La VOD française survivra-t-elle à Netflix et Amazon ?

En fait. Le 11 décembre, Le Film Français (édité par Mondadori) a organisé son premier colloque sur « les nouveaux enjeux du cinéma français », en partenariat avec le cabinet de consultants Accuracy. La vidéo à la demande (VOD) à l’acte
ou à l’abonnement était au coeur des débats, parfois polémiques.

En clair. « Cela me fiche la trouille ! Pendant que nous débattons encore en France
de l’avenir de la VOD, Amazon ou Netflix, eux, sont déjà là et arrivent chez nous au printemps », s’est inquiété Dominique Farrugia, président de Few (1), sa société de production de films créée en juin 2003. « Il faut rendre un peu plus d’exclusivité à la
VOD et la mettre plus en avant. Il manque une offre globale de VOD [à l’acte et par abonnement]. Nous sommes entre les mains de ceux [plates-formes de VOD et FAI]
qui vendent nos films et nous voudrions qu’ils en fassent plus, ce qui est un peu dérangeant », explique-t-il.
Si Netflix (2) s’offre pour 100 millions de dollars l’exclusivité de la série House of Cards, alors pourquoi pas en France ? « Les séries sont le moteur de la SVOD. (…) Tous les syndicats de producteurs sont là pour discuter, comme ce fut le cas avec Orange Cinéma Séries, sans remettre en cause les droits et les fenêtres [de la chronologie des médias]. Que la France ne devienne pas l’Italie ! Car dans six mois, l’arrivée de Netflix et d’Amazon risquent de faire mal », a encore mis en garde Dominique Farrugia. Sa crainte est de
voir le financement des films remis en cause par l’arrivée des acteurs du Net. « Il faut
des minimums garantis car sinon nous ne pouvons pas financer les films, dont ont besoin les plates-formes de VOD. Pas de MG, pas de VOD », a prévenu Dominique Farrugia.
Autre producteur, Fox Pathé Europa « a toujours été méfiant vis-à-vis de la VOD », comme l’a dit Dominique Masseran, sont directeur général. Mais maintenant, « il faut gagner la confiance des consommateurs, notamment dans l’achat définitif, appelé EST (3), qui représente la moitié des revenus d’Apple sur iTunes », a-t-il expliqué.
Pour l’heure, beaucoup de professionnels (Marc Tessier pour Videofutur, Régis Ravanas pour TF1, Serge Laroye pour Orange, Patrick Holzman pour CanalPlay, Maxime Lombardi pour Free, …) ont souligné soit le côté « encore immature » soit les « nombreux freins » du marché français de la VOD : prix élevés par rapport aux 7,99 dollars par mois de Netflix, nombre limité de films, manque d’ergonomie, fiscalité, réglementation, vidéos gratuites, piraterie, etc. D’après le cabinet Accuracy, la VOD payante atteindrait 195 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année – 260 millions si l’on y inclut les films
pour adultes. @

Comment Amazon s’impose comme « géant culturel »

Le 25 juin, Amazon a annoncé le lancement de sa troisième plate-forme logistique en France, sur 40.000 m2 à Chalon-sur-Saône (après Orléans et Montélimar). Mais au-delà du « brick and mortar », le groupe américain veut aussi se faire une méga place au sein des industries culturelles françaises.

