René Bonnell : « Canal+ va devoir fractionner son offre »

En fait. Le 26 mars, le producteur René Bonnell (Octave Films) – ancien cofondateur de Canal+ et de Studio Canal – était l’invité du Club audiovisuel de Paris sur le thème : « Quels financements pour le cinéma à l’ère du numérique ? »
– en référence à son rapport remis en janvier et sur lequel travaille le CNC.

René BonnellEn clair. L’homme qui chuchotait en 1983 à l’oreille d’André Rousselet, alors président d’Havas, en vue du lancement de Canal+ l’année suivante, n’est autre que René Bonnell (photo). Cofondateur de Canal+, il le fut également de Studio Canal (1)
à la fin des années 1990 avec… Pierre Lescure.
C’est dire qu’il connaît bien Canal+, aujourd’hui en position dominante dans la télévision payante et premier pourvoyeur
de fonds du cinéma français (2).

La chaîne cryptée perd des abonnés
Mais avec la concurrence du qatari BeIn et l’arrivée en septembre de l’américain Netflix
(7 euros/mois ?), la chaîne cryptée (39,90 euros/mois) est remise en question.
« Alors que Canal+ a une remarquable politique de diversification, le système lui-même perd des abonnés. (…) Du fait de la fragmentation des audiences, de l’individualisation du choix des programmes et du numérique, Canal+ va sans doute être obligé de fractionner son offre entre l’OPay-TV [Online Pay TV] – l’offre active de contenus – et une chaîne plus généraliste en faisant baisser les prix », a déclaré René Bonnell devant le Club audiovisuel de Paris le 26 mars. Avec 6,1 millions abonnés en France, le groupe Canal+
a en effet indiqué le 11 mars dernier devant le tribunal de commerce de Nanterre qu’il avait perdu 187.000 abonnements depuis le lancement en juillet 2012 de BeIn Sports (qu’il accuse de concurrence déloyale). Quant au taux de déperdition d’abonnés (churn), il est en hausse en hausse de 13,8 % à 14,9 %. Résultat : le chiffre d’affaires de Canal+ en France affiche l’an dernier un recul de 1 % à 3,544 milliards d’euros. Cependant, René Bonnell se dit, lui, confiant pour la chaîne cryptée qui fête ses 30 ans cette année :
« Canal+ a trois atouts maître : le nombre de ses abonnés, CanalPlay Infinity (SVOD) qui se développe bien, CanalPlay (VOD) pas mal placé, et une politique très astucieuse de chaînes sur YouTube. (…) Canal+, qui va être le premier gêné [par Netflix], a des armes dans cette guerre de mouvements dont il sortira en bonne situation ». Mais interpellé par Gérard Carreyrou, ancien dirigeant de TF1, qui le trouve « extrêmement optimiste » sur l’avenir de Canal+ et le soupçonne de « patriotisme de chaîne », René Bonnell lui répond : « Vous avez parfaitement raison de souligner que Canal+ va avoir un problème de prix,
un problème avec le sport, un problème de concurrence (BeIn, Orange, …). C’est pas un hasard que cela soit sur CanalSatellite que Canal+ perd le plus d’abonnés ». @

 

Adapter le cinéma à Internet : le CNC se met en quatre

En fait. Le 6 mars, le CNC se met véritablement en quatre pour ouvrir les négociations professionnelles suite aux Assises du cinéma et au rapport Bonnell : trois groupes de travail pilotés (financement des films, transparence/partage, distribution/diffusion) et une négociation sur la chronologie des médias.

Frédérique BredinEn clair. Frédérique Bredin (photo), qui préside le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) depuis un peu plus de huit mois maintenant, entame sans doute la période la plus difficile de son mandat avec des discussions inter-professionnelles, qui devraient aboutir à des accords entre le prochain Festival de Cannes de mai et l’été prochain.
Il s’agit ni plus ni moins que d’adapter rapidement le cinéma
à Internet, à la lumière des 50 propositions du rapport Bonnell sur « le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l’heure du numérique » (1) et à l’aune des Deuxièmes Assises du cinéma organisées par le CNC en janvier. Sans oublier de s’inspirer du rapport « Acte II
de l’exception culturelle » de Pierre Lescure, lequel sera président du Festival de Cannes…

