Frédéric Goldsmith, APC : « Les films ne peuvent plus être ignorés dans les nouvelles chaînes de valeur »

Le délégué général de l’Association des producteurs de cinéma (APC), présidée
par Anne-Dominique Toussaint, répond à Edition Multimédi@ sur les enjeux numériques et réglementaires auxquels doit faire face le Septième Art français. Entre inquiétudes et opportunités.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Avez-vous été rassurés après les propos que Nicolas Sarkozy envers la loi Hadopi (« Je prends (…) ma part de l’erreur [Hadopi] (…) suis prêt à une Hadopi 3 ») ?
Frédéric Goldsmith :
Nous avons exprimé notre inquiétude à la suite des propos rapportés du Président de la République, lors du lancement du Conseil national du numérique (CNN). Nous connaissons son engagement en faveur du respect des droits de propriété littéraire et artistique sur les réseaux électroniques. C’est pourquoi nous avons été très surpris de ses propos. Le rectificatif qu’il a publié (1) va dans le bon sens. Nous avons de bons échos de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) sur la progression de l’action de la Hadopi pour prévenir le piratage et développer l’offre légale (2). Un enjeu est le développement des sites de « streaming » illégaux, contre lesquels il existe des moyens d’action complémentaires dans le Code de la propriété intellectuelle.

EM@ : Le CNN a-t-il une légitimité ?
F. G. :
Malgré nos demandes, les producteurs de films et plus généralement les industries culturelles ont été tenus à l’écart du CNN. Il s’agira donc d’une instance
non représentative, exprimant des positions sectorielles. Il semble que le ministre de l’Industrie ait souhaité ignorer ceux qui produisent les œuvres et s’intéresser surtout
à ceux qui les exploitent – avec plus ou moins de vigilance sur la légalité de cette exploitation selon les circonstances. Si cette politique industrielle et numérique venait
à se confirmer, ce serait désastreux car la France est un pays producteur de biens culturels qui s’exportent avec succès.

EM@ : La TV connectée soulève des questions sur le financement des films : qu’avez-vous dit à la mission commune des inspections générales des Finances
et des Affaires culturelles ?
F. G. :
Nous avons indiqué à cette mission à quel point le CNC (3) joue un rôle essentiel dans notre modèle de création cinématographique, à travers un soutien à l’investissement dans la production et à l’accès aux films via tous les modes d’exploitation. La France doit conserver la place qui est la sienne aux niveaux européen et international dans ce domaine. Il importe notamment que les pouvoirs publics mettent un terme aux tentatives d’un certain acteur des télécommunications [Free, ndlr] d’échapper à sa contribution en tant que distributeur de services audiovisuels. Plus largement, à l’instar de ce qui a été un succès avec le financement du cinéma par la télévision, nous demandons à ce que les acteurs économiques qui tirent profit de l’exploitation des films directement ou indirectement contribuent à leur financement.
Les évolutions techniques et économiques imposent de prendre en compte les nouvelles chaînes de valeur dans l’exploitation des films, depuis les fournisseurs d’accès aux services audiovisuels mais également aux fabricants de récepteurs audiovisuels connectés et aux moteurs de recherche.

EM@ : Les fabricants de téléviseurs ou de tablettes doivent- ils cotiser au Cosip comme le demande le Bloc (4) ?
F. G. :
Nous approuvons les propositions faites par Dominique Richard (5) tendant à réfléchir à la contribution à la création cinématographique et audiovisuelle des fabricants de terminaux permettant le visionnage d’images. En outre, si le fabricant met en place une plateforme interactive d’accès à des services de télévision, il suggère de le considérer comme distributeur au sens de la réglementation cinématographique et audiovisuelle. L’APC et le Bloc appellent depuis plus d’un an à cette réflexion qui est entamée aujourd’hui.

