Rapport de l’Assemblée des médias au gouvernement

En fait. Le 24 septembre, l’Association des Médias et du 7e Art a organisé toute la journée la 5e édition de l’Assemblée des médias (ex-La Nuit des Médias) présentée comme « la seule manifestation à réunir des professionnels de l’audiovisuel, du cinéma, des télécommunications et de l’Internet ».

En clair. Selon nos informations, la présidente de l’Association des Médias et du 7e Art, Jessica Miri Marcheteau, va remettre – dans les prochaines semaines – un rapport à la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, laquelle a d’ailleurs clôturé les débats de cette journée annuelle (lire aussi EM@15, p. 4). Ce sera la première fois que cette association – soutenue par France Télécom, la SACD (1), le CNC, des producteurs audiovisuels (Atlantis Télévision et Maya Groupe), Médiamétrie à travers sa filiale Digitime ou encore Yacast (2) – remettra au gouvernement un rapport issu des réflexions des tables rondes de l’Assemblée des médias, afin notamment
d’« anticiper les mutations au sein de l’industrie des médias et du cinéma, et l’éclosion de nouveaux médias ». Cette contribution des mondes de l’audiovisuel, du cinéma,
des nouveaux médias, de la communication, des télécoms et d’Internet réunis ce jour-là arrivera à point nommé : pour alimenter les travaux non seulement de la mission Fiscalité numérique de Pierre Collin et Nicolas Colin, lesquels doivent faire des propositions cet automne pour « créer les conditions d’une contribution à l’effort fiscal du secteur [du numérique] mieux répartie entre ses différents acteurs », mais aussi ceux de la mission « acte II de l’exception culturelle » de Pierre Lescure, lequel doit rendre ses conclusions au printemps 2013.
Au-delà de la volonté de cet événement de « décloisonner » les médias, la création
et Internet, il ressort de ces « assises » un objectif d’amener les acteurs du Net à contribuer à la création de contenus médias, audiovisuel et cinématographique.
C’est le message qu’a par exemple voulu faire passer la presse traditionnelle. « Nous présentons au gouvernement un projet de loi pour que Google nous rémunère lorsqu’il utilise nos articles. Sinon, il y a pillage. Or, après huit mois de négociation, la firme de Mountain View nous répond que ‘’l’info n’a pas de valeur ; elle ne l’achètera pas’’ ! », s’est insurgé Francis Morel, PDG du groupe Les Echos et vice-président de l’IPG, nouvelle association réunissant les syndicats de la presse (SPQN, SEPM et SPQR).
La grande presse rejoint ainsi les industries culturelles, lesquelles veulent élargir à tous les acteurs du numérique les contribution au financement de la création : film, audiovisuel, musique, livre, … @

Les opérateurs télécoms prônent la TV sur fibre

En fait. Le 3 octobre, lors du colloque organisé par l’association des opérateurs télécoms historiques (Etno) et le Financial Times, la commissaire européenne Neelie Kroes a lancé l’idée de réduire les revenus des réseaux de cuivre d’un opérateur historique s’il n’investit pas dans la fibre optique.

 En clair. Les opérateurs historiques n’apprécient guère la menace de Neelie Kroes.
Par la voix de leur association de lobbying basés à Bruxelles, Etno (1), ils estiment
que baisser les prix de leur boucle locale freinerait leur investissement dans la fibre.
Les France Télécom, Deutsche Telekom et autres Telecom Italia en appellent plutôt à
la Commission européenne pour « encourager la demande » pour les réseaux très haut débit et notamment pour « encourager la migration de la télévision de plateformes [de diffusion] terrestres vers les réseaux haut débit dont la fibre, ou vers les réseaux mobile/satellites lorsque la fibre n’est pas disponible ».
Pour le président de l’Etno, Luigi Gambardella, « la TV-over-fiber sera la killer application pour encourager la demande pour les réseaux de fibre ». Basculer la télévision sur fibre permettrait en plus, selon les opérateurs historiques, de libérer des fréquences pour les réseaux mobile ou sans fil. Le problème est que la demande en fibre reste poussive :
4,1 millions d’abonnés dans les Vingt-sept, sur les 23,4 millions de raccordement déployés, selon une étude de l’Idate pour le FTTH Council Europe (EM@43, p. 5).