Trois groupes de travail et une négociation cruciale
Les trois groupes de travail pilotés par Olivier Wotling, directeur du cinéma au sein de
cet établissement public dédié au Septième Art, se sont réunis pour la première fois le
6 mars : le premier porte sur le financement des films (aides, fonds de soutien, avances sur recettes, crédit d’impôt, préfinancement, Sofica, crowdfunding, …) ; le second traite
de la transparence et du partage (remontées des recettes, exploitants, coût des films, rémunérations, …) ; le troisième est consacré à la distribution et la diffusion (aides à la distribution, à la vidéo, à la VOD, à l’exploitation, à l’export, chronologie des médias, …).
Faisant partie des thèmes discutés dans ce troisième groupe de travail, la chronologie des médias fait aussi l’objet d’une négociation inter-professionnelle spécifique sous la houlette d’Audray Azoulay, la directrice générale déléguée du CNC.

L’objectif de l’ensemble de ces délicates et difficiles négociations est de parvenir
« rapidement » à des accords professionnels, c’est-à-dire « d’ici l’été ». Le compte-à-rebours a commencé. La réforme de la chronologie des médias, dont la « commission
des dérogations » chère à Pierre Lescure (2) devrait se mettre en place prochainement, vise à rapprocher de la salle la VOD à l’acte (de 4 mois à 3 mois, voire moins) et la VOD par abonnement (de 36 mois à 18 mois). Il y a urgence pour les plateformes de VOD (Videofutur, FilmoTV CanalPlay, Club Vidéo (SFR), MyTF1VOD, TV d’Orange, …) car le marché français de la VOD accuse pour la première fois un recul du chiffre d’affaires en 2013 de 2,8 % à 245 millions d’euros. @

Pierre Lescure : « 40 ou 50 films par an à 2 mois et demi après la salle »

En fait. Le 14 janvier, Pierre Lescure (68 ans), ancien PDG de Canal+, a été élu futur président du Festival de Cannes par le conseil d’administration de l’Association Française du Festival International du Film, où siège deux représentants de l’Etat, pour succéder à Gilles Jacob le 1er juillet prochain.

Pierre LescureEn clair. Pierre Lescure (photo) savait, depuis près de deux mois, qu’il pouvait être nommé président du Festival de Cannes. « C’est vrai qu’on m’en a parlé. (…) Cela serait à la fois intéressé et gratifié si cela devait être moi », avait-il confié à propos de sa candidature à la succession de Gilles Jacob.
C’était le 28 novembre dernier, lors d’un dîner-débat du Club audiovisuel de Paris, où il était l’invité d’honneur. Si le monde du Septième Art français se réjouit de sa nomination, il doit aussi se préparer à une réforme de la chronologie des médias. Mais l’ancien PDG de Canal+ connaît les susceptibilités de la filière cinématographique.

Accroître les exceptions à la chronologie des médias
« On ne touche pas à la chronologie des médias. En revanche, un film qui ne marche pas en salle. Dès lors, au lieu d’attendre 4 mois, est-ce que l’on ne peut pas le mettre à 2 mois et demi ? Pourquoi ne pas le mettre un peu plus tôt en vidéo à la demande (VOD). Ceux qui aiment le cinéma vont aller regarder en VOD un film pourtant réputé ne pas avoir eu de succès [en salle], mais qu’ils ont envie de consommer », a expliqué Pierre Lescure.
Seules les exceptions seront donc renforcées. « D’où cette création de ‘commission des dérogations’ que j’ai proposée [dans son rapport, ndlr]. Il sort plus de 200 films par an : s’il y a 40 ou 50 films qui, au lieu de passer à 4 mois, passent à 2 mois et demi (1), je ne pense pas que le commerce de votre famille [du cinéma français] soit remis en cause », a-t-il détaillé. Continuer la lecture

L’Unesco veut adapter au numérique la Convention sur la diversité culturelle, menacée d’obsolescence

Du 10 au 13 décembre, le comité intergouvernemental de l’Unesco chargé de la mise en oeuvre de la Convention de 2005 sur la diversité culturelle s’est, pour la première fois, interrogé sur l’impact du numérique. Objectif : préparer des « directives opérationnelles » pour les 10 ans du texte en 2015.

