Négociations US-UE : numérique et audiovisuel aussi

En fait. Du 8 au 14 juillet s’est déroulé le premier round des négociations entre l’Union européenne et les Etats-Unis en vue d’un accord de libre-échange, malgré
la demande de la France de report après les révélations sur l’espionnage américain (Prism). L’audiovisuel fera bien partie des discussions.

En clair. Après le « compromis » trouvé par le Conseil européen du 14 juin dernier (1), consistant à « discuter plus tard » des services audiovisuels dans le cadre des négociations pour un accord commercial trans-Atlantique, reste à savoir quand ces derniers seront mis sur la table. Parmi la quinzaine de groupes de travail qui ont été
mis en place lors du premier round du 8 au 14 juillet, certains touchent directement le commerce électronique, la propriété intellectuelle ou encore les affaires réglementaires. Les services audiovisuels et culturels, très encadrés en Europe et particulièrement en France où le cinéma est abondamment subventionné, ne pourront donc être ignorés longtemps. S’il n’y a pas eu d’avancées durant ce premier round sur cette question (sensible pour le Vieux Continent et incontournable pour le Nouveau Monde), il devrait
en être tout autrement lors des troisième et quatrième rounds programmés pour le quatrième trimestre 2013. Le commissaire européen Karel de Gucht y compte bien, malgré l’opposition de la France (dont l’ARP qui s’est dite « consternée » dans une
lettre adressée aux chefs d’Etat européens).
En attendant qu’un accord US-UE soit trouvé avant la fin du mandat de l’actuelle Commission européenne, c’est-à-dire avant octobre 2014, les questions liées au numérique vont se multiplier : commerce électronique, protection des données personnelles, fiscalité numérique, lutte contre le piratage sur Internet, … Sur ce dernier point, la question des droits d’auteur sera bel et bien présente dans ces négociations comme l’ont souhaité les eurodéputés dans leur résolution du 23 mai 2013 : « Le Parlement européen (…) souligne que (…) l’accord devrait prévoir une protection solide de secteurs précisément définis des droits de propriété intellectuelle ». Le piratage des œuvres audiovisuelles, y compris sur Internet, sera lui aussi concerné. A défaut d’être immédiatement négociés au nom de « l’exception culturelle », les services audiovisuels
le seront néanmoins par le biais de la protection des droits d’auteurs ! Un an après le
rejet par les eurodéputés – le 4 juillet 2012 précisément (2) – de l’accord commercial anti-contrefaçon ACTA, certains comme La Quadrature du Net qu’un « super-ACTA » s’invite dans ces négociations transatlantiques. Ce qui conviendrait bien au négociateur et commissaire européen chargé du Commerce, Karel De Gucht… @

Frédérique Bredin prend la présidence d’un CNC sur la défensive face à la Commission européenne

C’est le 15 juillet que l’actuel président du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), Eric Garandeau, transmettra le relais à Frédérique Bredin. Elle prendra la tête de cet établissement public plus que jamais dans le collimateur
de la Commission européenne.

« Il a fallu (…) remettre cent fois sur le métier l’ouvrage des taxes, refaire la pédagogie
de l’écosystème français, le renégocier avec la Commission européenne. Malgré les attaques de Bruxelles, les ponctions budgétaires et les audits à répétition, rien n’a pu
et rien ne pourra jamais entamer la force ni la richesse réelle du CNC (…) », déclarait Eric Garandeau le 26 juin dernier, jour de la nomination en conseil des ministres de Frédérique Bredin (1).

