Et si les réseaux sociaux étaient régulés par l’intelligence collective de la seule société civile

« Nous sommes les réseaux sociaux » est un essai de Serge Abiteboul, un des sept membres du collège de l’Arcep, et de Jean Cattan, secrétaire général du Conseil national du numérique (CNNum). Ils prônent « une véritable régulation-supervision » des réseaux sociaux « opérée par la société ».

Paru le 7 septembre 2022 aux éditions Odile Jacob, le livre de Serge Abiteboul (photo de gauche) et de Jean Cattan (photo de droite) – intitulé « Nous sommes les réseaux sociaux » – propose un nouveau modèle de régulation des Facebook, Twitter et autres TikTok. « Entre la censure excessive et le laisser-faire, une autre voie est possible, plus démocratique, plus participative », assurent-ils. Au bout de 250 pages (1), ils lancent un appel : « Une véritable régulation supervision opérée par la société nous paraît souhaitable. Une telle initiative permettrait d’animer un débat citoyen pour choisir la modération que nous souhaitons ».

Les risques d’un Etat « modérateur »
« Oui à une régulation fondée sur un débat citoyen, une régulation par la société », prônent Serge Abiteboul et Jean Cattan, respectivement membre du collège de l’Arcep et secrétaire général du Conseil national du numérique (CNNum). Cette régulation-supervision par la société gagnerait ainsi «sa légitimité à imposer aux réseaux sociaux une modération raisonnable qui donnerait à tous les moyens de s’exprimer dans le respect de chacun ». Et de prendre en exemple Wikipedia : l’encyclopédie en ligne montre qu’« il est possible d’exercer collectivement une forme d’intelligence de modération qui fonctionne », en tirant parti des « dynamiques collectives vertueuses ». Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia (2), a d’ailleurs lancé en 2019 un réseau social qu’il décrit comme « non-toxique » : WT.Social (3). L’intelligence collective des internautes en guise de régulation des réseaux sociaux serait elle la solution ? L’autorégulation par les plateformes elles-mêmes montre ses limites ; la censure stricte des contenus porte atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’informer ; la modération rigoriste freine l’émergence de nouvelles idées. Par conséquent, une régulation-supervision par la société semble la bonne voie : « Nous sommes les réseaux sociaux », titrent justement les auteurs de cet essai.
Mais cette régulation-supervision doit-elle se faire par l’intelligence collective de la société civile elle-même et, donc, sans l’intervention d’une autorité de régulation relevant d’un Etat, ou bien faudrait-il que cette régulation-supervision soit encadrée par les pouvoirs publics (gouvernement, régulateur, législateur, justice, …) ? Serge Abiteboul et Jean Cattan rejettent d’emblée – et c’est heureux – la voie d’une régulation tout-étatique : « Une régulation-supervision qui consacrerait un tête-à-tête entre l’Etat et le réseau social ne serait pas (…) à l’abris d’un rejet de la société ». Ils prônent donc « une véritable contribution (…) de la société à la modération [qui] serait non seulement gage d’une plus grande acceptabilité mais surtout d’une plus grande qualité ». Pour autant, les deux auteurs écartent implicitement la voie – pourtant possible – d’une régulation-supervision par la seule société civile, à la manière de Wikipedia dont ils parlent – et où ce sont les 103,9 millions d’individus contributeurs et les 3.762 administrateurs, au 20 septembre 2022 (4), qui ont voix au chapitre et non les régulateurs ni les gouvernements.
Au lieu de cela, le membre de l’Arcep et le secrétaire général du CNNum retiennent plutôt une approche à la manière de la « Mission Facebook ». A savoir : « Que les réseaux sociaux entrent dans un dialogue politique informé avec toutes les parties prenantes [gouvernement, législateur, justice, entreprises, société civile, …], collectivement ». Cette idée d’une « corégulation entre les plateformes et les autorités publiques » avait été évoquée par Mark Zuckerberg, PDG cofondateur de Facebook, et Emmanuel Macron, le président de la France, lors de leur rencontre en 2018 (5). Le rapport de la « Mission Facebook », remis par Macron à Zuckerberg le 17 mai 2019 à l’Elysée (6), a inspiré l’Europe sur certains points du DSA (Digital Services Act) : comme la « supervision » des moyens mis en œuvre par les plus grandes plateformes numériques – celles présentant un « risque systémique » – pour modérer les contenus nocifs. Mais le DSA, lui, n’associe pas directement la société civile et les internautes.

