La fenêtre de Canal+ : un « monopole » en sursis

En fait. Le 26 mars, René Bonnell – producteur et auteur du rapport « Le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l’heure
du numérique » – a réitéré devant le Club audiovisuel de Paris la nécessité
d’« arrêter de geler les droits » pendant la « fenêtre » de diffusion de Canal+.

En clair. « La stratégie de Canal+, de monopole à partir du 10e mois jusqu’au 22e interdisant toute exploitation à l’intérieur de sa fenêtre, s’explique par le niveau de ses obligations », a encore expliqué René Bonnell, cofondateur de Canal+ il y a 30 ans et aujourd’hui producteur (Octave Films). Mais ce « monopole » de Canal+ dans la chronologie des médias a vécu, selon lui : « Il faut arrêter de geler les droits pendant la période où une chaîne comme Canal+ a acheté les droits pour sa fenêtre de diffusion, à partir du 10e mois [après la sortie d’un film en salle de cinéma, ndlr] ». Ce gèle des droits au profit de la chaîne cryptée se fait au détriment de la vidéo à la demande (VOD) qui, après avoir ouvert sa fenêtre à 4 mois après la salle, doit obligatoirement la refermer au bout de six mois d’exploitation pour laisser place nette à Canal+.
Et le tunnel des droits exclusifs peut ainsi s’éterniser sur plusieurs années. « Et s’il y a en plus derrière Ciné+, cela peut geler les droits pendant 18 mois. La VOD butte là et ne peut pas se développer », dénonce René Bonnell. Selon GfK, le marché français de la VOD est en baisse de 3 % à 245 millions d’euros en 2013. Ceci explique peut-être cela. « Cette pratique du gel des droits peut même s’étendre jusqu’à 48 mois quand les maisons mères des chaînes historiques en clair regroupent leurs achats avec ceux de leurs filiales de la TNT », avait relevé le rapport Bonnell. Le pire est ce gèle des droits ne touche que la VOD. En effet, la vente des DVD et autres Blu-ray – eux aussi à 4 mois après la salle – peut continuer, de même que le téléchargement définitif où iTunes d’Apple s’arroge 95 % de parts de marché !

Mais après son « Il faut arrêter de geler les droits » lancé devant le Club audiovisuel
de Paris, René Bonnell a ensuite nuancé son propos : « Il doit y avoir protection des fenêtres quand il y a préfinancement [des films]. Sinon, c’est la liberté », rejoignant ainsi
le rapport Lescure. Le rapport Bonnell, bien que prudent sur le calendrier (1), ne dit pas autre chose : « Autoriser la liberté de programmation en vidéo et ou sur les chaînes au-delà de 4 mois pour les films n’ayant fait l’objet du préfinancement d’aucun support. (…)
Si un diffuseur était intéressé par une telle acquisition, durée des fenêtres et protections des droits seraient définis par voie contractuelle en jouant notamment sur les prix ». @

Le gouvernement veut faire de SFR une affaire d’Etat

En fait. Le 20 mars, la Caisse des dépôts (CDC) – bras armé financier de
l’Etat et actionnaire de Vivendi à hauteur de 3,52 % avec le Fonds stratégique d’investissement (FSI) – fait son entrée dans la danse des prétendants au
rachat de SFR, en apportant son soutien à Bouygues qui a relevé son offre.

En clair. Bien que Vivendi et Altice, en négociations exclusives jusqu’au 4 avril pour le rachat de SFR par le second, soient des entreprises privées, l’Etat français est quand même décidé à jouer les stratèges. Dès le 14 mars, le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg déclarait sur France 2 que le rachat de SFR par Altice-Numericable n’était pas encore acquis. « Je crois que le débat continue. (…) Je ne suis pas certain (…) que les banques aient envie de s’exposer (…) outre mesure ». Deux jours après, c’était au tour de la Caisse des dépôts (CDC), de se dire prête, dans Les Echos (1), à « accompagner en capital un rapprochement entre Vivendi, SFR et Bouygues ». C’est donc chose faite depuis le 20 mars, puisque la CDC – actionnaire minoritaire non seulement de Vivendi mais aussi du groupe Bouygues – fait partie des
« actionnaires industriels et financiers de long terme » réunis par ce dernier pour relever son offre sur SFR (2).

