Industries culturelles face aux géants de l’Internet

En fait. Le 2 décembre, le Groupement européen des sociétés d’auteurs et
de compositeurs (Gesac) – dont Jean-Noël Tronc (DG de la Sacem) est vice-président – a remis à la Commission européenne une étude confiée à EY
et intitulée « les secteurs culturels et créatifs européens, générateurs de croissance ».

En clair. L’étude de EY (ex-Ernst & Young) a été remise le 2 décembre aux commissaires européens Andrus Ansip, en charge du Marché unique numérique, Günther Oettinger, à l’Economie numérique, et Tibor Navracsics, chargé de la Culture et l’Education, alors que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a demandé aux deux premiers de « casser les silos nationaux dans (…) le
droit d’auteur » (1).
La Gesac, qui regroupe 34 sociétés d’auteurs européennes – dont en la France la Sacem (musique), la Scam (multimédia) ou encore l’Agagp (arts graphiques) – et
ses partenaires de « Creating Europe » (2) sont, eux, venus défendre la propriété intellectuelle et les revenus des créateurs qu’ils considèrent « menacés par les intermédiaires Internet qui en tirent d’énormes bénéfices sans en donner une juste part aux créateurs ». Ce plaidoyer en guise de lobbying culturel intervient alors que l’exécutif européen n’a pas renoncé à réformer la directive dite IPRED sur les droits de propriété intellectuelle – d’ici 2016. « Le droit d’auteur n’est un obstacle qu’à la domination d’une poignée d’acteurs géants », a même dit aux commissaires Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition (SNE). Cette étude européenne porte sur les onze marchés culturels. A savoir, dans l’ordre décroissant en valeur – « chiffres d’affaires », subventions et aides publiques comprises – sur un total de 535,9 milliards d’euros en 2012 : Arts visuels (127,6), Publicité (93), Télévision (90), Journaux/magazines (70,8), Livres (36,3), Architecture (36,2), Spectacle vivant (31,9), Musique (25,3), Cinéma (17,3), Jeux vidéo (16) et Radio (10,4). « Les technologies numériques ont renforcé
les liens et multiplié les collaborations entre les secteurs ».

World War Web

Si certains rêvent toujours de retrouver la liberté en ligne des premiers âges, l’Internet est encore régulièrement secoué par des guerres entre puissants qui prétendent à son contrôle. Comme ces cités antiques ou places fortes médiévales qui verrouillaient les voies de communication stratégiques, les géants actuels du Net tentent de verrouiller les portes d’accès du Web. La première bataille de cette histoire des conquêtes du Net a été celle des
« portails » que remporta Yahoo, l’un des premiers champions à imposer un modèle pour accéder aux pages web. Microsoft, lui, gagna contre Netscape celle des navigateurs avec son ultra dominant Internet Explorer.
Tandis que Google mit tout le monde d’accord, ou presque, avec son moteur de recherche. C’est ensuite l’outsider Facebook qui imposa le réseau social comme une nouvelle voie d’accès aux contenus, et c’est de nouveau Google qui prit le contrôle de l’Internet mobile en imposant Android comme l’OS (Operating System) de référence.
La décennie suivante, la nôtre, a été celle de la guerre des plateformes.

Comme ces cités antiques ou places fortes médiévales,
les géants du Net tentent de verrouiller les portes
d’accès du Web.

Numericable SFR (Altice) : spectre du surendettement

En fait. Le 18 novembre, Jean-Yves Charlier, PDG de SFR, a envoyé un e-mail interne à l’ensemble des salariés du groupe pour leur annoncer le nouveau comité exécutif (Comex) de ce qui devient « Numericable SFR » le 28 novembre. Patrick Drahi, à la tête d’Altice – la maison mère – en sera le président.

En clair. Le milliardaire franco-israélien du câble Patrick Drahi, président d’Altice qui
est la maison maire luxembourgeoise du nouveau groupe Numericable SFR, devient
le numéro deux des télécoms en France – mais aussi le numéro un français de l’endettement. Le 18 novembre, le jour même de l’annonce au salariés de la nouvelle direction de Numericable SFR, l’agence de notation financière Standard & Poor’s (S&P’s) abaissait la perspective de la société Altice de « stable » à « négative » – tout en maintenant sa note « B3 » à long terme. En octobre dernier, S&P’s avait placé Altice dans la catégorie dite « spéculatif » avec la note B+ de sa dette à long terme. Cette dégradation d’Altice est justifiée par les risques liés à sa politique active d’acquitions très coûteuses : SFR aujourd’hui pour 13,5 milliards (avec un complément possible de 750 millions d’euros), Portugal Telecom demain pour 7 milliards si l’offre aboutissait, Virgin Mobile (premier MVNO français valorisé 325 millions d’euros) et un intérêt affiché le 20 novembre – lors d’une conférence de Morgan Stanley – pour Bouygues Telecom (valorisé jusqu’à 5milliards d’euros). L’agence financière pointe notamment le risque
de dégradation des ratios de crédit d’Altice, notamment si « la pression sur les marges d’Altice étaient plus importantes que prévu ». La concurrence accrue sur le marché français des télécoms, y compris de la part des acteurs OTT (Over-The-Top) venus
du Net, pourrait peser sur la rentabilité de la maison mère. L’autre agence de notation Moody’s a d’ailleurs maintenu le 12 novembre sa perspective « négative » sur les télécoms européens.