Par Charles de Laubier

Jean Musitelli« La France a présenté un document faisant un point sur l’impact des technologies numériques sur la diversité culturelle et ouvrant des pistes de réflexion sur la façon de mettre en oeuvre les dispositions
de la Convention de l’Unesco [sur la protection et la promotion de
la diversité des expressions culturelles] dans l’univers numérique »,
a indiqué Jean Musitelli (photo), conseiller d’Etat et ancien ambassadeur à l’Unesco (1997-2002), dans un entretien à Edition Multimédi@.

Des « directives opérationnelles » en vue
« Pour prendre en compte le numérique, il faudra adopter un certain nombre de ‘’directives opérationnelles’’ qui sont à la Convention ce que les décrets sont à la loi. Notre objectif est qu’en 2015, année où l’on célèbrera le 10e anniversaire de cette Convention, nous ayons débouché sur ces directives opérationnelles », nous précise Jean Musitelli, qui corédigea l’avant-projet de la Convention sur la diversité culturelle (2003-2004).

Il y a urgence car la Convention de l’Unesco, signée le 20 octobre 2005 à Paris, est
en passe de devenir obsolète face à Internet. Le fait qu’elle s’en tienne à préciser dans son article 4 « quels que soient les moyens et les technologies utilisés » ne suffit plus. Lorsque la Convention de l’Unesco entre en vigueur, le 18 mars 2007, la vidéo à la demande (VOD), la télévision de rattrapage, les jeux vidéo en ligne, la radio numérique
ou encore la TV connectée n’existaient pas encore, et la musique en ligne n’avait pas encore donné toute sa mesure. L’Unesco va en tout cas devoir adapter la Convention, notamment en concertation avec les géants du Net que sont les « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon et les autres) presque tous inexistants il y a huit ans. Dissocier les biens culturels et audiovisuels de la libéralisation mondiale en général et de la délinéarisation numérique en particulier a-t-il encore un sens à l’heure où triomphe l’Internet universel sans frontières (2) et où se multiplient les accords de libreéchange entre pays ou régions du monde (3) ? S’il n’est pas question a priori de changer une virgule de la Convention de 2005, le Comité intergouvernemental pour la protection et
la promotion de la diversité des expressions culturelles (c’est sa dénomination exacte) devra, à l’aune de l’Internet, adopter plusieurs directives opérationnelles dans des domaines aussi variés que la régulation du numérique et le financement de la création,
la résorption de la fracture numérique des pays en développement, la prise en compte des contenus culturels numérique dans les accords commerciaux bi ou multilatéraux,
le statut et la rémunération des artistes dans l’environnement Internet, sans éluder les questions de l’interopérabilité des plates-formes et de la neutralité du Net. A cela s’ajouterait la mise en oeuvre d’un Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC). « Ces directives opérationnelles auront un caractère contraignant pour les
Etats signataires pour que la diversité culturelle ne soit pas noyée dans le numérique », prévient Jean Musitelli (4). Seul problème : les Etats-Unis, patrie des GAFA, ne sont pas signataires de la Convention de l’Unesco ! Et dans les négociations en cours avec l’Union européenne en vue d’un accord de libre-échange, ils souhaitent que les services audiovisuels et culturels soient abordés – comme le compromis du 14 juin dernier le prévoit (5).
En guise de travaux préparatoires, l’Unesco a remis en juin dernier un rapport intitulé
« Réflexion préliminaire sur la mise en oeuvre de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles à l’ère numérique » (6). Son auteure, la Canadienne Véronique Guèvremont, professeure de droit et fondatrice du Réseau international des juristes pour la diversité des expressions culturelles (Rijdec), presse l’Unesco d’« agir promptement » pour une « mise en oeuvre de la Convention de 2005 à l’ère numérique », tout en évitant une « réflexion cloisonnée » (7).