Europe : l’acte manqué du DSA
La « régulation-supervision » reste entre les mains de la Commission européenne (sur les très grandes plateformes), le nouveau Comité européen des services numériques (sur les services intermédiaires) et les régulateurs nationaux (en fonction du pays d’origine). La société civile, elle, reste absente de cette régulation-supervision des réseaux sociaux. « Un tel cadre [associant la société civile] pourrait enrichir le DSA [et] s’appliquer aussi au DMA [Digital Markets Act, ndlr], permettant ainsi à toute la société de participer à l’élaboration des objectifs de régulations », concluent les auteurs. En France, le Conseil d’Etat vient de recommander d’« armer la puissance publique dans son rôle de régulateur » (7) des réseaux sociaux… @

Charles de Laubier

Cuivre : garantir la qualité à 17 millions de foyers

En fait. Le 22 septembre, s’est tenue la conférence annuelle « Territoires connectés » de l’Arcep. Parmi les sujets de crispation : le maintien de la qualité du réseau de cuivre utilisé pour l’ADSL et le VDSL par plus de 17 millions d’abonnés en France – soit encore 53,7 % de toutes les connexions fixes à Internet.

En clair. Qui doit payer le maintien de la qualité de service du réseau de cuivre en France ? Selon les calculs de Edition Multimédi@, cela concerne encore plus de 17 millions de prises de cuivre encore opérationnelles en France, soit 53,7 % précisément de toutes les connexions fixes à Internet (1). La question à laquelle le régulateur et le gouvernement vont devoir répondre rapidement est de savoir comment garantir la qualité de service au plus de 11,1 millions d’abonnés ADSL dont la connexion haut débit passe par leur fameuse paire de cuivre. Et auxquels s’ajoutent plus de 5,9 millions d’abonnés VDSL bénéficiant d’un très haut débit par leur paire de cuivre éligible à cette technologie (VDSL2).
Selon le secrétaire général d’Orange, Nicolas Guérin, qui s’exprimait le 22 septembre lors de la conférence « Territoire connectés » de l’Arcep, l’opérateur historique supporte environ 500 millions d’euros de coût d’entretien par an pour que le réseau de cuivre fonctionne. Mais pas question pour lui financer seul le « surcoût » pour en garantir la « qualité de service ». Et ce, alors que les revenus d’Orange provenant de la location de cette « boucle locale » de cuivre aux opérateurs télécoms concurrents sont en recul en raison de la migration des abonnés vers la fibre optique (2). L’ex-France Télécom plaide donc pour une hausse des tarifs du « dégroupage » payés par les opérateurs alternatifs (SFR, Bouygues Telecom, Free, …). Sinon, prévient Orange, la qualité de service va continuer à se dégrader jusqu’à l’extinction complète du réseau de cuivre en 2030. A moins que l’Arcep n’accorde à Orange une augmentation du prix du dégroupage supporté par les autres fournisseurs d’accès à Internet, lesquels ne veulent pas payer plus pour une technologie en déclin. Les 17 millions d’abonnés ADSL et VDSL sont pris en otage. Le plan de fermeture du cuivre qu’Orange a présenté à l’Arcep en janvier 2022 a été enclenché dès 2020 par un « arrêt de commercialisation » de prises de cuivre. D’après son rapport annuel publié en mai, Orange fait état de 15 millions de prises de cuivre déjà non-commercialisées à mars 2022. «A partir de 2026, Orange ne commercialisera plus de nouveaux abonnements ADSL et la fermeture du réseau cuivre débutera à grande échelle. A l’horizon 2030, [l’extinction du cuivre] concernera la totalité du réseau », précise le groupe dirigé depuis début avril dernier par Christel Heydemann (3). @

Pour pallier la disparition des cookies, la publicité contextuelle cherche à s’imposer dans le monde

La fin prochaine des cookies, et autres traceurs publicitaire intrusifs sur les terminaux des internautes pris pour cibles, a ouvert la voie à la publicité contextuelle. C’est aussi une alternative à l’exploitation des données personnelles des utilisateurs. Des adtech comme Seedtag relèvent le défi.

