Pérennité et qualité des réseaux très haut débit en fibre optique : le texte de loi attend son heure

Le projet de loi « Chaize », visant à « assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique », est depuis début mai entre les mains de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Point d’étape.

Par Marta Lahuerta Escolano, avocate of counsel, Jones Day

Le 2 mai 2023, le Sénat a approuvé à l’unanimité, avec des modifications, lors de sa première lecture, la proposition de loi « Assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique », déposée par le sénateur Patrick Chaize le 19 juillet 2022. Cette proposition de loi attend d’être examinée à l’Assemblée nationale (1) où elle est entre les mains de la commission des affaires économiques. La fibre optique est devenue l’infrastructure privilégiée pour répondre à la demande croissante de connectivité à haut débit.

Nombreux problèmes de raccordement
Grâce à sa capacité à transmettre des données à des vitesses plus élevées et à gérer un trafic plus important que les technologies traditionnelles, la fibre optique offre des avantages significatifs. En 2022, le déploiement des réseaux FTTH (Fiber-To-The-Home) en France a progressé à un rythme soutenu, avec 4,8 millions de nouveaux locaux raccordés à la fibre (2). Le Plan France Très haut débit (3) a joué un rôle essentiel dans cette accélération, en favorisant le déploiement de la fibre optique sur l’ensemble du territoire. L’objectif de ce plan est de garantir à chaque citoyen un bon débit pour tous (> 8 Mbits/s) d’ici 2020, le très haut débit (> 30 Mbits/s) d’ici 2022, et d’atteindre une généralisation de la fibre optique jusqu’à l’abonné (FTTH) d’ici 2025 (4). La réalisation de ces objectifs nécessite une collaboration et une mobilisation collective de tous les acteurs de l’industrie de la fibre optique, comprenant les donneurs d’ordres, les opérateurs d’infrastructure, les opérateurs commerciaux, les bureaux d’études et de contrôle, les installateurs (monteurs câbleurs, tireurs de fibre, raccordeurs, etc.), ainsi que les organismes de formation.
Cependant, malgré les efforts déployés pour raccorder des millions de nouveaux locaux à la fibre, des défis subsistent. Certains secteurs géographiques demeurent insuffisamment couverts et la qualité des réseaux existants peut varier considérablement (5). L’Observatoire annuel de la satisfaction client, réalisé fin 2022 et publié par l’Autorité de régulation des commu-nications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) le 18 avril 2023, met en évidence que – parmi les principales raisons d’insatisfaction des clients – la qualité de service, notamment sur les réseaux fixes, arrive en tête. Elle est suivie des problèmes liés aux contrats et à la facturation, puis des difficultés rencontrées lors de la souscription et du raccordement (6). En France, le mode de raccordement dit « Stoc », pour « sous-traitance aux opérateurs commerciaux », a été mis en place pour accélérer le déploiement de la fibre optique. Il consiste en la sous-traitance par l’opérateur d’infrastructure au profit de l’opérateur commercial, du déploiement des derniers mètres de son réseau jusqu’à l’abonné (7). Cependant, rapporte le Sénat : depuis 2018 et en raison de l’accélération du déploiement de la fibre optique, des retours du terrain ont signalé de nombreux problèmes liés aux raccordements des utilisateurs finaux à la fibre optique. Ces problèmes incluent des débranchements injustifiés, des câbles emmêlés, et d’autres dysfonctionnements. L’exposé des motifs de la proposition de loi attribue ces problèmes à la pratique de la sous-traitance en cascade pour le rac-cordement final.
Face à cette problématique, la filière télécoms a pris des mesures pour améliorer la qualité des raccordements. En 2020, une feuille de route a été adoptée, ce qui a conduit à l’élaboration d’un nouveau modèle de contrat de soustraitance appelé « contrat Stoc V2 ». De plus, les opérateurs se sont engagés à renforcer la qualité des interventions et à améliorer les contrôles, avec la mise en place du « contrat Stoc V3 » (8). Néanmoins, malgré ces efforts, le Sénat estime que les initiatives volontaires entreprises par les opérateurs n’ont pas permis d’atteindre les objectifs fixés.
C’est dans ce contexte que la proposition de loi a été introduite, visant à garantir la qualité et la durabilité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique en France.

Les objectifs de la proposition de loi
L’exposé des motifs de la proposition de loi établit clairement le ton et les fondements de la démarche législative : « La France est en pointe en Europe pour les déploiements, et les abonnés plébiscitent cette technologie en s’abonnant de façon massive. Mais cette réussite de transforme progressivement en échec essentiellement du fait du mode de raccordement des abonnés. Les derniers mètres, qui sont les premiers mètres vus de l’abonné, ruinent l’image du Plan France Très haut débit et sapent la résilience de ce réseau essentiel » (9). Etablir un cadre à la mise en oeuvre du raccordement final et clarifier la répartition des responsabilités, renforcer les contrôles sur la qualité du raccordement à la fibre optique et protéger les abonnés, sont les trois principaux objectifs de cette proposition de loi qui comporte cinq articles.