EM@ : L’accord de juillet 2009 sur la chronologie des médias a été prolongé tacitement d’un an en avril, alors que des voix s’élèvent pour réformer les
fenêtres de diffusion : pour la VOD à l’acte, la Sévàd, la SACD et Free estiment
que les 4 mois doivent être raccourcis ?
F. G. :
L’APC a été particulièrement active pour raccourcir le délai de la VOD à l’acte
à quatre mois et continuera à l’être chaque fois qu’il importera de conserver son sens
à la chronologie des médias dans le nouveau contexte de convergence numérique.
Modifier l’accord de juillet 2009 passe pas la démonstration que de nouveaux modèles économiques et culturels vertueux pour la filière et pour le public rendent des changements indispensables. Pour la VOD à l’acte, un raccourcissement en deçà du délai de quatre mois après la sortie en salles – hormis l’exception à trois mois déjà prévue dans l’accord – n’a pas figuré à l’ordre du jour des réunions au CNC sur le sujet. Sa nécessité n’a en l’état pas été démontrée.

EM@ : Pour la VOD par abonnement, le rapport Hubac propose de raccourcir à
22 mois, voire à 10 mois…
F. G. :
S’agissant de la VOD par abonnement, ce n’est pas Netflix aux Etats-Unis qui
peut servir de modèle. La situation outre-Atlantique est différente de celle qui prévaut en France, ce qui est heureux. En effet, les chaînes de télévision payantes américaines se sont détournées du cinéma. Netflix a rempli le vide ainsi créé. Si la VOD sur abonnement est appelée à croître dans notre pays, c’est à partir d’un modèle qui reste à être mieux défini en lien avec la création nationale et européenne, dans le respect des schémas économiques et culturels qui sont performants pour financer le cinéma et y donner accès.

EM@ : Le financement du cinéma français dépend-t-il trop de Canal+ (200 millions d’euros par an) ?
Orange crée une co-entreprise avec Canal+ qui reprend Orange Cinéma Séries :
le risque de monopole dans la TV payante peut-il être préjudiciable ?
F. G. :
Le partenariat de Canal+ avec le cinéma français est essentiel. La chaîne a investi de façon importante en 2010 dans les films (6). L’annonce faite par Bertrand Méheut [PDG du groupe Canal+, ndlr] du lancement programmé de Canal 20 sur la TNT gratuite – avec de forts engagements en faveur de la création cinématographique et audiovisuelle – a été saluée par les organisations membres du Bloc, dont l’APC.
Et ce, au moment où l’on attend la déferlante sur les téléviseurs connectés de services mettant à disposition en continu des « blockbusters » et séries américaines. Quant
aux investissements pour 2010 d’Orange Cinéma Séries, ils correspondent à ses engagements. Et cela va continuer en 2011, ce qui est positif. Le projet de rapprochement entre Canal+ et Orange sur le cinéma est un événement d’importance majeure pour le secteur. C’est la raison pour laquelle le Bloc a exprimé sa vigilance. Il est de l’intérêt de tous de disposer de plusieurs interlocuteurs pour financer le cinéma et le diffuser.

EM@ : Le producteur Sebastian Gutierrez a produit « Girl Walks Into Bar » pour YouTube. En France, YouTube a déjà diffusé des films français (« Le Monde du silence », « Home », « A ce soir », …). Dailymotion prévoit de le faire (après
« Valse avec Bachir »). Est-ce une opportunité ?
F. G. :
Les sites vidéo communautaires ont à ce stade surtout un rôle de bouche-à-oreille sur les films mais pas de financement. Les choses sont peut-être en train d’évoluer mais nous ne le ressentons pas jusqu’à présent. Bien au contraire, des difficultés continuent à provenir de l’exonération de responsabilité de ces sites au titre des violations de la propriété littéraire et artistique. Certains d’entre eux en tirent profit d’un point de vue financier, tout en menant des actions pour que rien ne change malgré les évidentes évolutions qui justifieraient qu’ils aient au moins une obligation de moyens d’éviter le piratage et qu’ils entrent dans le champ de la réglementation audiovisuelle. @