Bouygues détiendra alors 67 % du capital du futur nouvel ensemble. Quant à la CDC, elle a indiqué à Reuter qu’elle participerait à hauteur de 300 millions d’euros à la nouvelle offre, ce qui lui donnerait environ 3 % au capital. De quoi ravir Arnaud Montebourg, lui qui avait apporté son soutien à Martin Bouygues lors de son projet initial de rachat de SFR – une fois son réseau mobile et ses fréquences revendus à Free. Même si c’est in fine au conseil de surveillance de Vivendi (3) de choisir entre vendre sa filiale SFR ou l’introduire en Bourse, et à l’Autorité de la concurrence d’autoriser ou pas la cession, l’Etat veut mettre son grain de sel dans cette affaire.
« Arnaud Montebourg donne une vision, sa vision, elle n’est pas toujours bonne,
mais il donne un souffle. (…) Au-delà [du 4 avril], les jeux étaient toujours ouverts »,
a confié à l’AFP le 15 mars Vincent Bolloré, PDG  du groupe éponyme et… membre
du conseil de surveillance de Vivendi.
Arnaud Montebourg a en outre tenté de rassurer sur la concentration du marché à venir : « Un retour à trois opérateurs [mobile] ne va pas créer de situation de monopole », assurait-il sur RTL le 11 mars. Et sur le front de l’emploi, Martin Bouygues avait adressé
le 10 mars un courrier au ministre dans lequel il s’engageait « à ne procéder à aucun licenciement collectif, plan social, plan de départ volontaire », promesse faite aussi dans une tribune dans Le Monde. @

Orange : 179 millions d’euros au ciné jusqu’en 2018

En fait. Le 1er janvier 2014 entre en vigueur la nouvelle convention des chaînes d’Orange Cinéma Séries (OCS) que le CSA a renouvelée le 20 décembre dernier pour une durée de cinq ans. La société commune de l’ex- France Télécom et de Canal+ va investir au total 179 millions d’euros dans le financement du cinéma.

En clair. Plus de cinq ans après le lancement d’Orange Cinéma Série, le bouquet commun à l’opérateur télécom (66,66 % du capital) et à Canal+ (33,33 %) rempile pour cinq ans avec le cinéma français et européen pour un total de 179 millions d’euros (2014-2018) alloués au financement de films, soit une hausse de 19 % par rapport à
la période précédente (2009-2013). C’est finalement une bonne nouvelle pour les organisations du cinéma français (Bloc, Blic et ARP), même si ces dernières auraient souhaité obtenir plus d’OCS qui dépasse les 1,8 million d’abonnés aux quatre chaînes d’OCS (OCS City, OCS Géants, OCS Max, OCS Choc). Résultat : le minimum garanti (MG) est passé à 1,90 euro HT par mois et par abonné pour les films français (1) et à 2,25 euros HT pour les films européens (2). Avec 33 millions d’euros prévus pour cette nouvelle année 2014 et un peu plus les années suivantes pour atteindre 38 millions en 2018, le septième art s’en tire donc à bon compte.
D’autant que « la convention pourra être modifiée, y compris au cours de l’année 2014, pour tenir compte des accords à venir entre l’éditeur et les organisations professionnelles du cinéma », a précisé le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui prévoit de réévaluer chaque année la convention pour « tenir compte des évolutions économiques de la télévision payante ». Pour les organisations du cinéma, ce sera l’occasion notamment de rediscuter du sort des abonnés mobiles considérés jusqu’à maintenant pour le calcul du MG comme des « demiabonnés » par rapport au fixe, mesure qui devait rester provisoire (3).

Cette convention quinquennale d’OCS est en outre pour le cinéma français un gage, toutes proportions gardées, de ne pas trop dépendre de son premier pourvoyeur de fonds qu’est Canal+, dont les négociations avec les organisations vont commencer avant l’arrivée à échéance de l’accord en cours, le 31 décembre 2014. Reste une incertitude pour les producteurs : l’investissement d’Orange Studio (ex-Studio 37),
la filiale de coproduction de films de l’opérateur télécoms. Selon Le Film Français, le budget 2014 de d’Orange Studio serait le même qu’en 2013 : soit 20 millions d’euros (4). Mais à partir de 2015, Orange s’interroge. Questionné par EM@ lors de l’Assemblée des Médias le 2 décembre dernier, Serge Laroye, directeur des contenus d’Orange, n’avait pas souhaité du tout s’exprimer à ce sujet… @

Canal pactise avec YouTube et Orange critique Google

En fait. Le 3 décembre, lors du 2e colloque organisé par Le Film Français sur
le thème « Le digital au cœur du cinéma », Canal+ et Orange ont formulé des critiques à l’encontre de YouTube et de Netflix sur, respectivement, la question
du financement de films et le prix cassé de la VOD par abonnement.