« La publicité contextuelle est une technique publicitaire qui vise à diffuser sur un support (web, télévision) des publicités choisies en fonction du contexte dans lequel le contenu publicitaire est inséré », définit la Cnil sur son site web (1). Avantage : le ciblage contextuel ne nécessite pas d’avoir des informations sur la personne regardant la publicité, ni de collecter des données personnelles la concernant. Bref, c’est l’arme anti-cookie et anti-data par excellence. Des adtech comme l’espagnole Seedtag s’en sont fait une spécialité, devançant notamment le champion français des cookies, Criteo (2), qui tente de pivoter dans le contextuel.

Seedtag, « n°1 mondial » du contextuel
La start-up Seedtag, fondée en 2014 par deux anciens de chez Google, Jorge Poyatos (photo de gauche) et Albert Nieto (photo de droite), a créé une intelligence artificielle contextuelle – baptisée Liz – qui permet aux annonceurs de « toucher les consommateurs en fonction de leurs intérêts sans utiliser aucune donnée personnelle ». Ayant son siège social à Madrid, cette licorne en puissance se déploie à l’international, tant en Europe qu’aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. Fin juillet, elle a annoncé avoir levé 250 millions d’euros auprès du fonds américain Advent International. Celui-ci rejoint d’autres investisseurs institutionnels déjà présents dans Seedtag, à savoir Oakley Capital, Adara Ventures et All Iron Ventures. Objectif : « Faire évoluer le secteur de la publicité digitale à plus grande échelle », notamment outre-Atlantique.
Seedtag se revendique déjà comme étant « le numéro un en Europe et en Amérique Latine dans la publicité contextuelle ». S’étant d’abord développé dans la publicité intégrée au sein des images illustrant des articles (in-image advertising), Seedtag a ensuite élargi son offre à la vidéo (outstream) et aux bannières (display). Pour se hisser à la première place de ce marché dynamique, la start-up madrilène rachète certains de ses concurrents : la société italienne AtomikAd est tombée dans son escarcelle en novembre 2020, suivie de l’allemand Recognified en février 2021, puis du français KMTX en juillet 2022. En plus de son IA contextuelle, Liz, Seedtag ajoute ainsi des cordes à son arc pour mieux cibler les internautes sans recourir aux cookies ni exploiter leurs données, ni les suivre à la trace dans leurs navigations sur le Web. Ses outils alternatifs vont du placement in-content jusqu’à l’automatisation des performances marketing (apprentissage automatique). « En diffusant des publicités dans le contenu, nous tirons pleinement parti de l’attention des utilisateurs : selon l’eye-tracking [oculométrie en français, à savoir le suivi des mouvements des yeux sur un écran, ndlr] les publicités intégrées au contenu captent l’attention plus rapidement et la retiennent plus longtemps ».
Cette optimisation du ciblage publicitaire cookie-free est obtenue par la « lecture » approfondie des contenus des pages pour obtenir le meilleur résultat pour l’annonceur. De grandes marques telles que Microsoft, LG, Heineken, Nestlé, Renault, Unilever, Levi’s, Forbes, Marie-Claire, Vanity Fair ou encore Sky Sport font partie du portefeuille de clients de Seedtag. Par exemple, la filiale française dirigée par Clarisse Madern a renouvelé en début d’année des partenariats avec des éditeurs tels que CMI (Elle, Marianne, Télé 7 jours, …), Prisma Media (Capital, Gala, Geo, …), Lagardère Publicité News et Reworld Media.
En mai dernier, avec l’appui d’une étude de l’institut marketing Nielsen réalité auprès de 1.800 consommateurs au Royaume-Uni, Seedtag a démontré que le ciblage contextuel était bien plus accepté que le ciblage utilisant leurs données personnelles : « Les consommateurs étaient 2,5 fois plus intéressés par la publicité contextuelle que lorsqu’il la publicité n’est pas ciblée. De plus, les résultats ont montré que les personnes qui ont vu des publicités contextuelles étaient 32 % plus susceptibles de passer l’action après avoir vu la publicité. Les consommateurs ciblés en fonction du contexte se sont sentis 40 % plus enthousiastes à l’égard de la catégorie [du message publicitaire] que ceux ciblés sur le plan démographique et 28 % plus enthousiastes que ceux ciblés uniquement en raison de leur intérêt dans la catégorie » (3).