30 Mbits/s au moins par Européen d’ici 2020
L’objectif communautaire – que tous les Européens aient au moins 30 Mbits/s d’ici 2020, dont la moitié à 100 Mbits/s – semble hors d’atteinte. Mais la Commission européenne ne désarme pas. La commissaire européenne en charge du numérique propose donc de faire d’une pierre deux coups : baisser les prix « trop élevés » du dégroupage des opérateurs historiques, sauf « dérogation » faite aux opérateurs historiques qui investiraient suffisamment dans un réseau de fibre optique et dans
un temps raisonnable. Pour les opérateurs historiques récalcitrants, l’exécutif européen envisage de réduire le prix de location de la paire de cuivre.
Neelie Kroes, dont l’objectif est d’inciter à terme au remplacer (switch-off) le cuivre
par la fibre (2), constate en outre que les régulateurs nationaux divergent lorsqu’il s’agit de définir les « tarifs orientés vers les coûts » d’accès à la boucle locale de cuivre des opérateurs historiques. Le dégroupage du réseau téléphonique – c’est-à-dire sa location par les opérateurs concurrents ou fournisseurs d’accès à Internet (FAI) – varie en effet de 5,21 euros à 12,41 euros par mois, selon les Etats membres. Bruxelles lance une consultation publique jusqu’au 28 novembre. @

Création du CNN : à quand la rationalisation des outils de régulation du numérique ?

Le Conseil national du numérique (CNN), censé simplifier les relations entre
les acteurs du Net et les pouvoirs publics, risque d’accroître la confusion
déjà existante entre les multiples « AAI ». La convergence aurait mérité
une rationalisation – voire une fusion – entre certaines d’entre elles.

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, Gide Loyrette Nouel.

Le 29 avril dernier naissait le Conseil national pour
le numérique (CNN), entité entièrement dédiée à l’Internet
et au numérique (1). La création de ce nouveau conseil vise
à combler l’absence de tout organisme transversal dans
ces secteurs depuis la disparition du Forum des droits sur l’Internet (FDI) en décembre 2010, faute de financements.

