La chronologie des médias : l’échec du médiateur D’Hinnin ouvre la voie au législateur, à moins que…

C’est un échec ! Les intérêts particuliers l’ont emporté sur l’intérêt général.
Le « scénario de compromis » présenté le 9 mars par le médiateur Dominique D’Hinnin préserve les intérêts commerciaux des salles de cinéma face à la VOD
et de Canal+ face à la SVOD. A moins que, d’ici fin avril, il ne revoit sa copie.

Le rapport du médiateur Dominique D’Hinnin (photo) – nommé en octobre 2017 par la ministre de la Culture Françoise Nyssen pour tenter de trouver en « six mois maximum » un nouvel accord sur une évolution de la sacro-sainte chronologie des médias figée depuis près de dix ans (1) – ne fait pas l’unanimité. Réalisé avec François Hurard, inspecteur général des Affaires culturelles (ministère de la Culture), ce rapport est pourtant présenté par ses deux auteurs comme un « scénario de compromis ».

« Inertie imposée par certains » (ARP)
A voir les réactions qui ont suivi sa présentation le 9 mars, ne s’agit-il pas plutôt d’un
« scénario de soumission » – tant les intérêts et avantages commerciaux des salles de cinéma de la FNCF et ceux de la chaîne cryptée Canal+ sont préservés au détriment de respectivement la VOD et la SVOD. « Certains acteurs ont réussi à imposer une inertie. Nous sommes notamment très déçus que le scénario de compromis maintienne le délai d’exclusivité de la salle à quatre mois et non trois. Un délai de trois mois permettait d’aller dans le sens d’une meilleure exploitation des œuvres, pour réduire le temps où le film n’est plus exploité, entre son décrochage des écrans, de plus en plus tôt, et sa mise à disposition en vidéo/VOD », a déploré Mathieu Debusschère, délégué général de la société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (ARP), interrogé par Le Film Français.
Le maintien à quatre mois de la VOD à l’acte en location ou à la vente définitive (2)
est révélateur du conservatisme dominant. Le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) estime, comme d’autres, que cela fait le jeu du piratage. Le rapport du médiateur promet néanmoins d’assouplir le système de dérogation qui prévaut jusque-là (mais jamais utilisé) pour l’étendre « automatiquement » à « une large majorité des films sortis (…) sur la base du nombre d’entrées [en salle de cinéma] constatées ou extrapolées ». Mais cette dérogation s’appliquerait qu’aux nouveaux films ne trouvant pas leur public en salle, ce qui exclut de voir un dès trois mois en VOD… L’Union des producteurs de cinéma (UPC) et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) regrettent avec l’ARP, le SPI et la SRF que les trois mois ne s’appliquent pas
à « tous les films ». Seule avancée : le « dégel des droits » permettant l’exploitation continue des films dans ce mode de consommation (3). Autre grief : le traitement réservé à la SVOD (4), en violation de la neutralité technologie, selon laquelle les plateformes numériques devraient en principe être traitées – à obligations égales d’investissement dans les films – de façon équivalente et non discriminatoire. La SACD fustige « le renoncement à faire entrer le financement et la diffusion du cinéma dans l’ère numérique en s’asseyant au passage sur le principe de neutralité technologique ». Le médiateur D’Hinnin semble faire le jeu de Canal+ : les plateformes de SVOD de type Netflix auraient des obligations similaires à celles de chaînes payantes telles que Canal+, mais sans avoir la même fenêtre de diffusion : Canal+ à treize/quinze mois
et la SVOD à six/sept mois après la sortie du film en salle obscure. « Cette distorsion créerait à l’évidence un cadre négatif pour l’arrivée de nouveaux financeurs et de diffuseurs dans le cinéma. Elle poserait également un problème de cohérence et de concurrence », met en garde la SACD.
Son directeur général, Pascal Rogard, cible Canal+ dans son blog : « Le principe de neutralité technologique revendiqué pour aligner dans la même temporalité la diffusion des œuvres par les services de VOD à l’acte et la vente ou location de DVD se trouve ainsi aussitôt renié lorsqu’il s’agit de reconnaître que la SVOD peut se positionner dans le même nouveau créneau de diffusion que celui généreusement accordé à Canal+,
à savoir six ou sept mois après la sortie en salles ». Pour lui, le nouveau système est certes plus souple, mais il n’a rien d’innovant et affiche clairement une barrière à l’entrée qui justifie a minima une saisine préalable de l’Autorité de la concurrence.