Aides d’Etat au ciné contre mise en ligne ?
Dans le bilan annuel du CNC publié le 21 mai, le président sortant s’est également montré très remonté contre « certains commissaires européens [qui] seraient prêts
à liquider notre héritage culturel et renoncer à des industries créatrices de sens et d’identité (…) ». Et de les mettre en garde, à propos des négociations qui vont débuter cet été entre l’Union européenne et les Etats-Unis sur un accord de libre-échange :
« Aucun engagement de libéralisation ne saurait être toléré, ni cinématographique,
ni audiovisuel, ni numérique ». Bref, la Commission constituerait aux yeux de cet établissement public – placé sous l’autorité du ministre de la Culture et de la Communication – son pire ennemi et, partant, celui de « l’exception culturelle
française ».
En prenant ses fonctions mi-juillet, Frédérique Bredin devrait recevoir comme cadeau
de bienvenue la communication finale que la Commission européenne prévoit d’adopter
– a priori cet été (2) – sur les aides d’Etat en faveur du cinéma. L’objectif de cette communication adressée aux Vingt-sept est de les inciter à favoriser la production et
la circulation transfrontalières des films, de leur réalisation à leur distribution, y compris jusque sur les plates-formes sur Internet. Pour cela, les critères d’aides d’Etat au cinéma sont modifiés par rapport à ceux de 2001. Car la Commission européenne part du constat suivant : « Peu de films européens sont distribués en dehors du territoire sur lequel ils ont été produits ». En creux, les aides d’Etat au cinéma ne favorisent pas une meilleure circulation des films à travers l’Europe. Un comble à l’heure de la multiplication des services de vidéo à la demande (VOD), dont certaines sont paneuropéennes ou presque (iTunes, Amazon, YouTube, Dailymotion, Videofutur, …).
Le plafond autorisé pour les obligations de territorialisation des dépenses, que les Etat membres ont le droit de fixer en échange de l’octroi de l’aide d’Etat pour le financement de films, est donc modifié pour y remédier. La Commission européenne prévoit en effet un plafond plus élevé pour les aides aux productions transfrontalières. Ainsi, elle propose dans son projet de communication que « l’intensité de l’aide doit, en principe, être limitée à 50 % du budget de la production ». Alors que la précédente communication de 2001 a permis aux Etats membres d’imposer que jusqu’à 80 % du budget total d’un film soit dépensé sur leur territoire. En revanche, « l’intensité de l’aide en faveur des productions transfrontalières financées par plus d’un État membre et faisant intervenir des producteurs de plus d’un État membre peut atteindre 60 % du budget de la production ».
Et surtout, ces aides d’Etat autorisées ne devront plus s’appliquer uniquement à la production d’un film mais aller aussi soutenir d’autres activités associées : l’écriture
de scénarios, le développement, la distribution et la promotion d’« œuvres audiovisuelles ». Les films ne seront plus les seuls bénéficiaires de ces subventions,
la Commission y incluant aussi les narrations trans-médias ou cross-médias et les jeux vidéo.
Dans un version antérieure du projet de communication sur les aides d’Etat au cinéma, elle était plus explicite : « Les Etats membres pourraient, par exemple, comme condition de l’aide, encourager les titulaires de droits à céder à des tiers les droits en ligne pour les modes d’exploitation (y compris les territoires) qu’ils sont eux-mêmes incapables d’assurer » (3). Ce que pourrait préciser ultérieurement la Commission à l’issue de la consultation publique – jusqu’à fin août – sur son livre vert sur « un monde audiovisuel totalement convergeant » (4).

Fusionner TST-D et taxe « Lescure » ?
Autre pierre d’achoppement avec l’exécutif européen : la fameuse taxe sur les services
de télévision payée par les distributeurs – la fameuse TST-D – dont l’« assiette élargie »
à l’ensemble des abonnements à Internet et à la téléphonie mobile par la loi de Finance 2012, n’a toujours pas été validée par la Commission européenne (5). Cette dernière attendait la décision de la CJUE (6) sur la « taxe télécoms » prélevée sur les opérateurs pour financer l’audiovisuel public. Maintenant que cette dernière a été validée le 27 juin,
le gouvernement pourrait être tenté de fusionner la TST-D avec la taxe « Lescure » sur les terminaux connectés. @

Charles de Laubier

Le livre se sent peu concerné par le rapport Lescure

En fait. Le 27 juin, en marge de l’assemblée générale du Syndicat national de l’édition (SNE), son président Vincent Montagne nous a dit ce qu’il pensait du rapport Lescure. Resté jusqu’alors silencieux depuis sa publication le 13 mai dernier, c’est la première fois qu’il livre une appréciation.