Syndromes Dadvsi, Hadopi et Loppsi
Pour le gouvernement, la création d’un organisme de liaison avec les professionnels
du numérique devrait également permettre d’éviter de rencontrer, à l’avenir, les mêmes difficultés que celles connues lors du vote des lois Dadvsi (2), Hadopi (3) ou Loppsi (4). Le rôle de régulation du CNN est pourtant limité : ses missions se cantonnant à la formulation de « recommandations en faveur du développement de l’économie numérique en France » et à l’émission d’avis sur « tout projet de dispositions législative ou réglementaire susceptible d’avoir un impact sur l’économie numérique » (5). Par ailleurs,
la faiblesse des moyens dont il est pourvu se heurte à la volonté affichée de « favoriser et soutenir le numérique […], soutenir la création […], développer l’éducation […], respecter la liberté de connexion et d’expression […] » (6). En outre, sa composition – marquée par l’absence de tout représentant de la société civile, des industries culturelles ou la sous représentation des acteurs de l’industrie informatique – et l’absence de définition claire de son statut (7) ne sont pas sans faire l’objet de vives critiques (8).
La création du CNN, et plus particulièrement le choix de ne pas en faire une Autorité administrative indépendante (AAI) mais un simple organisme consultatif, soulève la question des moyens optimaux à mettre en oeuvre en matière de régulation du secteur des médias, des télécommunications et des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En effet, les AAI dédiées à la régulation de ce secteur et mises en place régulièrement depuis plus de trente ans (A) sont aujourd’hui marquées par une diminution des moyens accordés, de régulières attaques à leur indépendance à l’égard du pouvoir exécutif et un manque de lisibilité des compétences de chacune (B). Pour autant, la création d’organismes consultatifs tels que CNN n’apparaît pas être une alternative appropriée aux faiblesses du système des AAI. Il serait préférable de revenir aux fondamentaux, afin de permettre à ces autorités de recouvrer leur légitimité d’autrefois (C).
A – Il est aujourd’hui difficile d’affirmer avec précision le nombre d’AAI existant véritablement en France. Legifrance en dénombre à ce jour pas moins de 38, dont 6 au moins sont exclusivement dédiées aux secteurs des média, des télécommunications
et des NTIC : Arcep (9), Arjel (10), Cnil (11), CSA (12), Hadopi (13) et le Médiateur du cinéma.
Depuis la création de la CNIL en 1978 (14), les AAI fleurissent en effet en matière
de régulation du secteur des média, des télécommunications et des NTIC. Relevant parfois d’une initiative communautaire, les raisons de leur création sont multiples : construire et maintenir la concurrence entre acteurs d’un secteur nouvellement ouvert
à la concurrence ou nécessitant l’allocation de ressources rares, organiser la protection des libertés publiques, offrir à l’opinion une garantie renforcée d’impartialité des inventions de l’Etat, etc.

Manque de lisibilité des compétences
Aujourd’hui, des autorités de régulation ou d’organismes consultatifs sont créées par opportunisme. Dictée par des motivations d’ordre politique consistant notamment à appliquer le principe du « un problème = une solution », la création de certaines entités apparaît en effet relever davantage du remède de circonstance que d’une réelle avancée sur le long terme. Ainsi, le CNN – au statut mal défini, à l’indépendance non consacrée et dépourvu de toute prérogative de régulation – semble principalement avoir un rôle de liaison plutôt que d’élaboration de la réglementation d’Internet et du numérique. Par ailleurs, sa mission essentiellement consultative nécessitait-elle réellement la création d’un organisme dédié ? Le dialogue avec des professionnels
du secteur n’était-il pas déjà rendu possible par l’intermédiaire des syndicats et associations de défense (15) ?