Respecter la neutralité technologique
Même réflexion de l’ARP : « Il semblait logique que dès la première fenêtre payante,
il n’y ait plus de distinction entre un service linéaire et non linéaire, à même niveau de vertu [dans le financement des films par les plateformes de diffusion, ndlr]». Sans parler de la disparition de d’obligation pour la chaîne cryptée de Vivendi de respecter le droit d’auteur qu’elle rechigne à payer…, alors que cette disposition a été maintenue pour les plateformes de SVOD. Reste que bon nombre d’organisations professionnelles (5) ne signeront pas si les pouvoirs publics ne s’engagent pas à lutter contre le piratage. @

Charles de Laubier

Carrefour arrête Nolim, sa plateforme de livres et films

En fait. Le 23 janvier, Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour depuis plus de six mois, a présenté la stratégie numérique de son plan « Carrefour 2022 ». Parmi les mesures annoncées : l’abandon de Nolim, la liseuse et la plateforme de contenus (ebooks et films) lancées par le géant de la grande distribution en 2013.

En clair. Nolim, No Future ! Cela aurait fait cinq ans en octobre prochain que Carrefour a lancé un site de vente d’ebooks, Nolim.fr, et une liseuse fabriquée par la société française Bookeen (ex-société Cytale). Il y a trois ans, la librairie en ligne Nolim.fr se diversifiait dans la vidéo à la demande (VOD) avec le lancement de Nolim Films (1). Carrefour commercialisait, à proximité de ses rayons « livres et BD », les fameuses liseuses Nolimbook. Contacté par Edition Multimédi@, le géant de la grande distribution nous a fait savoir qu’aucun calendrier d’arrêt du service en ligne n’était encore établi. Carrefour avait déjà essuyé les plâtres dans les livres numériques avec Numilog en 2010, ainsi que dans la VOD lors d’une première expérience en 2008 avec Glowria (devenu par la suite Videofutur chez Netgem). Nolim aura été une nouvelle tentative, finalement passées par pertes et profits. La société éditrice du Nolim Store – « Votre librairie numérique » – était Online Carrefour, dirigée par Hervé Parizot, directeur exécutif ecommerce et data clients du groupe Carrefour. Dans le rapport financier de 2016, publié en avril 217, une filiale détenue à 100 % avait fait son apparition sous le nom de Carrefour Nolim. La plateforme culturelle en ligne de Carrefour est encore accessible via Nolim.fr ou Nolim.carrefour.fr, ce dernier lien étant référencé parmi les 423 plateformes légales recensées par l’Hadopi (2), mais curieusement sans être labellisée par cette dernière, et uniquement sur son catalogue de livres numériques mais pas sur les films et séries proposés. Qu’à cela ne tienne. Nolim fait partie des nombreuses activités abandonnées par le nouveau PDG du groupe Carrefour, Alexandre Bompard.
Ce dernier a annoncé un plan de départs volontaires de 2.400 personnes dans le
cadre d’une restructuration des activités au niveau mondial (plan « Carrefour 2022 »), tout en prévoyant d’investir 2,8 milliards d’euros sur cinq ans dans le digital (portail
e-commerce unique Carrefour.fr, fin du cybermarché Ooshop, poursuite de Rueducommerce.fr, participation dans Showroomprivé, accord avec Tencent en Chine, …). C’est Marie Cheval, ancienne DG de Boursorama, qui devient directrice de la transformation digitale. Quant au partenariat avec Fnac-Darty, dont Alexandre Bompard était auparavant PDG, fera-t-il revenir les ebooks et la VOD chez Carrefour ? @

L’année 2018 se présente sous les meilleurs auspices pour Amazon (Prime) Video

Lancé il y a douze ans aux Etats-Unis, la plateforme de VOD/SVOD du géant
du e-commerce s’est mise à produire des séries à tour de bras. En quête de reconnaissance à Hollywood comme à Cannes, Amazon Prime Video – ou Amazon Video, c’est selon – voudrait être plus qu’un produit d’appel.

