Euro Telco Blues

Aujourd’hui nous ne faisons quasiment plus attention à nos fournisseurs de connectivité. Non qu’ils aient disparu, bien au contraire, mais nos terminaux sont désormais suffisamment autonomes pour nous épargner la corvée de savoir sur quel réseau ils ont préféré se connecter pour nous permettre de poursuivre notre « visio-conversation », notre émission vidéo ou notre partie de jeux en ligne. Que je sois chez moi en train de changer de pièce, en déplacement d’un lieu à un autre, ou en voyage au-delà les frontières, je n’ai plus besoin de bidouiller mes équipements ou de surveiller mes factures, comme nous
le faisions tous il y a encore dix ans à peine. Ce n’est pas la fin de l’histoire des télécommunications pour autant. Mais il faut reconnaître qu’avec la maturité, ce secteur
a gagné en simplicité d’usage. J’ai désormais un seul abonnement qui couvre l’ensemble de mes terminaux connectés. Cet abonnement m’offre un accès illimité en connexion fixe, y compris à partir de mes terminaux mobiles chez moi – avec un basculement automatique en mode WiFi. Ce forfait d’abondance est partagé entre mes différents usages en mobilité, indépendamment de l’heure, du terminal ou du lieu, en incluant de nombreux pays étrangers. Sur chaque terminal, ma page d’accueil personnalisée s’adapte à mes activités en se mettant à jour régulièrement en fonction de la fréquence de mes dernières consultations. La plupart des programmes ou des communications sont gratuits ou inclus dans mon forfait avec l’accès, de sorte que je maîtrise ma facture. Et pour éviter tout problème technique, j’ai souscrit auprès d’un second opérateur un abonnement mobile complémentaire, low-cost pour des fonctions basiques immédiatement activées sans que je le sache. La simplicité s’est imposée face à l’explosion des usages en termes de temps passé, de diversités d’applications disponibles et d’interactivité généralisée.

« La plupart des opérateurs ont abandonné
l’intégration de services de type IPTV et restent
en marge du Cloud et du Big Data. »

Cette situation pourrait paraître idéale s’il n’y avait, pour l’Europe, une ombre au tableau : la situation critique de son industrie et de ses groupes qui fournissent aux Européens les indispensables communications électroniques devenues « utilities » comme l’eau, le gaz et l’électricité. Car le contexte économique fut difficile durant cette dernière période : ce n’est que cette année que les services télécoms ont retrouvé leur niveau de chiffre d’affaires de 2009 ! Entre temps, que de péripéties. La dernière décennie fut inaugurée
par l’onde de choc de la chute de champions comme Nokia ou Vodafone, passant sous pavillon US, suivie par la reprise des «maillons faibles » affaiblis par la crise, qui avaient cédé sous la pression des restructurations et des ajustements économiques. Un nouveau paysage industriel est ainsi apparu, écartelé entre deux calendriers antagonistes. Le premier, de long terme, présidait à la réorganisation d’un secteur des services télécoms dépendant de l’adaptation de la régulation et de la structure industrielle. Le second, dans l’urgence, nécessitait la sauvegarde d’une industrie stratégique affrontant, affaiblie et dans le désordre, une nouvelle phase de restructuration.
Personne n’était alors d’accord sur ce que voulait dire « construire une Europe des communications » mieux intégrée : quelle méthode pour mettre fin au coût d’itinérance (roaming) en Europe ? Comment harmoniser le puzzle inextricable de la gestion du spectre par pays ? Jusqu’où simplifier et unifier les règles pour les opérateurs ?
Autant de dossiers qui n’ont commencé à être vraiment traités qu’à partir de fin 2014 avec la mise en place d’un nouveau Paquet télécom. A coup de stratégies offensives passant par les fusions, ou défensives en partageant les infrastructures, les opérateurs ont peu à peu repris l’initiative en se différenciant grâce à la commercialisation des accès dits
« premium » en 4G et FTTx. Mais ils n’ont pas été en mesure de capter une valeur additionnelle dans les services. A part quelques géants, la plupart ont abandonné l’espoir d’une intégration de services, de type IPTV, et sont restés en marge de l’essor de nouveaux territoires comme le Cloud et le Big Data. Finalement, il fallut redécouvrir que la valeur était dans le meilleur réseau possible au service des nouveaux usages, pour que l’Europe se re-concentre sur la culture de ses nouveaux champions. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Le mash-up
* Directeur général adjoint de l’IDATE, auteur du livre
« Vous êtes déjà en 2025 » (www.lc.cx/2025).
Sur le même thème, l’institut vient de publierson rapport
« Future Telecom 2025 », par Didier Pouillot.

