Imaginez que Netflix rachète EuropaCorp, la mini-major française de Luc Besson en difficulté

EuropaCorp, la société de production de Luc Besson, baptisée ainsi il y aura 20 ans cette année, va-t-elle survivre ? La procédure de sauvegarde, ouverte l’an dernier par le tribunal de commerce de Bobigny, s’achève le 13 mai. D’ultimes discussions sont en cours pour « une éventuelle prise de participation au capital », voire plus si affinitées.

Il y a deux ans, le 30 janvier 2018, le magazine américain Variety révélait des discussions entre Netflix et EuropaCorp. Le numéro un mondial de la SVOD était non seulement intéressé à ce que Luc Besson (photo) produise des films en exclusivité pour sa plateforme (des « Netflix Originals »), mais aussi par le rachat éventuel de la totalité du catalogue d’EuropaCorp (valorisé à l’époque 150 millions d’euros), voire par une entrée au capital de la minimajor du cinéma français. A l’époque la société de production de Saint-Denis, plombée par les performances décevantes du film à très gros budget « Valérian et la Cité des mille planètes » (sorti en juillet 2017 et ayant coûté 200 millions d’euros), était lourdement endettée de plus de 235 millions d’euros (1). Vingt-quatre mois plus tard, Netflix n’a toujours pas racheté EuropaCorp. Mais l’entreprise de Luc Besson n’a cessé depuis d’être en difficulté financière, malgré une dette nette ramenée à 163,9 millions d’euros au 30 septembre 2019. Au bord de la faillite, elle a obtenu en mai 2019 une procédure de sauvegarde auprès du tribunal de commerce de Bobigny, lequel l’a prolongée à deux reprises – soit jusqu’au 13 mai 2020. EuropaCorp a justifié ce sursis supplémentaire pour lui permettre de « finaliser son plan de sauvegarde » mais aussi « compte tenu de la confiance qu[e le conseil d’administration présidé par Luc Besson] a dans l’issue positive des discussions actuellement en cours, avant l’expiration de la période d’observation ».

« Anna », le film français le plus vu à l’étranger
Dans ses résultats financiers semestriels publiés en décembre, la mini-major française indique en effet que « plusieurs groupes ont marqué leur intérêt pour une éventuelle prise de participation au capital de la société ». Il n’en faut pas plus pour spéculer sur un éventuel regain d’intérêt de Netflix pour EuropaCorp, deux ans après les premiers pourparlers. Imaginez le fleuron du 7e Art français se jetant dans les bras du géant américain de la SVOD, qui est aussi producteur mondial de séries et de films originaux dignes, pour certains, de grands blockbusters hollywoodiens. Même au plus bas, Luc Besson est le numéro un du cinéma français à l’international ! « Le film français le plus vu hors Hexagone en 2019 est “Anna” », révèle le rapport annuel d’UniFrance publié le 16 janvier.