« The Marvelous Mrs. Maisel », une production Amazon, a été désignée meilleure série comique lors des 23e Annual Critics’ Choice Awards dans la nuit du 11 janvier 2018. Lors de cet événement aux Etats-Unis, un deuxième trophée de la critique
a aussi été décerné à cette même série du géant du commerce
en ligne au titre de la meilleure actrice dans une série comique (Rachel Brosnahan). Quelques jours auparavant, la série « The Marvelous Mrs. Maisel » était récompensée lors de la 75e cérémonie des Golden Globes Awards : meilleure série comique ou musicale.

Jeff Bezos remercié aux Golden Globes
Amazon a ainsi fait mieux que Netflix, lequel s’est contenté d’une récompense pour
un meilleur acteur dans une série (Aziz Ansari dans « Master of None »). La productrice de la série « The Marvelous Mrs. Maisel » a même réussi à décrocher un rire du patron d’Amazon, Jeff Bezos (photo), présent aux Golden Globes. « Je veux remercier Amazon parce que leur soutien était complètement inébranlable à tout moment. Chaque chèque était accepté ! Nous ne pouvions pas avoir meilleur partenaire. Merci. Nous ne partons jamais », a déclaré Amy Sherman-Palladino, réalisatrice de la série. Cette consécration hollywoodienne est une étape importante pour le géant du e-commerce dans le cinéma à la demande. C’est qu’il n’y a pas que Netflix dans le monde des géants de la SVOD.
La firme de Jeff Bezos démarre ainsi sous les meilleurs auspices 2018, année qui pourrait consacrer son service Amazon Prime Video en quête de reconnaissance.
Ne s’y retrouve-t-on pas d’office abonné lorsque l’on devient client « Prime » (1) pour bénéficier avant tout du service de livraison gratuit et rapide (90 millions d’abonnés
aux Etats- Unis) ? Cet adoubement d’Hollywood et l’augmentation du budget de financement d’Amazon dans des productions originales – Original Movies et Prime Originals – devraient changer la donne cette année. D’autant que la firme de Seattle
a renoncé l’an dernier à lancer son bouquet TV Amazon Channels et s’est dite prête
à investir 4,5 milliards de dollars dans la production. En novembre 2017, le géant du
e-commerce a acquis les droits de production au niveau mondial d’une série « Le Seigneur des anneaux », ainsi que les droits de diffusion exclusifs de « Absentia »,
« American Gods » de Starzet et de la série française « Black Spot » (« Zone Blanche » du Groupe AB). Après ses propres productions telles que « Transparent » (cinq Emmys Awards et deux Golden Globe en 2015), « Mozart in the Jungle », « Man in the High Castle », « The Big Sick », « The Tick » (très regardée dans le monde) ou encore
« Crisis in Six Scenes » (série décevante de Woody Allen), Amazon Studios veut faire plus grand public selon les directives de Jeff Bezos. Il faut aussi faire oublier l’ancien patron de cette filiale de production, Roy Price, mis à pied en octobre 2017 pour harcèlement sexuel envers la productrice pour la série « The Man in the High Castle » d’Amazon (2) – en plein scandale « Weinstein » (remettant en question « One Mississippi », « I Love Dick » et « Jean- Claude Van Johnson »). Amazon a même
dû  « réviser [ses] projets avec la Weinstein Company » (deux co-productions, dont
« Happiness Therapy »).
En novembre dernier, accusé lui aussi de harcèlement, l’acteur Jeffrey Tambor quittait
« Transparent ». Pour un autre film financé par Amazon, « The Goldfinch », la société de production RatPac de Brett Ratner, lui aussi accusé, a été écartée. Ces scandales
à répétition auront-ils un impact d’audience des séries sur les plateformes numériques. Peu probable. Amazon Studios poursuit ses activités partout dans le monde. Isabelle Huppert sera dans une de ses nouvelles séries, « The Romanoffs », en ligne dès le second trimestre 2018.
Lors du 70e Festival de Cannes en mai 2017, Amazon était présent avec le film
« Wonderstruck ». Lors de la précédente édition en mai 2016, le géant du Net était
déjà en compétition. Entre les deux, il y a un peu plus d’un an, le géant mondial du
e-commerce lançait – le 14 décembre 2016 – son service de SVOD en France (3) (*) (**) et dans d’autres pays où il n’était pas encore présent (4).