En clair. « Je dois encore voir avec le bureau [du SNE] pour savoir ce que nous pouvons dire d’une manière générale sur le rapport Lescure, qui est très vaste et nous concerne relativement peu. Ce que je note, c’est qu’il salue notre action pour avoir négocié avec
les auteurs [dont un volet numérique], obtenu la TVA [réduite pour le livre numérique] et mis en place l’exploitation numérique des oeuvres indisponibles », nous explique Vincent Montagne.
Deux propositions retiennent néanmoins son attention : la taxe sur les appareils connectés et la création d’un compte d’affectation spéciale pour les industries culturelles. « La question est de savoir s’il faut une taxe sur les appareils connectés. Là, on touche
à la problématique de la copie privée avec des mécanismes constitués surtout pour le cinéma et la musique. Sur les 180 à 200 millions de taxes par an de la copie privée, peu revient au livre qui est secteur non subventionné (à part le taux réduit de TVA) et qui résiste bien. Nous disons donc qu’il faut faire attention à rester dans une économie non administrée et de responsabilisation de la chaîne du livre. D’où l’importance du soutien
[de 7 millions d’euros versés par les éditeurs pour 2014, ndlr] que nous apportons à la librairie ». Par ailleurs, les éditeurs contribuent au financement du Centre national du
livre (CNL) aidant à la numérisation de la filière. Ainsi, contrairement au cinéma ou à
la musique, le livre ne demande pas de financements publics.
Le président du SNE préfère donc attendre de voir comment le livre numérique et le piratage (1) vont progresser. « Nous ne sommes pas contre cette taxe sur les terminaux connectés mais nous estimons aujourd’hui que le livre est marginalement concerné, peut-être le sommes-nous potentiellement, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. A ce stade, il convient de vérifier comment se destinent les usages sur les terminaux connectés. Si on s’apercevait que le numérique devenait extrêmement important pour le livre, actuellement en France de 3 % du chiffre d’affaires en 2012 [soit 81 millions d’euros de chiffre d’affaires de l’édition, ndlr], et s’il n’y avait aucune rémunération provenant du numérique ou si une très faible rémunération ne servait pas la création éditoriale, il serait logique qu’il y ait une répartition d’une taxe comme pour le ‘photocopillage’ ». @

L’Hadopi n’a pas dissuadé le piratage de films en ligne

En fait. Le 26 juin, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a publié un baromètre des usages d’après un sondage déclaratif d’Opinion Way (4.740 internautes interrogés). L’étude révèle
que la réponse graduée n’a pas dissuadé le piratage de films.

En clair. Le baromètre « Carnets de consommation » de l’Hadopi (1) démontre que la réponse graduée a échoué à préserver le cinéma du piratage, là où elle semble avoir été dissuasive pour la musique. En téléchargement, le piratage de films est pratiqué par 69 % des personnes interrogées (contre seulement 20 % le faisant de façon légale). C’est l’inverse de ce qui se passe dans le téléchargement de musiques, où 66 % déclarent le faire sur des plates-formes légales (contre seulement 25 % le faisant de manière illicite). Comme l’action de l’Hadopi a porté sur le téléchargement des fichiers culturels, essentiellement sur les réseaux peer-to-peer, force est donc de constater
que la réponse graduée n’a pas atteint ses objectifs pédagogiques et dissuasifs.
Même si l’Hadopi n’agit toujours pas directement sur le streaming, ce que la loi n’a pas prévu dans ses attributions, l’échec de la réponse graduée est aussi patent dans ce type de consommation en ligne devenu prédominant (2). En effet, l’étude montre qu’un film sur deux est visionné en streaming de manière légale (49 % des internautes interrogés) et la proportion de ceux déclarant le faire de façon illicite reste élevée
(38 %). Là aussi, c’est bien plus que dans les usages de consommation de musiques en streaming où les internautes privilégient – et c’est presque un plébiscite ! – la consommation légale (92 %) au détriment des sites illicites (seulement 5 %).
Ainsi, après que la filière musicale a essuyé les plâtres faute d’avoir su s’adapter à
la vague numérique, l’industrie du cinéma est à son tour confrontée au piratage sur Internet. Faute d’une offre légale de catalogue de films suffisante, d’ailleurs souligné
par le rapport Lescure (EM@80, p. 4), le septième art refait les mêmes erreurs. Si la musique commence à tirer parti des plates-formes légales pour le streaming et le téléchargement (YouTube pour l’essentiel, iTunes, Deezer, Spotify, Dailymotion, …),
il n’en pas encore de même pour le cinéma où les sites présumés pirates tirent encore leurs épingles du jeu (YouTube pour une partie, Torrent 441, Allostreaming, Dpstream.net, Streamiz, Cpasbien, …). Le cinéma fait non seulement moins bien que
la musique mais aussi que le livre ou le jeu vidéo qui, en streaming et téléchargement, sont plus consommés légalement que piratés. @