Vine Investment, FF Motion Invest, …
Avouez que cela créerait un électrochoc sans précédent dans le petit monde de « l’exception culturelle française ». Surtout au moment où va se présenter, à partir d’avril prochain devant le Parlement, le projet de loi sur l’audiovisuel – « relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique » – qui va soumettre les plateformes vidéo de type Netflix à une obligation de financer des productions cinématographiques et audiovisuelles françaises. Et ce, à hauteur d’au moins 25 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France (3). A cet égard, le catalogue d’EuropaCorp serait un bon parti pour Netflix, dont le patron fondateur Reed Hastings a inauguré le 17 janvier dernier de nouveaux locaux à Paris (quatre ans après en être parti) et présenté de nouveaux projets de productions françaises (« Bigbug », « Sentinelle », …). Il ne manquerait plus qu’à annoncer un accord Netflix- EuropaCorp pour le prochain Festival de Cannes, lequel s’ouvrira le 13 mai – le même jour que l’expiration de la période d’observation à Bobigny…
Une chose est sûre : les membres du conseil d’administration d’EuropaCorp se sont mis d’accord fin 2019 sur « le principe de continuité d’exploitation » de l’entreprise, espérant bien que les « discussions actuellement en cours » aboutissent. Ce n’est pas la première fois que Luc Besson, PDG et premier actionnaire d’EuropaCorp (à 31,5 % via essentiellement sa holding personnelle Front Line), discute avec des investisseurs potentiels. Au printemps dernier, EuropaCorp avait confirmé des négociations avec Pathé, le groupe de Jérôme Seydoux, intéressé par une entrée à son capital (4). Mais cette « marque d’intérêt » s’est heurtée aux créanciers qui imposaient « plusieurs conditions préalables », dont un accord sur la « restructuration des dettes existantes » d’EuropaCorp. Aussitôt, la machine à rumeurs s’est remise en route avec le Journal du Dimanche affirmant le 14 juillet 2019 que Luc Besson s’en remettait finalement au fonds d’investissement américain Vine, l’un de ses créanciers depuis 2014. Le jour-même, la mini-major française de Saint-Denis confirmait cette fois encore l’information en parlant là aussi d’une éventuelle « prise de participation » sans préciser s’il s’agit d’une vente : « L’éventuelle mise en œuvre de cette opération suppose notamment la recherche d’un accord avec les prêteurs séniors et la présentation d’un plan de sauvegarde au tribunal de commerce de Bobigny », précise EuropaCorp à cette occasion (5). Le prochain plan de sauvegarde que compte présenter au tribunal de commerce de Bobigny, avant l’expiration de la période d’observation, consiste à renforcer les capacités financières de l’entreprise par une augmentation de capital. Le chinois Fundamental Films, deuxième actionnaire d’EuropaCorp (aujourd’hui à 27,8 %) depuis l’entrée au capital de sa filiale FF Motion Invest en novembre 2016, pourrait y contribuer aussi. Cette société de production et de distribution de films basée à Shanghai a signé avec EuropaCorp en juillet 2012 un output deal de trois ans, renouvelé depuis jusqu’au 9 juillet 2020. Netflix fera-t-il partie du tour de table en guise de ticket d’entrer pour accéder au catalogue de plus de 110 films produits par Luc Besson (dont 10 des 20 plus grands succès français à l’international) ? En tout cas, Luc Besson voit dans la SVOD – avec ou sans partenariat ou actionnariat avec Netflix – un avenir pour EuropaCorp. « La société estime qu’elle est en position de profiter des opportunités de croissance de la SVOD à moyen et long terme », assure-t-elle dans son rapport financier de l’année fiscale 2018/2019 (au 31 mars), publié en juillet dernier. « De nombreux pays ont vu les pouvoirs publics et les professionnels du secteur mettre progressivement en place un régime mi-conventionnel, miréglementaire (…). Ces régimes sont en pleine évolution aujourd’hui à la suite du succès des plateformes SVOD : autorisation de la PSVOD (Premium SVOD) au France, nouvel accord sur la chronologie des médias en France signé le 21 décembre 2018 », se félicite-t-elle. Mais à court terme, l’effet SVOD est loin d’être un relais de croissance pour la mini-major française : elle s’attend pour la cinquième année consécutive à clôturer le 31 mars prochain un exercice déficitaire, avec une chute de son chiffre d’affaires 2019/2020 (contre 149,9 millions d’euros en 2018/2019).

L’après-2018, annus horribilis
Le recul 2019/2020 d’EuropaCorp a déjà largement été amorcé au cours du premier semestre de cet exercice en cours, avec des revenus moitié moindres (à 40,7millions d’euros) et une perte semestrielle cependant trois fois moins élevée qu’un an auparavant (22,7 millions d’euros). EuropaCorp poursuit son désendettement, après des licenciements en 2018 (22 personnes, dont l’assistante de Luc Besson pour « faute grave », contestée devant la justice) et des cessions telles que la production TV américaine vendue la même année à Mediawan. En Bourse, la mini-major française vaut maintenant à peine plus de 30 millions d’euros. @

Charles de Laubier

Netflix déclare sa flamme au cinéma français, tout en espérant beaucoup de la future loi sur l’audiovisuel

« On aime profondément le cinéma ; on veut travailler avec vous ! », a lancé Marie-Laure Daridan, directrice des relations institutionnelles de Netflix France, lors des 29es Rencontres cinématographiques de Dijon. La première plateforme mondiale de SVOD, aux 6 millions d’abonnés en France, fait « une lecture très positive » de la future loi audiovisuelle.