Emergence en France malgré la déception Mais la profondeur du catalogue français déçoit : selon le CNC l’an dernier, seulement 558 titres (séries et films), contre près de 3.000 sur Netflix. Sa part de marché SVOD en France était alors de seulement 8,9 %, contre 37,3 % pour Netflix. Amazon Prime Video semble devenir progressivement
« Amazon Video », comme si la plateforme de SVOD prenait enfin son envol de façon indépendante des activités de e-commerce et au-delà de ses membres « Prime » (5). @

Charles de Laubier

Fenêtres de diffusion des films à l’heure du Net : comment sortir de l’« anachronie des médias»

L’heure de vérité a sonné pour la chronologie des médias – anachronique à l’ère du numérique. Le gouvernement a donné six mois aux professionnels du cinéma français pour se mettre enfin d’accord, faute de quoi il faudra légiférer. Mission quasi impossible pour le médiateur Dominique D’Hinnin.

« La révision de la chronologie des médias est un chantier prioritaire. C’est la clé pour adapter notre modèle aux nouveaux usages et pour sécuriser l’avenir de notre système de préfinancement. Ma conviction est que ce sont les professionnels eux-mêmes qui sont les mieux placés, à travers la concertation, pour définir une solution. Mais les discussions sont bloquées depuis trop longtemps. Et pour sortir du blocage, je crois que nous devons changer de méthode », a déclaré Françoise Nyssen, ministre de la Culture, à l’occasion des 27e Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD), le 13 octobre. Aussi a-t-elle confirmé la désignation de Dominique D’Hinnin (photo) comme médiateur pour conduire la concertation de la dernière chance « dans des délais stricts, avec l’appui du CNC (1) ».

Deux ans de perdus en tergiversations
Cet ancien inspecteur des finances et ancien cogérant du groupe Lagardère (2010-2016) vient de débuter ses travaux. « Il aura au maximum six mois pour trouver un nouvel accord. Faute de quoi, le gouvernement prendra ses responsabilités et proposera une solution législative ou réglementaire », a prévenu la ministre de la Culture. Le problème, c’est que le blocage dû au dialogue de sourds entre les différentes parties prenantes de la chronologie des médias – les exploitants de salles de cinéma arc-boutés sur leurs quatre mois d’exclusivité lors de la sortie des nouveaux films, les plateformes de VOD (et les éditeurs de DVD), les chaînes de télévision et les plateformes de SVOD – perdure. Ce statu quo est incompréhensible pour les cinéphiles et internautes, d’autant que ces règles anachroniques – où la chronologie des médias devient véritablement l’« anachronie des médias » – datent de 2009 et régissent depuis, sans changement, la diffusion des nouveaux films, malgré les premières préconisations des rapports Zelnik de 2010 et Lescure de 2013. Face à cet enlisement des négociations, le gouvernement tente l’ultimatum de six mois, espérant débloquer la situation. Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement menace de légiférer si les professionnels du Septième Art ne se mettent d’accord sur une nouvelle chronologie des médias. Il y a deux ans, par exemple, plusieurs parlementaires avaient déposé – dans le cadre de la loi « Création » (2) – des amendements qui proposaient une première avancée à laquelle le gouvernement s’était rallié.