Vous avez aimé Apple et iTunes Store, vous adorerez Amazon et Kindle Store. Le géant du e-commerce va lancer en France – cet été ou à la fin de l’année – sa tablette multimédia baptisée Kindle Fire. Cela fera d’ailleurs un an, en octobre prochain, que
le géant du e-commerce a lancé sur l’Hexagone sa liseuse Kindle dédiée aux livres numériques. En attendant un smartphone Amazon, que la rumeur prédit pour la fin
de l’année… Une chose est sûre, le patron fondateur Jeff Bezos entend s’imposer rapidement sur le marché français des industries culturelles. Dans la musique, AmazonMP3 défie la concurrence en proposant – à l’instar d’Apple – des nouveautés
à 6,99 euros, soit 30 % moins cher grâce à l’optimisation fiscale du Luxembourg. Son catalogue musical dépasse les 17 millions de titres (1). Dans la vidéo à la demande (VOD), Amazon a pris le contrôle en janvier 2011 de la plate-forme de streaming LoveFilm qui compte plus de 2 millions d’abonnés dans cinq pays européens (2).
La France serait le prochain. Mais c’est surtout le service par abonnement Amazon Prime Instant Video, riche de 17.000 séries et films, qui est attendu sur ordinateurs et consoles de jeux dans l’Hexagone. Si Amazon noue des partenariats avec des studios de cinéma américains (20th Century, NNC Universal, Warner Bros. Pictures, …), il entend aussi produire ses propres films via Amazon Studios : quelque 7.500 scripts
ont été à ce jour soumis sur Studios.amazon.com et près de 20 films sont en cours de développement. Ce qui inquiète en particulier Canal+, dont le DG Rodolphe Belmer craint la concurrence dans la télévision payante de ces nouveaux entrants (Amazon, Netflix, Google, …) non soumis aux mêmes règles (EM@59, p. 4). Dans le livre, Amazon a déjà posé des jalons en France. Sa liseuse Kindle donne maintenant accès
à plus d’un million d’ouvrages – dont plus de 54.000 en français. Flammarion et Albin Michel ont déjà signé avec le géant de Seattle. Amazon, qui serait à l’origine de l’enquête ouverte début décembre dernier par la Commission européenne à l’encontre de ces cinq éditeurs (dont Hachette Livre) et d’Apple sur une éventuelle entente sur les prix des ebooks (3), aimerait pratiquer des ristournes de – 50 % par rapport au livre papier comme il le fait aux Etats-Unis. Mais en France, il est limité à -5 %. Cela n’empêche pas Amazon de s’imposer dans l’exception culturelle française. @

Les nouveaux nababs

Dans les coulisses de la 73e édition du Festival de Cannes, s’agitent dans l’ombre de nouveaux venus dans le monde, pourtant réputé très fermé, de la production culturelle : Orange, Telefonica, Verizon ou Vodafone. Bien sûr, les films en compétition et le ballet des stars sur le tapis rouge des marches mythiques attirent toujours autant les flashs et les projecteurs. Mais pour tenir leurs rangs et continuer à nous présenter leurs créations, les réalisateurs ont dû composer avec un monde de la production en pleine mutation. Aujourd’hui comme hier, faire un film, réaliser un programme de télévision, créer un jeu vidéo ou enregistrer une création musicale reste un parcours du combattant. La révolution numérique, en bouleversant les circuits de distribution des contenus, a également bousculé les sources habituelles de financement de la production : un effet domino qui
a touché, tour à tour, la musique, la presse, la vidéo, les jeux, l’édition et le cinéma. Les créateurs impuissants, au cœur d’un cyclone qui les malmène, ont dû retrouver les bons partenaires capables de financer leur travail. Dans cette vaste réorganisation, les opérateurs télécoms ont joué un rôle particulier, plus ou moins directement, plus ou moins contre leur gré. Si les plus puissants se sont directement impliqués dans le contrôle des plates-formes de distribution de contenus, en mettant en place leur propre système de diffusion de VOD, d’autres sont allés plus loin : Orange en prenant tour à tour le contrôle de Deezer pour la musique ou de Dailymotion pour la vidéo, ou AT&T en prenant le contrôle de Netflix aux Etats-Unis…

« Audiovisuel : les opérateurs télécoms ont joué un rôle particulier, plus ou moins directement, plus ou moins contre leur gré. »