Il y a cinq ans, tout juste après le lancement de Netflix en France, intervenait Janneke Slöetjes aux 28es Rencontres cinéma-tographiques de Dijon (RCD). Mais la directrice des affaires publiques de Netflix Europe avait à l’époque botté en touche sur les intentions du géant mondial de la SVOD envers le cinéma français. Cette fois, lors des 29es RCD qui se sont déroulées du 6 au 8 novembre, c’est Marie-Laure Daridan (photo), directrice des relations institutionnelles de Netflix France depuis dix mois, qui a fait le déplacement à Dijon à l’invitation de L’ARP, société civile d’auteurs, de réalisateurs et de producteurs (1), organisatrice de cet événement annuel. Pour la première fois, la firme de Reed Hastings – disposant à nouveau de bureau en France depuis un an (2) – s’est déclarée prête à coopérer avec le cinéma français dans la perspective de la future loi sur l’audiovisuel. « Nous faisons une lecture très positive de la loi (audiovisuelle) française, car elle va parfaitement dans le sens de nos objectifs et de la réalité de Netflix en France. La France occupe une place particulière pour Netflix, de par la diversité et la richesse de ses talents, de par sa créativité et son exception culturelle », a assuré Marie-Laure Daridan devant les professionnels du 7e Art français.

Une quinzaine d’œuvres françaises financées en 2019, autant en 2020
« Il y a dix ans, notre métier était la location de DVD par la poste : on évolue, on s’adapte, on apprend en marchant, et on veut travailler avec vous ! », a-t-elle lancé. Netflix dépasse aujourd’hui les 6 millions d’abonnés en France, conquis depuis son lancement en septembre 2014. « La raison d’être de Netflix en France est claire, a-t-elle expliqué. Il s’agit de développer des contenus locaux, avec des talents locaux, au plus près de notre audience locale, et d’offrir à ces contenus une fenêtre d’exposition assez inédite sur le monde auprès de nos 158 millions d’utilisateurs dans plus de 190 pays. Notre investissement en France est déjà significatif puisqu’en 2019 nous aurons commissionné une quinzaine de projets originaux ». Il y a bien sûr beaucoup de séries comme « Marianne » ou « Mortel » cette année et « La Révolution » ou « Arsène Lupin » l’an prochain, mais aussi des films tels que « Braqueurs », « Banlieusards » ou « Le Chant du loup ».

