Le rapport Lescure dresse un bilan accablant de l’offre légale en France

C’est le diagnostique le plus sévère de la mission Lescure : l’offre légale d’accès aux œuvres et contenus culturels en ligne laisse encore à désirer, malgré toutes les promesses faites par les pouvoirs publics et les industries culturelles depuis les deux lois Hadopi de 2009.

Par Charles de Laubier

PLL’offre légale en ligne, encore insuffisante ou trop peu rémunératrice, doit affronter la concurrence d’une offre illicite gratuite et quasi illimitée », constate le rapport de Pierre Lescure (photo). « L’offre culturelle en ligne peine toujours à satisfaire les attentes, très élevées, des internautes. L’insatisfaction, quoique générale, est plus évidente encore s’agissant des films et des séries télévisées.
Les reproches les plus récurrents concernent les prix trop élevés et le manque de choix », poursuit-il.

Industries culturelles mises en cause
Manque d’exhaustivité, incohérence (indisponibilité de certains épisodes), absence de flexibilité (disponibilité des versions française de films étrangers), manque de fraîcheur (chronologie des médias) ou encore contraintes des protections de type DRM (1) sont autant de « sources de frustration ».
Sans parler du manque d’interopérabilité entre terminaux, fichiers et droits numériques.
La mission Lescure en vient même à décerner au passage un satisfecit aux sites pirates ! « L’offre illégale (…] paraît, à de nombreux égards, difficilement égalable : elle est majoritairement gratuite et tend à l’exhaustivité, elle est facile d’accès, dénuée de DRM et disponible dans des formats interopérables, et elle est parfois de meilleure qualité que l’offre légale et en termes de formats ou de métadonnées associées ».
Il ne manquerait plus que ces plates-formes pirates versent une rémunération aux créateurs et respectent la chronologie des médias pour que tout aille pour le mieux…
Les industries culturelles et leurs « intermédiaires » de l’Internet en prennent pour leur grade, qui ne parviennent pas à aider les internautes à « distinguer clairement entre les pratiques légales et les pratiques illégales », ni à « garantir la juste rémunération des auteurs et des artistes au titre de l’exploitation en ligne », ni encore à permettre
« l’accès facile et sécurisé aux contenus ». L’offre légale « pèche encore par sa relative uniformité, que ce soit en termes de modèles tarifaires, de fonctionnalités offertes ou de ‘’ligne éditoriale’’ ». Pas étonnant dans ses conditions que « la crise de confiance entre les industries de la culture et une partie des publics » perdure et que bon nombre d’internautes préfèrent continuer à pirater. Sur les millions d’e-mails d’avertissements envoyés par l’Hadopi, n’y a-t-il pas finalement qu’« une trentaine de dossiers » transmis
à la Justice et seulement à ce jour trois jugements connus (2), dont… une relaxe ?
« Le recul du téléchargement de pairà- pair, probablement lié pour partie à l’efficacité
de la réponse graduée, a davantage profité aux autres formes de consommation illicite [téléchargement direct, streaming] qu’à l’offre légale. (…) Les carences de l’offre légale expliquent, pour partie, le recours à des pratiques illicites », préviennent les rapporteurs. Le cinéma, le livre et le jeu vidéo n’ont donc pas appris des erreurs de
la musique qui avait eu recours massivement à ces DRM, au point de détourner les internautes au profit du téléchargement illicite. « C’est avant tout la qualité de l’offre légale qui incitera les publics à délaisser les pratiques illicites », martelle le rapport Lescure.
Pour y parvenir, il en appelle aux industries culturelles : « Les restrictions apportées aux usages (chronologie des médias, DRM), parfois légitimes devraient être justifiées avec davantage de transparence et de pédagogie ». Une des autres difficultés provient des
« réticences des industries culturelles à expérimenter de nouveaux modèles
économiques », comme le financement de la publicité. « Seule l’offre légale gratuite financée par la publicité peut espérer rivaliser [avec les sites pirates] », estiment-ils. Aussi, il devient urgent d’« améliorer la disponibilité en ligne des œuvres culturelles, favoriser le développement d’un tissu de services innovants et attentifs à la diversité culturelle et stimuler la demande en encourageant l’émergence d’une offre abordable
et ergonomique, respectueuse des droits des usagers » (3). Plus techniquement, la dispersion et le cloisonnement des bases de métadonnées (4) posent problème.
« Faute de coordination et de standardisation suffisantes, des bases se multiplient, partiellement redondantes, qui ne peuvent dialoguer entre elles », ce qui ne favorise pas le développement de l’offre légale.

Licence globale pour offre non marchande
Quant à l’offre légale non marchande (bibliothèques et médiathèques notamment), par opposition à l’offre légale commerciale, elle reste aujourd’hui « beaucoup trop pauvre ».
« Le développement et la diversification de ces offres [non marchandes] devraient rendre moins pressante la demande d’une licence globale, conçue en partie comme un remède
à l’insuffisance de l’offre légale ». La balle est maintenant dans le camp du gouvernement. @

Charles de Laubier