L’enquête de Bruxelles plane sur Numericable coté

En fait. Le 8 novembre, l’action Numericable à 24,80 euros (au prix fort) a réussi son départ à la Bourse de Paris en gagnant près de 15 % au cours de cette première journée. Ce qui valorise le câblo-opérateur 3,5 milliards d’euros, lui permettant de lever plus de 650 millions d’euros pour se désendetter.

En clair. On est loin du bond de 92 % enregistré la veille à New York par l’action de Twitter le premier jour de cotation, mais quand même ! Si Numericable fait bonne figure malgré ses 2,75 milliards d’euros d’endettement (1) et la tendance baissière après la dégradation le jour même de la note souveraine de la France (2), c’est que les actionnaires du câblo-opérateur espèrent une fusion avec le groupe SFR l’an prochain lors de l’introduction en Bourse de ce dernier à la fin du premier semestre 2014. A moins que Bouygues Telecom ne se décide à lancer une offre sur Numericable… Quoi qu’il en soit, cet état de grâce, auquel contribuent Vodafone et Liberty Global qui s’emparent de deux autres câblo-opérateurs européens (respectivement Kabel Deutschland pour 7,7 milliards d’euros et Virgin Media pour 17 milliards), pourrait ne pas faire long feu. Une épée de Damoclès est en effet au-dessus de la holding Ypso du câblo-opérateur que détiennent les fonds Altice du fondateur Patrick Drahi (30 % contre 24 % avant l’introduction), Carlyle (26 % contre 37,5 %) et Cinven (18 % contre 37,5 %), le flottant étant à ce stade de 24 %.

Cette épée s’appelle la Commission européenne, laquelle a lancé le 17 juillet une enquête approfondie sur la possible aide d’Etat dont a bénéficié Numericable lors de la « cession à titre gracieux [au câblo-opérateur français entre 2003 et 2006] de réseaux câblés et de fourreaux opérée par 33 municipalités françaises » (3). C’est France Télécom, bien qu’il ne soit pas nommé, qui a porté plainte à Bruxelles par courrier du 26 janvier 2009 contre cet « avantage économique » donné à Numericable. Il s’agirait bien d’une aide d’Etat dans la mesure où la France n’a confié aucune obligation de service public au « câblo ». Bruxelles, qui a recueilli jusqu’au 17 octobre les observations des parties intéressées, doit encore rendre son verdict. « Le groupe conteste fermement l’existence d’une quelconque aide d’Etat », se défend Numericable dans son prospectus publié par l’AMF le 18 septembre. Et de prévenir plus loin : « Si le groupe perd une partie de son statut d’opérateur sur une partie de son réseau, (…) ou s’il doit donner accès à son réseau à ses concurrents à des conditions économiquement non satisfaisantes, cela pourrait avoir une incidence défavorable significative sur son activité, ses résultats d’exploitation et sa situation financière ». @

Cinéma français et Orange : « Je t’aime, moi non plus »

En fait. Le 30 octobre, le Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma)
et l’UPF (Union des producteurs de films) ont écrit au PDG d’Orange, Stéphane Richard, pour lui demander de le rencontrer afin d’évoquer l’accord de 2009 sur
les obligations d’OCS et les investissements d’Orange Studio.