Il s’agissait de prévoir « une durée de validité limitée » – en l’occurrence trois ans maximum – de l’accord sur la chronologie des médias, « en se réservant toutefois la possibilité d’étendre pour une durée moindre ». « La disposition prévoyant de limiter
à trois ans l’extension des accords relatifs à la chronologie des médias permettra de tourner la page du statu quo désespérant qui préside actuellement », s’était alors félicitée la Société civile des auteurs multimédias (Scam). Mais cette disposition n’a
pas été adoptée (3). Deux ans perdus après, le gouvernement a changé mais le statu quo perdure.
Et ce n’est pas faute pour le CNC et son directeur général délégué Christophe Tardieu d’avoir essayé de réconcilier les irréconciliables… Sa énième proposition datée du 24 avril – que Edition Multimédi@ s’était procurée au printemps dernier (4) – fut débattue lors de la réunion de négociations de la dernière chance le 28 avril. Mais l’espoir d’annoncer de nouvelles fenêtres de diffusion des nouveaux films en plein 70e Festival de Cannes s’était rapidement évanoui en raison des dissensions professionnelles persistantes (5). Pour ses 27e Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD),
la société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (ARP) – dont le président d’honneur est le réalisateur, producteur et scénariste Claude Lelouch – a tenté le tout pour le tout en proposant une « modernisation de la chronologie des médias ». D’une part, l’ARP préonise le « rattrapage numérique de l’exploitation du film en salle lorsque le public n’y a plus accès » par une « solution géolocalisée » qui consiste à prévoir
« une salle virtuelle » dans telle ou telle zone de diffusion sur le territoire dès lors que
le film n’est plus à l’affiche des salles de cinéma ayant pignon sur rue. Ce cinéma de rattrapage – sorte de « Catch up Ciné » comme il y a la Catch up TV – a le mérite de donner une seconde chance, mais en ligne, pour les films n’ayant pas trouvé leur public en salle et/ou étant victime du taux de rotation élevé des films dans la programmation des exploitants.

Une sorte de « catch up Ciné » ?
D’autant que plus de 80 % des entrées sont réalisées entre la sortie et la 4e semaine d’exploitation du film. Au pays de l’« exception culturelle française », de plus en plus
de films se retrouvent presque mort-nés : la moitié produits dans l’année font fait moins de 20.000 entrées en salle, et une cinquantaine sont vus par moins de 1.000 spectateurs (6). L’ARP demande donc « avec vigueur aux pouvoirs publics une expérimentation de cette solution [de salle virtuelle], dans les plus brefs délais ». D’autre part, l’ARP propose d’aligner la télévision payante telle que Canal+, OCS ou Ciné+ (actuellement  à 10 mois après la salle) et la SVOD de Netflix, Amazon Prime Video ou SFR Vidéo/Altice Studio (actuellement à 36 mois) dans une même fenêtre
des offres payantes par abonnement « si elles répondent aux conditions de vertu »,
à savoir : « diversité, respect du droit d’auteur, préfinancement, pérennité des engagements, exposition par la prescription et l’éditorialisation ». Et ce, « en fonction
du niveau d’investissement (valeur absolue+minimum garanti par abonné) ». Le ticket d’entrée est selon le niveau d’investissement, défini en valeur absolue et complétés par un minium garanti (MG) par abonné. Le principe est, selon l’ARP, qu’un un acteur qui pré-finance trois films par an n’a pas besoin d’une fenêtre d’exploitation aussi longue que celui qui en finance cent.

