Internet de l’espace : la Commission européenne doit proposer une régulation des satellites

L’Union européenne aura mis environ vingt ans avant de s’emparer de la nécessité de réguler l’Internet en matière fiscale, de protection des données personnelles et de lutte contre le terrorisme. Il reste à espérer qu’elle saura réagir plus promptement pour réguler les satellites en orbite basse.

Par Rémy Fekete, avocat associé, cabinet Jones Day

La FFC (1) – entité américaine en charge de réguler le secteur des télécommunications ainsi que les contenus des émissions de radio, télévision et Internet – a approuvé fin mars dernier le projet Starlink de SpaceX. Le projet Starlink vise à fournir des services mondiaux haut débit par satellite en orbite basse terrestre. L’autorisation d’exploitation valait pour le nombre de 4.225 satellites, auxquels s’ajouteront 7.518 satellites supplémentaires pour lesquels l’autorité de réglementation américaine vient de donner son accord.

Orbite basse : nouvel eldorado télécoms ?
SpaceX n’est pas la seule entreprise à avoir obtenu une telle autorisation ; Kepler Communications, Télésat Canada et LeoSat MA ont elles aussi bénéficiées d’agréments de la FCC pour offrir des services haut débit aux Etats-Unis. Amazon est en embuscade avec la société Kuiper Systems, devancé par le projet OneWeb qui a commencé cette année à déployer ses satellites fabriqués par son partenaire Airbus. La fourniture de services de télécommunications par satellites n’est pas un enjeu nouveau. Les satellites télécoms sont pour la plupart placés en orbite géostationnaire, c’està- dire à 36.000 km d’altitude. Ils se déplacent à la même vitesse que la rotation de la Terre, et sont donc situés en permanence au-dessus d’un même point terrestre.
Si ce positionnement facilite la couverture des zones les plus peuplées du globe, il présente plusieurs inconvénients, comme le temps de latence lié à la distance entre la terre et le satellite et l’encombrement significatif de cette orbite du fait du nombre importants de satellites et de déchets présents à cette altitude. Le développement de nouvelles technologies permet désormais de palier à la principale contrainte des orbites basses en rendant possible le relais entre satellites couvrant successivement la même zone terrestre. L’orbite basse, située à une altitude comprise entre 500 et 1.000 km, comporte plusieurs avantages notables pour les opérateurs. Dans un premier temps, en réduisant la distance du signal et en conséquence la rapidité d’acheminement, elle est plus adaptée aux très haut débit. Réduire ce temps de latence permet une plus grande efficacité en matière de transactions électroniques et d’accès à Internet. Il s’agit donc d’un enjeu de taille en matière commerciale. En plus de permettre une réduction du temps de latence, les satellites en basse orbite émettent des signaux plus facilement captables depuis la Terre, grâce à leur proximité avec celle-ci (2). Reste que l’inconvénient majeur de cette technologie est tout de même celui de la couverture : les satellites placés en basse orbite tournent plus rapidement que la Terre, et ne permettent pas de couvrir en permanence le même secteur. Il est donc nécessaire d’envoyer plusieurs satellites côtes-à-côtes, qui se transfèrent les différents signaux et appels : on parle alors de constellations de satellites. Pour autant, cet inconvénient est largement compensé par la couverture intégrale de la surface de la Terre permise par le mouvement des satellites en basse orbite. Cette couverture permet ainsi de fournir des services de télécommunications dans des zones très enclavées, où il n’est aujourd’hui pas envisageable de fournir des services à haut débit. L’information circulant plus vite dans l’espace que sur Terre, l’envoi de signaux par satellites permet de concurrencer très largement les communications transmises via la fibre optique.
Le positionnement de satellites en orbite basse est rendu possible par l’utilisation principalement de deux bandes : les bandes Ka et Ku. Il s’agit de gammes de fréquences du spectre électromagnétique, permettant l’envoi et la réception de signaux entre la Terre et les satellites. La bande Ka est surtout utilisée pour l’Internet par satellite. L’énergie est mieux concentrée dans cette bande que dans de nombreuses autres, ce qui permet de multiplier la capacité offerte par une bande, tout en permettant une réduction importante des coûts dans la proposition de services. L’offre de services d’Internet par satellites utilisant cette bande se situe dans des prix comparables à ceux proposés via l’ADSL. La bande Ku, elle, est utilisée en particulier pour la télévision et la radio. L’utilisation des bandes Ka et Ku est répandue en Europe et présente l’avantage, notamment en droit de l’urbanisme, de ne pas nécessiter de paraboles de grande taille.

Pionniers : Skybridge, Celestri, Teledesic
Les projets de constellations de satellites en orbite basse ont déjà fait l’objet d’un cycle significatif au cours des années 1990-2000. Les principaux projets Skybridge pour Alcatel, Celestri pour Motorola ou Teledesic pour Bill Gates n’avaient cependant pas pleinement abouti. L’offre satellitaire en orbite basse des années 1990 tablait, déjà, sur une promesse de connectivité haut débit sur l’ensemble du globe, avec les services associés déjà envisagés à l’époque comme la télémédecine, l’e-éducation et l’e-administration, … La presque totalité de ces projets ont fait long feu, non seulement du fait de l’assèchement des financements liés à l’éclatement de la bulle Internet, mais sans doute aussi du fait de la généralisation de la téléphonie mobile et la multiplication des accords de roaming, qui, sans investissement en réseau supplémentaire, rendent de fait interopérables les réseaux d’opérateurs de pays différents, sans contrainte technologique pour les consommateurs.