« Déficit de légitimité démocratique »
En l’absence de droit commun régissant les AAI, leur multiplication n’est pas sans comporter un certain nombre de risques. De par le cumul de fonctions de contrôle
et de régulation, ces instances souffrent d’un déficit de légitimité démocratique relevé régulièrement par la doctrine (16). Investies de prérogatives aussi multiples qu’étendues, elles peuvent édicter des actes réglementaires mais aussi prendre des décisions et prononcer des mesures punitives, portant ainsi atteinte au principe de la
« séparation des pouvoirs ». Par ailleurs, la variété des missions confiées à ces différentes instances et l’hétérogénéité des pouvoirs dont elles sont dotées conduisent à une diversité des structures et à un manque de cohérence parfois dommageable.
B – Pratique originaire des pays de « Common Law », la régulation de certains secteurs économiques par des AAI s’adapte difficilement aux pays de tradition
« civiliste » et conduit à un certain nombre de dérives. Conçues comme des alternatives à la lourdeur de l’administration, ces structures ont de plus en plus tendance à en reproduire les principaux travers. A l’heure de la suppression d’un poste sur deux dans la fonction publique, les AAI ne cessent de s’étoffer et leurs procédures de s’alourdir. L’indépendance vis-àvis de l’exécutif, caractéristique essentielle des autorités de régulation, est régulièrement mise à mal. Pour preuves : la désignation du président de France Télévisions par le président de la République se substituant au CSA ou encore la récente tentative de nomination d’un commissaire du gouvernement au sein de l’Arcep. De la même manière, les autorités de régulation, membres du Fratel (17), n’ont pas toutes réussi à mettre en place une véritable indépendance organisationnelle et structurelle. Par exemple, l’autorité marocaine (ANRT) est présidée par le Premier ministre, tandis que celle de la République Démocratique Congo (ARPTC) relève du président de la République. De même, l’autorité nigérienne (ARM) – conçue initialement comme une autorité indépendante – est rattachée, depuis 2005, au Premier ministre.
L’addition d’AAI conduit également à un chevauchement de leurs compétences du fait de certaines incohérences ou lacunes textuelles. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne l’Autorité de la concurrence, autorité transversale aux différents secteurs économiques, et les autorités sectorielles telles que l’Arcep ou le CSA. Si l’on considère traditionnellement que l’Autorité de la concurrence intervient ex post, alors que les autorités sectorielles interviennent ex ante, le pouvoir de règlement des différends dont sont dotées ces dernières conduit à certaines superpositions de compétences (18).
Il est d’ailleurs régulièrement relevé que le partage de compétences entre les AAI et l’administration publique – par exemple entre le Médiateur du cinéma et le CNC (19) –
n’est pas sans comporter des risques de doublon (20).
C – Pour autant, cette multiplication des AAI et les travers qui en résultent ne semblent pas ôter à ces structures la légitimité de leur existence. Le recours aux autorités administratives indépendantes demeure un outil indispensable, dont on ne saurait
se priver à la condition de revenir aux fondamentaux. En effet, les AAI présentent
de nombreux avantages. En associant les professionnels d’un secteur donné à la détermination des règles applicables, elles permettent non seulement la bonne adaptation des mesures aux réalités du terrain mais également de recevoir l’adhésion des acteurs économiques grâce à une légitimité accrue liée à la participation de ces derniers.
Par ailleurs, le pragmatisme inhérent aux AAI autorise une plus grande flexibilité de la norme et assure l’efficacité de l’intervention étatique en termes de rapidité, d’adaptation aux évolutions technologiques et de continuité dans l’action. Ces divers atouts sont autant de justifications à la conservation d’autorités de régulation dans les secteurs des médias, des télécommunications ou des nouvelles technologies. Il importe néanmoins de revaloriser ces structures en retournant aux principes fondateurs de leur création.
Le retour à une taille limitée permettant souplesse, réactivité et convivialité semble primordial. Par ailleurs, il convient de rationaliser le nombre de ces autorités afin de permettre une meilleure cohérence de la régulation des secteurs des médias, des télécommunications et des NTIC à l’heure de la convergence entre les contenus et
les réseaux.

Fusion de certaines autorités ?
Cela peut passer par une fusion de certaines autorités, selon les exemples anglais
ou italien, mais également par une harmonisation des procédures et une meilleure organisation des relations entre elles. Enfin, l’indépendance de ces autorités doit
être rappelée et protégée afin d’asseoir véritablement leur autorité. @

J’ai la fibre… optique

Immobile, assis au bureau que j’ai installé chez moi dans
un village en plein cœur des Cévennes, à plus de 600 kilomètres de Paris, je surfe à la vitesse de la lumière sur
un flot d’informations qui va et qui vient à un débit de près
de 100 mégabits. Mon retour cévenole n’a donc que peu
de chose à voir avec la recherche idéale de mes grands prédécesseurs des lointaines, mais toujours fantasmées, Seventies. Loin d’une rupture radicale, je m’inscris bien plutôt dans un confortable compromis. Voyez plutôt : travail à domicile et cadre champêtre, mais avec tous les services à très haut débit à portée de clic. Sans revenir aux Grecs anciens, pour lesquels le phénomène du transport de la lumière dans des cylindres de verre était déjà connu, il a fallu attendre 1854 pour que la possibilité de guider la lumière dans un milieu courbe soit scientifiquement démontrée.
Et 1880, pour que Graham Bell invente son photophone, premier appareil de communication sans fil utilisant la transmission optique qu’il considérait d’ailleurs comme sa plus grande invention – même si elle n’eut aucun succès. C’est la combinaison de ces avancées, avec la production des premières fibres de verre en 1930 et l’invention du laser en 1960 permettant la transmission du signal sur de longues distances, qui aboutira en 1970 – grâce à trois scientifiques de la compagnie Corning – à la production de la première fibre optique capable de transporter des informations utilisables pour les télécommunications.