Les navigateurs deviennent cookieless
En début d’année, dans le cadre de ses tests pour sa solution alternative « Privacy Sandbox », Google avait annoncé la fin des cookies tiers sur son navigateur Chrome d’ici à fin 2023 (4), au lieu de 2022 initialement prévu. Alors qu’Apple avec Safari et Mozilla avec Firefox sont déjà cookieless (5), la filiale d’Alphabet a dû prolonger les tests : « Nous avons maintenant l’intention de commencer à éliminer progressivement les cookies tiers dans Chrome dans la seconde moitié de l’année 2024 », a-t-elle indiqué le 27 juillet dernier (6). @

Charles de Laubier

Rapport « NFT » au CSPLA : jetons non-fongibles et propriété intellectuelle font-ils bon ménage ?

La question de la nature juridique des NFT n’est pas près d’être tranchée. Le rapport « Martin-Hot », remis au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), soulève les difficultés et fait des recommandations. Dommage que ni l’Arcom ni des magistrats n’aient été consultés.

Par Véronique Dahan, avocate associée, et Jérémie Leroy-Ringuet, avocat, Joffe & Associés.

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), instance consultative chargée de conseiller le ministère de la Culture, s’est vu remettre, le 12 juillet 2022, un rapport sur les jetons non-fongibles, ou NFT (1). L’objectif fixé à leurs auteurs – Jean Martin, président de mission, et Pauline Hot, la rapporteure – était de dresser un état des lieux et une analyse du phénomène du développement des NFT en matière littéraire et artistique.

Nature juridique : question non tranchée
Le rapport formule également vingt propositions destinées à informer les acteurs et à encadrer et sécuriser le marché, à un moment où les ventes de NFT connaissent un important reflux : près de 6 milliards de dollars de volume de ventes en janvier 2022 contre moins de 700 millions en juillet et même à peine 370 millions en août (2). Nous retenons de ce dense rapport de près de cent pages (3) la caractérisation d’une triple difficulté : celle de qualifier juridiquement les NFT, celle de les encadrer juridiquement, et celle de sanctionner des usages contrefaisants qu’ils occasionnent.

La difficile qualification juridique et l’objectif pratique des NFT en matière de propriété littéraire et artistique. Le rapport part d’une constatation de la difficulté de définir les NFT, qualifiés d’« objets juridiques non identifié » (4). Il écarte toute une série de catégories juridiques : les NFT ne sont pas des œuvres d’art puisqu’ils sont le résultat de processus de codage automatisés et non le produit original de l’empreinte de la personnalité d’un auteur ; ils ne sont pas des supports d’œuvres d’art puisque, la plupart du temps, ils ne contiennent pas l’œuvre mais l’indexent ; ils ne sont ni des certificats d’authenticité ni des éléments de DRM (5) puisqu’ils peuvent porter sur des faux ou des contrefaçons ; enfin, ils ne sont pas des contrats, notamment du fait que les parties sont identifiées par des pseudonymes et que le langage de nature logicielle du NFT ne permet pas de s’assurer du consentement des parties sur le contenu du contrat. Le rapport finit par retenir plutôt la qualification, « souple », de « titre de droits sur un jeton mais aussi sur un fichier, dont l’objet, la nature, et l’étendue varie en fonction de la volonté de son émetteur exprimée par les choix techniques et éventuellement juridiques associés au smart contract ». Les NFT seraient donc assimilables à des biens meubles incorporels correspondant à des titres de propriété. Mais quand on sait que la doctrine n’est toujours pas d’accord sur la qualification d’un droit de marque (droit personnel ? droit mobilier incorporel, donc réel ? titre de propriété dont l’objet comprend les composantes traditionnelles d’usus, fructus et abusus ?), on peut imaginer que la question de la nature juridique du NFT n’est pas près d’être tranchée. Quoi qu’il en soit, le rapport liste une série d’usages actuels ou potentiels des NFT dans le secteur littéraire et artistique, qui compose un paysage assez complet. Ce que l’on peut résumer en disant que les NFT représentent de nouvelles opportunités économiques pour les ayants droit. Il peut s’agir tout d’abord de nouveaux usages monnayés : vente d’œuvres « natives » NFT, de copies numériques d’œuvres préexistantes, de prestations associées propres à créer ou renforcer des communautés de « fans », etc.
Ces nouveaux usages monnayables pourraient particulièrement intéresser de nouveaux publics et donc de nouveaux consommateurs. Il peut ensuite s’agir de favoriser le financement de projets littéraires et artistiques : des NFT peuvent être offerts en contrepartie d’un apport à des financements participatifs de films, de publications, d’expositions, … Enfin, l’usage de NFT permet d’authentifier certains droits et de prévenir des usages contrefaisants, au moyen de smart contracts dont le rapport pointe toutefois les limites eu égard au formalisme requis, pour certains contrats, par le code de la propriété intellectuelle. Ainsi, les NFT pourraient être utilisés pour la billetterie de spectacles ou pour encadrer l’usage d’une œuvre sur laquelle des droits sont transférés.