Les mesures législatives envisagées
Répartition des responsabilités
L’article 1er de la proposition de loi stipule que toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final – en l’occurrence l’opérateur d’infrastructure – est responsable à l’égard de l’utilisateur final de la bonne réalisation du raccordement à un réseau de communications électroniques à très haut débit. Cette responsabilité s’applique indépendamment des modalités spécifiques de réalisation du raccordement. Effectivement, l’article 1er de la proposition de loi souligne la responsabilité de l’opérateur d’infrastructure dans le choix du mode de réalisation des raccordements à la fibre optique sur son réseau. Il insiste également sur le rôle essentiel de l’opérateur d’infrastructure en tant que garant de la qualité des travaux réalisés.
Conformément à l’article 3 de la proposition de loi, cette fois, l’opérateur d’infrastructure accorde la priorité à l’opérateur commercial pour réaliser le raccordement permettant de desservir l’utilisateur final. Cependant, cette délégation est soumise au strict respect des règles de l’art par l’opérateur commercial. En revanche, l’opérateur d’infrastructure continue d’effectuer : les raccordements longs ou complexes (qui seront définis par décret) dans les zones fibrées et les communes dans lesquelles le décommissionnement du réseau cuivre est engagé ; les raccordements effectués en cas de changement de fournisseur d’accès Internet par un abonné (article 3). En sa qualité de responsable de la bonne réalisation du raccordement final, l’opérateur d’infrastructure est tenu de mettre en place un guichet unique permettant aux utilisateurs finaux de signaler les problèmes de raccordement. L’opérateur d’infrastructure dispose d’un délai maximum de dix jours à partir de la réception de la notification via le guichet unique pour résoudre les difficultés signalées (article 1er).
Qualité des raccordements
Le raccordement devra se conformer à des exigences de qualité minimales qui seront déterminées par un décret, après consultation de l’Arcep. Les contrats et cahier des charges liant les opérateurs d’infrastructure, opérateurs commerciaux et sous-traitants devront les respecter et l’Arcep pourra imposer des sanctions en cas de manquement à ces exigences (article 4). Afin d’assurer le respect des exigences de qualité, les contrats de sous-traitance devront se conformer à un modèle de contrat établi par l’opérateur d’infrastructure. Ce modèle de contrat devra être soumis à l’Arcep et sera opposable aux usagers. En outre, tout intervenant chargé de réaliser un raccordement devra obtenir une labellisation conformément à un référentiel national. De plus, il devra remettre à l’utilisateur final un certificat de conformité, attestant que les travaux réalisés respectent le cahier des charges qui lui est imposé. Cela garantit que les travaux sont effectués selon les normes requises et fournit à l’utilisateur final une preuve tangible de la conformité des travaux réalisés (article 1er). En cas de défaut de qualité du raccordement, l’abonné aura le droit de demander réparation de son préjudice.
Utilisation des deniers publics
Dans les réseaux d’initiative publique (RIP) dans lesquels les collectivités territoriales déploient les réseaux via des contrats passés dans le cadre de la commande publique, la remise du certificat de conformité mentionné précédemment est une condition préalable au paiement de l’opérateur qui a réalisé le raccordement (article 2). Dans les RIP, sur demande de l’acheteur ou de l’autorité concédante, le cocontractant devra lui transmettre le calendrier hebdomadaire de réalisation des raccordements d’abonnés finaux dans un délai qui ne peut excéder quarante-huit heures.

Droit des consommateurs L’article 5 de la proposition de loi renforce les droits des consommateurs en cas d’interruption prolongée du service d’accès à Internet, en établissant des pénalités à l’encontre du fournisseur d’accès à Internet (FAI). Selon cet article, en cas d’interruption du service d’accès à Internet pendant plus de vingt jours consécutifs, le consommateur aura le droit de résilier son contrat de service d’accès à Internet sans frais, à moins que le fournisseur ne démontre que l’interruption est directement imputable au consommateur.
En cas d’interruption du service d’accès à Internet pendant plus de cinq jours consécutifs, le fournisseur est tenu de suspendre automatiquement toute demande de paiement adressée au consommateur. Cette suspension perdurera jusqu’à ce que le service d’accès à Internet soit rétabli de manière continue pendant au moins sept jours ou jusqu’à ce que le consom-mateur décide de résilier le service (article 5).

A l’Assemblée nationale d’examiner le texte
La proposition de loi doit maintenant être examinée par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, où elle a été transmise depuis début mai dernier. Les divers acteurs impliqués devront évaluer les modalités de mise en oeuvre des mesures prévues dans la proposition de loi et travailler en collaboration pour atteindre les objectifs fixés dans le Plan France Très haut débit. @