« Les nouveaux usages, très gourmands en bande passante, ont finalement justifié les investissements consentis »

Dès lors, le cycle cinquantenaire de diffusion d’une technologie clé s’applique parfaitement : le premier système de communication téléphonique optique fut installé au centre-ville de Chicago en 1977, et en 1980 pour la première liaison optique à Paris entre deux centraux téléphoniques. Cette première vague a conduit à l’utilisation quasi-exclusive de la fibre optique pour les réseaux longues distances des opérateurs. En revanche, c’est au début des années 2000 que la question d’apporter directement à l’abonné la puissance de la fibre a été posée. Cette question a alimenté nos débats pendant de nombreuses années, notamment en raison des investissements nécessaires pour desservir des pays étendus et aux densités de population très variables, comme c’est le cas pour notre territoire.
Les déploiements ont donc commencé lentement, freinés il est vrai par la violente crise
de 2009. La France de 2010 comptait alors moins de 500 000 abonnés FTTH, pour un taux de pénétration de la fibre d’environ 2% pour l’ensemble des foyers.
La dynamique, toujours entretenue par les pays les plus avancés comme le Japon et la Corée du Sud pour l’Asie, ou la Suède pour l’Europe, s’est peu à peu accélérée pour la France, jusqu’à atteindre un taux de pénétration de près de 30 % des foyers en 2015 et
de plus de 50% aujourd’hui, pour un réseau déployé qui couvre désormais une grande partie du territoire. Cette évolution, que d’aucuns n’ont cessé de trouver bien trop lente,
a tout d’abord été soutenue par la compétition entre les nations, entre les régions et entre les opérateurs, ces derniers devant au même moment consentir d’importants investissements dans leurs réseaux mobiles à très haut débit de quatrième génération.
Le relais a ensuite été pris par la demande des utilisateurs et la stabilisation d’un écosystème clarifié entre les acteurs des réseaux, de l’Internet et des contenus.
Les nouveaux usages, très gourmands en bande passante, ont finalement justifié les investissements consentis : travail à distance utilisant communément un mur d’images et la visioconférence, consultation médicale à domicile, enseignement à distance, télévision connectée et vidéo à la demande, sans pouvoir citer la liste toujours plus longue des loisirs numériques en ligne.
Après avoir jeté un coup d’œil rêveur à ma fenêtre pour admirer les derniers reflets du soleil sur le massif cévenol, je reviens à l’image projetée de mon ordinateur sur grand écran et replonge pour assister à une Traviata de légende en direct du Metropolitan Opera, en haute définition et en 3D. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Le livre numérique
Depuis 1997, Jean-Dominique Séval est directeur marketing et
commercial de l’Idate (Institut de l’audiovisuel et des télécoms en
Europe), lequel a publié de nombreux rapports dans le cadre de son
service de veille « FTTx Watch Service », dirigé par Roland Montagne.

Au nom de « l’exception culturelle », le cinéma déroge au droit de la concurrence

L’ordonnance du 5 novembre 2009 modifiant le code du cinéma et de l’image animée met en place une véritable régulation sectorielle du cinéma en France qui, au nom de « l’exception culturelle », apporte des dérogations au droit de la concurrence – y compris en VOD.