Final cut : Netflix dit respecter le droit moral
Netflix coproduit aussi, notamment la série « La Bazard de la charité » avec TF1, qui la diffuse en première exclusivité à partir du 18 novembre. La série « Mortel », en ligne à partir du 21 novembre, est écrite par un jeune diplômé de la Fémis et coproduite par Netflix associé à Mandarin Télévision. « Ce sont des investissements importants qui ont vocation à croître. Les contenus locaux sont immédiatement traduits en 30 langues et mis à disposition sur Netflix sur l’ensemble des territoires. Ce qui contribue de manière significative à les exporter et à les faire rayonner, tout en valorisant la création française dans le monde », a insisté Marie- Laure Daridan. Exemple : sept jours après sa mise en ligne le 12 octobre, le film « Banlieusards » été vu par plus de 2,6 millions de foyers à travers le monde. Et « Le Chant du loup » est l’un des films internationaux non anglais qui a le mieux marché dans le monde. « Notre ambition éditoriale est forte : nous voulons prendre des risques, explorer de nouveaux genres, de nouvelles formes d’écriture, travailler avec de nouveaux talents. Nous voulons aussi donner toute sa place à la diversité de la société, devant et derrière la caméra », a-t-elle poursuivie, en recitant la série « Mortel ». La directrice des relations institutionnelles de Netflix France a aussi voulu dissiper tout malentendu sur le droit moral des auteurs. Le réalisateur, scénariste et acteur français Pierre Jolivet, président de L’ARP, a amené le problème sous un angle polémique : « Netflix a fait beaucoup de productions en France sur des contrats où Netflix disposait du final cut, a-t-il reproché. Alors qu’en France, le droit moral prévoit – le cinéma étant à cheval entre l’industrie et l’art – que le film est terminé lorsque le producteur et le réalisateur se sont mis d’accord. Netflix n’a pas suivi cette disposition car vous aviez un rapport un peu léonin (3) avec les réalisateurs, jeunes pour la plupart, qui ne se voient pas faire un procès à Netflix parce qu’ils ont signé un contrat contre la loi française ». Marie-Laure Daridan a joué l’apaisement en laissant entendre que là aussi Netflix avait évolué en France : « Il n’y a pas de renonciation au droit moral dans nos contrats pour des productions de Netflix en France. C’est important de le souligner. Parce que les choses vont très vite et que Netflix – où je suis depuis dix mois – évolue ; la perception a un petit retard sur la réalité aujourd’hui ». Le projet de loi sur l’audiovisuel, qui sera présenté en conseil des ministres le 4 décembre puis débattu à l’Assemblée nationale à partir de février 2020, prévoit la protection de ce droit moral. Concernant cette fois les taux d’investissement dans la création, qui seront inscrits dans les conventions signées avec la future Arcom (4), un décret fixera les planchers. « On veut que ce taux ne soit pas endessous de 16 %, en souhaitant que cela soit largement au-dessus », avait indiqué le ministre de la Culture, Franck Riester, le 3 septembre dernier (5). « Nous avons choisi d’investir en France avant d’être obligé, car on croit à la création française, a déclaré Marie-Laure Daridan. La loi va dans le sens de l’intention qui est la nôtre en France. On paie par ailleurs la taxe de 2 % du CNC et on prend note de l’augmentation de cette taxe à partir du 1er janvier 2020 à 5,5 % ». Et de poursuivre : « Nous avons bien compris le sens de la loi qui nous invite à une négociation interprofessionnelle, et Netflix est prêt à engager cette négociation avec les professionnels du cinéma ». A défaut d’accord, la loi prendrait le relais.
Reste à savoir quelle part du chiffre d’affaires de Netflix France sera pris en compte pour calculer la quote-part destinée au financement du cinéma français, étant donné que la plateforme de SVOD propose un catalogue essentiellement composé de séries relevant de l’audiovisuel. « Nous [à L’ARP, ndlr], nous considérons que le visionnage n’est pas un bon point d’encrage pour dispatcher les obligations d’investissement dans la création. A partir du moment où une plateforme fait du cinéma, elle doit participer au financement du cinéma, même si elle dit que le visionnage n’est pas aussi fort sur les films que sur les séries », a estimé Pierre Jolivet. Le président de L’ARP fut rejoint par Aurore Bergé, députée (LREM) pressentie pour être rapporteure de la loi audiovisuelle : « Je ne suis convaincu que la question du visionnage soit la bonne porte d’entrée, a-t-elle abondé. C’est vrai que le cinéma est un produit d’appel extrêmement puissant, y compris pour Netflix. C’est plutôt le catalogue et sa profondeur qui doit déterminer ensuite la contribution des acteurs ».

Mesurer le catalogue plutôt que le visionnage
Pour la directrice des relations institutionnelles de Netflix France, « cela doit faire typiquement partie des discussions que l’on doit avoir dans les prochains mois ». Netflix espère aussi beaucoup de la loi pour amener le 7e Art français à réviser la chronologie des médias en faveur des plateformes de SVOD, lesquelles doivent encore attendre dix-sept mois après la sortie du film en salle. @

Charles de Laubier