En revanche, l’implication directe et offensive dans la production est beaucoup plus rare. Certains, comme Belgacom et Deutsche Telekom, se sont dans un premier temps limités à l’acquisition de droits de retransmission pour le football national au profit de leur propre chaîne de télévision sportive. Les plus offensifs, comme Telefonica et Telecom Italia, ont créé leurs propres filiales médias et interviennent aussi bien dans l’acquisition de droits,
la production de contenus que dans l’édition de chaînes.
Or, au tournant des années 2010, les opérateurs en étaient encore aux premiers tâtonnements, les stratégies oscillant entre implication et désengagement. Orange a, début 2011, opéré un véritable revirement stratégique en rapprochant ses chaînes cinéma avec la chaîne TPS Star et en stoppant l’acquisition de droits en 2012. Et ce, après s’être hissé à la place de numéro deux de la télévision à péage en France, derrière Canal+,
mais très nettement devant le câblo-opérateur Numericable et les autres FAI. De même, Telefonica – qui était sorti du secteur audiovisuel après avoir revendu ses participations dans le bouquet satellite Digital+, la chaîne commerciale Antena 3 et la société de production Endemol – a fait un retour remarqué en 2011 dans la production avec la création de Telefónica Producciones. Mais le retour de l’opérateur historique espagnol dans la production audiovisuelle s’explique surtout par l’obligation légale faite aux acteurs de la distribution TV d’investir 5 % de leurs revenus totaux dans le financement du cinéma et des programmes audiovisuels. D’autres pays ont estimé aussi qu’il était du ressort
des opérateurs télécoms de trouver de nouvelles sources de financement à la filière audiovisuelle. En France, la solution mise en place a d’abord été celle d’une taxe
« Cosip », suivie d’une hausse de la TVA sur la partie télévisuelles des offres triple play. Ces mesures sont controversées, soit par la Commission européenne, soit par les opérateurs eux-mêmes (ou les deux). Free, par exemple, sépara l’option TV du reste de son offre afin de ne s’acquitter de sa part que sur les 1,99 euro par mois de cette option.De nos jours, au-delà des taxes et règlements, rares sont encore les opérateurs télécoms à tenter l’aventure de l’investissement « créatif » en direct. Mais l’enjeu n’a jamais été aussi fort : les programmes premium représentent la véritable ressource rare de cette nouvelle économie dématérialisée du divertissement. Jouer les nababs sur la Croisette pour faire la conquête des stars reste encore aujourd’hui une aventure très risquée, mais très tentante… @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » :
Applications mobiles
* Directeur général adjoint du DigiWorld Institute by
IDATE, lequel a publié l’étude « Les stratégies TV
des opérateurs télécoms », par Florence Le Borgne.

Frédéric Goldsmith, APC : « Les films ne peuvent plus être ignorés dans les nouvelles chaînes de valeur »

Le délégué général de l’Association des producteurs de cinéma (APC), présidée
par Anne-Dominique Toussaint, répond à Edition Multimédi@ sur les enjeux numériques et réglementaires auxquels doit faire face le Septième Art français. Entre inquiétudes et opportunités.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Avez-vous été rassurés après les propos que Nicolas Sarkozy envers la loi Hadopi (« Je prends (…) ma part de l’erreur [Hadopi] (…) suis prêt à une Hadopi 3 ») ?
Frédéric Goldsmith :
Nous avons exprimé notre inquiétude à la suite des propos rapportés du Président de la République, lors du lancement du Conseil national du numérique (CNN). Nous connaissons son engagement en faveur du respect des droits de propriété littéraire et artistique sur les réseaux électroniques. C’est pourquoi nous avons été très surpris de ses propos. Le rectificatif qu’il a publié (1) va dans le bon sens. Nous avons de bons échos de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) sur la progression de l’action de la Hadopi pour prévenir le piratage et développer l’offre légale (2). Un enjeu est le développement des sites de « streaming » illégaux, contre lesquels il existe des moyens d’action complémentaires dans le Code de la propriété intellectuelle.

EM@ : Le CNN a-t-il une légitimité ?
F. G. :
Malgré nos demandes, les producteurs de films et plus généralement les industries culturelles ont été tenus à l’écart du CNN. Il s’agira donc d’une instance
non représentative, exprimant des positions sectorielles. Il semble que le ministre de l’Industrie ait souhaité ignorer ceux qui produisent les œuvres et s’intéresser surtout
à ceux qui les exploitent – avec plus ou moins de vigilance sur la légalité de cette exploitation selon les circonstances. Si cette politique industrielle et numérique venait
à se confirmer, ce serait désastreux car la France est un pays producteur de biens culturels qui s’exportent avec succès.

EM@ : La TV connectée soulève des questions sur le financement des films : qu’avez-vous dit à la mission commune des inspections générales des Finances
et des Affaires culturelles ?
F. G. :
Nous avons indiqué à cette mission à quel point le CNC (3) joue un rôle essentiel dans notre modèle de création cinématographique, à travers un soutien à l’investissement dans la production et à l’accès aux films via tous les modes d’exploitation. La France doit conserver la place qui est la sienne aux niveaux européen et international dans ce domaine. Il importe notamment que les pouvoirs publics mettent un terme aux tentatives d’un certain acteur des télécommunications [Free, ndlr] d’échapper à sa contribution en tant que distributeur de services audiovisuels. Plus largement, à l’instar de ce qui a été un succès avec le financement du cinéma par la télévision, nous demandons à ce que les acteurs économiques qui tirent profit de l’exploitation des films directement ou indirectement contribuent à leur financement.
Les évolutions techniques et économiques imposent de prendre en compte les nouvelles chaînes de valeur dans l’exploitation des films, depuis les fournisseurs d’accès aux services audiovisuels mais également aux fabricants de récepteurs audiovisuels connectés et aux moteurs de recherche.