Par Christophe Clarenc (photo) et Renaud Christol, avocats, cabinet Latham & Watkins

Dès le 28 juin 1979, la Commission de la concurrence
– ancêtre de l’Autorité de la concurrence – a affirmé dans
un avis que « si le cinéma est à la fois un art et une industrie […] et nonobstant l’existence de réglementations spécifiques mises en oeuvre sous l’autorité du centre national de la cinématographie [CNC], les règles de concurrence en vigueur sont applicables aux entreprises et activités cinématographiques » (1). Or, les relations entre le cinéma et le droit de la concurrence sont à tout le moins « ambivalentes », ainsi que l’a relevé il y a deux ans le rapport « Cinéma et concurrence » (2).

Projet de loi déposé en janvier 2010
En effet, de nombreuses dispositions spécifiquement applicables au secteur du
cinéma en France limitent les mécanismes naturels du marché au nom de la survie de l’industrie française, face à l’hégémonie du cinéma américain et au titre de « l’exception culturelle ».L’ordonnance n°2009- 1358 du 5 novembre 2009 (3), dont le projet de loi de ratification a été déposé au Sénat le 20 janvier 2010 (4), vient compléter ces dispositions et met en place une véritable régulation sectorielle du cinéma en France. Ce texte, pris en application de l’article 72 de la loi du 5 mars 2009 (5), vise à modifier ou à créer dans le nouveau code du cinéma et de l’image animée, « les dispositions législatives relatives à l’encadrement et à la régulation des rapports entre les différents acteurs économiques intervenant dans la diffusion des œuvres cinématographiques en salle et par les éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande ». L’objectif poursuivi est de « permettre une régulation de la concurrence adaptée aux spécificités de [l’industrie du cinéma] et conforme aux objectifs de politique publique en faveur de la création et de sa diffusion à tous les publics » (6). L’Autorité de la concurrence a été saisie le 10 août 2009 d’une demande d’avis du ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi sur ce projet d’ordonnance.
Dans son avis favorable rendu le 8 octobre 2009, elle a émis deux réserves importantes et a formulé des recommandations. A la lecture de l’ordonnance du 5 novembre 2009, force est de constater que le pouvoir réglementaire a tenu compte de ses deux réserves, mais n’a pas suivi l’ensemble de ses recommandations, faisant ainsi prévaloir la politique culturelle sur le droit de la concurrence. Le projet d’ordonnance prévoyait l’extension du pouvoir du médiateur du cinéma à tout litige « relatif à la mise en oeuvre de pratiques commerciales ne respectant pas les exigences d’une concurrence loyale et non faussée » (7). Le médiateur du cinéma, institué en 1982 comme autorité administrative indépendante chargée d’une mission de conciliation préalable, se voyait ainsi conférer le pouvoir exclusif d’examen des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur du cinéma. Par voie de conséquence, l’industrie cinématographique était extraite du droit commun de la concurrence.

Deux réserves prises en compte mais…
Pour l’Autorité de la concurrence, cette disposition était susceptible d’instaurer une
dualité de compétence contraire à l’article L. 462-5 du code de commerce, qui lui donne compétence exclusive pour connaître des pratiques d’entente et d’abus de position dominante. Elle préconisait donc que l’articulation entre sa compétence et celle du médiateur du cinéma soit calquée sur celle existante dans d’autres secteurs, comme par exemple l’énergie, les télécommunications ou l’audiovisuel. Dans ces secteurs, en effet, le régulateur correspondant (CRE, Arcep, CSA) met en oeuvre la régulation sectorielle mais l’application du droit de la concurrence est réservée à l’Autorité de la concurrence. L’ordonnance du 5 novembre 2009 adopte la position de cette dernière et impose au médiateur du cinéma, en complément de sa mission de conciliation, de saisir l’Autorité de la concurrence de toute pratique anticoncurrentielle, « dont il a connaissance dans le secteur de la diffusion cinématographique » (8).
Le projet d’ordonnance prévoyait également un mécanisme de coordination périodique entre distributeurs, à l’initiative de leurs organisations professionnelles, destiné à établir
un calendrier prévisionnel des plans de sorties des films en salle (9). Cette disposition visait à favoriser un meilleur étalement des sorties sans réguler le nombre de films ou
de copies. Pour l’Autorité de la concurrence, dans la mesure où ce calendrier prévisionnel conduisait à une coordination entre les distributeurs sur la date de sortie des films (élément important de leur politique commerciale), il constituait une entente anticoncurrentielle de répartition de marché. Même si le projet d’ordonnance prévoyait
une dérogation expresse à l’article L. 420-1 du code de commerce, il ne permettait pas de mettre le calendrier prévisionnel à l’abri des dispositions du droit communautaire prohibant les ententes anticoncurrentielles. L’Autorité de la concurrence, soulignant les « dangers » constitués par le calendrier prévisionnel, a donc préconisé sa suppression.
Cette disposition ne figure pas dans l’ordonnance du 5 novembre 2009.