Les exigences de Canal+ et de la FNCF
De son côté, comme lors des RCD 2016, Canal+ a de nouveau réclamé le 25 octobre une fenêtre de diffusion à 6 mois au lieu de 10 mois (7) et exigé une révision de l’accord quinquennal de 2015 et ses MG (8).
« Nous voulons tous protéger la salle, mais lorsqu’un film n’est plus en salle, nous pensons qu’il est indispensable de lui donner une deuxième chance », a plaidé Radu Mihaileanu, président de l’ARP, lors d’un débat sur le thème interrogatif « Quelles fenêtres ? Quelles valeurs ? Quelle chronologie ? », le 13 octobre à Dijon. Etait notamment présent Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) qui a défendu bec et ongles le monopole des quatre mois dont bénéficient les salles : « Réduire la fenêtre des salles, c’est un suicide collectif pour l’ensemble de la filière », a-t-il… exagéré. Les recettes des salles en France dépassent chaque année 1,3 milliard d’euros, dont les entrées font l’objet d’une taxe de 10,7 % sur chaque billet qui est reversée au CNC pour soutenir la production des films français. Président intransigeant depuis janvier 2013 de la puissante fédération représentant les quelque 2.000 établissements exploitants en France plus de 5.700 écrans de cinéma, Richard Patry est lui-même exploitant des salles NOE Cinémas en Normandie, groupe qu’il a créé il y a trente ans. Il rempli depuis janvier 2017 son troisième mandat pour deux ans (jusqu’en janvier 2019) à la présidence de la FNCF. « Notre durée d’exclusivité à quatre mois est intangible », avait-il déjà prévenu Richard Patry lors du 72e congrès de sa fédération à Deauville fin septembre. « On ne peut pas rester immobile dans un monde qui a tellement bougé », lui avait alors répondu Frédérique Bredin, la présidente du CNC. Décidé à ne rien céder, Richard Patry (9) est à l’origine du statu quo controversé de la chronologie des médias. Autant dire que le médiateur Dominique D’Hinnin, fraîchement nommé, arrive sur un terrain miné. Diplômé de l’Ecole normal supérieure (ENS) et actuellement membre du conseil d’administration du groupe de médias espagnole Prisa (El País, Digital+, …) et par ailleurs désigné pour prendre en novembre la présidence du conseil d’administration d’Eutelsat (en remplacement de Michel de Rosen), où il est aujourd’hui représentant du Fonds stratégique de participations (FSP) de l’Etat en tant qu’administrateur, est-il l’homme de la situation ?

On le saura en avril 2018, à l’échéance des six mois que lui a imparti le gouvernement dans cette mission périlleuse. Il pourra toujours s’inspirer du rapport le plus récent consacré à la chronologie des médias, celui de la commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat où son auteure – la sénatrice (Union centriste) Catherine Morin-Desailly – préconise de réduire la fenêtre des salles de cinéma à trois mois au profit de la VOD à l’acte ou à la location (10), tout en ramenant
à six mois au lieu de dix la télévision payante comme le souhaite Canal+. En toile de fond, la lutte contre le piratage passe par cette modernisation indispensable des fenêtres de diffusion. « La chronologie actuelle fait que les spectateurs peuvent très rapidement ne plus disposer d’aucun mode d’accès légal à un film », a déploré Xavier Rigault, producteur (2.4.7. Films) et co-président de l’Union des producteurs de cinéma (UPC) dans une tribune parue le 21 juillet dernier dans Télérama, également présent lors du débat aux RCD. Encore six mois d’incertitudes. @

Charles de Laubier

Consacré aux Emmy Awards pour une série, Hulu a l’ambition d’être disponible mondialement

Hulu fête ses dix ans avec bientôt 13 millions d’abonnés, tous aux Etats-Unis. Car, contrairement à Netflix et Amazon, la joint-venture de NBCUniversal, 21st Century Fox, Disney et Time Warner tarde à conquérir le monde depuis sa première tentative infructueuse au Japon en 2011.

Selon nos informations auprès de Digital TV Research, Hulu devrait atteindre 13 millions d’abonnés d’ici la fin de cette année 2017 et 17 millions en 2022. Quant au service Hulu Japon, lancé en 2011 mais revendu trois ans après à Nippon TV (1) faute de résultat, il est devenu indépendant du consortium et ses 1,5 million d’abonnés (1,79 millions prévus en 2022) ne sont comptabilisés dans les 13 millions de la plateforme américaine de catch up TV et de SVOD.

