Création du CNN : à quand la rationalisation des outils de régulation du numérique ?

Le Conseil national du numérique (CNN), censé simplifier les relations entre
les acteurs du Net et les pouvoirs publics, risque d’accroître la confusion
déjà existante entre les multiples « AAI ». La convergence aurait mérité
une rationalisation – voire une fusion – entre certaines d’entre elles.

Par Rémy Fekete (photo), avocat associé, Gide Loyrette Nouel.

Le 29 avril dernier naissait le Conseil national pour
le numérique (CNN), entité entièrement dédiée à l’Internet
et au numérique (1). La création de ce nouveau conseil vise
à combler l’absence de tout organisme transversal dans
ces secteurs depuis la disparition du Forum des droits sur l’Internet (FDI) en décembre 2010, faute de financements.

Syndromes Dadvsi, Hadopi et Loppsi
Pour le gouvernement, la création d’un organisme de liaison avec les professionnels
du numérique devrait également permettre d’éviter de rencontrer, à l’avenir, les mêmes difficultés que celles connues lors du vote des lois Dadvsi (2), Hadopi (3) ou Loppsi (4). Le rôle de régulation du CNN est pourtant limité : ses missions se cantonnant à la formulation de « recommandations en faveur du développement de l’économie numérique en France » et à l’émission d’avis sur « tout projet de dispositions législative ou réglementaire susceptible d’avoir un impact sur l’économie numérique » (5). Par ailleurs,
la faiblesse des moyens dont il est pourvu se heurte à la volonté affichée de « favoriser et soutenir le numérique […], soutenir la création […], développer l’éducation […], respecter la liberté de connexion et d’expression […] » (6). En outre, sa composition – marquée par l’absence de tout représentant de la société civile, des industries culturelles ou la sous représentation des acteurs de l’industrie informatique – et l’absence de définition claire de son statut (7) ne sont pas sans faire l’objet de vives critiques (8).
La création du CNN, et plus particulièrement le choix de ne pas en faire une Autorité administrative indépendante (AAI) mais un simple organisme consultatif, soulève la question des moyens optimaux à mettre en oeuvre en matière de régulation du secteur des médias, des télécommunications et des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En effet, les AAI dédiées à la régulation de ce secteur et mises en place régulièrement depuis plus de trente ans (A) sont aujourd’hui marquées par une diminution des moyens accordés, de régulières attaques à leur indépendance à l’égard du pouvoir exécutif et un manque de lisibilité des compétences de chacune (B). Pour autant, la création d’organismes consultatifs tels que CNN n’apparaît pas être une alternative appropriée aux faiblesses du système des AAI. Il serait préférable de revenir aux fondamentaux, afin de permettre à ces autorités de recouvrer leur légitimité d’autrefois (C).
A – Il est aujourd’hui difficile d’affirmer avec précision le nombre d’AAI existant véritablement en France. Legifrance en dénombre à ce jour pas moins de 38, dont 6 au moins sont exclusivement dédiées aux secteurs des média, des télécommunications
et des NTIC : Arcep (9), Arjel (10), Cnil (11), CSA (12), Hadopi (13) et le Médiateur du cinéma.
Depuis la création de la CNIL en 1978 (14), les AAI fleurissent en effet en matière
de régulation du secteur des média, des télécommunications et des NTIC. Relevant parfois d’une initiative communautaire, les raisons de leur création sont multiples : construire et maintenir la concurrence entre acteurs d’un secteur nouvellement ouvert
à la concurrence ou nécessitant l’allocation de ressources rares, organiser la protection des libertés publiques, offrir à l’opinion une garantie renforcée d’impartialité des inventions de l’Etat, etc.

Manque de lisibilité des compétences
Aujourd’hui, des autorités de régulation ou d’organismes consultatifs sont créées par opportunisme. Dictée par des motivations d’ordre politique consistant notamment à appliquer le principe du « un problème = une solution », la création de certaines entités apparaît en effet relever davantage du remède de circonstance que d’une réelle avancée sur le long terme. Ainsi, le CNN – au statut mal défini, à l’indépendance non consacrée et dépourvu de toute prérogative de régulation – semble principalement avoir un rôle de liaison plutôt que d’élaboration de la réglementation d’Internet et du numérique. Par ailleurs, sa mission essentiellement consultative nécessitait-elle réellement la création d’un organisme dédié ? Le dialogue avec des professionnels
du secteur n’était-il pas déjà rendu possible par l’intermédiaire des syndicats et associations de défense (15) ?