Adapter d’ici 2015 la Convention avec les GAFA
C’est dans cet esprit-là que l’Unesco devrait avancer, comme l’a assuré Jean Musitelli, lors de l’Assemblée des médias à Paris le 2 décembre : « Nous avons relancé à l’Unesco le chantier de la diversité culturelle pour mesurer l’impact du numérique, positif ou négatif, sans diaboliser personne [Google étant à la table ronde représenté par Carlo d’Asaro Biondo, lire p. 4, ndlr]. Ce que nous voulons, c’est que l’économie numérique ne cannibalise pas la création culturelle, ne siphonne pas les contenus et n’empêche pas la diversité de s’épanouir », a expliqué celui qui fut aussi, de 2009 à 2012, membre de l’Hadopi. @

Charles de Laubier

Giuseppe de Martino, Asic : « Les services de vidéos en ligne ne sont pas concernés par le conventionnement »

Le président de l’Association des services Internet communautaires (Asic), dont sont membres Google/YouTube, Facebook, Dailymotion, Yahoo, AOL, Spotify ou encore Deezer, tient à mettre les points sur les “i” pour dire que la régulation de l’audiovisuel n’est pas transposable à Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

GdeMEdition Multimédi@ : La consultation Communication audiovisuelle et services culturels numériques de la DGMIC s’est achevée le 30 octobre. Sans attendre les résultats, la loi sur l’audiovisuel public qui va être promulguée prévoit aux articles 24 et 25 que tous les services de vidéo en ligne sur Internet (SMAd) devront être déclarés auprès du CSA : est-ce justifié et craignez-vous le conventionnement de ces services assorti d’obligations ?
Giuseppe de Martino :
Vous ne pouvez pas dire cela ! Les services de vidéo en ligne ne sont pas en soi des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd). Des plates-formes comme YouTube et Dailymotion sont expressément exclues de la définition des SMAd, et ceci tant par la directive européenne « Services de médias audiovisuels » (1) et notamment son attendu n°16 que par la loi française elle-même. Relisez le texte !
Donc nous ne craignons rien, si ce n’est – pour les SMAd que nous ne représentons
pas – un formalisme inutile et freinant leur développement balbutiant.
On souhaiterait annihiler l’écosystème français et sa capacité à se développer que l’on
ne s’y prendrait pas autrement. Qui se souvient que la culture française est l’un de nos premiers secteurs d’exportation? En empêchant des acteurs français de se développer
et de pouvoir se battre à armes égales en Europe, on va tout simplement insérer des clous supplémentaires dans leur cercueil.

EM@ : Quels types de sites vidéo (YouTube, Dailymotion, Viadeo, presse en ligne, blogs, webradios, …) seraient concernés par le conventionnement des SMAd auprès du CSA ? Ce conventionnement, sur le mode « convention contre accès aux oeuvres », doit-il être volontaire ou obligatoire ? Craignez-vous la régulation du Net par le CSA ? Y a-t-il risque pour les droits fondamentaux ?
G. de M. : Nous, plates-formes de vidéos sur Internet, ne sommes pas concernés. Après, il est vrai que le parlement a souhaité soumettre une centaine de SMAd – incluant, principalement, la presse en ligne – à une déclaration auprès du CSA sous peine de sanction pénale. Cela est sans doute regrettable. surtout que ces médias, ayant jusqu’alors une liberté de ton et d’opinion, devront, notamment à l’occasion des prochaines élections municipales, respecter les règles rigides créées pour la télévision. A l’heure où la vidéo est devenue accessible à tous, le numérique offrant une vaste diversité, est-ce qu’il y a encore un intérêt à vouloir réguler ces expressions politiques ? Et de notre côté, est-ce que nous craignons le CSA ?
Pas du tout ! Nous avons un dialogue constructif avec la nouvelle équipe et nous maintenons notre position habituelle : la régulation de l’audiovisuel, contrepartie de l’attribution de fréquences, ressources rares, n’est en aucun cas transposable à Internet. Les seuls pays qui régulent Internet sont des dictatures. Donc, la France est a priori épargnée.

