Homo-Sapiens contre Homo-Technicus

Pour me lever le matin, plus besoin de réveil : une petite impulsion envoyée par ma puce cérébrale s’en charge. Pour mieux entendre une musique, je ne monte plus le
son d’un appareil : mon oreille s’occupe directement du réglage. Pour voir un détail lointain qui m’intrigue : une simple requête mentale adapte la vision de mes lentilles connectées. D’autres gestes simples et quotidiens sont
en passe d’être à leur tour contaminés par cette fièvre technologique. Ils sont les symptômes d’une confrontation majeure qui se joue au XXIe siècle entre Homo-Sapiens et Homo-Technicus, comme
un rappel d’un très lointain passé qui vit s’affronter deux types d’humanité – Néandertal finissant par se fondre dans Cro-magnon. Un surhomme semble en passe de devenir le nouvel horizon de l’humanité. Très tôt annoncé par les auteurs de fiction, en littérature (BD comprise) ou au cinéma, l’Homme augmenté a été théorisée dès 1960 par Manfred Clynes, musicien et scientifique, qui créa le terme composite à succès de « cyborg » (pour cybernetic organism). Mais une nouvelle étape s’ouvre en 2002 avec la publication du rapport « Technologies convergentes pour l’amélioration de la performance humaine » de la National Science Foundation (NSF), laquelle nous a familiarisé avec l’acronyme NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives). Ce cocktail technologique change tout et n’arrête pas de produire de surprenantes évolutions qui nous émerveillent toujours autant qu’elles nous inquiètent. Le champ d’applications semble sans limite.

« Le transhumanisme annonce une post-humanité
aux capacités physiques et psychiques illimitées. »

Il s’est d’abord agit de réparer l’Etre humain en lui faisant bénéficier de solutions de plus en plus nombreuses : prothèses sophistiquées capables de transformer des infirmes en champions olympiques ; exosquelettes robotisés commandés par la pensée permettant à un adolescent paraplégique de donner le coup d’envoi du Mondial de foot de 2014 ; neuro-prothèses soignant des dépressions graves ou transférant des morceaux de mémoires d’un endroit à un autre du cerveau ; oreille bionique réalisée
en impression 3D par une équipe de Princetown pour une audition retrouvée pouvant aller au-delà des fréquences habituelles, … Chaque semaine, de nouvelles avancées repoussent les limites du possible. A tel point que les miracles des Livres Saints, qui ont émerveillé tant de générations, sont aujourd’hui en passe de devenir notre lot quotidien ! Très vite, on est passé à l’Homme augmenté en apportant d’abord une aide précieuse à des professions difficiles : les applications militaires sont en ce domaine aux avants postes, comme il se doit, et servent même de laboratoires permanent ; les bras articulés ont envahi les chantiers ; les micro-capteurs sous-cutanés donnent l’alerte dans les environnements hostiles ; les stimulants cérébraux relancent une attention défaillante, … Le grand public commence à avoir accès à ces technologies en passe
de se banaliser, même si on n’est encore loin de mettre en pratique les expériences lancées dès les années 2000 par Kevin Warwick, professeur de cybernétique, visant à implanter des puces RFID dans le cerveau pour passer outre le langage ! Certains y voient une nouvelle Renaissance : un nouvel âge des lumières porté, non plus par un humanisme qui considérait que l’Homme est en possession de capacités intellectuelles potentiellement illimitées, mais par un transhumanisme qui annonce une posthumanité aux capacités physiques et psychiques illimitées. Cette posture fut affichée très tôt par des mouvements revendiquant la liberté individuelle de se transformer, certains ayant
à leur tête de véritables gourous, d’autres des performeurs mais également des scientifiques visionnaires. Parmi ces derniers, Ray Kurzweil, fondateur en 2008 de la Singularity University financée par Google, annonce l’avènement – vers 2060 – d’une intelligence artificielle supérieure à celle de l’Homme. De quoi renouveler les débats légitimes sur les limites éthiques et philosophiques de ces mutations.
Espérons que cet Homme augmenté, qui nous effraie autant qu’il nous fascine, sera indulgent avec son ancêtre non transformé. Un Homme « naturel » qui, apparaissantîtrait à ce surhomme comme « diminué », pourrait écrire telun Villon des temps modernes : « Frères transhumains qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis, … ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Le livre
* Directeur général adjoint de l’IDATE, auteur du livre
« Vous êtes déjà en 2025 » (http://lc.cx/Broché2025).