Le monde : « Un objectif à long terme »
Si la croissance prévisionnelle de 30 % en cinq ans – à 17 millions d’abonnés – semble faible, c’est que Hulu n’est pas Netflix (100 millions d’abonnés) ni Amazon Prime Video. Pendant que ses deux rivaux américains sont actifs dans le monde entier, Hulu continue de jouer à domicile – dix ans après sa création. « Hulu est disponible en streaming des Etats-Unis et à partir des bases militaires américaines, tandis que Hulu Japon est disponible au Japon. Vous ne pouvez actuellement pas utiliser Hulu dans aucune autre région », rappelle la plateforme de Catch up TV et de SVOD créée en mars 2007 par Fox (News corp), ABC (Walt Disney), NBCUniversal (General Electric/Comcast) et Providence Equity Partners. Cependant, la joint-venture – aujourd’hui détenue par Disney, 21st Century Fox, AT&T (via Time Warner) et Comcast (via NBCUniversal) – n’a jamais renoncé à envisager une expansion internationale, alors que ses rivaux Netflix et Amazon ont d’emblée une stratégie globale. « Alors
que l’un de nos objectifs à long terme est de rendre disponible mondialement la liste grandissante des contenus de Hulu, nous n’avons pas de calendrier ni aucune information à ce stade concernant cette expansion au-delà de Hulu Japon. Cette expansion exige de travailler avec les détenteurs de contenus pour fixer les droits pour chaque programme ou film dans chacune des régions spécifiques, et ces accords peuvent prendre un certain temps avant d’être conclus », explique toujours la société californienne basée à Los Angeles et dirigée par Mike Hopkins (photo). A la fois service de télé et de vidéo à la demande par abonnement, Hulu a toujours en tête l’international depuis sa première tentative infructueuse au Japon en 2011. Mais l’activité a ensuite été rachetée en 2014 par Nippon TV, qui continue d’opérer sous la marque Hulu Japan et à qui la joint-venture fournit ses contenus.
Hulu ronge son frein en restant cantonné aux Etats-Unis. La plateforme de Catch up TV/SVOD des géants de l’audiovisuel et du cinéma américains n’est pas non plus présente au Canada pour de multiples raisons telles que la pratique d’exclusivités
des ayants droits avec les câblo-opérateurs de ce pays. Hulu a bien songé en 2009 débarquer en Europe par le Royaume-Unis via un partenariat avec le groupe audiovisuel ITV, mais les négociations sur la diffusion de contenus exclusifs et une participation au capital de Hulu sont restées sans lendemain (2). Résultat : Hulu a beau se forger une notoriété internationale, celle-ci ne lui sert pas à grand-chose pour l’instant. La plateforme américaine reste la championne du geoblocking, ce blocage géographique qui refoule les non-résidents des Etats-Unis. Il y a bien des outils de contournement, tels que le VPN (Virtual Private Network) ou l’Anonymous Proxy, pour tenter d’accéder « illégalement » à Hulu. Mais, depuis le printemps 2014, la plateforme s’est mise à bloquer les utilisateurs indésirables en repérant non seulement l’origine des adresse IP mais aussi le recours à des VPN. « En raison des contrats avec nos partenaires et publicitaires, Hulu ne peut pas diffuser les vidéos en streaming auprès des utilisateurs de serveurs de proxy anonyme (en raison de possibles limitations géographiques) », justifie la plateforme vidéo. Cette chasse aux VPN ne va pas sans provoquer des dommages collatéraux sur le sol étatsunien. En effet, de nombreuses entreprises utilisent des VPN ou des VPS (Virtual Private Servers) pour gérer et sécuriser le trafic Internet de leurs employés (3).

Catch up TV, SVOD et maintenant Live TV
Hulu n’en finit pas de fourbir ses armes face à Netflix, Amazon, YouTube (Google), PlayStation Vue (Sony) ou encore Sling TV (Dish Network). Depuis le mois de mai,
« Hulu with Live TV » propose pour 40 dollars par mois (4) des flux directs de chaînes, de la télévision de rattrapage et de la SVOD (films et séries). A l’instar de Netflix et d’Amazon, Hulu investit dans des productions originales telles que « The Morning
After » mais surtout « La servante écarlate » (« The Handmaid’s Tale ») – élue meilleure série dramatique le 17 septembre aux prestigieux Emmy Awards. Hulu doit maintenant sortir de ses frontières. @

Charles de Laubier