EM@ : Depuis le rapport Lescure et les déclarations du président du CSA, Olivier Schrameck, la question de la redéfinition juridique du statut d’hébergeur (aux obligations limitées) et du statut d’éditeur (aux obligations renforcées) est plus
que jamais posée. Est-il envisageable de cerner et d’isoler l’activité éditoriale des plates-formes vidéo ?
G. de M. :
La question de la redéfinition juridique de l’hébergeur, alors même que ce statut est sanctifié par la Cour de cassation et par la réglementation européenne, n’est soulevée que par les lobbyistes de l’industrie culturelle française. Et ce, alors même que les membres de leurs syndicats, ceux qui évoluent dans la « vraie » vie, dans la vie économique, travaillent déjà avec nous. Arrêtons donc de donner de l’importance à
ces vagissements stériles. Les chiens aboient et la caravane passe…

EM@ : Le gouvernement étudie à responsabiliser davantage les intermédiaires techniques _ hébergeurs, financiers, publicitaires, … _ dans la lutte contre le piratage. L’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit déjà que
« toute personne » puisse y contribuer comme dans l’affaire AlloStreaming : le gouvernement doit-il suivre les rapports de Mireille Imbert Quaretta (2) et de
Pierre Lescure (3) à ce sujet ?
G. de M. :
Il faut arrêter de penser comme si le village des irréductibles Gaulois existait vraiment : toute réflexion doit être européenne, voire mondiale. Les initiatives locales sont condamnées à échouer misérablement. On peut juste s’étonner que Bruxelles travaille activement sur la question de l’amélioration des procédures de notification ou sur la lutte contre la contrefaçon commerciale, et qu’elle ne trouve aucun soutien de la part du gouvernement français. A la place, depuis plus de dix-huit mois, plus d’une dizaine de rapports ont été demandés, sur quasiment tous les sujets traités par Pierre Lescure. A l’heure du numérique, peut-être serait-il utile d’arrêter d’abattre des arbres pour imprimer des rapports. Ce n’est pas en les abattant qu’on découvrira ce que cache la forêt. C’est en ouvrant les yeux !

EM@ : Le projet de loi Egalité femmes-hommes prévoit l’extension à de
« nombreuses infractions » de l’obligation de signalement imposée aux acteurs
et intermédiaires de l’Internet. Pourquoi l’Asic a-t-elle tiré la sonnette d’alarme
le 27 septembre dernier ?
G. de M. :
A l’occasion de son examen, le Sénat a imposé, à l’article 17, de nouvelles obligations de signalement pesant sur l’ensemble des acteurs d’Internet. Alors que cette obligation était – pour des raisons d’efficacité – circonscrite aux infractions les plus graves, les sénateurs ont souhaité étendre la mesure à de nombreuses infractions et
vont remettre en cause son équilibre. Pour l’Asic, cette mesure est contre-productive et dangereuse à plus d’un titre. Elle va aboutir à envoyer un très grand nombre de signalement aux services de police et en particulier à la plate-forme de signalement de l’OCLCTIC (4), dite « Pharos ». En effet, les intermédiaires d’Internet n’ont aujourd’hui
pas les pouvoirs, ni la légitimité, de juger si un contenu relève ou non d’un des cas de discrimination visé par cet article 17.
Le principe de précaution aboutira donc à adresser toutes ces notifications aux autorités répressives. Si l’ensemble des membres de l’Asic pense que la lutte contre les discriminations est importante, il est regrettable de constater qu’aucun moyen humain supplémentaire n’a été octroyé à ces services pour les prochaines années.

EM@ : Pourquoi craignez-vous que cela n’engorge la plate-forme policière de signalements ?
G. de M. :
Imaginez, Pharos c’est aujourd’hui uniquement 10 policiers et gendarmes qui ont dû traiter en 2012 près de 120.000 signalements. De manière pratique, chaque agent se doit donc d’analyser un signalement toutes les 5 minutes ? Comment voulez-vous que l’on ait un traitement satisfaisant ! Avec cette nouvelle loi, nous allons assister à une situation effrayante où les contenus les plus ignobles, des propos ouvertement haineux ou révisionnistes et des comportements dangereux pour la sécurité intérieure, seront noyés parmi les signalements reçus par les autorités. Avec un tel article adopté, sans aucun moyen – important et sans précédent – offert aux services de police et de gendarmerie, nous risquons de laisser certains crimes se commettre. Nous sommes étonnés que ni les parlementaires, ni le gouvernement n’aient fourni des garanties permettant de s’assurer que les autorités auront les moyens de gérer efficacement ces nouvelles obligations. Aucune étude d’impact ne semble avoir été réalisée. @