait parlé d’ »une centaine de dépêches par jour ».
Depuis que le statut de l’AFP a été modifié par l’article 100 d’une loi datée du 22 mars 2012 – afin de lui confier des « missions d’intérêt général » (2) et justifier ainsi aux yeux de la Commission européenne le financement qu’elle reçoit en « compensation » de l’Etat (3) –, qu’est-ce qui empêche maintenant l’AFP de concurrencer ses rivaux mondiaux sur ce terrain-là ?

Le patron de l’AFP ronge son frein depuis sa nomination en 2010
Emmanuel Hoog avait prévenu dans La Correspondance de la Presse dès juillet 2010 : « Il serait absurde que la troisième agence mondiale n’ait pas une application sur iPad, sur les smartphones, ainsi qu’un site Internet. (…) Comment imaginer qu’AP et Reuters lancent des applications en français sur les appareils mobiles et pas l’AFP ? ». Puis le 2 septembre 2010, dans une interview au Monde, il expliquait vouloir « sortir d’un système strict où les agences vendent des contenus aux journaux, qui les vendent au grand public ».
Pour l’heure, Emmanuel Hoog s’en tient à des offres grand public très ciblées et à des partenariats avec des clients ou non (Google/YouTube, Relaxnews, TV5Monde, …), ou à des outils comme E-Diplomatie pour un suivi sur Twitter. Dans six mois, il décidera si Ediplomacy.afp.com deviendra payant ou s’il restera gratuit pour tous. Mais une chose est sûre : « Il faut sortir d’une logique de grossiste. (…) L’AFP n’évolue plus dans un jardin à ma française [bien ordonné] mais dans un jardin à l’anglaise [qui l’est moins] », a-t-il dit lors de son intervention au colloque NPA. @