En clair. Canal+ et Orange, liés dans le cinéma avec OCS (1), font bloc face à YouTube et avant l’arrivée de Netflix en France. « YouTube est un concurrent, déjà aujourd’hui et potentiellement encore plus demain, pour tout l’écosystème de l’audiovisuel. Cette concurrence se fait en amont (production de contenus) et en aval (leur distribution) »,
a déclaré Grégoire Castaing, directeur financier de Canal+. Mais la crainte de YouTube s’arrête là où commence l’accord passé par la chaîne cryptée pour lancer, en décembre, une vingtaine de chaînes gratuites (2) sur la plate-forme vidéo de Google.
De son côté, Orange voit aussi YouTube comme un concurrent qu’il dit ne pas chercher à « contrer ». Il s’agit plus, selon Serge Laroye, directeur des contenus d’Orange, de « faire évoluer les usager afin de développer l’ARPU (3) ». Et face à l’explosion exponentielle de la vidéo en ligne, « il s’agit de trouver un équilibre et raisonner en terme de partage de la valeur au titre des réseaux ». Selon lui, « oui, il y a un déséquilibre sur le partage de la valeur sur les réseaux ». Et d’ajouter : « A un moment donné, il faudra bien avoir un peu de barrière douanière à l’entrée ou un poste de péage »… Quand au financement de la création : « Je n’ai pas de chiffres à opposer à YouTube sur le nombre de millions de vidéos vues mais, de l’autre côté, je sais qu’Orange paie plus d’un demi-milliard d’euros au titre du financement de la création », a expliqué Serge Laroye.

La veille au soir, lors de l’Assemblée des Médias, il a aussi interpellé Carlos d’Asaro Biondo, patron de Google en Europe (lire ci-dessus) : « Il y a quand, mon cher Carlo,
une vraie différence concurrentielle qui porte atteinte à la libre commercialisation des
biens culturels et à leur prix. Ce qui crée un réellement un déséquilibre. Cette asymétrie fiscale peut menacer l’exception culturelle en France ».
Bref, Google/YouTube essuie les critiques en attendant l’arrivée de Netflix. « [Netflix]
va profiter d’une inéquité fiscale pour avoir un rabais sur son coût de reviens et proposer un prix bas autour de 7 euros par mois. C’est un abaissement de la valeur sur la Pay-
TV », prévient Serge Laroye. Le problème pour Canal+, comme l’a rappelé Grégoire Castaing, ce n’est pas seulement Netflix, mais aussi d’autres OTT : « Amazon, AOL YouTube, Microsoft ou encore Intel qui se mettent à investir dans des contenus et des exclusivités ». @

Cinéma français et Orange : « Je t’aime, moi non plus »

En fait. Le 30 octobre, le Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma)
et l’UPF (Union des producteurs de films) ont écrit au PDG d’Orange, Stéphane Richard, pour lui demander de le rencontrer afin d’évoquer l’accord de 2009 sur
les obligations d’OCS et les investissements d’Orange Studio.

En clair. Pour le cinéma français, il y a urgence à renégocier avec Orange avant
que n’arrive à échéance le 31 décembre prochain l’accord quinquennal signé le 10 novembre 2009 avec le Bloc, le Blic (1) et l’ARP (2). Ces prochaines discussions donneront un avant-goût de celles qui se dérouleront l’an prochain avec le premier pourvoyeur de fonds du Septième Art français, Canal+, dont l’accord arrive à échéance le 31 décembre 2014, soit un an après celui d’OCS.
Les deux sociétés sont en outre liées dans le cinéma et au capital, Canal + détenant 33,33 % d’OCS au côté des 66,66% d’Orange. « Or, avant même que des discussions commencent pour renouveler cet accord, OCS nous demande de baisser ses obligations d’investissement par abonné et par mois (3), à un moment où le nombre de ses abonnés augmente et où le bouquet a annoncé à grand renfort de communication un important accord avec la plus grande chaîne américaine de séries télévisées (HBO). Cette demande a été officialisée auprès du CSA avant même nos discussions », s’insurgent les deux organisations du cinéma français Bloc et UPF dans leur courrier adressé à Stéphane Richard, PDG d’Orange.

Le Bloc, le Blic et l’ARP espéraient renégocier à la hausse le prochain accord avec
OCS, tablant sur le fait que le bouquet de 5 chaînes thématiques a dépassé 1,8 million d’abonnés grâce à l’élargissement de sa diffusion au-delà d’Orange avec CanalSat, SFR et Numericable – et bientôt Free et Bouygues Telecom en cours de négociation. Malgré une diffusion accrue, Orange a quand même perdu les droits des films de Warner. Autre effet de levier possible : la fin des « demi-abonnés » mobile pour le calcul du minimum garanti (Lire EM@56, p. 7.), le cinéma français espérant que le mobile rapportera autant que le fixe.
Quant à Orange Studio (ex-Studio 37), la filiale de coproduction de films de l’opérateur télécoms, elle a fait parler d’elle aux 23e Rencontres cinématographiques de Dijon de fin octobre dernier : « Orange Studio annonce le gel de ses investissements dans le cinéma, ce qui est un signal négatif supplémentaire de la part d’Orange », s’inquiètent le Bloc et l’UPF auprès de Stéphane Richard. Selon Le Film Français, le budget 2014 de d’Orange Studio serait le même que cette année : soit 20 millions d’euros. Mais à partir de 2015, Orange s’interroge. A défaut d’accord, le CSA pourrait être appelé à régler le différend. @