« Déficit de légitimité démocratique »
En l’absence de droit commun régissant les AAI, leur multiplication n’est pas sans comporter un certain nombre de risques. De par le cumul de fonctions de contrôle
et de régulation, ces instances souffrent d’un déficit de légitimité démocratique relevé régulièrement par la doctrine (16). Investies de prérogatives aussi multiples qu’étendues, elles peuvent édicter des actes réglementaires mais aussi prendre des décisions et prononcer des mesures punitives, portant ainsi atteinte au principe de la
« séparation des pouvoirs ». Par ailleurs, la variété des missions confiées à ces différentes instances et l’hétérogénéité des pouvoirs dont elles sont dotées conduisent à une diversité des structures et à un manque de cohérence parfois dommageable.
B – Pratique originaire des pays de « Common Law », la régulation de certains secteurs économiques par des AAI s’adapte difficilement aux pays de tradition
« civiliste » et conduit à un certain nombre de dérives. Conçues comme des alternatives à la lourdeur de l’administration, ces structures ont de plus en plus tendance à en reproduire les principaux travers. A l’heure de la suppression d’un poste sur deux dans la fonction publique, les AAI ne cessent de s’étoffer et leurs procédures de s’alourdir. L’indépendance vis-àvis de l’exécutif, caractéristique essentielle des autorités de régulation, est régulièrement mise à mal. Pour preuves : la désignation du président de France Télévisions par le président de la République se substituant au CSA ou encore la récente tentative de nomination d’un commissaire du gouvernement au sein de l’Arcep. De la même manière, les autorités de régulation, membres du Fratel (17), n’ont pas toutes réussi à mettre en place une véritable indépendance organisationnelle et structurelle. Par exemple, l’autorité marocaine (ANRT) est présidée par le Premier ministre, tandis que celle de la République Démocratique Congo (ARPTC) relève du président de la République. De même, l’autorité nigérienne (ARM) – conçue initialement comme une autorité indépendante – est rattachée, depuis 2005, au Premier ministre.
L’addition d’AAI conduit également à un chevauchement de leurs compétences du fait de certaines incohérences ou lacunes textuelles. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne l’Autorité de la concurrence, autorité transversale aux différents secteurs économiques, et les autorités sectorielles telles que l’Arcep ou le CSA. Si l’on considère traditionnellement que l’Autorité de la concurrence intervient ex post, alors que les autorités sectorielles interviennent ex ante, le pouvoir de règlement des différends dont sont dotées ces dernières conduit à certaines superpositions de compétences (18).
Il est d’ailleurs régulièrement relevé que le partage de compétences entre les AAI et l’administration publique – par exemple entre le Médiateur du cinéma et le CNC (19) –
n’est pas sans comporter des risques de doublon (20).
C – Pour autant, cette multiplication des AAI et les travers qui en résultent ne semblent pas ôter à ces structures la légitimité de leur existence. Le recours aux autorités administratives indépendantes demeure un outil indispensable, dont on ne saurait
se priver à la condition de revenir aux fondamentaux. En effet, les AAI présentent
de nombreux avantages. En associant les professionnels d’un secteur donné à la détermination des règles applicables, elles permettent non seulement la bonne adaptation des mesures aux réalités du terrain mais également de recevoir l’adhésion des acteurs économiques grâce à une légitimité accrue liée à la participation de ces derniers.
Par ailleurs, le pragmatisme inhérent aux AAI autorise une plus grande flexibilité de la norme et assure l’efficacité de l’intervention étatique en termes de rapidité, d’adaptation aux évolutions technologiques et de continuité dans l’action. Ces divers atouts sont autant de justifications à la conservation d’autorités de régulation dans les secteurs des médias, des télécommunications ou des nouvelles technologies. Il importe néanmoins de revaloriser ces structures en retournant aux principes fondateurs de leur création.
Le retour à une taille limitée permettant souplesse, réactivité et convivialité semble primordial. Par ailleurs, il convient de rationaliser le nombre de ces autorités afin de permettre une meilleure cohérence de la régulation des secteurs des médias, des télécommunications et des NTIC à l’heure de la convergence entre les contenus et
les réseaux.

Fusion de certaines autorités ?
Cela peut passer par une fusion de certaines autorités, selon les exemples anglais
ou italien, mais également par une harmonisation des procédures et une meilleure organisation des relations entre elles. Enfin, l’indépendance de ces autorités doit
être rappelée et protégée afin d’asseoir véritablement leur autorité. @