Un défaut de régulation depuis des années
L’explosion des besoins de capacités de transmission à haut ou très haut débit et la généralisation des usages consommateurs en données (en particulier le remplacement progressif de l’écrit par la communication par vidéo) semblent offrir de nouveau un intérêt aux projets satellitaires en orbite basse. Après la multiplication de faillites retentissantes de plusieurs milliards de dollars chacune dans les années 1990, les conditions sont-elles réunies pour un nouvel âge de l’Internet par satellite ou faut-il s’attendre à de nouvelles catastrophes industrielles ? Les risques inhérents à la limite de la régulation internationale applicable à la mise en orbite et l’exploitation de satellites risquent de se voir décuplés s’agissant des constellations en orbite basse. Ces risques comprennent désormais une attention particulière sur les aspects environnementaux, relativement peu contraignants il y a vingt ans. L’Union astronomique internationale – l’International Astronomical Union (IAU) qui fête son centenaire cette année – a notamment publié un communiqué faisant part de son inquiétude vis-à-vis du déploiement de constellations de satellites. Son point de vue est soutenu par l’International Dark-Sky Association (IDA). Il s’avère que la plupart des constellations en orbite basse seraient visibles depuis la Terre. Elles sont susceptibles d’engendrer une pollution lumineuse massive. Au point que l’IAU s’inquiète des effets de ces constellations sur les études astronomiques en cours et sur la vie des espèces nocturnes. Bill Keel, astronome à l’Université de l’Alabama constate que « dans moins de 20 ans, les gens verront plus de satellites que d’étoiles à l’oeil nu pendant une bonne partie de la nuit ». Le défaut de régulation internationale reste également préoccupant sur le sujet, pourtant ancien, de la gestion des débris spatiaux et de la fin de vie des satellites. Le phénomène, pour l’instant surtout concentré sur l’orbite géostationnaire, pourrait être multiplié du fait de la mise en orbite de satellites sur les différentes orbites basses. Les millions de débris spatiaux déjà en orbite, à une vitesse allant jusqu’à 28.000 km/h, constituent des dangers significatifs tant pour les autres satellites que pour la navigation spatiale et même la vie des astronautes. Si Elon Musk, milliardaire américain fondateur de la société SpaceX, assure que les mesures nécessaires seront prises pour éviter ces collisions, et que la probabilité qu’elles aient réellement lieu demeure faible, il reste qu’un dispositif de droit international contraignant serait le bienvenu pour selon les cas : imposer le « désorbitage » des satellites en fin de vie, assurer la tenue plus rigoureuse d’un inventaire des débris spatiaux (voir encadré ci-dessous), préciser les règles de responsabilité applicables en cas de collision. Il est vrai que le nombre de satellites de défense, dont les caractéristiques et la localisation sont confidentiels, ne facilite pas cette évolution du droit international. Au-delà des inquiétudes de la Commission européenne (3), les textes européens de droit positif manquent encore. Certes l’Union internationale des télécommunications (UIT) exerce son imperium sur la gestion des orbites spatiales et la coordination internationale des bandes de fréquences satellitaires (4), mais la gestion du trafic spatial demeure en grande partie régie, de fait, par la FCC. Les nouveaux projets de constellations de satellites en orbite basse rendent également d’actualité le besoin d’avancée des travaux du Comité pour les usages pacifiques de l’atmosphère extra-atmosphérique de l’ONU (5). L’action de l’Union européenne (UE) dans l’espace est plutôt récente. La plupart des initiatives prises au niveau intergouvernemental ont été prises dans le cadre de l’Agence spatiale européenne (6). Certains Etats se sont également emparés du sujet, comme la France, mais à l’échelon national. Dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel 2021- 2027, l’UE cherche à mettre en place un règlement sur la politique spatiale européenne. Elle aura mis environ vingt ans avant de s’emparer de la nécessité de réguler l’Internet en matière fiscale, de protection des données personnelles et de lutte contre le terrorisme. Il reste à espérer qu’elle saura réagir plus promptement pour trouver le savant équilibre qui permettra l’avènement de champions européens dans la construction, le lancement et l’exploitation de satellites en orbite basse, tout en préservant les impératifs environnementaux et le règlement pacifique des conflits entre appareils en orbite. @

FOCUS

Débris spatiaux : l’Europe budgète 500 millions d’euros
Sur les 16 milliards d’euros du prochain budget 2021-2027 que l’Union européenne veut consacrer « au maintien et au renforcement du leadership de l’UE dans le domaine de l’espace » (7), la Commission européenne a proposé en juin 2018 de consacrer 500millions d’euros pour améliorer les performances et l’autonomie de la « surveillance de l’espace » — ou SSA (Space Situational Awareness). Objectif : éviter les collisions dans l’espace et de permettre de surveiller la rentrée d’objets spatiaux dans l’atmosphère terrestre. Les déchets de l’espace ou débris spatiaux en orbite autour de la Terre faisant plus de 1 cm sont estimés à 780.000, ceux supérieurs à 10 cm 34.000 en janvier 2019. @