EM@ : Les fabricants de téléviseurs ou de tablettes doivent- ils cotiser au Cosip comme le demande le Bloc (4) ?
F. G. :
Nous approuvons les propositions faites par Dominique Richard (5) tendant à réfléchir à la contribution à la création cinématographique et audiovisuelle des fabricants de terminaux permettant le visionnage d’images. En outre, si le fabricant met en place une plateforme interactive d’accès à des services de télévision, il suggère de le considérer comme distributeur au sens de la réglementation cinématographique et audiovisuelle. L’APC et le Bloc appellent depuis plus d’un an à cette réflexion qui est entamée aujourd’hui.

EM@ : L’accord de juillet 2009 sur la chronologie des médias a été prolongé tacitement d’un an en avril, alors que des voix s’élèvent pour réformer les
fenêtres de diffusion : pour la VOD à l’acte, la Sévàd, la SACD et Free estiment
que les 4 mois doivent être raccourcis ?
F. G. :
L’APC a été particulièrement active pour raccourcir le délai de la VOD à l’acte
à quatre mois et continuera à l’être chaque fois qu’il importera de conserver son sens
à la chronologie des médias dans le nouveau contexte de convergence numérique.
Modifier l’accord de juillet 2009 passe pas la démonstration que de nouveaux modèles économiques et culturels vertueux pour la filière et pour le public rendent des changements indispensables. Pour la VOD à l’acte, un raccourcissement en deçà du délai de quatre mois après la sortie en salles – hormis l’exception à trois mois déjà prévue dans l’accord – n’a pas figuré à l’ordre du jour des réunions au CNC sur le sujet. Sa nécessité n’a en l’état pas été démontrée.

EM@ : Pour la VOD par abonnement, le rapport Hubac propose de raccourcir à
22 mois, voire à 10 mois…
F. G. :
S’agissant de la VOD par abonnement, ce n’est pas Netflix aux Etats-Unis qui
peut servir de modèle. La situation outre-Atlantique est différente de celle qui prévaut en France, ce qui est heureux. En effet, les chaînes de télévision payantes américaines se sont détournées du cinéma. Netflix a rempli le vide ainsi créé. Si la VOD sur abonnement est appelée à croître dans notre pays, c’est à partir d’un modèle qui reste à être mieux défini en lien avec la création nationale et européenne, dans le respect des schémas économiques et culturels qui sont performants pour financer le cinéma et y donner accès.

EM@ : Le financement du cinéma français dépend-t-il trop de Canal+ (200 millions d’euros par an) ?
Orange crée une co-entreprise avec Canal+ qui reprend Orange Cinéma Séries :
le risque de monopole dans la TV payante peut-il être préjudiciable ?
F. G. :
Le partenariat de Canal+ avec le cinéma français est essentiel. La chaîne a investi de façon importante en 2010 dans les films (6). L’annonce faite par Bertrand Méheut [PDG du groupe Canal+, ndlr] du lancement programmé de Canal 20 sur la TNT gratuite – avec de forts engagements en faveur de la création cinématographique et audiovisuelle – a été saluée par les organisations membres du Bloc, dont l’APC.
Et ce, au moment où l’on attend la déferlante sur les téléviseurs connectés de services mettant à disposition en continu des « blockbusters » et séries américaines. Quant
aux investissements pour 2010 d’Orange Cinéma Séries, ils correspondent à ses engagements. Et cela va continuer en 2011, ce qui est positif. Le projet de rapprochement entre Canal+ et Orange sur le cinéma est un événement d’importance majeure pour le secteur. C’est la raison pour laquelle le Bloc a exprimé sa vigilance. Il est de l’intérêt de tous de disposer de plusieurs interlocuteurs pour financer le cinéma et le diffuser.