Auteur, titulaire de droits et plateforme
Le rapport recommande donc d’effectuer un travail pédagogique auprès des différents acteurs pour encourager les usages vertueux des NFT, et à clarifier leur régime juridique par des voies normatives.
Le difficile encadrement de l’usage des NFT. Créer un NFT revient soit à créer une œuvre native NFT, soit à créer la copie privée d’une œuvre acquise par le créateur du NFT. Dès lors, le rapport rappelle que ce n’est pas tant la création d’un NFT elle-même qui peut présenter un risque de non-respect des droits que l’inscription du NFT sur une plateforme spécialisée dans l’achat et la revente de NFT. En effet, le créateur du NFT ne peut l’inscrire sur cette plateforme que s’il est auteur ou titulaire des droits sur l’œuvre vers laquelle le NFT « pointe ». Or le rapport rappelle que 80 % des NFT actuellement en ligne sur la plateforme OpenSea, par exemple, sont des contrefaçons ou du spam. Ce qui représente d’ailleurs des risques pour les consommateurs potentiellement abusés.

Les ayants droit en position de force ?
Le rapport évoque bien sûr l’apport de la technologie blockchain sur la sécurisation de la chaîne des droits : les smart contracts liés aux NFT « pointant » vers des œuvres pourraient prévoir une « forme d’automatisation des royalties » qui, si elle ne mettra certainement pas fin aux litiges en la matière, placera les ayants droit en position de force. Le rapport analyse également en détail l’interaction potentielle du droit de suite avec les NFT. Selon le rapport, si les NFT permettent un paiement automatique des ayants droit identifiés dans le smart contract à l’occasion de chaque transfert de droits, il ne semble pas possible de tirer profit de cette technologie pour faire une application du « droit de suite » au sens de l’article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle. Et ce, en raison des critères spécifiques afférents à ce droit, notamment celui du transfert de propriété par un professionnel de la vente d’œuvres.
Enfin, le rapport s’interroge sur la qualification d’atteinte au droit moral par l’inscription d’un NFT sans l’accord de l’auteur de l’œuvre vers laquelle « pointe » le NFT : si, par exemple, une œuvre musicale est reproduite sous forme de fichier mp3, fortement compressé, ou si elle est reproduite sans mention du nom du compositeur, l’atteinte devrait pouvoir être aisément caractérisée ; mais dans le cas contraire, il restera un débat sur la question de savoir si la « transformation » d’une œuvre en NFT peut constituer une violation du droit moral.
Pour favoriser un écosystème vertueux du marché des NFT, le rapport propose l’élaboration de chartes de bonnes pratiques aux niveaux national et européen, ainsi que le développement d’outils d’observation du marché de nature à accroître la transparence sur les mouvements de fonds.
L’encore incertaine sanction des usages de NFT contrefaisants. Un des apports les plus intéressants du rapport est son analyse du statut des plateformes de NFT et des sanctions qu’elles pourraient subir, notamment en raison de la grande présence de contrefaçon parmi les NFT hébergés. Selon le rapport, il n’est pas exclu que le régime des fournisseurs de services de partage de contenu en ligne s’applique à celles qui proposent l’achat et la vente de NFT, et donc que la responsabilité des plateformes soit engagée si elles ne retirent pas promptement les contenus contrefaisants, comme l’exige la loi « Confiance dans l’économique numérique » de 2004. On regrettera, à ce sujet, qu’aucune personne de l’Arcom (ex-CSA et Hadopi) n’ait été