Numericable : un « Kabel Deutschland » français ?

En fait. Le 24 juin, l’opérateur britannique Vodafone a remonté à 7,7 milliards d’euros son offre pour racheter le câblo-opérateur allemand Kabel Deutschland, après celle de 7,5 milliards de l’américain Liberty Global. Le français Numericable pourrait profiter de cet engouement pour s’introduire en Bourse.

En clair. Numericable sera-t-il la prochaine cible de Vodafone ou de Liberty Global, une fois que Kabel Deutschland aura été acquis par l’un des deux ? Pourquoi pas. Depuis l’échec des discussions d’une fusion en février dernier avec le groupe SFR, les trois actionnaires de Numericable – Cinven, Carlyle et Altice – envisagent maintenant une introduction en Bourse (1). Selon Reuters le 12 juin dernier, ils ont mandaté la banque Rothschild pour les conseiller dans cette opération qu’ils prévoient pour la fin de l’année
et qui leur permettraient de lever jusqu’à 5 milliards d’euros. Cinven en profiterait pour sortir, tandis que Carlyle et Altice resteraient actionnaires. Encore endetté à hauteur
de 2,3 milliards d’euros, Numericable pourrait profiter d’un contexte qui a rarement
été aussi favorable pour les câblo-opérateurs en Europe. Non seulement ils sont en première ligne dans les objectifs « très haut débit » ambitieux de la Commission européenne et d’Etats membres, notamment la France, mais ils font aussi l’objet de convoitises. La contre offre de Liberty Global pour Kabel Deutschland après l’offre initiale de Vodafone, lequel surenchérit, démontre un nouvel intérêt des investisseurs. Auparavant, en février, Liberty Global annonçait le rachat de l’opérateur de télévision payante britannique Virgin Media pour plus de 11 milliards d’euros. Mais il se peut que, avant la concrétisation de l’introduction en Bourse, un Vodafone ou un Liberty Global ne manifeste de l’intérêt à acquérir le câblo-opérateur français, Numericable ressemble en effet à Kabel Deustchland mais en plus petit. Ce dernier a réalisé 1,8 milliard d’euros en 2012 avec 8,5 millions de foyers abonnés, et a dégagé 862 millions d’euros de résultat brut d’exploitation (Ebitda). Numericable, lui, a affiché 874 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012 avec 1,6 million d’abonnés, et a dégagé 456 millions d’euros d’Ebitda. Tous deux sont nés de l’intégration de plusieurs câblo-opérateurs régionaux
et sont de ce fait devenus les numéros 1 du câble de part et d’autre du Rhin.
Tous deux s’appuient également sur le câble coaxial boosté à la technologie Docsis
3.0 pour amener le très haut débit jusqu’aux immeubles (FTTB). Ce qui explique, par exemple, que Numericable ne compte que très peu d’abonnés ayant la fibre optique jusqu’à domicile (FTTH) : 635.000 au 31 décembre 2012, sur 1,647 millions d’abonnés (2). Un handicap ? @