EM@ : Le producteur Sebastian Gutierrez a produit « Girl Walks Into Bar » pour YouTube. En France, YouTube a déjà diffusé des films français (« Le Monde du silence », « Home », « A ce soir », …). Dailymotion prévoit de le faire (après
« Valse avec Bachir »). Est-ce une opportunité ?
F. G. :
Les sites vidéo communautaires ont à ce stade surtout un rôle de bouche-à-oreille sur les films mais pas de financement. Les choses sont peut-être en train d’évoluer mais nous ne le ressentons pas jusqu’à présent. Bien au contraire, des difficultés continuent à provenir de l’exonération de responsabilité de ces sites au titre des violations de la propriété littéraire et artistique. Certains d’entre eux en tirent profit d’un point de vue financier, tout en menant des actions pour que rien ne change malgré les évidentes évolutions qui justifieraient qu’ils aient au moins une obligation de moyens d’éviter le piratage et qu’ils entrent dans le champ de la réglementation audiovisuelle. @

Convergence télécoms-audiovisuel et financement des oeuvres : vers une nouvelle régulation

Ancien député UMP du Maine-et-Loire, conseiller régional des Pays de la Loire et membre de la Cnil, Dominique Richard – auteur du rapport « Audiovisuel 2015 » remis en avril – a été nommé par le CSA Médiateur pour la circulation des œuvres. Et une mission « TV connectée » vient d’être lancée.

Dominique Richard devient le nouvel homme fort du paysage audiovisuel français en pleine mutation. S’il ne fait pas partie
de la mission TV connectée lancée le 28 avril par Frédéric Mitterrand lors du colloque du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur le sujet, il en est l’instigateur. Confiée à Marc Tessier (1), Philippe Levrier (2), Takis Candilis (3), Martin Rogard (4) et Jérémie Manigne (5), cette mission – dont les conclusions sont attendues pour septembre – s’inscrit en effet dans le prolongement du rapport sur les perspectives de l’audiovisuel en France d’ici 2015 que Dominique Richard a remis le 4 avril au ministre de la Culture et de la Communication lors du dernier MipTV à Cannes (6). Ce consultant, conseiller régional des Pays de la Loire et membre de la Cnil, vient en outre d’être nommé par le CSA Médiateur pour la circulation des œuvres. Il s’agit notamment de « fluidifier » un marché encore dominé par un oligopole constitué par les chaînes historiques. La TNT, l’IPTV, le Web, la VOD, la catch up TV et plus encore la TV connectée – en attendant la télévision mobile personnelle (TMP) – sont en passe de déstabiliser le marché français des programmes audiovisuels et cinématographiques.

Un rapport, un médiateur et une mission
Se posent alors les questions épineuses de la libre circulation des œuvres sur les nouveaux réseaux numériques de diffusion, ainsi que de leur financement via le fonds Cosip (7). « Les opérateurs de réseaux de télécommunication pourraient ainsi se voir autorisés à facturer l’hyperconsommation de bande passante aux nouveaux acteurs,
quel que soit leur lieu d’implantation, pour financer les investissements et soumettre le chiffre d’affaires supplémentaire ainsi généré à la contribution Cosip, plutôt que de créer une nouvelle taxe spécifique », suggère Dominique Richard dans son rapport final.
Les ambitions audiovisuelles affichées des Google, Apple et autres géants du Net,
sans parler de l’arrivée prochaine de plateformes télévisées et vidéo telles que Netflix ou Hulu, accroissent la pression. De plus, les fabricants de téléviseurs (Samsung, Panasonic, LG Electronics, …) s’invitent dans la chaîne de valeur. La fragmentation de l’offre de contenus audiovisuels, sur fond de bataille des exclusivités, apparaît aux yeux de Frédéric Mitterrand « préjudiciable ».