… une rémunération minimale maintenue
Conscients de l’essor des services de médias audiovisuels à la demande – au premier rang desquels figure la vidéo à la demande (VOD) –, les professionnels du cinéma ont proposé au CNC d’encadrer la politique tarifaire des éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande, en prévoyant une rémunération minimale garantie pour les ayants droit. Leur crainte était en effet que la concurrence par les prix susceptible de s’exercer entre ces éditeurs, conduise à une diminution importante de la rémunération
des ayants droits. A la suite de cette proposition, le principe d’une rémunération minimale des ayants droit, envisagé dans le rapport « Cinéma et concurrence », a été inséré dans le projet d’ordonnance. Selon l’Autorité de la concurrence, cette dérogation au principe de la libre détermination des prix par le jeu de la concurrence (10) n’était pas justifiée. Tout d’abord, l’instauration d’une rémunération minimale garantie pouvait conduire à une hausse des prix aux consommateurs, en raison des répercussions de marge effectuées par les différents opérateurs. Ensuite, un tel dispositif apparaissait inapproprié « en opportunité » car « la VOD constitue un marché émergent sur lequel [l’Autorité de la concurrence] ne dispose d’aucune donnée » (11).

« Politique culturelle » et « offre légale »
Enfin, les « motifs d’intérêt général » permettant de déroger au droit communautaire de
la concurrence (12) ne semblaient pas suffisamment établis. Par voie de conséquence, l’Autorité de la concurrence a recommandé « l’abandon de la notion de rémunération minimale dans le cas de la VOD, qui est prématurée au vu du contexte actuel du
marché » (13). Le pouvoir réglementaire n’a pas tenu compte de cette recommandation. Le nouvel article L. 223-1 du code du cinéma et de l’image animée prévoit, en effet, dans le cadre de l’exploitation des œuvres cinématographiques sur les services de médias audiovisuels à la demande, qu’« une rémunération minimale peut être fixée ».
L’explication de ce désaccord avec la position de l’Autorité de la concurrence figure dans le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance du 5 novembre 2009 (14). La rémunération minimale garantie y est en effet présentée comme de nature à assurer « le développement et le maintien de la diversité de l’offre cinématographique sur les services à la demande », ainsi que « la pleine application
de la nouvelle chronologie des médias […] en permettant une cohérence économique dans la valorisation des droits conforme à cette chronologie », dont elle serait
« indissociable ». En d’autres termes, l’instauration d’une rémunération minimale garantie en matière d’exploitation des films par les éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande, permettrait de poursuivre « l’objectif général de sauvegarde de la création et des droits des ayants droit et contribuera nécessairement au développement d’une offre légale enrichie, en incitant les titulaires de droits à mettre
à disposition plus rapidement et plus systématiquement leurs œuvres ».
Reste à savoir si l’Autorité, qui doit être consultée sur le projet de décret fixant les modalités d’application de ce nouveau dispositif de rémunération minimale garantie, remettra le droit de la concurrence au premier plan, et comment. @