Internet devrait tourner à la guerre des plateformes

En fait. Le 19 novembre, l’Idate a présenté – lors du DigiWorld Summit qu’il organisait à Montpellier – ses quatre scénarios pour le futur d’Internet d’ici à 2025. Son auteur, Vincent Bonneau, directeur Internet de l’institut, a indiqué
celle qui était « la plus probable : la guerre des plateformes ».

En clair. « La guerre des plateformes est déjà engagée mais pourrait être exacerbée », prévoit Vincent Bonneau, directeur des études Internet à l’Idate. Dans ce scénario « le plus probable », la guerre des plateformes n’aura pas lieu uniquement avec les acteurs du Net que l’on connaît – Google, Facebook, Amazon, … – mais aussi avec de nouveaux entrants dans le numérique tels que des géants de la distribution comme l’américain Walmart, le britannique Tesco ou encore le français Carrefour. « Ces grands retailers sont par exemple déjà les numéros deux ou trois de la VOD sur leur marché respectif, et ont commencé à faire des acquisitions dans le cloud ou la publicité en ligne ciblée », a-t-il souligné. Mais ce scénario de guerre entre les plateformes se déroule actuellement dans un monde très contrôlé : « On était parti sur un Internet assez ouvert, puis on a refermé beaucoup de chose grâce aux OS (Operating Systems) des mobiles. Avec les smartphones et les tablettes, on est revenu à un monde un peu comme “AOL” d’il y a quinze-vingt ans, avec des solutions et des écosystèmes relativement contrôlés », a fait remarquer Vincent Bonneau. Les trois autres scénarios sont : « l’innovation ouverte » (le mieux disant en terme de croissance), « les îles low-cost» (concentrés sur les services les plus disruptifs) et « la confiance contre paiement » (présenté comme un scénario de « début de chaos numérique » avec des solutions ultra-sécurisées payantes). @

Canal+ fête ses 30 ans sur fond d’attrition d’abonnés

En fait. Le 4 novembre, Canal+ a fêté ses 30 ans et compte aujourd’hui 9,4 millions d’abonnés en France, dont 6 millions d’abonnés individuels et 520.000 abonnés à CanalPlay, les 2,88 millions restants étant des abonnements collectifs. Mais Netflix et BeIn vont lui faire perdre encore plus d’abonnés.

En clair. Canal+ à 39,90 euros par mois pourrait perdre jusqu’à 400.000 abonnés dès l’an prochain, en raison de la concurrence des 7,99 euros à 11,99 euros de Netflix, d’une part, et des 12 euros pour BeIN Sports, d’autre part. C’est l’hypothèse la plus pessimiste qu’avance Arthur Kanengieser, chercheur à l’école des Mines ParisTech, dans son étude intitulée « Après Netflix » publiée en septembre (1).
Selon lui, c’est CanalSat – le bouquet de télévision par satellite et ADSL de Canal+ – qui est le premier impacté. « Le nombre d’abonnements à Canal+ est resté stable,
au prix d’un coût de grille en hausse (+ 9,2 % entre 2008 et 2012), alors que CanalSat perd 300.000 abonnements entre 2012 et 2013. Les causes sont multiples (arrivée des chaînes TNT, concurrence des bouquets proposés par les FAI, …), mais l’une d’elles est révélatrice d’un nouveau jeu concurrentiel : la concurrence de BeIN Sports [du groupe de médias qatari Al-Jazeera] sur l’offre football de CanalSat, Sport+ », explique-t-il. Et depuis le lancement de Netflix le 15 septembre, CanalSat a un sérieux rival pour son offre Ciné+. Globalement la filiale de télévision du groupe Vivendi est victime d’attrition, c’est-à-dire de la perte d’abonnés : selon nos constatations, le taux de résiliation (churn) de la chaîne cryptée en France augmente sérieusement à environ
15 % cette année, contre tout juste 11 % en 2010. Pour contreattaquer, Canal+ veut lancer une offre directement sur Internet, en OTT (2), et son président Bertrand Meheut se verrait bien fédérer des partenaires de la SVOD française – dont Orange – autour
de CanalPlay pour contrer Netflix.