Films et programmes : bataille des contenus
Qu’ils se nomment Samsung, Yahoo, Dailymotion ou Microsoft, tous les nouveaux diffuseurs audiovisuels vont être appelés à financer la création en France. Fragmentation, financement et répartition de la valeur seront donc au coeur de cette mission « TV connectée ». Surtout, la bataille des contenus va s’intensifier entre diffuseurs, distributeurs et services en ligne. D’autant que les chaînes hertziennes historiques – TF1, France Télévisions, M6 et Canal+ – n’ont plus le monopole de la diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles, ni les seules supposées cofinancer des œuvres pour en avoir l’exclusivité initiale en tant que « primo-diffuseurs ». Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), les éditeurs de services de VOD ou encore les nouvelles chaînes de télévision numérique terrestre (TNT) – voire les fabricants de terminaux interactifs – veulent pouvoir remplir leurs catalogues de programmes dans
des conditions tarifaires raisonnables, de façon non discriminatoire et dans le respect
de la concurrence. Ce sera le rôle central du Médiateur pour la circulation des œuvres. Dans sa lettre de mission datée du 28 mars 2011, Dominique Richard a deux ans pour démontrer l’efficacité de son action de conciliation, d’arbitrage et de règlement de litiges entre les tuyaux et les contenus. Il sera à la circulation des œuvres sur les réseaux numériques ce que le Médiateur du cinéma (Roch-Olivier Maistre) – institué en 1982
dans le sillage du CNC (8) – est à la chronologie des médias (de la salle aux autres fenêtres de diffusion). Des freins sont identifiés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) depuis 2006. L’accès aux programmes et aux films récents par les nouveaux supports et les services de médias audiovisuels à la demande – les fameux SMAd (VOD, Catch up TV, …) – devient un enjeu crucial. Les chaînes historiques ont commencé à être concurrencées à partir de 2000 par le câble, le satellite et la TNT, lesquels ont aussi été appelées comme leurs aînées à des quotas de diffusion d’oeuvres audiovisuelles et à des obligations de contribution financière à la production d’oeuvres. En 2007, Dominique Richard s’était déjà penché avec David Kessler sur les relations entre les diffuseurs et les producteurs (décrets Tasca) : cette première mission a abouti à trois décrets sur les régime de la contribution à la production audiovisuelle des différents éditeurs de services de télévision. Et pourtant. Bien que le « gel de droits » n’ait pas été démontré, le CSA a néanmoins constaté que « la circulation des oeuvres s’effectue principalement entre chaînes d’un même groupe » grâce notamment à une clause dite de « droit de premier et dernier refus » ou « clauses de rétrocession », lesquelles reviendraient à un gel de droits, autrement dit « à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence » (9). Ce qui ne va pas sans poser des problèmes pour les autres chaînes de la TNT et pour les SMAd. Ces derniers sont en effet soumis, par décret du 12 novembre 2010 applicable depuis le 1er janvier 2011, à des obligations de financement de films et de programmes. Mais s’ils ne peuvent accéder aux programmes et films, leurs obligations sont inatteignables et leur pérennité compromise faute d’œuvres attractives à leur catalogue.
Avec leur charte TV connectée rendue publique le 23 novembre, les chaînes françaises veulent en plus garder le contrôle du téléviseur. Dans son rapport d’étape remis fin novembre, Dominique Richard estime que les TF1 et M6 pourraient refuser de donner accès à leur programme à Google TV par exemple, en prétextant des régimes d’obligation différents. Il met en garde contre une « situation de blocage », bien que les fabricants de téléviseurs soient en « position de force » dans la mesure où la charte
« [ne les] engage pas »). Les Google TV, Apple TV et autres plateformes de VOD pourraient être de redoutables concurrents. « (…) L’enjeu général pour Google et l’ensemble des acteurs concernés est donc de capter une part des 3 h 33 quotidiennes de “temps de cerveau disponible“ (10), ainsi que les recettes publicitaires associées », explique Dominique Richard dans son rapport final. Alors que sa lettre de mission de Médiateur ne le prévoit pas explicitement, ce dernier pourrait aussi être saisi de conflits entre plateformes VOD et FAI. La conseillère d’Etat Sylvie Hubac avait bien identifié – dans son rapport remis début janvier au CNC – le manque d’ouverture des FAI, plus soucieux de favoriser leur propre service de VOD que d’ouvrir leurs réseaux IPTV à des bouquets de VOD concurrents.

VOD et chronologie des médias
Se pose aussi la question de la chronologie des médias : elle a proposé de réduire le délai de diffusion des films en VOD par abonnement (actuellement de 36 mois après la sortie en salle). La réforme de la chronologie des médias, y compris les 4 mois de la VOD à l’acte, semble inéluctable comme le suggère Marc Tessier. Autant dire que la convergence numérique-audiovisuel va plus que jamais bousculer la réglementaire
et la régulation de deux mondes qui se regardent en chiens de faïence. Le rapport
« Audiovisuel 2015 » prône un « rapprochement » entre le CSA et l’Arcep. @

Charles de Laubier