consultée par la mission. Il est regrettable aussi de ne pas avoir consulté des magistrats spécialisés en propriété intellectuelle pour anticiper l’appréciation par les tribunaux des NFT allégués de contrefaçon et de l’application de l’arsenal procédural anti-contrefaçon. Ainsi, les praticiens pourront s’interroger sur les conditions pratiques et juridiques de la récolte de preuves de contrefaçon par des NFT : quid de la possibilité de réaliser une saisie contrefaçon descriptive, par exemple ? Il conviendrait donc que les propositions d’informations et de réflexions prônées par le rapport visent également les juges.
Nous sommes plus optimistes que le rapport sur la compétence des tribunaux français pour des atteintes à des droits d’auteur dont les titulaires sont français : les clauses attributives de juridiction des conditions générales de vente (CGV) et des conditions générales d’utilisation (CGU) des plateformes hébergeant les NFT contrefaisants ne seront pas opposables aux auteurs des œuvres contrefaites. Et la reconnaissance de plus en plus large du critère d’accessibilité en matière de contrefaçon en ligne devrait assurer la compétence des tribunaux nationaux pour des actes commis sur des sites accessibles depuis la France.
Mais le rapport soulève une question intéressante : le « caractère immuable » de la blockchain semble rendre quasiment impossible la suppression définitive de NFT contrefaisants, sinon par une procédure de « brûlage » du NFT consistant à le rendre inaccessible et par un déréférencement de la copie contrefaisante de l’œuvre, liée au NFT. La technologie évoluera peut-être encore mais, en l’état, la difficulté à faire disparaître un NFT empêche le contrefacteur de faire disparaître les preuves de la contrefaçon tout en gênant l’exécution de décisions qui ordonneraient la suppression des NFT contrefaisants.

Le « proof of stake » moins énergivore
Enfin, on saluera les alertes et les propositions écologiques du rapport à propos de l’empreinte énergétique des NFT, encore mal définie mais que l’on peut comparer à celle du bitcoin, soit plusieurs dizaines de térawatts-heure (TWh) par an, c’est-à-dire la consommation électrique de pays entiers. La plupart des blockchains fonctionnent aujourd’hui sous des modèles de « preuve de travail » (proof of work) gourmandes en énergie. Or des modèles de « preuve de participation » (proof of stake) apparaissent, qui ne reposent pas sur la puissance de calcul des utilisateurs, mais sur leur participation à la crypto-monnaie. La blockchain Ethereum, très utilisée pour les NFT, est ainsi bien moins énergivore (6) depuis le 15 septembre 2022. @

Altitude Infra table sur l’arrêt programmé du cuivre pour conforter sa place de 3e opérateur de fibre

En France, Altitude Infrastructure (Altitude Infra) prospère en tant que troisième opérateur télécoms de fibre optique – derrière Orange et Altice. Aussi 1er opérateur indépendant sur les réseaux d’initiative publique (Rip) – devant Axione (Bouygues) et Orange –, il profitera de la fin de l’ADSL.

Si Orange et Altice sont les champions du déploiement en France des prises FTTH, avec respectivement 16,8 millions et 4,2 millions de lignes raccordables au 31 mars 2022, Altitude Infrastructure – alias Altitude Infra – se hisse tout de même à la troisième place avec plus de 2,6 millions de prises de fibre optique déployées. Et ce, loin devant Free qui compte à peine plus de 0,3 million de prises du même type. C’est du moins ce que montrent les derniers chiffres trimestriels publiés début juin par l’Arcep, avant les prochains à paraître le 8 septembre.