En clair. Pour le cinéma français, il y a urgence à renégocier avec Orange avant
que n’arrive à échéance le 31 décembre prochain l’accord quinquennal signé le 10 novembre 2009 avec le Bloc, le Blic (1) et l’ARP (2). Ces prochaines discussions donneront un avant-goût de celles qui se dérouleront l’an prochain avec le premier pourvoyeur de fonds du Septième Art français, Canal+, dont l’accord arrive à échéance le 31 décembre 2014, soit un an après celui d’OCS.
Les deux sociétés sont en outre liées dans le cinéma et au capital, Canal + détenant 33,33 % d’OCS au côté des 66,66% d’Orange. « Or, avant même que des discussions commencent pour renouveler cet accord, OCS nous demande de baisser ses obligations d’investissement par abonné et par mois (3), à un moment où le nombre de ses abonnés augmente et où le bouquet a annoncé à grand renfort de communication un important accord avec la plus grande chaîne américaine de séries télévisées (HBO). Cette demande a été officialisée auprès du CSA avant même nos discussions », s’insurgent les deux organisations du cinéma français Bloc et UPF dans leur courrier adressé à Stéphane Richard, PDG d’Orange.

Le Bloc, le Blic et l’ARP espéraient renégocier à la hausse le prochain accord avec
OCS, tablant sur le fait que le bouquet de 5 chaînes thématiques a dépassé 1,8 million d’abonnés grâce à l’élargissement de sa diffusion au-delà d’Orange avec CanalSat, SFR et Numericable – et bientôt Free et Bouygues Telecom en cours de négociation. Malgré une diffusion accrue, Orange a quand même perdu les droits des films de Warner. Autre effet de levier possible : la fin des « demi-abonnés » mobile pour le calcul du minimum garanti (Lire EM@56, p. 7.), le cinéma français espérant que le mobile rapportera autant que le fixe.
Quant à Orange Studio (ex-Studio 37), la filiale de coproduction de films de l’opérateur télécoms, elle a fait parler d’elle aux 23e Rencontres cinématographiques de Dijon de fin octobre dernier : « Orange Studio annonce le gel de ses investissements dans le cinéma, ce qui est un signal négatif supplémentaire de la part d’Orange », s’inquiètent le Bloc et l’UPF auprès de Stéphane Richard. Selon Le Film Français, le budget 2014 de d’Orange Studio serait le même que cette année : soit 20 millions d’euros. Mais à partir de 2015, Orange s’interroge. A défaut d’accord, le CSA pourrait être appelé à régler le différend. @

Des opérateurs devront choisir entre IPTV et OTT

En fait. Le 15 octobre, l’Institut de l’audiovisuel et des télécoms en Europe (Idate) a fait un point sur ses prévisions à 2025 – à un mois du DigiWorld Summit 2013. Et en attendant ses études Telecom 2025 fin octobre, Internet 2025 d’ici janvier, Télévision 2025 étant parue en septembre.

En clair. « A court ou moyen terme, c’est la stratégie d’opérateur intégré qui va être jouée – au sens intégration verticale entre infrastructure, contenu et OTT (1). Cela ne veut pas dire que les opérateurs télécoms vont se désintéresser de l’accès, pour lequel leur priorité va être de retrouver de la valeur », nous a expliqué Yves Gassot, DG de l’Idate.
Si les plus grands opérateurs télécoms, tel Orange en France, peuvent envisager une telle intégration verticale (2), il n’en irait pas de même pour les autres. Il leur faudra notamment choisir entre IPTV et OTT, comme nous l’a expliqué Gilles Fontaine, auteur
du rapport Future TV 2025 : « En France, les opérateurs de second niveau – c’est-à-dire ceux qui ne sont pas leaders sur leur marché (Bouygues Telecom, SFR et Free…) – sortiront de la distribution des contenus, donc de l’IPTV (3). La VOD est un foyer de pertes pour ces opérateurs. Et les services de catch up TV ne sont pas financés par la publicité et ne vivent que par les reversements des opérateurs télécoms aux chaînes de télévision. Le maintien d’un réseau IPTV est très lourd et le marché n’est plus dans une phase d’acquisition d’abonnés ». Lancé il y a plus de dix ans en France avec les offres triple play proposées depuis autour de 30 euros par mois seulement, l’IPTV commence
à être remis en question par certains. C’est le cas de SFR qui vient de se délester de la VOD en externalisant ce service auprès de VOD Factory et qui s’interroge sur son bouquet TV. L’IPTV coûte cher, d’autant que les FAI perçoivent 30 % environ du prix
de vente de ce qu’ils distribuent. L’absence de marge sur l’IPTV s’explique aussi par le coût élevé de R&D que représente une box innovante. Quelle alternative s’offre à ces opérateurs télécoms ? « Ces acteurs-là valoriseront la qualité de leur accès en ouvrant les vannes de l’accès aux services OTT ; ils signeront des accords à la manière du deal entre Netflix et Virgin Media en Grande-Bretagne. Ces opérateurs valoriseront leur pas-de-porte auprès des consommateurs comme gage de super qualité d’accès à des contenus et obtiendront [des fournisseurs de contenus] une contribution à la bande passante. Ce schéma va arriver assez vite », poursuit Gilles Fontaine.
Cela suppose à terme, pour certains opérateurs télécoms, d’abandonner une coûteuse stratégie IPTV au profit d’une ouverture vers la distribution d’OTT. @