1er opérateur FTTH sur les Rip
De plus, Altitude Infra a annoncé mi-juillet qu’il avait – sur son parc de prises FTTH « raccordables » – dépassé pour la première fois 1 million de prises « commercialisées ». Car déployer de la fibre optique sur tous les territoires ne suffit pas, encore faut-il que ces prises trouvent leurs abonnés qui acceptent d’en payer le prix mensuel (1) et qui soient correctement raccordés (2). « En accueillant l’ensemble des opérateurs commerciaux sur ses plaques, Altitude Infra crée une réelle dynamique sur les territoires. Cette dernière est renforcée par un accompagnement soutenu des collectivités délégantes pour sensibiliser leurs administrés », se félicite David Elfassy (photo), président de cet opérateur alternatif régional.
Altitude est non seulement troisième opérateur d’infrastructures de fibre optique sur le territoire français, mais aussi premier opérateur indépendant de réseaux d’initiative publique (Rip). Ces derniers relèvent, depuis la loi « Confiance dans l’économie numérique » de 2004, du champ de compétences des collectivités territoriales en matière d’aménagement numérique du territoire.
Ainsi, Altitude Infra et ses plus de 2,4 millions de prises FTTH raccordables déployées dans les Rip en font le numéro un dans ce domaine devant : les 2,1 millions de prises d’Axione – filiale de Bouygues Energies & Services (51 %) et de Vauban IP/Natixis Investment Managers (49 %) –, les 2 millions de prises d’Orange, les 1,9 million de prise d’Altice France (maison mère de SFR), et des plus de 0,3 million de prise de TDF Fibre. Altitude Infra a aussi déployé 40.000 prises FTTH supplémentaires dans des zones moins denses d’initiative publique dites « Amel » (ayant fait l’objet d’appels à manifestation d’engagements locaux). Ce qui le place dans cette catégorie entre Altice et Orange. « En bénéficiant de 5 milliards d’euros d’investissement pour déployer, exploiter et commercialiser ses réseaux sur 29 départements (26 réseaux “très haut débit”), Altitude Infra affirme un ancrage local », souligne l’opérateur doté d’un effectif de 1.400 personnes et d’un siège social basé à Valde- Reuil (département de l’Eure, en Normandie). Créée en 1990, la société mère Altitude est familiale, cofondée par son président actuel Jean-Paul Rivière (70 ans) – 232e fortune de France, selon Challenges (3). L’entreprise s’est diversifiée dans les télécoms, la promotion immobilière et les résidences seniors. Il y a vingt ans, Altitude Télécom partait à la conquête des réseaux radio avant d’obtenir en 2006 – lors de la création d’Altitude Infrastructure – une licence WiMax (radio haut débit) pour couvrir les zones blanches mal desservies par l’ADSL. Mais David Elfassy, à qui Jean-Paul Rivière a confié en 2009 la présidence d’« Altitude Infra », a estimé que le WiMax était dépassé et, en 2012, a fait pivoter l’opérateur vers la fibre optique. Ce virage technologique lui a permis de profiter de l’impulsion du Plan France Très haut débit et de se spécialiser dans le déploiement de la fibre optique dans les territoires les moins bien connectés, avec l’aide financière des collectivités locales et territoriales.
« Avec la reprise des actifs de Kosc Télécom en juin 2020 et le rachat de 26 réseaux de Covage en septembre 2021, ce sont plus de 5 millions de prises, desservant plus de 12 % de l’ensemble des foyers français, qui seront produites et exploitées. Ces opérations permettent de développer une offre entreprises complète en ajoutant à l’offre historique FTTH de Kosc, une offre en fibre dédiée (FTTO) à laquelle 36 % des entreprises sont désormais raccordables », précise sur son compte LinkedIn David Elfassy, par ailleurs membre fondateur et vice-président d’Infranum (4).

Marché des entreprises : concurrence accrue
L’année 2022 marque en outre, au sein d’Altitude, la fusion de Covage et de Kosc sous la marque Covage. Et les acquisitions se suivent : en mai, Altitude a jeté son dévolu sur Phibee, une plateforme de qualité à destination des opérateurs internationaux ; en juin, l’opérateur télécoms du B2B s’est emparé d’Airmob pour élargir son offre au mobile en devenant full MVNO, mais aussi à l’IoT (Internet des objets). Cette offre aux entreprises complète les services proposés depuis 2017 par la filiale Linkt d’Altitude. De quoi rivaliser un peu plus avec les dominants Orange et SFR (5), et le nouvel entrant Free. @

Charles de Laubier