Il y a près de trois ans maintenant, Free lançait l’option TV à 1,99 euro

Malgré les critiques des politiques et des industries culturelles qui n’ont cessé d’accuser Iliad de contournement fiscal, l’option TV à 1,99 euro perdure.
Survivra-t-elle à la nouvelle TSTD ?

La Commission européenne devrait dire d’ici fin septembre si elle accepte ou pas la deuxième mouture, élargie à tous les abonnements fixe et mobile, de la taxe TSTD (pour taxe sur la distribution de services de télévision payée par les FAI) que lui a soumise cet été le gouvernement français.

TSTD : décision en vue
Selon nos informations, c’est Wouter Pieke, le directeur de l’unité « Aide d’Etat » (C4)
à la direction de la Concurrence du commissaire européen Joaquín Almunia, qui examine
la notification de la France. Maintenant que la décision de la Cour européenne de
Justice (CJUE) a validé le 27 juin dernier la « taxe télécom » française prélevée sur
les opérateurs pour financer l’audiovisuel public, Bruxelles va pouvoir maintenant se prononcer sur la nouvelle TSTD. La décision mettra-t-elle un terme à trois ans de flou artistique dans ce domaine ?
Si elle était validée, cela pourrait remettre en question l’option TV à 1,99 euro que Free
a instaurée il y a bientôt trois ans maintenant, en plus du forfait à 29,99 euros (1). Ce surcoût, payé par la plupart des 5,5 millions d’abonnés à la Freebox, a de fait contribué à augmenter l’ARPU des abonnements haut débit. Cette option TV est née à la suite de la hausse, à l’automne 2010, de la TVA à 19,6 % sur les offres triple play, au lieu de 5,5 % sur la moitié de la facture liée à distribution des chaînes de télévision. Ce changement
de fiscalité avait été adopté dans la loi de finances 2011, après que la Commission européenne ait considéré comme illégale l’application par la France de la TVA réduite sur la moitié du triple play. Or cette disposition fiscale avait été instaurée par la loi du 5 mars 2007 « en contrepartie » de la taxe TSTD, payable au fonds Cosip du CNC (2) pour contribuer au financement du cinéma (lire EM@19, p. 7).

Optimisation fiscale ?
Voyant la TVA repasser à 19,6 %, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) se sont estimés floués. Free a été le premier – suivi de SFR – à instaurer une option TV à prix modique, payant de ce fait un écot bien moindre au CNC. Depuis, les gouvernements successifs et des organisations du cinéma et de l’audiovisuel n’ont cessé de dénoncer
ce qu’ils considèrent comme un « contournement fiscal » ou une « optimisation fiscale » de la part de Free.

Le cinéma fustige Free
« Free tente ainsi de faire une économie sur le dos de la création cinématographique et audiovisuelle, en ayant pour objectif de réduire drastiquement l’assiette de la taxe destinée à cette dernière, qui est perçue par le CNC, tout en continuant plus que jamais à faire des œuvres un produit d’appel », dénonçait à l’époque Frédéric Goldsmith, délégué général de l’Association des producteurs de cinéma (APC) (lire EM@27, p.3). « Les créateurs (…) seraient fondés à exercer [leur droit d’autoriser ou d’interdire la retransmission des programmes] pour éviter d’être dépouillés par cette carabistouille », estimait de son côté Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD). @

Charles de Laubier